Texte intégral
Q - Quelles impressions avez-vous ressenties en vous rendant à Port-au-Prince quarante-huit heures après le séisme ?
R - J'ai eu le sentiment de pénétrer dans un pays qui venait de subir des bombardements ciblés, comme lors d'une guerre. Tous les secteurs de la ville sont touchés, les immeubles rasés, les maisons détruites, la cathédrale ravagée... Dans les rues, les gens sont là, avec des enfants, quasiment condamnés. Les autorités haïtiennes ont déjà enterré quelque 70.000 corps dans des fosses communes mais il en reste des milliers d'autres, sous les éboulements de ces constructions peu faites pour résister à une telle catastrophe. C'est une expérience humaine qui marquera ma vie.
Q - Comment réagissent les Haïtiens ? On a évoqué des situations de violence et des scènes de pillage...
R - La communauté haïtienne, tout comme le président Préval et ce qu'il reste de son gouvernement, ont fait preuve de calme, de douceur et de pudeur totale. J'ai vu des habitants pleurer leurs morts en toute discrétion, emballant les corps dans de simples couvertures et les déposer sur le trottoir. La nuit, des camions venaient emporter ces cadavres. Bien sûr, il y a des foyers de violence mais, globalement, les gens sont restés d'un calme incroyable. Hier, lorsque je partais, j'ai aperçu des colonnes humaines qui emportaient ce qu'elles pouvaient vers les campagnes dans l'espoir de trouver refuge ailleurs qu'en ville.
Q - Le manque de nourriture et d'eau semble se faire cruellement sentir...
R - Il y a une nécessité absolue d'augmenter l'aide alimentaire mondiale car la sécurité de la population en dépend.
Q - La France s'est montrée immédiatement très présente dès l'annonce de la catastrophe, notamment en envoyant des équipes de secours. Une réaction suffisante ?
R - Face à cette catastrophe qui dépasse l'entendement, aucun logisticien au monde n'aurait pu développer en quarante-huit heures le volume de secours nécessaire aux Haïtiens. Nos secours ont été formidables et j'en suis fier. Nous avons réussi en un laps de temps infime à évacuer non seulement tous nos ressortissants qui souhaitaient quitter le pays - environ 600 personnes, rapatriés vers la Guadeloupe et la Martinique -, mais également à prendre en charge des blessés très lourds sans chercher à connaître leur nationalité. Nous n'avons pas fait le tri. J'ai particulièrement été très touché par la prise en charge par les urgentistes français de ces cinq jeunes Haïtiens grièvement blessés. Ils ont été opérés en Guadeloupe. Aujourd'hui, l'Italie nous demande de l'aider à rapatrier ses ressortissants. Malgré la situation chaotique, les autorités françaises ont été sereines et ont eu la situation en main de la première à la dernière heure.
Q - Vous avez critiqué la mainmise des Etats-Unis sur l'organisation des opérations...
R - Je ne remets pas en question l'organisation américaine. Mais, lorsque j'étais sur place, ma mission était également de permettre l'atterrissage de la seconde vague de secouristes français et d'un hôpital de campagne. J'y tenais, j'y suis parvenu. Mission accomplie.
Q - Quelle est la prochaine étape de la France pour continuer d'aider Haïti ?
R - Il y a de gros manques en matière de génie civil. Deux bateaux français, arrivés de Martinique et de Dakar, viennent notamment avec une cinquantaine de camions et de chauffeurs. Il va falloir également participer à la sécurisation sanitaire du pays car, si pour l'instant il n'y a pas de risque d'épidémie, la moindre pluie sur les cadavres qui se décomposent dans les décombres pourrait envenimer la situation. Mais, pour l'instant, tous les secouristes sont encore sur le pont pour tenter de sauver le maximum de personnes encore en vie dans les ruines. Lundi prochain aura lieu, en présence du président Nicolas Sarkozy, une grande conférence mondiale pour aider à la reconstruction du gouvernement haïtien et de son pays. La France veut être l'un des moteurs de la reconstruction comme nous l'avons été dans les secours.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 janvier 2010