Déclaration de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux sports, sur la violence des supporters de football et la prévention lors des compétitions sportives, Saint-Denis le 28 janvier 2010.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : 1er congrès national des associations de supporters de football à Saint-Denis le 28 janvier 2010

Texte intégral


Je viens d'écouter avec une très grande attention les résultats de cette journée de travail, et ma première réaction est que « le jeu en valait la chandelle ». C'est bien la passion du sport qui nous réunit. J'ai entendu aujourd'hui l'espoir, la volonté de s'impliquer, de bien faire, d'être utile et constructif. Mais j'ai aussi entendu la frustration, le découragement et parfois la colère. Mais je voudrais vous dire une chose : rien de tout cela ne justifie les embrasements de violence qui enflamment régulièrement nos stades. Notre passion c'est le sport, et aucune passion ne s'exprime ni ne s'exalte dans la violence. Celle-ci est tout simplement inacceptable. Rien ne la justifie. Rien ne l'excuse. La passion du jeu, ça n'est jamais la passion de la violence.
Il faut préserver le sport et le protéger de ceux qui le ruinent. C'est la direction politique prise par le Gouvernement dans la question essentielle de la sécurité et de la sérénité des matches de football.
Dans cette politique, quelle est notre tâche ? C'est de prévenir la violence en cherchant par tous les moyens à en résorber les causes, en étroite coordination avec mes collègues Brice Hortefeux et Michelle Alliot-Marie qui déploient une répression plus ferme et plus active de la délinquance qui frappe le football. Qu'une chose soit bien claire : j'appuie sans réserve leur action et je salue l'énergie et le volontarisme avec lesquels ils se sont attelés à cette responsabilité difficile et souvent ingrate. Réprimer n'est pas un but en soi ; en revanche, au point où nous en sommes arrivés c'est la seule solution face à certains comportements.
Je sais que beaucoup d'entre vous, clubs comme supporters, sont venus avec à l'esprit les précédentes tentatives de dialogues restées sans résultat. Je sais aussi que tous, ligue, clubs, supporters, avez à un moment ou un autre été à l'initiative de telles tentatives. Je salue cette volonté que vous avez eue en son temps et je tiens à vous remercier très sincèrement, vous tous qui êtes ici aujourd'hui, de la confiance que vous avez placée en nous en acceptant, une nouvelle fois, de vous remettre autour de la table du dialogue, pour la première fois sous l'égide des pouvoirs publics et avec leur participation active. Et je sais que pour vous tous, représentants des associations de supporters, cette confiance a pris une vraie dimension concrète : vous êtes tous bénévoles et votre présence ici a pu être possible au prix de jours de congés et de frais de déplacement payés de votre poche. Je sais la signification de cet effort. J'y vois notre volonté commune de défendre ce sport qui nous passionne et devrait nous rassembler : le football.
Ce sport il faut le défendre contre ses démons, car ils ont fait des morts et des blessés. Cela aussi c'est inacceptable. Je tiens à rendre un vibrant hommage à ces hommes ou ces femmes, membres des forces de l'ordre, joueurs, supporters, cadres, arbitres, qui ont été frappés dans leur chair ou dans leur coeur, victimes de la délinquance ou de la discrimination. Nous ne les oublions pas, car ils ont payé au prix fort, parfois de leur vie, leur passion du sport et du football. Par respect pour eux, nous avons l'obligation d'avancer et de réussir. Je vous demande de les respecter. Je vous demande de vous souvenir d'eux pour savoir, pour ceux qui en ont, passer outre vos réserves. Je vous demande de la fraternité dans le processus que nous avons lancé, et je sais que votre seule présence prouve que vous y êtes prêts. Faisons le pas !
Il est largement temps d'ailleurs. Ne sommes-nous pas tous ici passionnés de football ? Et cela ne signifie t-il pas que nous voulons la victoire de nos clubs ? Ou, à défaut de victoire, le souvenir de ces matchs de légende dont la mémoire traverse les générations ? Eh bien soyons lucides : la recrudescence grave des violences dans le football n'a qu'un seul résultat : des défaites et un spectacle sportif défiguré. Des défaites en cascade même ! Il y a moins de spectateurs à nos matches, nos clubs sont doublement voire triplement pénalisés économiquement par le coût des violences, nos résultats en pâtissent, toute la compétitivité du football français en paye le prix. Et il est lourd. Très lourd. Et il est lourd pour l'Etat, en termes de mobilisation et de ressources. N'attendons pas un nouvel Hillsborough et ses 96 morts pour agir.
Cet immense gâchis sportif, nous pouvons l'arrêter tous ensemble. Une fois de plus, votre présence ici prouve que c'est notre volonté commune. Alors construisons. C'est tout l'esprit du processus que j'ai lancé en octobre dernier et qui franchit aujourd'hui une étape majeure. Ce que nous faisons, c'est la rédaction en commun de ce qu'on pourrait appeler le 1er livre vert du supporterisme dans le football français. Autrement dit, la rédaction d'un état des lieux objectif de la situation, dans ses aspects positifs comme négatifs, pour élaborer des propositions concertées permettant de remédier aux aspects négatifs. Pas simple ! Mais si c'était simple, nous ne serions pas là aujourd'hui.
Je ne suis donc pas venue aujourd'hui ici pour annoncer des résultats, des décisions, voire des propositions. Nous sommes au début du processus. Ce Congrès est un point de départ. Je suis venue pour vous dire toute l'importance que nous attachons à ce processus, faire avec vous le point sur le travail réalisé depuis plusieurs mois et tracer les grandes orientations du travail qui reste à faire. Ce travail n'est pas isolé : il s'inscrit dans une analyse plus générale de tout ce qui conduit à la violence dans le sport, et de tout ce qui permet d'y remédier. Je pense là à toutes ces initiatives de terrain développées dans les clubs, par des associations, des collectivités. Elles sont aussi nombreuses que méconnues et je n'accepte pas l'idée d'un monde où l'on parle tout le temps des dérives extrêmes de quelques uns en oubliant systématiquement les efforts constructifs d'une grande majorité.
Dès ma nomination au secrétariat d'Etat, j'ai confié à l'inspection générale de la jeunesse et des sports la mission d'un recensement systématique de ces initiatives pour recommander les moyens à mettre en oeuvre afin de mieux les valoriser, de mieux les appuyer, et pour obtenir des résultats plus larges et féconds.
Ce travail vient d'être terminé et vous en avez eu un aperçu tout à l'heure. Il ne concerne pas que le football et les supporters, mais ceux-ci y ont une part importante. Je viens de recevoir le rapport et ses préconisations, qui seront rendues publiques dans les semaines à venir : elles m'ont d'emblée semblé concrètes, originales, et très prometteuses. C'est un motif supplémentaire pour aller de l'avant. Qu'il s'agisse de notre réunion ou de la qualité de ce rapport, nous avons en main de sérieux et solides outils pour construire.
Car la tentative que nous menons est bien celle d'un dialogue global, pour poser sur la table tous les sujets, toutes les questions. Elle s'appuie sur une méthode simple : privilégier le travail de fond, même si c'est à contre-temps de l'emballement de l'actualité. Il faut parfois savoir s'arrêter pour observer, étudier, comprendre. C'est le choix que j'ai fait.
Le corollaire de ce choix c'est le rejet absolu de toute forme d'amalgame et de simplification. Il y a de multiples formes de « supporterisme ». Le monde n'est pas binaire. Je dis, moi, qu'il y a des « ultras » qui rejettent la violence comme il y a, aux côtés des « ultras », d'autres supporters qui ne se reconnaissent pas en eux ; et comme il y a, aux côtés des ultras et des autres supporters, un public qui aspire simplement à vibrer en paix au rythme du jeu. Bref à aller au stade sans redouter les violences.
Je dis aussi que c'est le droit le plus strict de tout président de club de décider avec son conseil d'administration de la place qu'il accorde, ou non, aux représentants de son public comme à ses supporters, et ce droit personne ne viendra le lui contester ; je dis encore qu'il y a des policiers et des gendarmes qui font un travail extraordinaire et qu'on oublie souvent d'en parler ; je crois qu'il y a des responsables sécurité comme des stadiers qui mériteraient d'être décorés tant leur implication généreuse est totale.
Alors, oui, je sais qu'il y a les autres, ceux qui ne s'interdisent pas la violence au nom d'une pseudo nécessité qu'ils s'inventent eux-mêmes, d'une pseudo « loi du talion » qui les autoriserait à s'affranchir des règles et de la loi. Ceux-là s'excluent d'eux-mêmes !
Ce processus que nous avons lancé s'appuie sur 5 principes intangibles, non négociables.
Le premier principe est le respect absolu des droits de chacun et des devoirs qui en découlent. Cela peut avoir l'air simple dit comme ça. Ça ne l'est pas. Les supporters ne sont pas des sous-citoyens, ils ont comme nous tous les droits et les obligations que nous confère la loi Je ne plaisante pas avec ces droits et je souhaite qu'ils soient également respectés sur tout le territoire, pour tous les supporters. Je n'accepte pas l'idée qu'un citoyen n'accède pas aux mêmes droits selon qu'il est spectateur ou supporter de tel ou tel club.
Le second principe est celui de la liberté et de la responsabilité. Dans la sphère privée, chacun est libre de ses actes et sa responsabilité est d'agir dans les limites de la Loi. Lorsque ces limites sont respectées, rien ne justifie d'intervenir pour contraindre d'une quelque façon que ce soit les actes et décisions privées. Ce principe vaut pour les clubs qui sont tous, je le rappelle, des structures privées. Je ne m'immiscerai pas dans leur gestion. Que ce soit bien clair pour tous.
Le troisième principe est celui du respect absolu de la loi. Il est le socle des deux précédents. Il est non négociable. La Loi s'impose à tous, c'est la colonne vertébrale de la République et les stades sont des espaces républicains. Je redis donc mon total appui à la répression la plus ferme de toutes les formes de délinquance et de discrimination qui sévissent dans les stades et dans le football, et je l'illustre concrètement en vous disant très clairement que tout groupe participant qui provoquerait des violences verbales ou physiques pendant le processus de dialogue s'en trouverait immédiatement exclu. Il faut savoir choisir de quel côté de la Loi on se trouve. Vous êtes aujourd'hui face à ce choix. J'en appelle à votre sens des responsabilités.
Le quatrième principe est celui de la justice. Celle-ci doit être ferme et la peine proportionnelle à la faute. Je sais que certains ont un sentiment d'incompréhension face à des peines telles que les interdictions administratives de stade, pour les uns, les pénalités financières, pour les autres. Pourtant ces peines sont nécessaires. Mais il est nécessaire aussi que ces peines soient argumentées de la manière la plus détaillée possible pour qu'elles puissent être comprises. Justice oui, mais justice comprise.
Le dernier principe enfin c'est tout simplement le respect de l'autre. Toutes les discriminations, qu'elles soient racistes ou homophobes par exemple, sont des dénis de nos valeurs. Je ne l'accepte pas. J'ai volontairement choisi de donner aujourd'hui la parole à la LICRA et à l'association Paris Foot Gay pour qu'elles exposent leurs combats parce qu'il y a encore de nombreux tabous à lever. Ces exclusions sont source de souffrance, de détresse, de désespoirs. Ce n'est pas ma vision de la fraternité. Ce n'est pas ma vision du sport. Ce n'est pas ma vision de la République.
Voilà presque un siècle que sont nés les supporters. C'était à l'époque de petits groupes de personnes qui s'organisaient pour apporter aide sociale et économique aux clubs et aux joueurs. Ils défendaient le jeu. Aujourd'hui le football a grandi. Ses responsabilités économiques et sociales ont pris une dimension mondiale considérable, mais le désir de participer est toujours aussi vivace dans nos coeurs qu'il l'était dans celui de nos aînés. Le chantier que je vous propose donc désormais c'est de reconstruire le pacte qui unit le jeu à son public et parmi ce dernier, les plus impliqués que sont les supporters.
Voilà la feuille de route des mois à venir et qui devra guider les groupes de travail qui vont être constitués pour approfondir les résultats de cette journée : trouver les voies qui permettent à ce désir de participation de s'exprimer et celles qui permettent de rejeter cette minorité qui plonge le jeu dans le chaos de la violence.
Il a fallu un énorme travail pour en arriver à cette journée, et je tiens à en remercier très chaleureusement tous les participants à commencer par vous, cher Nicolas Hourcade, qui avez mis tout votre savoir, toute votre énergie, toutes vos convictions au service de ce projet un peu fou que nous vous avons présenté il y a plusieurs mois ! Il va vous falloir encore un énorme travail d'ici à la fin de la saison, mais j'ai cru comprendre que ce n'était pas inutile de prouver à vos étudiants que la sociologie peut être utile. La sociologie, comme la politique c'est de la pensée traduite en action. Je suis donc bien contente d'y contribuer en vous donnant encore ce surcroît de travail !
Les exemples internationaux que nous avons entendus sont utiles. Cela ne signifie pas qu'il faut les reproduire à l'identique, mais ça montre bien que l'expérimentation n'est pas toujours vouée à l'échec si chacun s'y engage avec détermination. Ils montrent aussi toute l'utilité des représentations organisées de supporters pour parvenir à poursuivre durablement dialogue et compréhension mutuelle. J'appelle de mes voeux de telles représentations en France. Pas forcément une seule, mais suffisamment structurées pour que leur parole soit représentative, et leurs engagements respectés par leurs membres.
Nous sommes face à un défi : redonner au mot « supporter » ses lettres de noblesse et effacer la honte dont certains l'entachent. C'est un défi immense mais que je veux relever. Nous le gagnerons ensemble, ou pas. Cela ne dépend que de nous.
Je vous remercie.
Source http://www.sports.gouv.fr, le 9 février 2010