Texte intégral
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs des pays membres de la Ligue arabe,
Je suis heureux de vous accueillir ici. Je tenais à poursuivre avec votre Doyen, M. Aly Maher, cette initiative de nous réunir, qui tend désormais à devenir une tradition. M. Chevènement avait été votre invité, puis vous avait reçu ici même. Je souhaite poursuivre cette concertation qui doit caractériser nos relations et qui est utile pour mieux comprendre nos positions, partager nos débats, en bref, pour maintenir ou renforcer encore nos relations d'amitié et de confiance.
La France entretient avec vos pays, vous le savez bien, des relations anciennes d'amitié, de franchise et de confiance, qui viennent de notre histoire commune, de la géographie qui nous lie, des échanges économiques nombreux entre nos pays, et surtout, pour ce qui me concerne, de nos échanges humains, culturels et religieux. Au sujet de ces échanges humains, je voudrais évoquer avec vous, en guise d'introduction aux questions que vous souhaiterez me poser lors du déjeuner, quelques réflexions sur trois sujets qui me tiennent à cur :
- la circulation ou le séjour en France des ressortissants de vos pays,
- lorsqu'ils souhaitent demeurer en France, leur intégration, notamment sociale, culturelle, religieuse, mais plus globalement encore leur épanouissement dans notre société,
- et enfin, pour finir, j'évoquerai la dimension européenne et, notamment, le partenariat entre l'Europe et les pays de la Méditerranée.
1 - Sur le premier point que j'ai mentionné, qui concerne la circulation des hommes et des femmes entre vos pays et le mien, c'est évidemment surtout avec les pays du Maghreb, mais aussi avec d'autres pays, par exemple le Liban, que mon ministère a une relation étroite et même, parfois, une gestion commune. J'étais la semaine passée au Maroc et, en février dernier, en Algérie, précisément pour traiter de ces sujets. Je dirai seulement qu'un de nos objectifs communs est bien de faciliter la circulation des hommes dans les deux sens.
La France a fait déjà beaucoup pour faciliter ces échanges, par le nombre croissant de visas notamment. Dans le même temps, lorsque, à titre beaucoup plus exceptionnel heureusement, il devient parfois nécessaire, pour des raisons tenant surtout au respect de la légalité ou encore à la sécurité publique, de reconduire certains étrangers à la frontière, nous avons aussi besoin d'une coopération plus facile avec vos consulats en France. Les progrès doivent être partagés.
Mais surtout, au-delà des cas individuels, je tiens à souligner que nous sommes bien conscients que la France a beaucoup à gagner à ces échanges humains, à l'accroissement de la circulation des hommes, de même que mon pays est bien conscient aussi de tout ce qu'il a reçu de vos pays, de tout ce que vos ressortissants lui ont donné grâce à leur volonté de vivre en France, d'y travailler, de s'y exprimer et d'enrichir ainsi notre savoir, notre culture, nos sports, notre économie et, en fait, notre société.
Sur la question de l'immigration, je crois qu'il faut écarter d'emblée deux points de vue extrêmes, deux démagogies : d'une part, l'idée d'une immigration zéro, totalement irréaliste et, d'autre part, celle d'une ouverture généralisée des frontières qui ne tiendrait aucun compte des capacités d'intégration sur le plan de l'emploi, du logement, des structures d'accueil, notamment scolaires, sociales et même des opinions publiques. Je suis convaincu que cette question migratoire demeurera l'un des grands enjeux du XXIème siècle. L'Europe va continuer d'accueillir un grand nombre de migrants. Elle doit accepter, ou plutôt se réjouir et s'enrichir d'un certain "métissage". Mais elle doit aussi savoir maîtriser les flux migratoires dans le respect des lois et du modèle de citoyenneté égal pour tous auquel nous sommes attachés. Déjà 100 000 migrants s'installent légalement en France chaque année, principalement au titre du regroupement familial.
2 - Je souhaite donc pour ces étrangers qui s'installent en France à titre temporaire ou pour devenir Français, que mon ministère puisse faciliter leur accueil et leur intégration. Je ne conçois pas l'intégration comme une voie moyenne entre assimilation et une simple insertion. I1 s'agit d'un processus spécifique. Notre conception est fondée sur l'égalité des personnes qui s'inscrit dans notre histoire et dans nos principes. A mon avis, elle va bien plus loin, pour l'épanouissement des personnes, que l'affirmation des droits des communautés minoritaires.
D'autres pays mettent 1'accent sur cette conception communautariste qui n'est pas la nôtre. Je crains que l'idéologie qui peut se construire sur le thème du droit à la différence ne tende, en fait, qu'à aggraver ces différences et à masquer aux immigrés la réalité de leur destin qui est de trouver une place harmonieuse dans la population d'accueil. Le communautarisme débouche souvent sur l'incompréhension réciproque et l'anxiété mutuelle. Pour nous, chaque homme, quelle que soit son origine ou sa religion, aspire avant tout à être pleinement reconnu comme un égal, sans aucune forme de discrimination, dans la société qui l'accueille.
Mais l'intégration réussie n'est pas, bien sûr, la destruction des valeurs culturelles, linguistiques, familiales ou religieuses, qui susciterait le désarroi et la souffrance.
Dans ce contexte, je voudrais vous parler de l'état d'avancement de la Consultation des Musulmans de France. J'avais indiqué clairement, dès mon entrée en fonction, que j'entendais poursuivre cette entreprise importante, initiée par mon prédécesseur M. Jean-Pierre Chevènement, il y a maintenant plus d'un an et demi.
Les buts que nous recherchons sont clairement établis : il s'agit, vous le savez, d'aider les fidèles du culte musulman à parvenir à un minimum d'organisation commune sur un plan régional et national, et de favoriser la naissance d'une instance représentative pour qu'un dialogue normal s'installe entre celle-ci et les pouvoirs publics. Ainsi, le culte musulman, devenu, vous le savez aussi, le second en importance par le nombre de ses fidèles dans notre pays, doit-il trouver sa juste place parmi l'ensemble de ceux qui y sont pratiqués dans notre pays.
Pour autant, il ne s'agit nullement d'isoler ces musulmans de "l'Oumma", la communauté musulmane mondiale, ni de les couper de leurs racines, eux qui sont très majoritairement issus des pays que vous représentez. Nous comprenons donc parfaitement l'intérêt soutenu que vous pouvez porter à la Consultation, et je suis particulièrement heureux de vous en parler aujourd'hui.
Quel que soit son aboutissement final, on peut d'ores et déjà tirer de cette Consultation un bilan globalement positif, en dépit des difficultés sans doute inévitables qui ont surgi en chemin.
- Au nombre des avancées incontestables, je voudrais d'abord citer l'adoption du texte des "Principes et fondements juridiques régissant les rapports entre le culte musulman et les pouvoirs publics", adopté il y a maintenant plus d'un an. Chacun a pu vérifier que la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l'Etat, qui constitue le socle de la laïcité en France, était à même, sans modification, d'intégrer le culte musulman, et qu'elle conservait donc toujours sa pertinence aujourd'hui.
- Je voudrais surtout porter au crédit de la Consultation, cette habitude de travailler ensemble qui a été prise, d'abord entre les différentes sensibilités musulmanes, ensuite entre celles-ci et l'administration centrale. J'en veux pour preuve la façon très positive dont a été surmontée début mars, lors de la célébration de l'Aïd el Kebir, la grande difficulté liée aux mesures prises pour faire face à la menace de propagation en France de l'épizootie de fièvre aphteuse qui s'est répandue en Grande-Bretagne. Les Musulmans engagés dans la Consultation se sont comportés en véritables partenaires à cette occasion, et je suis heureux de rendre ici devant vous une nouvelle fois hommage à ce comportement très positif.
Sur la question centrale de la conception de l'instance représentative, nous avons laissé les représentants des Musulmans organiser leurs débats comme ils l'entendaient, en cantonnant l'administration à un rôle de "témoin de bonne foi" ou de "facilitateur". Les débats ont été longs et difficiles entre les différentes composantes de la Consultation (fédérations, mosquées indépendantes, personnalités qualifiées). Ils durent maintenant depuis un an.
Au moment où je m'adresse à vous, un accord définitif semble enfin en vue. La logique et l'intérêt bien compris de tous, voudraient qu'il le soit très rapidement et que les Musulmans prennent leurs responsabilités dans ce sens. Sinon, je le dis avec franchise, l'administration qui a montré beaucoup de patience, serait fondée à conclure que la volonté d'aboutir n'existe pas ou pas assez chez les membres de la Consultation, et elle devrait en tirer les conséquences quant au niveau et à la forme de son engagement actuel.
Mais, ce n'est pas l'hypothèse que je privilégie. Je veux croire que nous allons pouvoir entrer maintenant dans la troisième phase de la Consultation : celle de l'organisation de l'élection d'instances représentatives au niveau régional et au niveau national, à partir de l'ensemble des lieux de culte. Là encore, l'administration se devra d'être présente pour aider le processus à aller jusqu'à son terme, toujours sans aucunement se substituer aux Musulmans.
Les objectifs de la Consultation, l'intégration et même la banalisation du culte musulman au sein de notre société, seraient dès lors atteints. Ils répondent à coup sûr aux aspirations de la très grande majorité des fidèles de ce culte dont plus de la moitié est d'ores et déjà, faut-il le rappeler, de nationalité française.
J'ai la conviction que la France se montre dans cette action volontariste exceptionnelle, fidèle au meilleur de ses traditions. La compréhension et l'appui de vos pays respectifs à cette démarche, tels qu'ils se sont manifestés jusqu'à présent, constituent à coup sûr un facteur important de sa réussite. Soyez en tous par avance remerciés.
3 - Je souhaite également vous dire un mot sur deux dimensions essentielles de l'ouverture internationale du ministère de l'Intérieur : vers le monde arabe d'un côté, vers le reste de l'Europe de l'autre. Il ne s'agit pas de les opposer, ni surtout de croire que la préoccupation européenne dominerait, pour moi, l'intérêt pour le monde arabe.
Ce serait plutôt l'inverse car les relations entre la France et les immigrés, notamment ceux provenant des pays de la Ligue arabe, sont anciennes, constantes, omniprésentes, réelles, au cur même de notre société. Les relations avec nos voisins européens sont, d'une certaine manière, moins intimes. Les échanges économiques sont probablement plus intenses avec nos voisins européens, mais les échanges humains sont en réalité moins denses qu'avec les pays arabes et le brassage entre les peuples des différentes nations européennes est bien plus limité que le brassage entre la population française et celle de vos pays, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs.
L'Europe est plutôt un cadre commun de nos relations avec les pays arabes. Le partenariat euro-méditerranéen, comme vous le savez, constitue une réalité : depuis six ans, il associe huit pays membres de la Ligue arabe aux quinze Etats membres de l'Union européenne.
Il est vrai qu'il s'agit d'un projet historique et ambitieux qui n'a pas encore donné, loin de là, tous ses fruits. Ce processus prévoit en effet un triple partenariat: politique, économique, humain.
Sur le plan politique, l'objectif d'une zone de paix et de sécurité est aujourd'hui battu en brèche par les événements du Proche-Orient et par le sort tragique du peuple palestinien, qui demeure victime d'une situation de violence et de l'absence d'une solution politique à ses justes et légitimes aspirations.
Sur le plan économique, face à l'aggravation insupportable de la misère et des inégalités, I 'Europe a le devoir d'apporter une réponse politique et économique claire. Nous ne pouvons accepter une diminution de l'aide au développement ou la montée de l'indifférence devant une partie de l'humanité ravagée par l'injustice politique, la guerre ou la famine. Je pense notamment aux sanctions économiques disproportionnées sur l'Iraq ou à la situation politique en Palestine. Ceci même si l'Iraq, par exemple, a aussi une part du chemin à faire pour mieux se réinsérer dans la communauté internationale. Je pense en particulier aux réponses qui sont attendues sur le sort des prisonniers et des disparus de la guerre du Golfe, questions essentielles pour le Koweït et l'Arabie Saoudite, notamment.
L'Europe prévoit, vous le savez, de consacrer environ 13 milliards d'euros aux douze pays méditerranéens au cours des sept prochaines années.
Je tiens à souligner que le développement économique harmonieux dans les pays du sud de la Méditerranée est une condition essentielle et prioritaire, à mes yeux, pour traiter sur le fond les problèmes d'immigration. Seul ce développement partagé pourra assurer la stabilité des populations et des échanges humains harmonieux entre le Nord et le Sud. I1 s'agit aussi, par ce qu'on appelle le co-développement, de rechercher une meilleure cohérente entre migration et développement, par exemple en rendant les migrants acteurs à part entière de la politique de développement. Le co-développement, c'est d'abord un dialogue renforcé avec les pays de départ ; c'est aussi une volonté de rendre plus fluide la mobilité, c'est-à-dire d'améliorer les conditions de circulation des migrants qui souhaitent participer réellement au développement de leur pays, sans pour autant être gênés pour séjourner librement en France.
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, j'ai mentionné seulement quelques axes de réflexion mais, avant toute chose, je souhaite vous écouter et partager avec vous un moment d'amitié et de convivialité./.
(Source http://www.doc.diplomatie.gouv.fr, le 17 mai 2001)
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs des pays membres de la Ligue arabe,
Je suis heureux de vous accueillir ici. Je tenais à poursuivre avec votre Doyen, M. Aly Maher, cette initiative de nous réunir, qui tend désormais à devenir une tradition. M. Chevènement avait été votre invité, puis vous avait reçu ici même. Je souhaite poursuivre cette concertation qui doit caractériser nos relations et qui est utile pour mieux comprendre nos positions, partager nos débats, en bref, pour maintenir ou renforcer encore nos relations d'amitié et de confiance.
La France entretient avec vos pays, vous le savez bien, des relations anciennes d'amitié, de franchise et de confiance, qui viennent de notre histoire commune, de la géographie qui nous lie, des échanges économiques nombreux entre nos pays, et surtout, pour ce qui me concerne, de nos échanges humains, culturels et religieux. Au sujet de ces échanges humains, je voudrais évoquer avec vous, en guise d'introduction aux questions que vous souhaiterez me poser lors du déjeuner, quelques réflexions sur trois sujets qui me tiennent à cur :
- la circulation ou le séjour en France des ressortissants de vos pays,
- lorsqu'ils souhaitent demeurer en France, leur intégration, notamment sociale, culturelle, religieuse, mais plus globalement encore leur épanouissement dans notre société,
- et enfin, pour finir, j'évoquerai la dimension européenne et, notamment, le partenariat entre l'Europe et les pays de la Méditerranée.
1 - Sur le premier point que j'ai mentionné, qui concerne la circulation des hommes et des femmes entre vos pays et le mien, c'est évidemment surtout avec les pays du Maghreb, mais aussi avec d'autres pays, par exemple le Liban, que mon ministère a une relation étroite et même, parfois, une gestion commune. J'étais la semaine passée au Maroc et, en février dernier, en Algérie, précisément pour traiter de ces sujets. Je dirai seulement qu'un de nos objectifs communs est bien de faciliter la circulation des hommes dans les deux sens.
La France a fait déjà beaucoup pour faciliter ces échanges, par le nombre croissant de visas notamment. Dans le même temps, lorsque, à titre beaucoup plus exceptionnel heureusement, il devient parfois nécessaire, pour des raisons tenant surtout au respect de la légalité ou encore à la sécurité publique, de reconduire certains étrangers à la frontière, nous avons aussi besoin d'une coopération plus facile avec vos consulats en France. Les progrès doivent être partagés.
Mais surtout, au-delà des cas individuels, je tiens à souligner que nous sommes bien conscients que la France a beaucoup à gagner à ces échanges humains, à l'accroissement de la circulation des hommes, de même que mon pays est bien conscient aussi de tout ce qu'il a reçu de vos pays, de tout ce que vos ressortissants lui ont donné grâce à leur volonté de vivre en France, d'y travailler, de s'y exprimer et d'enrichir ainsi notre savoir, notre culture, nos sports, notre économie et, en fait, notre société.
Sur la question de l'immigration, je crois qu'il faut écarter d'emblée deux points de vue extrêmes, deux démagogies : d'une part, l'idée d'une immigration zéro, totalement irréaliste et, d'autre part, celle d'une ouverture généralisée des frontières qui ne tiendrait aucun compte des capacités d'intégration sur le plan de l'emploi, du logement, des structures d'accueil, notamment scolaires, sociales et même des opinions publiques. Je suis convaincu que cette question migratoire demeurera l'un des grands enjeux du XXIème siècle. L'Europe va continuer d'accueillir un grand nombre de migrants. Elle doit accepter, ou plutôt se réjouir et s'enrichir d'un certain "métissage". Mais elle doit aussi savoir maîtriser les flux migratoires dans le respect des lois et du modèle de citoyenneté égal pour tous auquel nous sommes attachés. Déjà 100 000 migrants s'installent légalement en France chaque année, principalement au titre du regroupement familial.
2 - Je souhaite donc pour ces étrangers qui s'installent en France à titre temporaire ou pour devenir Français, que mon ministère puisse faciliter leur accueil et leur intégration. Je ne conçois pas l'intégration comme une voie moyenne entre assimilation et une simple insertion. I1 s'agit d'un processus spécifique. Notre conception est fondée sur l'égalité des personnes qui s'inscrit dans notre histoire et dans nos principes. A mon avis, elle va bien plus loin, pour l'épanouissement des personnes, que l'affirmation des droits des communautés minoritaires.
D'autres pays mettent 1'accent sur cette conception communautariste qui n'est pas la nôtre. Je crains que l'idéologie qui peut se construire sur le thème du droit à la différence ne tende, en fait, qu'à aggraver ces différences et à masquer aux immigrés la réalité de leur destin qui est de trouver une place harmonieuse dans la population d'accueil. Le communautarisme débouche souvent sur l'incompréhension réciproque et l'anxiété mutuelle. Pour nous, chaque homme, quelle que soit son origine ou sa religion, aspire avant tout à être pleinement reconnu comme un égal, sans aucune forme de discrimination, dans la société qui l'accueille.
Mais l'intégration réussie n'est pas, bien sûr, la destruction des valeurs culturelles, linguistiques, familiales ou religieuses, qui susciterait le désarroi et la souffrance.
Dans ce contexte, je voudrais vous parler de l'état d'avancement de la Consultation des Musulmans de France. J'avais indiqué clairement, dès mon entrée en fonction, que j'entendais poursuivre cette entreprise importante, initiée par mon prédécesseur M. Jean-Pierre Chevènement, il y a maintenant plus d'un an et demi.
Les buts que nous recherchons sont clairement établis : il s'agit, vous le savez, d'aider les fidèles du culte musulman à parvenir à un minimum d'organisation commune sur un plan régional et national, et de favoriser la naissance d'une instance représentative pour qu'un dialogue normal s'installe entre celle-ci et les pouvoirs publics. Ainsi, le culte musulman, devenu, vous le savez aussi, le second en importance par le nombre de ses fidèles dans notre pays, doit-il trouver sa juste place parmi l'ensemble de ceux qui y sont pratiqués dans notre pays.
Pour autant, il ne s'agit nullement d'isoler ces musulmans de "l'Oumma", la communauté musulmane mondiale, ni de les couper de leurs racines, eux qui sont très majoritairement issus des pays que vous représentez. Nous comprenons donc parfaitement l'intérêt soutenu que vous pouvez porter à la Consultation, et je suis particulièrement heureux de vous en parler aujourd'hui.
Quel que soit son aboutissement final, on peut d'ores et déjà tirer de cette Consultation un bilan globalement positif, en dépit des difficultés sans doute inévitables qui ont surgi en chemin.
- Au nombre des avancées incontestables, je voudrais d'abord citer l'adoption du texte des "Principes et fondements juridiques régissant les rapports entre le culte musulman et les pouvoirs publics", adopté il y a maintenant plus d'un an. Chacun a pu vérifier que la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l'Etat, qui constitue le socle de la laïcité en France, était à même, sans modification, d'intégrer le culte musulman, et qu'elle conservait donc toujours sa pertinence aujourd'hui.
- Je voudrais surtout porter au crédit de la Consultation, cette habitude de travailler ensemble qui a été prise, d'abord entre les différentes sensibilités musulmanes, ensuite entre celles-ci et l'administration centrale. J'en veux pour preuve la façon très positive dont a été surmontée début mars, lors de la célébration de l'Aïd el Kebir, la grande difficulté liée aux mesures prises pour faire face à la menace de propagation en France de l'épizootie de fièvre aphteuse qui s'est répandue en Grande-Bretagne. Les Musulmans engagés dans la Consultation se sont comportés en véritables partenaires à cette occasion, et je suis heureux de rendre ici devant vous une nouvelle fois hommage à ce comportement très positif.
Sur la question centrale de la conception de l'instance représentative, nous avons laissé les représentants des Musulmans organiser leurs débats comme ils l'entendaient, en cantonnant l'administration à un rôle de "témoin de bonne foi" ou de "facilitateur". Les débats ont été longs et difficiles entre les différentes composantes de la Consultation (fédérations, mosquées indépendantes, personnalités qualifiées). Ils durent maintenant depuis un an.
Au moment où je m'adresse à vous, un accord définitif semble enfin en vue. La logique et l'intérêt bien compris de tous, voudraient qu'il le soit très rapidement et que les Musulmans prennent leurs responsabilités dans ce sens. Sinon, je le dis avec franchise, l'administration qui a montré beaucoup de patience, serait fondée à conclure que la volonté d'aboutir n'existe pas ou pas assez chez les membres de la Consultation, et elle devrait en tirer les conséquences quant au niveau et à la forme de son engagement actuel.
Mais, ce n'est pas l'hypothèse que je privilégie. Je veux croire que nous allons pouvoir entrer maintenant dans la troisième phase de la Consultation : celle de l'organisation de l'élection d'instances représentatives au niveau régional et au niveau national, à partir de l'ensemble des lieux de culte. Là encore, l'administration se devra d'être présente pour aider le processus à aller jusqu'à son terme, toujours sans aucunement se substituer aux Musulmans.
Les objectifs de la Consultation, l'intégration et même la banalisation du culte musulman au sein de notre société, seraient dès lors atteints. Ils répondent à coup sûr aux aspirations de la très grande majorité des fidèles de ce culte dont plus de la moitié est d'ores et déjà, faut-il le rappeler, de nationalité française.
J'ai la conviction que la France se montre dans cette action volontariste exceptionnelle, fidèle au meilleur de ses traditions. La compréhension et l'appui de vos pays respectifs à cette démarche, tels qu'ils se sont manifestés jusqu'à présent, constituent à coup sûr un facteur important de sa réussite. Soyez en tous par avance remerciés.
3 - Je souhaite également vous dire un mot sur deux dimensions essentielles de l'ouverture internationale du ministère de l'Intérieur : vers le monde arabe d'un côté, vers le reste de l'Europe de l'autre. Il ne s'agit pas de les opposer, ni surtout de croire que la préoccupation européenne dominerait, pour moi, l'intérêt pour le monde arabe.
Ce serait plutôt l'inverse car les relations entre la France et les immigrés, notamment ceux provenant des pays de la Ligue arabe, sont anciennes, constantes, omniprésentes, réelles, au cur même de notre société. Les relations avec nos voisins européens sont, d'une certaine manière, moins intimes. Les échanges économiques sont probablement plus intenses avec nos voisins européens, mais les échanges humains sont en réalité moins denses qu'avec les pays arabes et le brassage entre les peuples des différentes nations européennes est bien plus limité que le brassage entre la population française et celle de vos pays, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs.
L'Europe est plutôt un cadre commun de nos relations avec les pays arabes. Le partenariat euro-méditerranéen, comme vous le savez, constitue une réalité : depuis six ans, il associe huit pays membres de la Ligue arabe aux quinze Etats membres de l'Union européenne.
Il est vrai qu'il s'agit d'un projet historique et ambitieux qui n'a pas encore donné, loin de là, tous ses fruits. Ce processus prévoit en effet un triple partenariat: politique, économique, humain.
Sur le plan politique, l'objectif d'une zone de paix et de sécurité est aujourd'hui battu en brèche par les événements du Proche-Orient et par le sort tragique du peuple palestinien, qui demeure victime d'une situation de violence et de l'absence d'une solution politique à ses justes et légitimes aspirations.
Sur le plan économique, face à l'aggravation insupportable de la misère et des inégalités, I 'Europe a le devoir d'apporter une réponse politique et économique claire. Nous ne pouvons accepter une diminution de l'aide au développement ou la montée de l'indifférence devant une partie de l'humanité ravagée par l'injustice politique, la guerre ou la famine. Je pense notamment aux sanctions économiques disproportionnées sur l'Iraq ou à la situation politique en Palestine. Ceci même si l'Iraq, par exemple, a aussi une part du chemin à faire pour mieux se réinsérer dans la communauté internationale. Je pense en particulier aux réponses qui sont attendues sur le sort des prisonniers et des disparus de la guerre du Golfe, questions essentielles pour le Koweït et l'Arabie Saoudite, notamment.
L'Europe prévoit, vous le savez, de consacrer environ 13 milliards d'euros aux douze pays méditerranéens au cours des sept prochaines années.
Je tiens à souligner que le développement économique harmonieux dans les pays du sud de la Méditerranée est une condition essentielle et prioritaire, à mes yeux, pour traiter sur le fond les problèmes d'immigration. Seul ce développement partagé pourra assurer la stabilité des populations et des échanges humains harmonieux entre le Nord et le Sud. I1 s'agit aussi, par ce qu'on appelle le co-développement, de rechercher une meilleure cohérente entre migration et développement, par exemple en rendant les migrants acteurs à part entière de la politique de développement. Le co-développement, c'est d'abord un dialogue renforcé avec les pays de départ ; c'est aussi une volonté de rendre plus fluide la mobilité, c'est-à-dire d'améliorer les conditions de circulation des migrants qui souhaitent participer réellement au développement de leur pays, sans pour autant être gênés pour séjourner librement en France.
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, j'ai mentionné seulement quelques axes de réflexion mais, avant toute chose, je souhaite vous écouter et partager avec vous un moment d'amitié et de convivialité./.
(Source http://www.doc.diplomatie.gouv.fr, le 17 mai 2001)