Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur la politique économique et budgétaire et sur les relations entre la France et la Syrie, Damas le 21 février 2010.

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Circonstance : Visite du Premier ministre en Syrie, à Damas le 21 février 2010

Texte intégral

Monsieur l'Ambassadeur, Mesdames et Messieurs, mes chers compatriotes, d'abord je voudrais remercier monsieur l'Ambassadeur pour l'organisation de cette rencontre qui me donne l'occasion de m'adresser à nos compatriotes en Syrie. Je veux d'abord vous dire que votre implantation en Syrie, qu'elle soit récente ou qu'elle soit plus ancienne, fait de vous les premiers observateurs d'un pays attachant et d'un pays en pleine transformation. En dix ans, la Syrie a opéré une révolution économique, passant d'une économie fermée à une économie ouverte sur le monde. En dix ans, il a rénové la quasi-totalité de sa législation et ça fait une bonne raison pour que la France souhaite aujourd'hui créer avec la Syrie les conditions d'un partenariat durable et constructif. C'est une nécessité économique, naturellement. C'est une nécessité culturelle mais c'est aussi et surtout une nécessité géopolitique. Mais avant de vous parler des relations entre la France et la Syrie, je voudrais vous dire un mot de la France.
Depuis 2007, notre pays a changé. Avec le Président de la République, nous avons engagé toutes les réformes promises parce que nous pensons que le respect des engagements est au coeur de la confiance démocratique. Nous sommes allés vite pour tenter d'éviter les blocages et notre pays qu'on disait immobile s'est mis en mouvement. La réforme des universités, attendue depuis si longtemps, celle des régimes spéciaux de retraites sont deux exemples qui montrent que l'idée que la France refuse les réformes, que la France est rétive au changement, que la France refuse de rompre avec ses vieux conservatismes, est une idée fausse. Notre peuple qu'on disait parfois résigné, n'a pas succombé au choc de la récession et avec beaucoup de sagesse et sens de l'intérêt général, il n'a devant la crise économique et financière mondiale ni paniqué, ni baissé les bras. Désormais, nous sommes confrontés à trois grands défis. Le premier, c'est celui de la mondialisation : chacun doit être conscient que la crise économique et financière que nous venons de traverser, loin d'avoir rétabli les équilibres entre les pays émergents et les vieux pays industrialisés, les a au contraire creusés. Si on nous promet 1,5% de croissance pour l'année 2010, ce qui est un beau résultat puisque c'est presque deux fois ce que l'on prédit pour l'ensemble de la zone euro, pendant le même temps, la Chine fera plus de 10, l'Inde fera plus de 7% et la croissance mondiale sera entre 4 et 5%. Cela veut dire que le grand bouleversement de la mondialisation ne fait en réalité que commencer. Ca veut dire que le transfert de richesses des vieux pays développés vers les pays émergents est en train de s'accélérer et la France et l'Europe n'ont pas d'autre choix face à ce défi, que d'élever le niveau de leur compétitivité et le niveau de leur solidarité. Soit nous renonçons à cet effort, et alors notre déclin est inéluctable. Soit nous nous battons, par nos réformes, par notre innovation, par notre unité nationale, par notre solidarité européenne, et alors nous pourrons tenir notre rang.
Le deuxième défi, c'est celui des changements climatiques qui nous obligent à reconsidérer notre modèle de croissance et donc à réorganiser d'une certaine façon l'ensemble de notre économie. Là encore, il n'y a pas de fatalité mais il faut réagir et il faut en particulier que nous ayons la force de mettre le progrès scientifique, le progrès technologique au service de ces changements de modèle de croissance, de modèle économique pour que notre développement soit plus durable.
Et puis enfin le troisième défi que notre pays doit affronter, c'est celui de son endettement parce que pour faire tout ça, ce serait plus facile si on avait des marges de manoeuvre financière, si on pouvait prendre le temps, si on pouvait étaler un certain nombre de changements pour faire en sorte qu'ils soient moins brusques mais la réalité, c'est que comme nous accumulons des déficits depuis 35 ans, nous n'avons pas les marges financières nécessaires pour reculer les réformes et les choix qui sont indispensables.
Alors pour relever tous ces défis, on voit bien qu'on a besoin d'une mobilisation nationale. On a besoin de la mobilisation de nos forces économiques et de nos forces sociales qui doivent comprendre que tous ces défis leur sont communs et doivent être relevés à la fois par les forces économiques et par les forces sociales. Et c'est la raison pour laquelle avec le Président de la République, nous attachons tellement d'importance au dialogue social, à la rénovation des relations sociales dans notre pays. Nous avons lancé une réforme très ambitieuse de rénovation de la démocratie sociale qui vise en particulier à changer les règles de la représentativité syndicale pour avoir des grandes organisations syndicales puissantes et représentatives. Nous multiplions les rendez-vous avec les partenaires sociaux, cette semaine encore avec le Président de la République, nous recevions l'ensemble des partenaires sociaux pour établir le calendrier de ce dialogue. Et je voudrais vous faire remarquer et vous demander de noter que dans une crise économique et financière très dure qui naturellement a des conséquences en terme de chômage, en terme de pauvreté, eh bien les partenaires sociaux ont fait preuve d'un très grand sens des responsabilités, qui est d'ailleurs sans doute une des raisons qui a permis à notre pays de sortir de la récession plus vite que les autres pays européens.
Mobilisation aussi des citoyens parce que chaque Français doit mesurer qu'il faut qu'il donne à la France autant qu'elle lui donne. Si chacun croit pouvoir sauver ses acquis de son côté, sans efforts, sans partage, alors je vous le dis, il n'y a aucune chance que nous puissions garantir notre prospérité économique et notre modèle social. Et au fond tout ça m'amène à constater avec vous que jamais l'esprit républicain, l'esprit de la République, n'a été aussi évident, aussi légitime, aussi nécessaire.
Pour faire face à ces défis, nous avons des priorités immédiates et la première de ces priorités, c'est évidemment la reprise économique. En ce début d'année, on voit que l'activité repart mais aussi que la situation reste fragile. Il faut aller chercher la croissance et démentir les prévisions qui pourraient nous laisser penser que la France, comme souvent dans le passé, a un moteur plus lent au démarrage après les crises économiques, que les autres moteurs européens. Comment doper la reprise ? La première façon de le faire, c'est d'investir. Notre pays n'a pas assez investi dans le passé et nous avons choisi avec le Président de la République d'investir 35 milliards d'euros sur les filières les plus porteuses pour l'économie nationale. Au fond, de la même façon que dans les années 60, le Général de GAULLE dont l'ambassadeur me montrait à l'instant la photo sur les marches de cet escalier, avait décidé en même temps du lancement du programme électronucléaire français, du programme aéronautique qui a abouti à AIRBUS et du lancement du TGV, eh bien de la même façon aujourd'hui nous allons investir massivement sur l'avion du futur, sur les lanceurs spatiaux, sur les véhicules électriques, sur les réseaux à très haut débit, sur les biotechnologies et d'une façon plus générale sur nos universités et sur notre recherche.
La deuxième façon de doper la croissance, c'est d'améliorer la compétitivité de l'économie française. On a beaucoup agi depuis deux ans de ce point de vue en mettant fin aux 35 heures obligatoires, en mettant en place un dispositif de crédit impôt recherche qui pour une fois fait de notre pays le pays le plus attractif des pays de l'OCDE en matière de fiscalité sur la recherche et sur l'innovation. Nous nous sommes au fond donné de nouvelles armes pour résister à la concurrence et pour aller à la conquête des marchés et nous venons de nous en donner une supplémentaire en supprimant avec bien des difficultés, un impôt, la taxe professionnelle, qui pesait sur les entreprises dans nos territoires et qui avait cette caractéristique unique au monde de taxer les investissements avant même que ces investissements aient pu produire quelle que richesse que ce soit. Grâce à cette réforme tellement discutée, tellement critiquée, tellement difficile à mettre en oeuvre mais finalement votée et en application, nous allons en 2010 injecter d'un seul coup 12 milliards d'euros supplémentaires dans le circuit économique au moment où nos entreprises en ont le plus besoin pour prendre le vent de la reprise.
Et puis enfin la troisième et la dernière priorité s'agissant de la lutte pour la croissance économique et pour le développement durable de notre pays, c'est la lutte contre les déficits. Je vous le disais, ça fait 35 ans que tous les budgets de l'Etat ont été votés en déficit, ce qui interdit à quiconque, qu'il soit de droite ou de gauche, de donner quelque leçon que ce soit sur la situation qui est celle de notre pays. La vérité, c'est que tous les Français de moins de trente-cinq ans, pensent que ça marche comme ça et tous les Français de plus de trente-cinq ans, se disent que si ça a marché comme ça trente-cinq ans, ça va bien marcher comme ça encore quelques années. Non, ça ne marchera pas comme ça encore quelques années parce qu'aujourd'hui, le niveau des déficits dans les pays européens a atteint un seuil qui doit nous amener à réagir. C'est une question de morale. C'est une question de morale vis-à-vis des générations futures mais c'est aussi une question économique et sociale parce que le fardeau de la dette, le fardeau des déficits écrase notre croissance, rend difficile l'investissement et vous savez bien que sans croissance, sans investissement, c'est notre mode de vie au bout du compte et c'est notre modèle social que nous mettons en danger. C'est la raison pour laquelle nous avons engagé une réforme ambitieuse de l'Etat ; nous discutons actuellement au Parlement d'une réforme ambitieuse et difficile des collectivités locales et de l'organisation du territoire et enfin nous allons discuter dans quelques semaines avec les partenaires sociaux d'une réforme des retraites pour tenir compte de l'allongement de la durée de la vie.
Mes chers compatriotes, plus la mondialisation s'accentue, plus l'évidence européenne s'impose. Nous avons débloqué la question institutionnelle qui paralysait l'Union européenne après l'échec du référendum de 2005 mais désormais l'Europe doit viser le statut de puissance politique et de puissance économique. Et elle doit incarner un modèle de civilisation ouvert et en particulier ouvert sur les horizons méditerranéens. C'est la raison pour laquelle dans les années qui viennent, nous voulons compter la Syrie parmi les partenaires privilégiés de l'Europe. Vous savez que nous militons activement pour que soit signé l'Accord d'association entre la Syrie et l'Union européenne. Nous l'avons fait lorsque nous avions la présidence de l'Union européenne, nous continuons à le faire aujourd'hui parce que cet accord permettra de rapprocher encore un peu plus nos sociétés et nos économies.
Je sais que beaucoup d'entre vous ici sont les héritiers directs de notre passé commun avec la Syrie, qu'ils connaissent les liens privilégiés que nous entretenons avec elle. C'est justement parce que nous mesurons toute la valeur de ces liens que nous leur avons donné corps dans l'Union pour la Méditerranée. Notre objectif avec l'Union pour la Méditerranée, c'est de créer une vaste zone de prospérité autour du bassin de la Méditerranée, avec au fond un objectif qui peut paraître lointain mais qui est notre objectif, c'est que sur les deux rives de notre mer intérieure, eh bien au fond chacun parvienne à un niveau de développement qui soit comparable.
Nous sommes partis d'un raisonnement simple : après s'être entretués pendant des siècles et des siècles, les pays d'Europe occidentale ont choisi au lendemain de la Seconde guerre mondiale de se rassembler dans l'Union européenne autour de quelques projets concrets qui étaient au départ des projets en matière d'énergie et dans le domaine des matières premières. Eh bien pourquoi ne pas essayer maintenant de susciter, même si nous savons que c'est difficile, le même projet, le même état d'esprit entre les pays qui bordent les rives de la Méditerranée. Alors vous allez me dire que ce projet a bien des difficultés à démarrer, qu'on a du mal à en voir immédiatement les résultats mais c'est un projet de longue haleine et c'est déjà j'ai envie de dire, presque un miracle qu'on ait réussi à mettre l'ensemble des pays qui bordent de la Méditerranée autour de la même table pour porter la création de cette Union pour la Méditerranée.
Un mot de la visite que j'effectue avec plusieurs membres du gouvernement comme vous pouvez le constater : le ministre chargé des Relations avec le Parlement que j'ai voulu emmener s'aérer quelque peu car il a une des missions les plus difficiles qui consiste à essayer de faire voter l'ensemble de nos textes et de convaincre une majorité parfois imaginative, créative, une opposition qui naturellement s'oppose, de voter les textes ; le ministre de la Culture qui porte de grands projets de coopération avec la Syrie et la ministre de l'Economie et des Finances qui naturellement... qui est déjà venue en Syrie il y a quelques semaines et qui porte tous les espoirs d'une coopération économique accrue avec ce pays. Je suis accompagné de parlementaires qui représentent les groupes d'amitié entre les parlements français et syrien et puis d'une trentaine de chefs d'entreprise qui témoignent de la volonté des entreprises françaises de s'implanter et de se développer en Syrie.
Vous savez que dès le début de son mandat, le Président de la République s'est engagé en faveur de la reprise du dialogue avec la Syrie. Il a voulu que ce dialogue soit clair, qu'il soit assorti d'objectifs précis au service de la paix et au service de la stabilité dans la région. Ce choix a été salué par un tonnerre de critiques ou par beaucoup de scepticisme. Nous voyons aujourd'hui que c'était un choix judicieux et que les résultats que nous attendions, sont là. L'établissement de relations diplomatiques entre la Syrie et le Liban, c'est une étape historique. Aujourd'hui, j'ai indiqué au président ASSAD que la France est prête à contribuer au dialogue nécessaire entre la Syrie et Israël. Dialoguer, ça ne veut pas dire naturellement être d'accord sur tout, ça ne veut pas dire se rejoindre sur tout mais je crois que nous avons tout à gagner à confronter nos points de vue, y compris et peut-être même surtout lorsque ces points de vue sont tellement éloignés, comme nous avons pu le constater au cours de notre visite sur la question si difficile de l'Iran. Je note d'ailleurs avec beaucoup de satisfaction que tous ceux qui nous critiquaient lorsque nous avons pris cette initiative, nous rejoignent puisque ce sera maintenant le tour des Etats-Unis de normaliser leurs relations avec la Syrie.
Le retour du dialogue politique a marqué un tournant tangible dans notre coopération économique. Tous ceux qui travaillent ici dans nos entreprises, qu'elles soient petites ou que ce soit de grandes entreprises françaises ou multinationales, savent que le marché du Proche-Orient est encore largement à conquérir. Et ils savent tout le travail que nous avons devant nous pour gagner les parts de marché et pour conquérir des nouveaux débouchés. Il existe entre la France et la Syrie un immense potentiel de coopération et je crois que le moment est vraiment bien choisi pour saisir cette chance, pour lancer nos partenariats économiques, institutionnels, culturels, dans une nouvelle dynamique.
Avec l'aide du musée du Louvre, nous nous sommes investis dans le développement des musées syriens. L'implication française dans la mise en valeur du patrimoine syrien est un élément clé de notre relation. Nous allons aider la Syrie à conserver, à tirer le meilleur avantage de ses richesses archéologiques et je crois qu'on peut dire que dans ce domaine, la Syrie accorde à la France une confiance privilégiée. Nous oeuvrons aussi pour que le patrimoine syrien puisse être présenté au monde entier et en 2012, nous lui consacrerons une grande exposition à Paris, à l'Institut du Monde Arabe dont le président, Dominique BAUDIS, m'accompagne.
Dans le domaine universitaire, la France est déjà le deuxième pays d'accueil des étudiants syriens. Nous voulons renforcer cette coopération notamment avec notre programme des assistants boursiers, nous voulons promouvoir les échanges universitaires, préparer la mobilité professionnelle des étudiants qui viennent dans nos universités, en délivrant des diplômes universitaires conjoints dans des disciplines comme le droit des affaires, comme les finances ou encore comme les sciences de l'ingénieur ; et nous avons évoqué ce matin la possibilité à moyen terme de créer soit une université franco-syrienne, soit une école de gestion ou une école de commerce franco-syrienne dans un premier temps. Et puis nous offrons aux futurs cadres syriens la possibilité de venir effectuer des stages dans l'administration française, dans le cadre de leur formation à l'INA, et dans le cadre évidemment du partenariat avec l'Ecole Nationale d'Administration.
En matière de recherche, nous soutenons l'implication de nos organismes, le CNRS, l'IRD, l'INRA et bien sûr l'Institut français du Proche-Orient. Dans le domaine médical, l'Institut Curie participe ici aussi à la lutte contre le cancer, le SAMU aide à réformer les services d'urgence syriens et nous apportons notre expertise à la réforme de l'assurance maladie.
Enfin, l'histoire de la Syrie et de la France a laissé à nos deux pays en partage des valeurs communes. Il y en a notamment une qui me paraît être une valeur universelle et qui en tout cas est d'actualité face aux difficultés que rencontre le monde et à la montée des intégristes, c'est la valeur de la laïcité, de la laïcité positive qui peut être un élément de réponse très important et en particulier dans cette région du Proche-Orient. Le rapprochement que nous avons opéré depuis deux ans nous permet d'avoir un dialogue franc et Dieu sait s'il a été franc tout au long de cette journée y compris sur les questions sur lesquelles nous avons des divergences - je pense en particulier à la question des Droits de l'Homme que j'ai évoquée directement avec les autorités syriennes.
Mes chers compatriotes, que nous résidions en France ou à l'étranger, nous formons une communauté nationale. Et nous avons voulu avec le Président de la République que vous soyez encore plus présents dans la vie de la nation et c'est la raison pour laquelle nous avons décidé de doubler votre représentation nationale. Vous aviez déjà des sénateurs et des sénatrices qui naturellement vous représentaient très bien, mais vous n'aviez pas de représentants à l'Assemblée nationale ; eh bien ce sera chose faite puisque la réforme de la Constitution prévoit désormais que vous serez représentés par des députés à l'Assemblée Nationale.
Mes chers compatriotes, en cette terre du Levant, la tentation pourrait être grande de tourner vers le passé un regard qui serait un regard plein de nostalgie. Eh bien moi tout au contraire, je vous engage à regarder l'avenir avec confiance mais aussi avec la volonté farouche d'ouvrir les chemins de l'histoire.
Vive la France ! Vive la République !
Source http://www.gouvernement.fr, le 22 février 2010