Texte intégral
Q - A propos d'Haïti, certains se plaignent de la lenteur de l'arrivée des secours, de l'organisation. Aujourd'hui ils attendaient peut-être des mesures plus concrètes que ce qui a été annoncé ?
R - Je les comprends très bien. Les choses s'améliorent jour après jour, mais jamais suffisamment. Les blessures sont si fraîches et le malheur si grand...
Q - Peut-être pourrait-on prendre des mesures pour l'effacement de la dette. Je sais que la France l'a fait mais les autres pays participants ne l'ont pas fait.
R - Je ne parle pas pour les autres pays. La France vient en effet d'effacer la dette mais ce n'est pas cela que les Haïtiens reprochent, cela ne change rien dans leur vie quotidienne. Ce qu'ils reprochent, c'est un malheur si grand qui leur tombe du ciel, qui secoue la terre, qui fait que leur famille a disparu et qu'elle est réduite hélas. Les souffrances, les blessures sont tellement grandes, c'est un malheur immense ! Bien sûr je peux le comprendre.
Q - Il n'y a pas de montant engagé ?
R - Ce n'est pas non plus cela qu'ils reprochent, c'est plutôt la lenteur des choses, alors qu'il n'y a jamais eu un mouvement de cette ampleur à travers le monde. Faut-il en avoir plus ? Je me demande comment nous aurions fait. Il y avait un embouteillage, il y avait une impossibilité d'accès, comme d'habitude.
Port-au-Prince est un endroit complètement enclavé et lorsque les gens fuient, ce qui arrive toujours après les tremblements de terre - ils tentent de se mettre à l'abri -, l'accès devient évidemment très difficile, alors qu'il l'était déjà. On ne peut pas reprocher aux personnes qui sont dans le malheur de se plaindre, c'est normal.
Q - Vous êtes un grand spécialiste des situations d'urgence, vous connaissez tout cela probablement mieux que n'importe lequel d'entre nous, quelles seraient les priorités maintenant ?
R - Qu'il n'y ait pas de tremblement de terre, c'est la priorité mais elle n'existe pas. On a parlé de "early system", on sait bien qu'il y a des failles le long desquelles ou sur lesquelles plus exactement se produiront les tremblements de terre.
Q - Donc, là, il faudra faire différemment ?
R - J'espère et c'est le sens de cette précipitation positive, de cette hâte à trouver quelques solutions alors que nous sommes encore dans la période d'urgence. Nos amis canadiens ont eu cette formidable idée, avec les Américains, avec l'Europe, avec toute la communauté internationale, d'organiser très vite une Conférence, en mars, pour donner de l'espoir aux Haïtiens. Car ils souffrent tellement, il y a eu tellement de victimes qu'il faut leur dire que nous ne les laisserons pas tomber.
Vous savez, en Haïti, des projets d'aide, il y en a eu depuis 40 ans et cela n'a pas changé suffisamment la misère du pays. Nous devons leur dire que nous ne les abandonnons pas. Il s'agit de les aider pendant des années et des années, peut-être une décennie.
Q - Croyez-vous à une politique qui dirige cet effort de reconstruction ?
R - Je veux y croire.
Q - En a-t-on les moyens ?
R - Je crois que, grâce aux Canadiens et après ce qu'a dit le Premier ministre, Laurence Cannon, et aussi Hillary Clinton, c'est plus crédible que d'habitude. D'une certaine façon, j'ai le sentiment que lorsque l'on parlait de gouvernance auparavant, cela ne voulait rien dire. Maintenant, cela veut dire quelque chose. Ils ne veulent plus de cette assistance permanente, au moment-même où ils en ont terriblement besoin. Ils ne la refusent pas, ils la demandent, la preuve. En même temps, il y a une volonté. Je crois que cela peut changer, je veux le croire. Mais vous savez, si on ne veut pas le croire, il ne faut rien faire.
Q - Certains Haïtiens disent aujourd'hui encore qu'il ne faut pas donner tout l'argent au gouvernement haïtien. Mettez des balises, exigez des résultats du gouvernement...
R - Bien sûr, ils ont tout à fait raison. C'est de cela dont il faut parler et les plans ne sont pas faits. Il y avait beaucoup d'espoirs avec la mission des Nations unies, qui était en train d'obtenir de grands succès. Nous avions de bons rapports avec le gouvernement, vraiment très bons, et puis, tout a été fracassé.
Il faut recommencer mais les Haïtiens ont raison, il faut mettre des balises et il faut plus que cela. Eux-mêmes doivent se prendre en charge, eux-mêmes, politiquement, doivent bâtir, créer des balises eux-mêmes.
Q - Qui va coordonner cet immense effort international ?
R - Nous avons agi très vite et lorsque l'on agit, on s'expose à la critique, quand on ne fait rien, jamais. Je pense que ce sont les Nations unies qui, finalement, vont constituer l'armature, c'est bien normal. Je pense qu'il ne faut pas critiquer la présence américaine, au contraire, il faut encourager cette présence qui est là pour un temps très limité. Ils sont intervenus, heureusement, et ils l'ont fait avec beaucoup de force, beaucoup de démonstrations et beaucoup d'efficacité. D'autres pays, comme le Brésil et d'autres pays latino-américains étaient là depuis très longtemps. Beaucoup d'argent est venu et viendra de l'Europe.
"La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a" : c'est une formule que vous connaissez mais que j'emploie avec prudence.
Même au Québec, et en particulier les Canadiens qui ont été absolument admirables, pouvait-on faire mieux ?
Q - Vous dites que la présence américaine est forte, les Américains se promènent dans les rues de Port-au-Prince...
R - Les Américains ne se promènent pas.
Q - D'accord mais disons que la présence américaine est très forte !
R - Heureusement, qui aurait été aussi fort qu'eux ?
Q - Cela peut-il poser un problème ?
R - Cela en pose déjà mais pas plus que cela. Ils l'ont bien dit, Mme Clinton l'a dit très précisément : nous ne sommes pas là pour occuper, nous ne sommes pas là pour contraindre. Nous sommes là pour aider et nous partons au plus vite. C'est clair, ce n'est pas une nouvelle invasion et ce serait drôle que le président Obama poursuive dans une tradition qui est plutôt extrêmement conformiste et réactionnaire, cela m'étonnerait beaucoup.
Je ne comprends pas votre question : s'ils n'avaient pas été là, l'aéroport n'aurait jamais fonctionné ; s'ils n'avaient pas été là, le port ne serait pas capable d'accueillir les bateaux qui sont ceux qui apportent l'aide la plus évidente.
Q - En même temps, ils ont fait débarquer tous leurs soldats, ils ont monopolisé l'aéroport...
R - Mais non, qui connaît bien les choses comme moi ne peut pas accepter cela. Il n'y avait pas d'électricité.
Q - Il y a eu des frictions entre la France et les Etats-Unis ?
R - Il n'y a aucune friction, ce sont de toutes petites choses qui témoignaient de la nervosité de certains. Au contraire, depuis mardi où le tremblement de terre a eu lieu, le premier vol est arrivé dès le mercredi.
Avec Mme Clinton, nous avons établi, entre le Centre de crise de Paris et le "Situation Center" de Washington, des correspondances permanentes et nombreuses. Plus de dix fois par jour, nous avions en direct, lorsque les Américains sont arrivés - après, pas avant - la tour de contrôle de l'aéroport.
Cette intervention a été, comment dirais-je, très démonstrative, mais connaissez-vous quelqu'un qui refuse l'eau qu'on lui donne ? La nourriture a été apportée par les Américains, les Brésiliens, les Canadiens, les Français à leur petite mesure, ainsi que par beaucoup d'autres ; soyons justes.
Q - (inaudible)
R - Je le comprends très bien, il y a de nombreuses personnes qui ne sont pas encore secourues. Nous sommes encore dans la période d'urgence. Regardez ce qui se passe à présent. Ce n'est pas une satisfaction, vous savez, moins il y a de malheur, plus je suis content. Il y a des tas de gens qui vivent sur le malheur des autres, ce n'est pas mon cas.
Q - Combien de temps cela va-t-il prendre ?
R - Je ne le sais pas. Des années et des années. C'est une catastrophe. On a parlé de dix ans aujourd'hui mais, vous savez, le bilan n'a pas été fait, on ne sait pas exactement ce qu'il faut reconstruire et quels seront les projets directeurs, dans les domaines que l'on connaît : l'éducation, la santé, l'habitation, la gouvernance.
C'est curieux, je compte beaucoup plus sur les Canadiens que vous-mêmes ! Je trouve que l'effort canadien a été admirable tout comme cette Conférence et je remercie Laurence Cannon de l'avoir organisée, je trouve cela formidable.
La France l'avait proposé, vous l'avez fait.
Q - C'est un peu notre famille ?
R - J'en suis très content et, nous aussi, nous avons des Haïtiens chez nous, mais vous avez fait cette démarche volontariste et c'est très bien.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 janvier 2010
R - Je les comprends très bien. Les choses s'améliorent jour après jour, mais jamais suffisamment. Les blessures sont si fraîches et le malheur si grand...
Q - Peut-être pourrait-on prendre des mesures pour l'effacement de la dette. Je sais que la France l'a fait mais les autres pays participants ne l'ont pas fait.
R - Je ne parle pas pour les autres pays. La France vient en effet d'effacer la dette mais ce n'est pas cela que les Haïtiens reprochent, cela ne change rien dans leur vie quotidienne. Ce qu'ils reprochent, c'est un malheur si grand qui leur tombe du ciel, qui secoue la terre, qui fait que leur famille a disparu et qu'elle est réduite hélas. Les souffrances, les blessures sont tellement grandes, c'est un malheur immense ! Bien sûr je peux le comprendre.
Q - Il n'y a pas de montant engagé ?
R - Ce n'est pas non plus cela qu'ils reprochent, c'est plutôt la lenteur des choses, alors qu'il n'y a jamais eu un mouvement de cette ampleur à travers le monde. Faut-il en avoir plus ? Je me demande comment nous aurions fait. Il y avait un embouteillage, il y avait une impossibilité d'accès, comme d'habitude.
Port-au-Prince est un endroit complètement enclavé et lorsque les gens fuient, ce qui arrive toujours après les tremblements de terre - ils tentent de se mettre à l'abri -, l'accès devient évidemment très difficile, alors qu'il l'était déjà. On ne peut pas reprocher aux personnes qui sont dans le malheur de se plaindre, c'est normal.
Q - Vous êtes un grand spécialiste des situations d'urgence, vous connaissez tout cela probablement mieux que n'importe lequel d'entre nous, quelles seraient les priorités maintenant ?
R - Qu'il n'y ait pas de tremblement de terre, c'est la priorité mais elle n'existe pas. On a parlé de "early system", on sait bien qu'il y a des failles le long desquelles ou sur lesquelles plus exactement se produiront les tremblements de terre.
Q - Donc, là, il faudra faire différemment ?
R - J'espère et c'est le sens de cette précipitation positive, de cette hâte à trouver quelques solutions alors que nous sommes encore dans la période d'urgence. Nos amis canadiens ont eu cette formidable idée, avec les Américains, avec l'Europe, avec toute la communauté internationale, d'organiser très vite une Conférence, en mars, pour donner de l'espoir aux Haïtiens. Car ils souffrent tellement, il y a eu tellement de victimes qu'il faut leur dire que nous ne les laisserons pas tomber.
Vous savez, en Haïti, des projets d'aide, il y en a eu depuis 40 ans et cela n'a pas changé suffisamment la misère du pays. Nous devons leur dire que nous ne les abandonnons pas. Il s'agit de les aider pendant des années et des années, peut-être une décennie.
Q - Croyez-vous à une politique qui dirige cet effort de reconstruction ?
R - Je veux y croire.
Q - En a-t-on les moyens ?
R - Je crois que, grâce aux Canadiens et après ce qu'a dit le Premier ministre, Laurence Cannon, et aussi Hillary Clinton, c'est plus crédible que d'habitude. D'une certaine façon, j'ai le sentiment que lorsque l'on parlait de gouvernance auparavant, cela ne voulait rien dire. Maintenant, cela veut dire quelque chose. Ils ne veulent plus de cette assistance permanente, au moment-même où ils en ont terriblement besoin. Ils ne la refusent pas, ils la demandent, la preuve. En même temps, il y a une volonté. Je crois que cela peut changer, je veux le croire. Mais vous savez, si on ne veut pas le croire, il ne faut rien faire.
Q - Certains Haïtiens disent aujourd'hui encore qu'il ne faut pas donner tout l'argent au gouvernement haïtien. Mettez des balises, exigez des résultats du gouvernement...
R - Bien sûr, ils ont tout à fait raison. C'est de cela dont il faut parler et les plans ne sont pas faits. Il y avait beaucoup d'espoirs avec la mission des Nations unies, qui était en train d'obtenir de grands succès. Nous avions de bons rapports avec le gouvernement, vraiment très bons, et puis, tout a été fracassé.
Il faut recommencer mais les Haïtiens ont raison, il faut mettre des balises et il faut plus que cela. Eux-mêmes doivent se prendre en charge, eux-mêmes, politiquement, doivent bâtir, créer des balises eux-mêmes.
Q - Qui va coordonner cet immense effort international ?
R - Nous avons agi très vite et lorsque l'on agit, on s'expose à la critique, quand on ne fait rien, jamais. Je pense que ce sont les Nations unies qui, finalement, vont constituer l'armature, c'est bien normal. Je pense qu'il ne faut pas critiquer la présence américaine, au contraire, il faut encourager cette présence qui est là pour un temps très limité. Ils sont intervenus, heureusement, et ils l'ont fait avec beaucoup de force, beaucoup de démonstrations et beaucoup d'efficacité. D'autres pays, comme le Brésil et d'autres pays latino-américains étaient là depuis très longtemps. Beaucoup d'argent est venu et viendra de l'Europe.
"La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a" : c'est une formule que vous connaissez mais que j'emploie avec prudence.
Même au Québec, et en particulier les Canadiens qui ont été absolument admirables, pouvait-on faire mieux ?
Q - Vous dites que la présence américaine est forte, les Américains se promènent dans les rues de Port-au-Prince...
R - Les Américains ne se promènent pas.
Q - D'accord mais disons que la présence américaine est très forte !
R - Heureusement, qui aurait été aussi fort qu'eux ?
Q - Cela peut-il poser un problème ?
R - Cela en pose déjà mais pas plus que cela. Ils l'ont bien dit, Mme Clinton l'a dit très précisément : nous ne sommes pas là pour occuper, nous ne sommes pas là pour contraindre. Nous sommes là pour aider et nous partons au plus vite. C'est clair, ce n'est pas une nouvelle invasion et ce serait drôle que le président Obama poursuive dans une tradition qui est plutôt extrêmement conformiste et réactionnaire, cela m'étonnerait beaucoup.
Je ne comprends pas votre question : s'ils n'avaient pas été là, l'aéroport n'aurait jamais fonctionné ; s'ils n'avaient pas été là, le port ne serait pas capable d'accueillir les bateaux qui sont ceux qui apportent l'aide la plus évidente.
Q - En même temps, ils ont fait débarquer tous leurs soldats, ils ont monopolisé l'aéroport...
R - Mais non, qui connaît bien les choses comme moi ne peut pas accepter cela. Il n'y avait pas d'électricité.
Q - Il y a eu des frictions entre la France et les Etats-Unis ?
R - Il n'y a aucune friction, ce sont de toutes petites choses qui témoignaient de la nervosité de certains. Au contraire, depuis mardi où le tremblement de terre a eu lieu, le premier vol est arrivé dès le mercredi.
Avec Mme Clinton, nous avons établi, entre le Centre de crise de Paris et le "Situation Center" de Washington, des correspondances permanentes et nombreuses. Plus de dix fois par jour, nous avions en direct, lorsque les Américains sont arrivés - après, pas avant - la tour de contrôle de l'aéroport.
Cette intervention a été, comment dirais-je, très démonstrative, mais connaissez-vous quelqu'un qui refuse l'eau qu'on lui donne ? La nourriture a été apportée par les Américains, les Brésiliens, les Canadiens, les Français à leur petite mesure, ainsi que par beaucoup d'autres ; soyons justes.
Q - (inaudible)
R - Je le comprends très bien, il y a de nombreuses personnes qui ne sont pas encore secourues. Nous sommes encore dans la période d'urgence. Regardez ce qui se passe à présent. Ce n'est pas une satisfaction, vous savez, moins il y a de malheur, plus je suis content. Il y a des tas de gens qui vivent sur le malheur des autres, ce n'est pas mon cas.
Q - Combien de temps cela va-t-il prendre ?
R - Je ne le sais pas. Des années et des années. C'est une catastrophe. On a parlé de dix ans aujourd'hui mais, vous savez, le bilan n'a pas été fait, on ne sait pas exactement ce qu'il faut reconstruire et quels seront les projets directeurs, dans les domaines que l'on connaît : l'éducation, la santé, l'habitation, la gouvernance.
C'est curieux, je compte beaucoup plus sur les Canadiens que vous-mêmes ! Je trouve que l'effort canadien a été admirable tout comme cette Conférence et je remercie Laurence Cannon de l'avoir organisée, je trouve cela formidable.
La France l'avait proposé, vous l'avez fait.
Q - C'est un peu notre famille ?
R - J'en suis très content et, nous aussi, nous avons des Haïtiens chez nous, mais vous avez fait cette démarche volontariste et c'est très bien.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 janvier 2010