Texte intégral
Avec le recul, comment analysez-vous le message envoyé par les Français aux municipales ?
- Ils ont manifesté leur liberté, leur indépendance, en faisant mentir les sondages et les pronostics. Ils ont voulu dire que chaque élection avait sa logique et que pour des élections de proximité, ils voulaient des élus de proximité.
La présidentielle est aussi une élection de proximité ?
- Pour une part, car elle doit répondre à une demande de confiance, de simplicité, à l'idée que le Président ne doit pas être enfermé dans son château, dans son Olympe. Mais il y aussi une demande de vision : c'est l'élection où notre peuple choisit son cap pour cinq ans.
La volonté de proximité peut conduire à être "toujours dans le sens du vent", comme vous l'avez reproché à Jacques Chirac
- Je suis sûr que ce n'est pas cela que les Français souhaitent. Ils sont responsables et adultes. Ils veulent du courage. Ils veulent que leurs hommes publics soient capables de braver l'opinion quand il le faut. Ils attendent une cohérence de fond. Le rendez-vous d'un peuple avec ses grands choix, cela ne relève pas de l'habituelle démagogie politique.
La présidentielle de 1995 avait été dominée par le thème de la "fracture sociale". Et en 2002 ?
- La fracture sociale existe toujours. La misère n'a pas reculé. Le nombre de jeunes en danger ne diminue pas. Mais une autre fracture s'est approfondie, aussi importante, que j'appellerai "fracture civique". Notre société est de plus en plus coupée en deux : les citoyens ont trop souvent l'impression d'être impuissants et ils ressentent ceux qui les gouvernent comme abonnés à leurs privilèges, formant une espèce de nomenklatura, de caste sans esprit de responsabilité. Parfois, c'est injuste, mais c'est comme cela ! Pour renouer la confiance, il faut une rupture, il faut qu'une page se tourne.
Comment tenir ce discours anti-système, alors que vous êtes membre du même système ?
- Le fait de ne pas appartenir à l'un des deux principaux partis qui se sont succédés au pouvoir depuis vingt ans, rend sans doute les choses plus faciles. On est moins prisonnier de certaines solidarités internes. On peut porter un projet de renouvellement.
Quand vous parlez de renouvellement, vous pensez à l'âge de Lionel Jospin et de Jacques Chirac ?
- Ce n'est pas à l'âge que je pense, mais au fait qu'il y a en France un immobilisme incroyable. Depuis un quart de siècle, ce sont presque exactement les mêmes hommes et les mêmes équipes ! Il y a vingt-cinq ans, Jacques Chirac était à Matignon, et Lionel Jospin numéro 2 du PS ! Prendre les mêmes et toujours recommencer, c'est le signe d'un système bloqué, qui s'épuise, qui est incapable de changer les méthodes et la manière de faire !
Craignez-vous une campagne de faits divers, "affaires" contre "affaires" ?
- Cela aussi, c'est un signe de l'épuisement d'un système où tout le monde tient tout le monde : "je te tiens, tu me tiens, par la barbichette" Tout cela est épuisé, constamment à la limite de la rupture. Et c'est d'autant plus rageant dans une société française qui est, elle, vivante, créative, en mouvement, même si elle manque de repères. C'est pourquoi je dis "tournons la page, ouvrons un chapitre nouveau avec des pratiques assainies". Je propose que tous les candidats à l'élection présidentielle signent un engagement commun, un pacte de transparence, avec deux principes de clarté : que le financement de la vie politique soit transparent, sans aucune utilisation de fonds secrets ; et que l'Etat, ses gouvernants, son gouvernement, ses cabinets, déclarent tous leurs revenus, comme n'importe quel salarié français. Ce serait tous les candidats qui s'engageraient ainsi à mettre en uvre l'assainissement de la vie politique, premier pas dans la lutte contre la " fracture civique ".
Lionel Jospin semble s'emparer de la "refondation sociale" lancée par le Medef. Est-ce une bonne nouvelle ?
- Il indique plutôt le contraire, par exemple en ponctionnant la Sécu pour payer les 35 heures. Depuis quatre ans, l'action de Lionel Jospin a nié les principes de la refondation sociale. Imposer les 35 heures à l'aveugle, c'est entraîner un certain nombre d'entreprises et de salariés droit dans le mur. La refondation sociale recouvre pourtant une idée-clé pour l'avenir de la France : la société doit pouvoir régler elle-même un grand nombre de problèmes, dont l'Etat s'occupait autrefois par un excès de pouvoir. On a réalisé autrefois la séparation de l'Eglise et de l'Etat ; plus récemment, avec les privatisations, on a séparé l'économie de l'Etat ; un jour le social sera autonome lui aussi. Tous les grands pays qui nous entourent l'ont déjà fait, car les règles sociales sont mieux définies par les partenaires sociaux, descendant dans la précision des accords jusqu'à la branche ou l'entreprise.
Dans six mois arrive l'Euro Les craintes qu'il suscite peuvent-elles atteindre l'ensemble du projet européen ?
- Face à la mondialisation et au pouvoir sans limites de l'argent, il n'y a pas d'avenir pour la France et ses valeurs si l'on ne construit pas l'Europe. Et il n'y a pas d'Europe sans union politique : on a fait l'Euro, c'est bien. Mais on n'a pas donné aux citoyens le pouvoir démocratique de contrôle Vous me parlez des craintes face à l'Euro : on mesurera à cette occasion le degré de courage ou de lâcheté des responsables politiques français. On vient malheureusement de le voir avec les "rave-parties" : une espèce de lâcheté collective, qui, sous prétexte de ne pas " contrarier les jeunes " nous conduit à la non-assistance à personnes en danger, devant les drogues dures en particulier. C'est bien la question de fond, sur tous les grands sujets : est-ce le courage qui l'emportera, ou la démagogie sondagière ?
(source http://www.udf.org, le 2 juillet 2001)
- Ils ont manifesté leur liberté, leur indépendance, en faisant mentir les sondages et les pronostics. Ils ont voulu dire que chaque élection avait sa logique et que pour des élections de proximité, ils voulaient des élus de proximité.
La présidentielle est aussi une élection de proximité ?
- Pour une part, car elle doit répondre à une demande de confiance, de simplicité, à l'idée que le Président ne doit pas être enfermé dans son château, dans son Olympe. Mais il y aussi une demande de vision : c'est l'élection où notre peuple choisit son cap pour cinq ans.
La volonté de proximité peut conduire à être "toujours dans le sens du vent", comme vous l'avez reproché à Jacques Chirac
- Je suis sûr que ce n'est pas cela que les Français souhaitent. Ils sont responsables et adultes. Ils veulent du courage. Ils veulent que leurs hommes publics soient capables de braver l'opinion quand il le faut. Ils attendent une cohérence de fond. Le rendez-vous d'un peuple avec ses grands choix, cela ne relève pas de l'habituelle démagogie politique.
La présidentielle de 1995 avait été dominée par le thème de la "fracture sociale". Et en 2002 ?
- La fracture sociale existe toujours. La misère n'a pas reculé. Le nombre de jeunes en danger ne diminue pas. Mais une autre fracture s'est approfondie, aussi importante, que j'appellerai "fracture civique". Notre société est de plus en plus coupée en deux : les citoyens ont trop souvent l'impression d'être impuissants et ils ressentent ceux qui les gouvernent comme abonnés à leurs privilèges, formant une espèce de nomenklatura, de caste sans esprit de responsabilité. Parfois, c'est injuste, mais c'est comme cela ! Pour renouer la confiance, il faut une rupture, il faut qu'une page se tourne.
Comment tenir ce discours anti-système, alors que vous êtes membre du même système ?
- Le fait de ne pas appartenir à l'un des deux principaux partis qui se sont succédés au pouvoir depuis vingt ans, rend sans doute les choses plus faciles. On est moins prisonnier de certaines solidarités internes. On peut porter un projet de renouvellement.
Quand vous parlez de renouvellement, vous pensez à l'âge de Lionel Jospin et de Jacques Chirac ?
- Ce n'est pas à l'âge que je pense, mais au fait qu'il y a en France un immobilisme incroyable. Depuis un quart de siècle, ce sont presque exactement les mêmes hommes et les mêmes équipes ! Il y a vingt-cinq ans, Jacques Chirac était à Matignon, et Lionel Jospin numéro 2 du PS ! Prendre les mêmes et toujours recommencer, c'est le signe d'un système bloqué, qui s'épuise, qui est incapable de changer les méthodes et la manière de faire !
Craignez-vous une campagne de faits divers, "affaires" contre "affaires" ?
- Cela aussi, c'est un signe de l'épuisement d'un système où tout le monde tient tout le monde : "je te tiens, tu me tiens, par la barbichette" Tout cela est épuisé, constamment à la limite de la rupture. Et c'est d'autant plus rageant dans une société française qui est, elle, vivante, créative, en mouvement, même si elle manque de repères. C'est pourquoi je dis "tournons la page, ouvrons un chapitre nouveau avec des pratiques assainies". Je propose que tous les candidats à l'élection présidentielle signent un engagement commun, un pacte de transparence, avec deux principes de clarté : que le financement de la vie politique soit transparent, sans aucune utilisation de fonds secrets ; et que l'Etat, ses gouvernants, son gouvernement, ses cabinets, déclarent tous leurs revenus, comme n'importe quel salarié français. Ce serait tous les candidats qui s'engageraient ainsi à mettre en uvre l'assainissement de la vie politique, premier pas dans la lutte contre la " fracture civique ".
Lionel Jospin semble s'emparer de la "refondation sociale" lancée par le Medef. Est-ce une bonne nouvelle ?
- Il indique plutôt le contraire, par exemple en ponctionnant la Sécu pour payer les 35 heures. Depuis quatre ans, l'action de Lionel Jospin a nié les principes de la refondation sociale. Imposer les 35 heures à l'aveugle, c'est entraîner un certain nombre d'entreprises et de salariés droit dans le mur. La refondation sociale recouvre pourtant une idée-clé pour l'avenir de la France : la société doit pouvoir régler elle-même un grand nombre de problèmes, dont l'Etat s'occupait autrefois par un excès de pouvoir. On a réalisé autrefois la séparation de l'Eglise et de l'Etat ; plus récemment, avec les privatisations, on a séparé l'économie de l'Etat ; un jour le social sera autonome lui aussi. Tous les grands pays qui nous entourent l'ont déjà fait, car les règles sociales sont mieux définies par les partenaires sociaux, descendant dans la précision des accords jusqu'à la branche ou l'entreprise.
Dans six mois arrive l'Euro Les craintes qu'il suscite peuvent-elles atteindre l'ensemble du projet européen ?
- Face à la mondialisation et au pouvoir sans limites de l'argent, il n'y a pas d'avenir pour la France et ses valeurs si l'on ne construit pas l'Europe. Et il n'y a pas d'Europe sans union politique : on a fait l'Euro, c'est bien. Mais on n'a pas donné aux citoyens le pouvoir démocratique de contrôle Vous me parlez des craintes face à l'Euro : on mesurera à cette occasion le degré de courage ou de lâcheté des responsables politiques français. On vient malheureusement de le voir avec les "rave-parties" : une espèce de lâcheté collective, qui, sous prétexte de ne pas " contrarier les jeunes " nous conduit à la non-assistance à personnes en danger, devant les drogues dures en particulier. C'est bien la question de fond, sur tous les grands sujets : est-ce le courage qui l'emportera, ou la démagogie sondagière ?
(source http://www.udf.org, le 2 juillet 2001)