Conférence de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l'efficacité de la réponse internationale à la situation d'urgence en Haïti et les projets de reconstruction à long terme, Montréal le 25 janvier 2010.

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Circonstance : Conférence ministérielle préparatoire sur Haïti après le séisme du 12 janvier 2010, à Montréal le 25 janvier 2010

Texte intégral

Cette catastrophe s'est produite alors même qu'existait déjà une longue série de missions d'aide et de développement en Haïti. Dans les semaines et les mois précédents, les Haïtiens avaient connu une série de succès formidables, grâce notamment à la MINUSTAH, la mission des Nations unies. Or, celle-ci a été très durement frappée par la catastrophe.
Nous avons fait au plus vite dans l'improvisation permanente, - comme d'habitude -, mais avec beaucoup plus d'efficacité et de résultats que d'habitude, - si l'on compare au tsunami de 2004 ou aux autres tremblements de terre.
Nous avons été rapides pour, dans l'urgence qui est encore quotidienne, prouver aux Haïtiens qu'ils pouvaient espérer une aide et surtout une prise en charge à plus long terme. Nous avons déjà, au coeur de l'urgence, pensé à la reconstruction. C'est la raison pour laquelle nous avons été aussi vite.
Cependant, ne me demandez pas que les plans soient déjà prêts pour, par exemple, ce que nous avions fait dans les systèmes d'éducation : tout cela a été démoli. Il faut recommencer et, face à ce désastre, nous devons être à la hauteur et proposer plus que de l'aide additionnelle et des projets comme on en faisait depuis 40 ans. C'est particulièrement difficile mais cela va être fait d'étape en étape. En mars, il faudra avoir une perspective financière. Nous aurons essayé mais nous n'aurons pas en mars tous les projets, dans tous les domaines. C'est impossible, surtout si l'on veut les faire avec les Haïtiens, et nous voulons les faire avec les Haïtiens. Le changement de ce que l'on appelle la gouvernance se fera avec les Haïtiens.
Q - Symboliquement, politiquement et même financièrement n'était-il pas possible d'adresser un signal très fort aux Haïtiens aujourd'hui qui réclamaient l'annulation de la dette ?
R - Mais, nous, la France, avons annulé la dette. Que me reprochez-vous ? Certains au sein du Club de Paris ne l'ont pas annulé, nous allons essayer que cela soit fait. Mais nous, la France, nous avons annulé la dette. Ne me reprochez pas de ne pas l'avoir fait.
Q - Quand je dis "vous", c'est un "vous" collectif.
R - "Vous" collectif, c'est Taïwan et je ne sais qui, mais ce n'est pas moi. Je ne suis pas responsable de Taïwan. Un certain nombre de pays demeurent pour l'instant attachés à la dette mais pas la France et les bailleurs habituels. Vous retrouverez toujours quelque chose à reprocher, mais reprochez surtout à la terre d'avoir tremblé ! Ce n'est pas de notre faute !
Q - Vous parlez d'un nouvel Haïti, vous parlez de méthode ce matin, que voulez-vous dire par-là ?
R - Les Haïtiens avaient déjà commencé, au coeur de cette grande mission de la MINUSTAH, depuis de longs mois, à travailler par exemple sur le système de santé que je connais bien ou par exemple sur l'urbanisation - Port-au-Prince étant un lieu complètement noué sur lui-même. Ces travaux ont été perdus, ils ne sont pas accessibles, peut-être certains mais pas tous.
Il faut donc que l'on reprenne tout cela avec eux, pour que l'on propose non pas une addition de projets charitables mais quelque chose de plus profondément haïtien, c'est-à-dire plein d'avenir au sens où ils l'entendent. C'est tout de même eux qui dirigent, même si les Nations unies sont notre grand chapeau à tous. Ce n'est pas un hasard si nous programmons en mars cette conférence aux Nations unies.
Q - Parlons de dette, il y a des gens qui disent que la France doit une dette à Haïti...
R - Je viens de répondre sur la dette.
Q - Peut-on parler de mesures très concrètes qui auraient été prises pour tout de suite, sans parler des grands principes ?
R - Je ne parle pas de grands principes, je parle de l'avenir sur 10 ans. Vous avez vu les principes développés dans ce papier, c'est-à-dire d'abord la responsabilité des Haïtiens qui, en tout cas, souhaite être nouvelle par rapport à leur détermination personnelle. C'est cela que l'on voudrait faire.
Des projets concrets, je vous ai dit par exemple aujourd'hui, qu'il fallait 200 000 tentes. La France vient d'en apporter 1 000 hier, mais ce n'est qu'un deux centième, il faut que les autres fassent un effort. C'est tous les jours ainsi, c'est la question des endroits où dormir, la façon dont les latrines collectives doivent être organisées. Tout cela est en train de se faire et, en même temps, on pense déjà à la reconstruction et on profite, si j'ose dire, de cette immense catastrophe pour voir plus grand que ce que l'on avait fait jusqu'à présent.
Q - La France aura-t-elle un rôle particulier à jouer, un domaine de compétence particulier ?
R - Je ne sais pas si la France aura un rôle particulier à jouer mais elle en joue un particulier. Nous étions avec le Groupe des amis d'Haïti qui faisait de son mieux. On ne va pas faire de compétition concernant ceux qui arrivent les premiers, mais je crois que la France a joué son rôle pleinement et peut-être un peu plus. Nous nous trouvons sur le continent américain. Il est tout à fait normal que dans cette conférence, il y ait eu plus de Latino-Américains et de Nord-Américains que d'Européens. L'Europe était représentée non seulement par l'Espagne et la France mais également par la Commission - quand bien même aujourd'hui une réunion avait lieu à Bruxelles.
Q - Il y a eu des frictions entre les Etats-Unis et la France ?
R - Pas une seconde !
Q - Avec M. Joyandet ?
R - Je ne sais pas de quoi vous parlez. Dans de pareilles situations de catastrophe, on a toujours des réactions un peu difficiles lorsque l'on n'est pas préparé à cela. Quand un avion français doit atterrir, on souhaite qu'il atterrisse, malheureusement il n'était pas à la bonne heure. Tout était à réorganiser : aucun avion ne pouvait se poser, il n'y avait pas d'électricité, personne dans la tour de contrôle. Si j'ose dire, dans une pareille catastrophe, cela s'est passé beaucoup mieux que d'habitude. C'est très long, très difficile. Vous trouvez toujours des moyens de critiquer, je vous félicite, mais si vous trouviez un moyen pour arriver plus rapidement et de façon plus efficace, nous en profiterions.
Q - M. Bellerive a parlé de compromis, pouvez-vous nous parler des compromis qui ont été faits lors de cette conférence ?
R - Entre nous, nous n'avons pas eu à parler de compromis. Je ne comprends pas ce que cela veut dire, j'ai, en effet, noté son expression, mais je pense que c'était une déformation de l'espagnol. Nous nous sommes engagés avec lui. Quels compromis avons-nous faits ? Le compromis, au sens français du terme, c'est s'entraider.
Q - Sans parler de projets pour la décennie, je comprendrais bien que c'est beaucoup trop tôt, pouvez-vous nous donner une idée de ce que serait, pour vous, en terme de principe, d'objectifs, un développement international différent pour Haïti de ce que l'on a déjà connu ?
R - Je vais vous donner un exemple qui vous parlera. Il y a eu des missions médicales par centaines depuis 30 ans. Cependant, jamais nous n'avons conçu avec les Haïtiens un système de sécurité sociale qui permettrait aux indigents d'avoir le même accès à la prévention, au dépistage, à la santé, voire aux traitements que ceux qui avaient des moyens plus grands.
Au lieu de construire simplement, même s'il faut réhabiliter l'hôpital français, c'est au système de santé que nous allons peut-être nous attaquer avec les Haïtiens. Il faudrait qu'un système de sécurité sociale soit bâti avec les Haïtiens. C'est ce qui changerait avec les années précédentes où nous menions des projets. Nous, je parle également des nombreuses ONG, dont je connais bien certaines, qui ont mené d'excellents projets, mais cela n'est pas suffisant. Voilà le changement d'échelle.
Je vous donne un autre exemple qui a été abordé précisément. Si l'on veut reconstruire Port-au-Prince, il faut un plan d'urbanisme très différent. Faut-il par exemple changer de lieu ? L'expérience des tremblements de terre nous apprend que l'on reconstruit toujours sur le lieu même. Pourquoi ? D'abord, parce que l'on est pressé, parce qu'il y a du malheur et donc il faut que l'on retrouve sa famille et le lieu où l'on vivait si l'on peut. Et puis surtout, qui possède la terre ? Ce sont soit les propriétaires, les petits propriétaires, soit l'Etat. Tout cela il faut y réfléchir parce que l'on savait que Port-au-Prince était très difficile en terme d'habitations, d'urbanisme. Doit-on reconstruire exactement comme avant ? Personnellement, je ne le crois pas, mais ce n'est pas moi qui dirige, ce sont les Haïtiens. M. Bellerive a été clair : il faut changer cela. Ils ont travaillé là-dessus, nous travaillons ensemble avec l'aide de la communauté internationale.
Je peux vous donner d'autres exemples. S'agissant de l'éducation, doit-on se contenter de reconstruire les écoles telles qu'elles étaient ? Que doit-on faire pour les crèches ? Les enfants sont-ils bien pris en compte ? Tout cela doit être pris dans une perspective qui va dépasser la Conférence de mars. Il y aura une période de transition. Pour le moment, nous sommes toujours dans l'urgence, sur des sujets précis qui concernent le quotidien de la population haïtienne, on n'est pas encore dans le devenir. On ne peut pas encore évaluer le montant, le temps. Quand on dit 10 ans, c'est probablement une bonne mesure.
Q - Qu'est ce qui permet de dire précisément 10 ans et pas 5,7,15 ou 20 même parce qu'il y a des choses qui prendront une génération ?
R - On peut prendre une génération, si vous voulez changer d'échelle. L'expérience des tremblements de terre c'est qu'en 10 ans on n'a pas encore tout changé, bien entendu - et nous avons peu d'expérience sur un tremblement de terre de cette dimension. Avec l'effort de la communauté internationale, qui est beaucoup plus important que toutes les autres catastrophes naturelles que j'ai connues - le tsunami a été très important mais c'était très vaste dans plusieurs pays - que faisons-nous ? Il était trop tard...Dans le cas présent, je crois, si je puis me permettre, que nous avons fait des progrès. Qui a fait des progrès ? Sur la souffrance, sur le malheur, pas sur le moment où nous ne pouvions rien. Je crois que l'assistance a été bonne.
Q - L'argent de l'aide qui est alloué à la sécurité peut-il être alloué aux services de reconstruction ? Y a-t-il un conflit entre ces deux ?
R - Pourquoi trouvez-vous des conflits là où il n'y en a pas ? Le programme de la MINUSTAH faisait que la sécurité s'améliorait parce que la France a été très impliquée dans la formation, les gendarmes, l'armement etc.
Ce programme demeure mais il n'est affecté en rien par de l'argent supplémentaire. Concernant la sécurité il y avait près de 10.000 casques bleus, il y aura plus de 10.000 soldats américains. En supplément, les Nations unies nous demandent un effort sur la gendarmerie par exemple, que la France fait. Cela s'ajoute mais ne se retranche pas. J'ai entendu les protestations, c'est toujours le cas dans tous les tremblements de terre de la planète, il y a une insécurité, beaucoup plus qu'en Haïti. Au contraire, c'est l'invention du peuple haïtien, c'est sa prise en charge lui-même et le rôle des familles qui est formidable.
Vous vous rendez compte de la catastrophe que cela représente. Le bilan n'a pas encore été fait. Devions-nous attendre le bilan pour penser à l'avenir et au financement ? Je ne le crois pas. Cela a été beaucoup plus vite que d'habitude, c'est la raison pour laquelle je réponds à votre première question : nous avons été très rapides et c'est d'ailleurs le Canada qu'il faut remercier. C'est Lawrence Cannon qui a fait cela. On aurait pu attendre, on aurait pu faire un premier bilan ... nous ne l'avons pas fait.
La France joue un rôle particulier dans la mesure où elle n'a pas attendu pour envoyer des secours de savoir quelle était l'ampleur de la catastrophe. Dès le mercredi, il y avait une équipe française - et une équipe chinoise d'ailleurs -, on ne va pas faire de compétition, tout le monde était là. Tout le monde a réagi et quand on parle de l'Europe, il y a eu un effort particulier de l'Europe en termes financiers, un premier, il y en aura d'autre. Les nations, c'est tout de même plus rapide et plus efficace, ont envoyé des secours nationaux. Toutes les nations européennes, à leur mesure, ont envoyé des secours nationaux et la prochaine fois il y aura un effort européen peut être plus organisé.
Q - Le choix de New York et de l'ONU pour l'organisation d'une grande conférence est-il une forme de compromis entre vous tous ?
R - On a choisi. Il y a de nombreux pays qui se sont portés candidats. La France, en particulier, a dit qu'elle était à la disposition des uns et des autres. On a choisi, très logiquement, à mon avis, l'endroit où tout cela se retrouve naturellement c'est-à-dire les Nations unies et c'est très bien de la part des Américains de l'avoir accepté ainsi. Mais ce n'était pas un compromis d'assister à ces discussions, nous en avions parlé ce matin, les choses se sont faites naturellement.
Tout le monde a proposé. La République dominicaine qui est juste à côté : une conférence de cette taille était-elle possible ? Je n'en sais rien. Il vaut mieux beaucoup de propositions, même si cela parait désorganisé. Puis, alors, Chers Amis, je vous pose la question, dès que vous avez la recette de la coordination, il ne faut pas hésiter à nous la donner, après tout nous n'avons que 40 ans d'expérience, cela nous ferait du bien !
Merci beaucoup !Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 janvier 2010