Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les priorités de l'action extérieure de la France et la situation internationale, Paris le 19 janvier 2010.

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Circonstance : Voeux de Bernard Kouchner à la presse à Paris le 19 janvier 2010

Texte intégral

Monsieur le Président,
Cher Alain,
Mesdames et Messieurs,

Je pense, tout d'abord, bien entendu aux Haïtiens. La manière dont vous avez présenté nos missions multiples rendait suffisamment hommage à tous ceux qui s'étaient engagés, à Alain Joyandet, au Centre de crise et à tous ceux qui ici ont participé à l'effort de la France pour que je ne revienne pas plus longuement sur l'effort humanitaire et sur le secours d'urgence qui, je crois, a été réalisé au mieux.
Ce n'est jamais bien, ce n'est jamais au mieux, mais ce fut de la manière la plus efficace, compte tenu des exigences locales et surtout de nos possibilités, de nos moyens. Je crois que non seulement la France, mais aussi l'Union européenne et le reste du monde ont réussi à monter une opération de secours comme il n'y en a jamais eu face à une telle catastrophe. Et cela n'est pas fini.
Je veux simplement dire que la phase d'extrême urgence étant presque dépassée ou en voie d'être dépassée, il faut penser, et nous le faisons, dès aujourd'hui, à la reconstruction, même si cela peut paraître extrêmement prématuré. Il faut donner aux Haïtiens l'assurance que nous ne les abandonnerons pas après cette phase humanitaire d'urgence. Il faut dès maintenant - d'où la réunion du 25 janvier à Montréal, au Canada - prendre nos dispositions pour que, comme la France l'a proposé et comme hier, lors d'une conférence téléphonique, de nombreux pays l'ont accepté, une conférence des donateurs ait lieu au mois de mars. Il faut que l'assurance d'un travail acharné de longues années soit apportée aux victimes de ce tremblement de terre exceptionnel pour bien des raisons, de par sa force, son amplitude, par les dégâts causés, par le nombre des victimes, mais aussi parce que les Français ont avec Haïti des rapports très particuliers, qu'il faut absolument maintenir. Il faut resserrer les liens et nous le ferons.
Dans quelques mois, vous verrez lorsque cet événement considérable et infiniment douloureux sera un peu effacé, il faudra penser à ceux qui travaillent aux côtés des Nations unies, des Américains, de l'Union européenne, de tous ceux qui se mettront à la besogne pour certainement des années. A chaque fois qu'une catastrophe se produit, on sent se ressouder des bonnes volontés qui étaient souvent éparses. C'est encourageant. Même si ces occasions sinistres voient se déployer des inventions et des gestes parfois surprenants, cela nous donne à penser que l'on pourrait souvent dans le développement, pour les pays pauvres - et que l'on a découvert une fois de plus lors de la Conférence de Copenhague - faire mieux, plus longuement, et peut-être avec plus de moyens dans l'avenir.
Le temps n'est pas de parler de quelques malentendus qui, par rapport à l'effort accompli et les résultats, n'ont pas d'intérêt. Il y a toujours de petites querelles au moment des catastrophes.
Le métier de journaliste est un métier risqué, particulièrement lorsque l'on est journaliste d'investigation et lorsque l'on s'intéresse aux événements internationaux. Humanitaire aussi, ce n'était pas un métier, mais cela le devient. Ce sont deux métiers où, nécessairement, l'on doit faire des choix qui ne sont pas toujours guidés, suffisamment encadrés. Et si vous ne le faisiez pas, le monde serait différent.
Alors, je pense à ces deux journalistes emprisonnés en Afghanistan. Je pense à eux et je voudrais vous persuader que tous les efforts sont faits pour les sortir de leur prison au plus vite. Je ne voudrais pas que, là aussi, s'installent des malentendus. Il y a des risques nécessaires aussi bien pour les journalistes que pour les humanitaires.
Ce ne sont pas les seuls à qui je pense. En ce début d'année où on a le droit de penser aux autres, et puis après, on ne vous reproche pas toujours de les avoir oubliés. Il y a aussi les otages français. Il y a un certain nombre de personnes qui, elles aussi, ont pris des risques et qui devaient le faire. Même s'il faut mesurer ce risque, même s'il faut y réfléchir auparavant. Il y a six otages français dont nous nous occupons, dont le centre de crise et dont tous les services de l'Etat s'occupent. Certains se trouvent dans des conditions très difficiles et, là aussi, nous nous efforçons d'être efficaces. Il ne s'agit pas seulement de parler ou de ne pas parler, mais d'être efficaces.
Merci, Monsieur le Président pour ce que vous avez dit des efforts de la diplomatie. Ils ne sont pas toujours bien compris. Alain Joyandet, Pierre Lellouche et moi, nous formons une équipe comme il n'y en a pas eu souvent. Ce n'est pas simple de se parler quand on est ministre. Mais nous nous parlons avec une régularité qui n'a pas d'autre exemple. Rien de ce que fait l'un n'est ignoré des deux autres. C'est un atout considérable. Bien sûr, vous êtes intéressés par les agacements et les querelles. J'en ai connu d'autres, beaucoup plus importantes, et plus dangereuses. Avec nos collègues de l'Elysée, nous nous voyons une fois par semaine, et c'est nouveau dans la Vème République. Cela ne s'était jamais fait auparavant. Nous rencontrons régulièrement le président de la République, sans trop l'accabler parce qu'il a beaucoup de travail.
Dans une politique extérieure qui a donc éveillé et qui continue d'éveiller l'attention des uns et des autres sur la planète, ce n'est pas si mal. J'avais fait une liste de 20 sujets dont nous sommes les serviteurs. Je vais vous en donner seulement quelques-uns.
Les Affaires étrangères ne se résument pas seulement au ministre, aux secrétaires d'Etat, à la presse diplomatique. Ce sont des milliers de personnes qui travaillent dans le même sens, près 12.000 dont 1.350 sur le site de la Convention et à peu près le même nombre au Quai d'Orsay. Sur le terrain, nombreux sont ceux qui profitent d'une réforme que nous poursuivrons.
La réforme de l'Agence culturelle est en cours et verra le jour durant le mois de février. Il y en a eu d'autres et nous nous sommes efforcés, avec la création de la direction générale de la Mondialisation, de tenir compte des évolutions du monde. Nous avons créé des directions, renouvelé la prospective, nommé des gens talentueux aux côtés de ceux qui, déjà talentueux, manquaient de ces spécialités.
Qui me dira que dans l'évolution de ce monde et les dangers que nous affrontons, nous ne devons pas tenir compte des rapports des religions, de la démographie, de l'environnement, des nouvelles réflexions sur le développement que nous menons ? C'est cela que nous voulons faire et cela prend du temps. Des habitudes étaient prises, beaucoup de majesté, beaucoup de talents.
Ce qui caractérise les agents de ce ministère, c'est tout de même une connaissance précise du monde actuel. Des spécialisations, un acharnement à connaître les sujets dont nous sommes responsables, ce qui sort tout à fait de l'ordinaire.
Considérez les résultats des grandes puissances, considérez, dans la majesté et l'universalité de certaines diplomaties, où sont les résultats ? Je parle des Etats-Unis d'Amérique, du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de l'Espagne... Comparez les choses. Ce n'est pas pour faire cocorico. Ce n'est pas pour se vanter, c'est parce que nous avons entamé un profond mouvement de rénovation. Il ne suffit pas de faire des analyses dans les think tanks, encore faut-il les faire dans le bon sens et ne pas répéter les choses. Il faut aussi connaître la pensée, l'analyse des autres. Nous tentons de le faire notamment avec cette direction de la prospective renouvelée. Et puis, je voudrais saluer la direction de la Communication et du Porte-parolat.
Je souhaiterais vous citer quelques exemples à propos de 2010 et de 2011, parce qu'ils nous tiendront éveillés et actifs.
Ayant parlé d'Haïti, je voudrais rendre hommage au sacrifice de certains des volontaires des Nations unies, des personnes attachées au multilatéralisme. Le multilatéralisme n'est pas un résumé prétentieux de l'analyse du monde. Ce sont des personnes qui s'engagent pour mettre en contact les nations et faire la paix entre les nations. Il y en avait de particulièrement remarquables qui ont trouvé la mort dans le bâtiment des Nations unies la semaine dernière.
Il y avait notre ami tunisien Hedi Annabi, merveilleux activiste, militant des Nations unies. Il y avait Marc Plum. Nous l'avions rencontré en installant notre excellent ambassadeur de France en Haïti, Didier le Bret - qui était le directeur adjoint d'Alain Joyandet. Nous étions encore ensemble il y a quelque temps. Je voudrais aussi citer Louise Da Costa. 2 à 3 ans de travail dans les Balkans et je les pleure aujourd'hui. C'est toujours très injuste de citer des noms, parce qu'il y avait 300 autres personnes. Chacun peut s'intéresser à des cas particuliers, parce qu'ils connaissent l'histoire de leur famille, de leurs engagements, de leurs souffrances souvent et de leur efficacité.
Dans un tel tremblement de terre, dans une catastrophe naturelle où chacun évoquera le dieu de son choix, il ne faut pas sélectionner, il faut tenter d'être efficace. Et ces gens, avec les 8 à 9.000 soldats des Nations unies étaient particulièrement efficaces. Ils commençaient à changer le visage d'Haïti. Nous y avions contribué très largement. Alain Joyandet s'était engagé en Haïti au moment des inondations il y a deux ans. Et nous nous en sortions. Nous, c'est-à-dire la communauté internationale que l'on n'écoute plus assez, que l'on remplace par des G8, 13,14, 20, avions apporté de la sécurité.
N'oublions pas le Nord-Sud, n'oublions pas les Nations unies et n'oublions pas la réforme nécessaire du seul système international que nous connaissons, les Nations unies. En Haïti, la sécurité s'était très largement améliorée grâce aux Nations unies. Le développement venait, la formation... Voilà ce qui a été interrompu, fracassé par les mouvements de la terre. Continuons avec les mouvements de l'esprit et avec un acharnement à reprendre le travail, là où il se trouve complètement arrêté.
Je voulais vous donner quelques exemples qui, enracinés dans le travail du Quai d'Orsay, depuis deux ans et depuis plus longtemps d'ailleurs, vont faire l'objet de notre attention en 2010 et en 2011.
Tout d'abord, concernant les financements innovants. Cela fait 25 ans que je les propose. Cela a l'air de fonctionner. Non seulement en France, mais c'est devenu la bouée de sauvetage de toutes les opérations de développement que l'on voudrait voir mieux financées depuis très longtemps. Alain Joyandet et moi avons beaucoup travaillé pour qu'il y ait un moindre dommage dans nos financements puisque la crise économique était là.
Les financements innovants, vous en entendrez, je crois, très largement parler avec Christine Lagarde. C'est une conquête extraordinaire par rapport au blocage, avec ce qui s'est passé à la Conférence de Copenhague. Mais enracinés dans la nécessité du développement mais aussi du changement climatique, les financements innovants seront, je crois, un des sujets de cette année et de l'an prochain.
Les grands émergents. Nous avons développé, à l'égard de grands émergents, avec l'Agence française de développement, mais aussi, avec tous ceux qui s'y intéressent, de nombreux partenariats renouvelés, des partenariats récents, non seulement avec le Brésil mais également avec l'Inde, avec la Chine. Et nous allons essayer de développer cela l'année prochaine.
Nous avons lancé ici, au Quai d'Orsay - au sens large du terme, pas au sens géographique -, l'opération ATALANTE, la protection contre la piraterie. Mais qu'est-ce que c'était au départ ? Il s'agissait pour la diplomatie française de protéger le Programme alimentaire mondial, avec un bateau, puis dix, puis vingt-cinq bateaux internationaux. Toutefois, la solution n'est pas là. La solution est en Somalie. Elle n'est pas seulement sur les côtes, bien entendu. La misère est en Somalie. Elle pousse aussi - je ne parle pas des trafics, des gangs, de l'exploitation que l'on en fait - les pêcheurs à aller s'aventurer plus loin et elle les pousse sur les voies de la piraterie. Il faut continuer d'agir.
C'est ce que la France a fait la première pour qu'en Somalie, il y ait un soutien suffisant apporté au gouvernement en place, après six mois de négociations à Djibouti, à savoir le gouvernement de Cheikh Cherif.
Il faut absolument que nous maintenions l'effort qui fut français au départ : 500 soldats furent formés à Djibouti. Maintenant l'Union européenne va le faire en Ouganda pendant qu'au Kenya d'autres formations seront menées.
Nous continuons dans ce sens et, en Somalie, nous ne lâcherons pas le gouvernement de Cheikh Cherif. La lutte contre la piraterie et le terrorisme passe aussi par la lutte contre la pauvreté.
L'Union pour la Méditerranée, vous en entendrez parler cette année. Les choses viennent d'être débloquées, partiellement. Politiquement, bien entendu, le dialogue au Moyen-Orient handicape l'évolution de l'Union pour la Méditerranée. Mais les financements sont là, les experts se rencontrent. De nombreux progrès ont été faits sur le plan de l'énergie solaire, des transports, etc.
Le Secrétaire général a été nommé la semaine dernière, les secrétaires généraux sont nommés et se rencontreront. Des réunions sont prévues sous la Présidence espagnole, à Barcelone dans les semaines et les mois qui suivent.
C'est un exemple, je ne vais pas vous ennuyer avec toutes ces analyses. Mais le Nord-Sud, dans tous les continents, en Amérique, en Europe vis-à-vis de l'Afrique et de l'Asie, renforce l'évidence de sa primauté. Ce qui ne veut pas dire que, horizontalement, nous ne devons pas nous consacrer à la réforme des Nations unies, c'est complémentaire, bien entendu. Il ne faut pas lâcher la réforme des Nations unies. Je vous donnerai d'autres exemples. Je rencontre M. Fassi Fehri aujourd'hui à propos du Polisario, etc.
La Presse diplomatique remet son prix, dans quelques instants à Marc Nexon pour un reportage sur Ramzan Kadyrov, que j'ai lu avec beaucoup d'émotion et que j'ai relu ce matin. Cela, c'est du journalisme. Je ne dis pas que les autres n'en font pas, mais cela, c'est du journalisme. Le plus possible, je rencontre - hélas ! les parents des victimes, mais vous en parlerez tout à l'heure et je ne vais pas rendre hommage tout particulièrement à ceux qui ont été assassinés : à Mme Babourova, à Anna Politkovskaïa, à Natalia Estemirova, à l'avocat Stanislav Markelov, etc. Mais, à chaque fois que nous dialoguons - et il est nécessaire de dialoguer le plus possible - avec les Russes, je rends hommage à Memorial et à Novaia Gazeta, je leur rends visite et je reste avec eux au moins aussi longuement qu'avec les politiques.
Je souhaite faire le plus possible des ambassades, et c'est vrai notamment à Moscou, des maisons des droits de l'Homme, sans néanmoins me faire d'illusions. On ne résume pas la politique aux droits de l'Homme mais on en tient compte sans cesse. On essaye entre autres de délivrer des visas, d'assurer une protection.
Je vous remercie d'avoir choisi ce merveilleux reportage, il y aurait encore beaucoup de choses à en dire. Comme je devrais aussi vous parler - mais je vous l'épargne - de ce qui se passe au Soudan où, en 2010/2011, aura lieu notamment un référendum sur la sécession du Sud et les problèmes qui se poseront concernant cette éventuelle séparation. Ne nous arrêtons pas au Darfour où la situation s'améliore mais pas suffisamment, et où nous continuons à améliorer la condition des réfugiés.
Je vous parlerai de l'Afrique une autre fois. Je vous rappelle seulement la façon dont nous nous sommes efforcés, en particulier en Guinée, à appliquer - ce dont la France est fière et pas assez d'ailleurs, parce que ce fut une idée française - la responsabilité de protéger. Ce fut le cas en Guinée, dont nous sommes séparés depuis 1958. Il ne s'agit pas d'une histoire coloniale, ni de néo-colonialisme, ni de France Afrique, il s'agissait de ne pas accepter le massacre dans ce stade de Conakry, ce massacre particulièrement horrible de femmes, de femmes enlevées et torturées à domicile.
Je crois, d'ailleurs, que nous avons pu attirer l'attention de l'ensemble de la communauté internationale, d'abord de l'Union africaine - dont nous avons suivi les lignes directrices. Nous n'avons rien fait sans l'Union africaine, sans la CEDEAO, sans l'Union européenne qui immédiatement s'est rangée derrière nous et nous derrière eux, mais également sans l'ONU qui a remis ce rapport - rapport qui n'avait jamais été fait aussi vite dans l'histoire des Nations unies. Il y a eu également l'auto saisine de la Cour pénale internationale que nous n'avions pas demandée.
Je vous épargne les autres exemples. Sachez que nous sommes attachés aux principes et à leur mise en application, que ce n'est pas facile dans une telle maison, que l'universalité de notre système diplomatique est maintenue, que les réformes se poursuivent et que nous ferons le bilan sans doute à la fin de l'année de ce que ces réformes ont apporté.
Je veux remercier tous les agents présents ici à Convention, leur déménagement s'est passé au mieux. Je crois que désormais le fonctionnement est bon. Je crois que l'on se retrouve beaucoup plus facilement, que l'on se parle plus que dans les anciens bâtiments, que la collectivité se manifeste mieux encore. Il y a peut-être encore des choses à améliorer, je n'en doute pas. Mais ce transfert, comme il s'est accompli aussi au mieux à La Courneuve, n'a pas été dommageable pour l'ensemble du réseau diplomatique et pour les agents.
Je vous présente donc les voeux les plus sincères dont je suis capable, pour les vôtres, pour le président et pour chacun d'entre vous, avec lesquels je souhaite entretenir des rapports plus ouverts, en tout cas avec moins de méfiance, moins tournés vers l'anecdote et les agaceries et, peut-être, plus tournés vers les éventuels petits succès que nous remportons grâce à notre acharnement et à votre soutien.
Merci.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 janvier 2010