Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, à RTL le 4 janvier 2010, sur le sort des journalistes français pris en otage en Afghanistan, la situation en Iran et sur les stocks de vaccin contre la grippe A.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Quelles informations pouvez-vous nous donner sur le sort des deux journalistes de France 3 enlevés mercredi dernier avec leurs trois accompagnateurs afghans dans la province de Kapisa, en Afghanistan ?
R - Aucune information supplémentaire que vous n'ayez déjà.
Q - Sont-ils vivants ?
R - Nous avons bon espoir qu'ils soient vivants. Nous pensons...
Q - C'est de l'espoir, ou ce sont juste des informations ?
R - Fondées la zone où ils se trouvent. Néanmoins, pour l'heure, vous comprendrez bien que je ne pourrais pas répondre aux questions précises que vous allez me poser. Si j'y répondais, cela compromettrait le sort de ces journalistes. Or nous voulons, vous et moi, qu'ils sortent au plus vite.
Q - Un porte-parole des Taliban, dit : "Ce ne sont pas des Taliban qui les détiennent". Est-ce vrai ?
R - Qui est ce Taliban ? Qui est ce porte-parole ? Il s'agit d'un homme qui de temps en temps prend contact avec la presse mais qui ne représente pas les Taliban. D'ailleurs, qui les représente ? Qui pourrait les représenter ? C'est une nébuleuse particulière, notamment dans les vallées où les soldats français sont responsables de l'ordre ainsi que des projets qui concernent de très près la population de ces vallées. A ce propos, c'est notre grand atout de savoir parler à ces paysans, de connaître ces gens, ces villages. Tous les services sont évidemment alertés. Le dispositif est complet, ces informations passent souvent par ces paysans qui nous font confiance.
Q - Peut-on dire ce matin, Bernard Kouchner, que des négociations ont commencé avec ceux qui détiennent ces journalistes en otages ?
R - On ne peut pas dire cela. D'ailleurs, si elles étaient commencées, je ne vous le dirais pas. Pour le moment, il n'y a pas eu de revendication comme vous le savez.
Q - Les journalistes ont-ils été imprudents à votre connaissance ? Y a-t-il eu des fautes ? Conseillez-vous à d'autres journalistes de ne pas aller sur ce terrain ?
R - Nous leur avons conseillé de ne pas y aller. Nous mettons en garde très fermement non seulement les journalistes, mais aussi des personnes qui visitent, des gens qui sont là et qui ne sont pas indispensables. Nous le faisons régulièrement et nous l'avions fait.
Cependant, le métier de journaliste comporte des règles. Journaliste d'investigation et journaliste de guerre, c'est un métier que je connais bien et je sais que parfois il faut aller chercher les informations. Nous verrons plus tard quant à la distribution des blâmes ou des félicitations. C'est une région dangereuse. Il ne faut pas y aller. Il ne faut pas y aller dans toutes les conditions et il ne faut pas faire le malin. On ne connaît pas les interlocuteurs. Hier j'ai reçu de jeunes Afghans qui viennent en stage, ou qui viennent se perfectionner. Ils étaient nombreux au Quai d'Orsay. Certains étaient, ce qu'on appelle des fixeurs...
Q - C'est-à-dire des gens qui rencontrent les journalistes sur le terrain...
R - Oui, qui aident les journalistes... Mais avec qui sont-ils en contact ? Forcément avec l'adversaire, comme on dit. Sinon, ils ne pourraient pas rester en vie, et ils ne pourraient pas faciliter le travail des journalistes. Il faut donc être particulièrement méfiant.
Q - Je voudrais revenir sur une question du début, sur laquelle vous avez commencé à répondre. Mais pour essayer d'être précis : avez-vous des preuves de vie concernant ces deux personnes ?
R - Non, nous ne disposons pas de preuves de vie, mais tout le monde pense qu'ils sont vivants. D'après ce que nous savons et d'après le parcours qu'ils ont effectué très grossièrement, cela le prouve.
Q - Nous allons changer de sujet, Bernard Kouchner, puisqu'il y a beaucoup d'événements dans le monde qui concernent votre ministère...
R - Avant de changer de sujet si vous le permettez...
Q - Bien sûr.
R - Cette négociation dépendra du groupe qui les a enlevés. Il faut savoir qu'elle risque d'être longue.
Q - Vous confirmez indirectement qu'il y a négociations ?
R - Non pas du tout. C'est dans l'hypothèse de quand il y en aura. Pour l'instant, comme je vous l'ai dit, il n'y en a pas. Il n'y a pas eu de revendication.
Q - Il n'y a pas eu de revendications. Mais vous avez des contacts avec les preneurs d'otages ?
R - Nous essayons d'établir des contacts. Je n'ai pas dit que nous en avions. D'ailleurs, je vous dis très clairement, nous n'en avons pas.
Q - D'accord.
R - Mais cette négociation viendra un jour. Il faut s'attendre à que ce soit très long. Les gens qui les détiennent peuvent se manifester, c'est la coutume, dans huit jours ou quinze jours, pour laisser retomber la pression.
Q - Pour l'instant, ils ne se sont pas manifestés...Vous secouez la tête en disant "Non"...
R - Non, nous ne savons pas pour le moment. Ecoutez, souvent je ne peux pas vous répondre sur un tel sujet, mais je ne vous mens pas.
Q - Le régime iranien vous paraît-il menacé par les manifestations de rue ?
R - Le régime iranien et son devenir ne sont pas une affaire internationale mais une affaire interne. Nous voyons tous qu'il est menacé par des gens très déterminés : par des Iraniens, certains très religieux ; par la hiérarchie chiite elle-même. Oui, le régime est menacé par une contestation interne, je ne sais pas sur quoi elle débouchera.
Q - Souhaitez-vous la chute du régime iranien ?
R - Ce n'est pas à moi de la souhaiter ou pas. Nous, nous continuons à parler avec les Iraniens. On peut condamner de façon très théorique toutes les fraudes électorales ; sont-elles prouvées ? Pas à nos yeux mais aux yeux des Iraniens eux-mêmes, c'est cela qui compte. C'est aux Iraniens de répondre. Les fraudes électorales semblent vraiment très manifestes.
Et puis, surtout, il y a une contestation religieuse. A l'intérieur de ce clergé, il y a une énorme majorité - si je comprends bien, et encore une fois, je n'ai pas à juger - de chiites de rang extrêmement élevé - les vingt qui sont les plus importants, ceux qu'on doit imiter - qui ne sont pas en accord avec ce régime, qui contestent sa valeur religieuse elle-même. C'est cela qu'un observateur peut constater. A part cela, la pression est énorme.
Nous devons condamner toutes les répressions, mais celle-là en particulier, qui fait que des manifestants désarmés sont exposés aux balles, aux arrestations, aux condamnations très sévères dont des condamnations à mort.
Q - Avez-vous le sentiment que le fait que Clotilde Reiss soit toujours retenue, empêchée de quitter l'Iran, soit comme une monnaie d'échange pour faire pression sur la France aujourd'hui ?
R - J'espère bien que non. Ce serait inadmissible. Clotilde Reiss a 24 ans, est à l'ambassade de France, a été accusée de façon un peu grotesque d'être un espion...
Q - Et qui ne peut pas sortir aujourd'hui d'Iran...
R - Elle ne peut pas sortir. Elle est libre de ses mouvements à l'intérieur de l'ambassade, mais nous ne pouvons pas la faire sortir parce que nous attendons le jugement du tribunal révolutionnaire qui doit statuer dans les jours ou les semaines qui viennent.
Nous espérons vivement que cette jeune fille ne constituera pas un moyen de pression. Ce ne serait vraiment pas accepté par toute la communauté internationale. Vous savez il y a eu d'autres exemples, il y a la dernière pirouette des Iraniens : ils ont donné un ultimatum à ceux qui eux-mêmes, c'est-à-dire la communauté internationale, dont la France, proposaient de les aider à l'enrichissement de l'uranium...
Q - Un ultimatum...
R - Ils ont inversé, avec une science un peu lourde de la diplomatie : "Non c'est vous que l'on attend". Non, on ne peut pas faire comme cela. Il y a eu une date, le 31 décembre 2009, pour que les conversations techniques sur l'enrichissement de l'uranium, destiné à la fabrication des isotopes médicaux, soient entamées ; cette date est expirée.
Ils ne veulent jamais parler. Nous, nous leur parlons, nous parlons tout le temps, et nous continuerons à parler avec les Iraniens.
Q - La date est expirée, on vous a entendu. Etes-vous scandalisé par l'annonce - je parle au docteur - de la revente des vaccins contre la grippe A par la France, qui visiblement en a acheté beaucoup trop ?
R - Avec votre bonne mine, Monsieur Aphatie, vous êtes-vous fait vacciner ?
Q - Oui, Monsieur Kouchner.
R - Eh bien voyez-vous, moi aussi.
Q - Nous sommes deux...
R - Voilà la vraie réponse.
Q - Non, ce n'est pas la vraie réponse.
R - Vous savez, cela aurait été bien pire. Attendez, attendez...
Q - Vous êtes scandalisé par la revente des vaccins ?
R - Mais pas du tout.
Q - On en a trop acheté ?
R - Je suis scandalisé par le scandale que cela provoque. Laissez-moi m'expliquer. Qu'aurait-on dit si l'épidémie avait été grave ? Qu'aurait-on dit si les gens avaient risqué leur peau ? On est content que ce virus soit un peu moins virulent qu'on le pensait. Et puis, attendons un peu parce que l'hiver n'est pas fini. On appelle souvent cela le "V grippal" : Cela rebondit.
Q - On est en bas, et cela rebondit...
R - Et voilà, c'est à peu près cela.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 janvier 2010