Interview de M. Patrick Devedjian, ministre chargé de la mise en oeuvre du plan de relance, à I-télévision le 29 janvier 2010, sur l'appel du Parquet dans l'affaire Clearstream, la préservation des emplois due au plan de relance et la polémique sur les propos tenus par G. Frêche.

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Média : I-télévision

Texte intégral

L. Bazin.- Notre invité ce matin, c'est P. Devedjian. Bonjour.
 
Bonjour.
 
Ministre chargé de la relance, vous êtes aussi le patron du 9.2, comme on dit en région Ile-de-France, des Hauts-de-Seine, bien évidemment, puisque je vous vois tiquer. Vous êtes un avocat également, vous avez longtemps été également l'avocat de J. Chirac, vous connaissez bien les procédures. Le Parquet, par la voix du procureur Marin, vient d'annoncer qu'il ferait appel. D. de Villepin réagit immédiatement, estime que ce n'est pas la décision du procureur mais que c'est bien celle de M. Alliot-Marie, la ministre de la Justice et du président de la République, qui, en quelque sorte, le poursuivraient de leur acharnement.
 
C'est un principe du Parquet, habituel, c'est absolument banal comme décision. Quand l'une des parties fait appel du jugement, le Parquet fait appel général. Pour une raison très simple, d'ailleurs : pour que toutes les parties soient à égalité dans l'instance d'appel, sinon il y en a qui sont présents, d'autres qui sont absents, et ça fausse le procès. Donc, le Parquet fait toujours un appel général, quand l'une des parties l'a fait. Et puis aussi c'est cohérent. Le procureur avait requis la condamnation, donc il est cohérent avec lui-même, il fait appel.
 
Mais, il a complètement tort, D. de Villepin, d'y voir la main du pouvoir ? Il se trompe ? Ça n'existe pas, ça n'est jamais arrivé ?
 
Je ne dis pas que ça n'est jamais arrivé, je dis que la pratique de l'appel, par le Parquet, c'est une pratique normale, que l'appel est général quand il y a eu un appel de l'une des parties.
 
J'entends. Vous êtes tous les deux à l'UMP, vous êtes frères d'armes, d'une certaine manière...
 
Mais, attendez, c'est la justice qui s'exprime, là.
 
Très bien. Donc, est-ce que vous lui dites ce matin...
 
A qui ?
 
... « Dominique, ne confonds pas tout » ?
 
Eh bien il a dit qu'il avait jeté la rancune à la rivière ou en tout cas qu'il n'avait ni rancune, ni rancoeur, donc qu'il ne commence pas par accuser tout un chacun, d'une procédure, qui est une procédure normale.
 
C'était avant l'appel.
 
C'était avant l'appel, donc ça n'a pas duré longtemps.
 
Hier, on entendait notamment les porte-parole de l'UMP expliquer que seuls les lampistes avaient été condamnés dans cette affaire. C'était déjà une manière d'estimer que D. de Villepin s'en tirait à trop bon compte, non ?
 
Je n'ai pas lu le jugement, donc c'est difficile de commenter un jugement...
 
Je parole d'une des porte-parole de l'UMP.
 
Il fait 300...
 
Oui, oui, je suis d'accord.
 
on, mais vous me demandez mon avis, donc, le jugement, il fait 326 pages. Je les lirai attentivement, parce que c'est intéressant, mais c'est un peu tôt, quand même, pour se prononcer et donner un jugement, surtout un jugement lapidaire sur ce jugement lui-même. Ce que je pense, c'est... ce que j'ai lu à travers la presse, c'est que le jugement a dit que la preuve n'était pas rapportée. Voilà.
 
La preuve de la mauvaise foi de D. de Villepin, pour être précis. N. Sarkozy poursuit dans son acharnement D. de Villepin, à l'instant.
 
Eh bien il a dit le contraire, il a dit que pour lui, il voulait tourner la page, il a dit exactement le contraire.
 
On n'est pas dans une situation un peu hypocrite, où le président de la République, partie civile, dit que l'affaire est faite et entendue et où le Parquet, qui dépend effectivement, il faut le dire, du ministre de la Justice...
 
Ecoutez, à vous entendre, il aurait fallu donner des instructions au Parquet pour qu'il ne fasse pas appel.
 
C'est une question que je vous pose.
 
Oui, mais je comprends que vous posiez la question.
 
Après tout, est-ce que ça n'aurait pas été politiquement votre intérêt ?
 
Mais, peut-être ça aurait été l'intérêt du président de la République, encore que je n'en sais rien, mais ce qui n'aurait pas été notre intérêt, c'est de vouloir infléchir la balance de la justice. Et je veux dire que d'habitude, le Parquet fait toujours appel dans ce cas-là. S'il ne le faisait pas, on pourrait se poser des questions.
 
Je ne reviens pas sur les propos du Président à New York, qui avait estimé que des juges d'instruction avaient renvoyé les coupables en correctionnel. Est-ce qu'il semblait désigner D. de Villepin ?
 
C'est aussi une des raisons de faire appel. Deux juges d'instruction ont considéré qu'il y avait des charges suffisantes. Le tribunal...
 
Je parlais du mot « coupable », monsieur Devedjian, employé par le président de la République.
 
...Vous savez, quand on dépose plainte, c'est qu'on pense que celui contre lequel on dépose plainte est coupable.
 
Quand on est président de la République...
 
Quand on est partie civile... Eh bien dans le jugement, il y a toute une tirade sur le droit du président de la République à être un justiciable comme un autre, c'est-à-dire à se porter partie civile dans un procès, même si c'est une personnalité exceptionnelle, il a les mêmes droits que les autres.
 
Ça ne va pas vous gêner, c'est ça ma question, politiquement ? Maintenant, il y aura un nouveau procès, c'est écrit, désormais, en 2011, quoi qu'il arrive, vous allez avoir sur le chemin de la présidentielle, une bagarre incessante. Vous le regrettez ?
 
Mais la politique, c'est toujours comme ça, vous savez, d'abord il y a toujours beaucoup de candidats pour les élections présidentielles, il y a beaucoup de chausse-trappes sur la route, il y a beaucoup de conflits, c'est le propre même de la politique. Si nous n'avions pas eu cette difficulté, nous en aurions eu une
 
« Qui sème la division, récolte le socialisme », disait J.-P. Raffarin hier soir.
 
Oui...
 
Qui sème la division ?
 
Eh bien, qui sème la division ? Là aussi il faut retourner aux sources. Vous savez, ce n'était quand même pas normal, cette affaire, le fait de vouloir éliminer de la vie politique quelqu'un, à partir d'un bordereau falsifié, comme on a fait pour N. Sarkozy, ce n'était pas normal. C'est normal que la justice soit saisie, et il y a deux condamnations qui sont extrêmement sévères, extrêmement sévères, donc les faits sont bien là.
 
Sur le fond, c'est-à-dire sur la politique à strictement parler, D. de Villepin va maintenant proposer un certain nombre de choses, parce qu'il se revendique comme une alternative à ce qui se fait et notamment en matière d'emploi, c'est le grand mot d'ordre des Villepinistes qui disent qu'on n'en fait pas assez sur ce terrain-là, notamment, contrairement à B. Obama qui en a fait sa priorité nationale dans le discours sur l'état de l'Union, la nuit dernière. Vous reconnaissez que l'on pourrait faire plus en matière d'emploi ?
 
Le propos est un peu décalé, parce qu'il intervient juste le mois où le chômage a régressé, de 18 000.
 
« Une hirondelle ne fait pas le printemps », c'est L. Wauquiez qui le reconnaît lui-même, malheureusement.
 
Bien sûr, mais je rappelle d'où l'on vient. Au mois de janvier 2009, le chômage augmentait de 90 000 par mois. Ce n'était pas une hirondelle, ça. Maintenant on est à -18 000, même si c'est un chiffre très bon et peut-être occasionnel, probablement même, mais on est dans des étiages beaucoup plus faibles. Donc on a considérablement freiné le chômage. Et c'est le résultat de la politique de relance qui a été conduite pendant un an et...
 
Vous pouvez quantifier ? Vous le faites régulièrement...
 
Oui.
 
Est-ce que ce matin vous pouvez nous dire : on a, de mon estimation, sauvé, préservé ou créé tant d'emplois ?
 
Oui, je peux vous dire, on a sauvé, préservé, sauvegardé, 400 000 emplois avec le plan de relance. Et je peux le démontrer, ce n'est pas du pifomètre. De manière très simple d'ailleurs : par les investissements que nous avons faits, nous avons les ratios professionnels. Je vous donne juste un exemple : quand vous construisez un logement neuf, les ratios professionnels considèrent que ça représente 1,2 emploi sur 18 mois. Eh bien nous avons lancé 100 000 logements neufs, donc ça fait 120 000 emplois. Alors, ça c'est pour les logements, mais dans le domaine de l'automobile, dans...
 
Si je prends la prime à la casse ?
 
Oui.
 
Elle a coûté ?
 
Elle a coûté 600 millions.
 
Combien d'emplois estimez-vous qu'elle a réussi à préserver ?
 
A peu près 15 à 20 000, mais...
 
15 à 20 000 dans l'automobile.
 
Oui, mais surtout elle a sauvé la filière automobile, parce que quand je dis 15 à 20 000 dans la filière automobile, ce n'est pas simplement les constructeurs, il y a toute la chaîne de la vente, naturellement.
 
Elle va... on l'a entendu lundi dans l'émission qui mettait le président de la République face aux Français, on a entendu notamment ce syndicaliste d'une usine de sous-traitance qui estimait que cela n'allait pas assez loin, qu'on n'en faisait pas assez, notamment qu'on aurait pu taxer, surtaxer les banques, comme le fait monsieur Obama ou aller beaucoup plus loin dans la réforme. Vous pensez que l'on peut aller plus loin ?
 
Enfin, s'agissant de l'automobile, la politique du Gouvernement a sauvé la filière. On peut toujours dire « on aurait pu faire mieux », ça, c'est quand on a réussi que les gens disent qu'on aurait pu faire encore mieux. Mais nous étions menacés de mort, vraiment, dans le domaine automobile, c'est-à-dire qu'on ne... pratiquement, les constructeurs automobile ne pouvaient plus financer la vente à crédit par exemple.
 
Aujourd'hui, ils le peuvent c'est ce qui justifie le fait que la prime à la casse disparaisse progressivement ? Vous ne craignez pas qu'on ait tout d'un coup un trou d'air ?
 
Ah ben non, au contraire, nous le faisons progressivement, et je crois que c'est assez intelligent de le faire comme ça, parce que d'autres pays l'ont arrêtée totalement, l'Allemagne, par exemple, a, au 1er janvier, totalement cessé la prime à la casse.
 
D'un mot, est-ce que vous voulez bien reconnaître ce matin qu'aux côtés du plan de relance mis en oeuvre par le Gouvernement, les régions, les collectivités territoriales ont largement contribué...
 
Mais bien sûr.
 
C'est bien de le faire ?
 
Mais bien sûr, je vais même...
 
Notamment les 20 régions socialistes ?
 
Je vais même aller plus loin, je vais vous dire que l'opposition, dans les collectivités locales qu'elle administre, a été parfaitement loyale et a joué le jeu du plan de relance et a été parfaitement civique.
 
Donc pas de raison d'en changer.
 
Mais elle l'a fait aussi, toutes les collectivités de gauche, comme de droite, parce que l'Etat y a mis une incitation, l'Etat a mis 3,8 milliards d'incitation financière et les collectivités locales ont sauté dessus, ce qui est normal.
 
Un chiffre de combien ? Plus de 50 milliards les collectivités locales ?
 
54 milliards d'investissements.
 
Merci. C'était pour les chiffres. C'est toujours important qu'on remette les pendules à l'heure et que vous nous donniez les chiffres précis.
 
Vous avez raison.
 
C'est parfait. Collectivités locales, évidemment, il y a une bisbille dont il faut parler ce matin, c'est l'affaire G. Frêche, je dis bisbille, je devrais dire plus sans doute. G. Frêche trouve que L. Fabius « a un air pas très catholique » et ce matin estime que la décision de M. Aubry de constituer une liste contre lui, relève du complot. Ecoutez-le.
 
G. Frêche (président du Languedoc-Roussillon, document Europe 1) : ... mais parce que ce que je dis, c'est une expression courante. C'est un complot qui est monté par M. Aubry, parce que M. Aubry essaie d'utiliser ce qui se passe en Languedoc-Roussillon pour le premier tour de sa campagne des présidentielles. Ici, les gens ils m'aiment, voilà, ça c'est une chose qu'à Paris ils ont du mal à comprendre, parce que les élites parisiennes sont mal aimées à l'heure actuelle, et c'est un des drames de notre démocratie.
 
Est-ce que l'on fait un procès injuste à G. Frêche ?
 
Ecoutez, le problème c'est que « bis repetita », quoi, ça lui arrive régulièrement, ce genre de propos.
 
Vous voulez dire que même l'avocat Devedjian aurait du mal à le défendre. Tout homme peut être défendu, mais...
 
Multirécidiviste.
 
Franchement, je comprends que le Parti spécialiste prenne des mesures contre lui.
 
Au-delà de comprendre, est-ce que vous admirez, saluez ce matin la détermination de M. Aubry, quitte à perdre une région, ça peut arriver ?
 
J'espère que cette fois elle ira jusqu'au bout, parce que jusqu'à maintenant, ou quand même, avoir dit que les Harkis étaient des sous-hommes, ce n'était pas acceptable, hein ? Ce n'était vraiment pas acceptable.
 
Le tribunal ne l'a pas condamné, je le rappelle, parce qu'il a estimé qu'il s'adressait à deux personnes en particulier.
 
C'est des questions de procédure, sur le fond...
 
Oui, je ne dis pas le contraire, je le précise.
 
Oui.
 
Dimanche dernier, J.-M. Le Pen s'en prenait au prénom du petit-fils du président de la République, Solal, visiblement un prénom qui ne témoigne pas d'une volonté d'assimilation de la famille Sarkozy, a dit J.-M. Le Pen. On en parle beaucoup moins.
 
Eh bien on a tort, parce que c'est un dérapage inacceptable, c'est aussi une imbécillité, parce que Patrick c'est un prénom irlandais.
 
Oui, il vous dira catholique, J.-M. Le Pen.
 
Alors, vous savez, les apôtres ils avaient tous des noms juifs, Pierre, Simon, Jean, Paul, tout ça. Alors, on n'est pas sorti de l'auberge.
 
Un dernier mot, vous irez au Conseil constitutionnel ou pas ?
 
Non, je n'ai aucune raison d'aller au Conseil constitutionnel.
 
M. Charasse, dont on dit qu'il pourrait y être nommé, c'est un bon choix ?
 
En tous les cas, c'est un fin connaisseur de la Constitution.
 
Oui. Et vous serez, vous, candidat à votre propre succession, au Conseil général des Hauts-de-Seine, en 2011 ?
 
Chaque fois que je viens vous voir, vous me posez la question.
 
Eh bien je vous la reposerai jusqu'à 2011.
 
Jusqu'en 2011. Bon, je viendrai plus souvent alors.
 
Oui.
 
Bien sûr, je vous ai déjà dit et je vous le répète, que j'avais envie de continuer ce que j'ai commencé.
 
C'est entendu. Merci beaucoup, pour les chiffres, pour la réaction et pour la répétition. Bonne journée à vous. C'était P. Devedjian.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 29 janvier 2010