Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur le service public de la culture et la décentralisation culturelle et l'inégalité d'accès à la culture, Lyon le 18 mai 2001.

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Intervenant(s) : 
  • Michel Duffour - Secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle

Circonstance : Colloque "Culture et service public" à Lyon le 18 mai 2001

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,

Les idées neuves, c'est bien connu, ne sont pas toujours les plus récentes. La belle idée de service public dément-elle cet adage? Sa profondeur historique est telle, que nul ne saurait ce que serait sans elle le visage de la société française. Depuis Colbert, elle est constitutive de l'identité nationale, dans son historicité même. Elle figure parmi ces deux ou trois choses essentielles qui font que la France est la France.
Mais le temps ne fait rien à l'affaire, cela aussi est bien connu : l'idée de service public reste une idée neuve, en dépit ou plutôt grâce à cette longévité. Cette affirmation peut paraître arbitraire, incantatoire, soit. Alors, il convient de se tourner vers nos concitoyens, de s'en remettre à eux. A cet égard, comment ne pas voir que quelque chose est en train de se produire ? Le mouvement social de 1995 a eu l'écho que l'on sait. L'engagement des salariés du service public, lors de la tempête de décembre 1999 reste dans toutes les mémoires. Et aujourd'hui même, les valeurs portées publiquement par les sages-femmes interrogent toute la société, le ministre que je suis y compris.
Le service public de la culture, auquel vous consacrez ce colloque, n'échappe pas à l'air du temps. Toutes les enquêtes d'opinion révèlent l'attachement des français à son égard, leur désir de lui octroyer les moyens nécessaires à ses missions.
A ce titre, la portion congrue, consentie à la culture dans le discours politique, lors des élections municipales, a de quoi surprendre. Elle est à rebours du mouvement de la société, de ses préoccupations, de ses attentes.
C'est d'autant plus fâcheux que les enjeux et les questions s'aiguisent au gré des turbulences que nous traversons. Je pense en particulier au rapport à instaurer entre le service public de la culture et le marché. Certains affichent une confiance absolue envers ce dernier. Il aurait ce qui manque au service public de la culture pour réussir. C'est aller un peu vite en besogne, chacun en conviendra. Le développement sans précédent des industries culturelles a-t-il entamé de manière notoire l'archaïsme persistant de l'inégalité d'accès à la culture ? A l'évidence non.
Ce n'est pas une surprise au demeurant, puisque telle n'est pas sa vocation. Le reconnaître, c'est aussitôt mesurer la légitimité et la modernité de l'idée d'un service public de la culture.
Encore faut-il bien évidemment que cette idée s'incarne dans les politiques publiques de la culture. Depuis mon entrée au gouvernement, je me suis fixé sans relâche sur ce cap. Permettez-moi d'en tirer quelques enseignements en guise de contribution à votre réflexion. Le premier porte sur le défi de la démocratie culturelle dont vous avez traité ce matin même. Il ne vient pas prendre la relève de celui de la démocratisation culturelle, car il en est le prolongement, l'aboutissement.
Aujourd'hui, soulever le problème de l'égalité d'accès à la culture, c'est poser simultanément celui de l'égalité de toutes les formes, de toutes les expressions culturelles et artistiques. Opposer démocratie et démocratisation culturelle relève sans aucun doute du contresens. Ces deux enjeux se confortent l'un l'autre, jusqu'à se confondre.
A mes yeux, leur réconciliation est au coeur de l'entreprise de la décentralisation cultuelle. Elle lui inspire son sens, sa direction, au moment même où nous en entamons la seconde étape de ce processus.
En matière de culture, les inégalités géographiques recouvrent les inégalités sociales. Le service public de la culture est un atout irremplaçable pour y remédier. Rien de bon ne se fera sans lui. Mais lui-même n'y parviendra qu'en se décentralisant. Et c'est bien là que se situe la nouveauté radicale : le service public de la culture ne peut plus continuer à être la seule affaire de l'Etat. Ce n'est d'ailleurs d'ores et déjà plus le cas. L'effort consenti par les collectivités locales ne se résume pas à des chiffres, aussi éloquents soient-ils, il se traduit quotidiennement dans la vie de nos concitoyens. D'une certaine manière, en effet, la décentralisation culturelle est déjà là, elle a bien eu lieu.
Mais c'est justement ce changement d'ère qui nécessite au plus vite des clarifications, de réelles harmonisations entre l'Etat et ses partenaires. Si elles n'interviennent pas, beaucoup d'efforts pourraient être compromis. Il en va ainsi de la complexité croissante des politiques publiques. Toutes ont un volet culturel, ou pour le moins des répercussions dans le champ culturel et artistique.
Pour éviter l'empilement, la confusion, l'inefficacité et la dispersion, une mise en cohérence est nécessaire. Soit dit au passage, c'est la raison d'être des protocoles de décentralisation culturelle que je conduis.
La décentralisation invite à refonder la notion de service public de la culture. Comme chacun sait, l'universalité est attachée à cette notion. En se décentralisant, le service public de la culture conjugue l'universel et le particulier, tisse un nouveau lien entre ces deux valeurs, dans le champ qui lui est propre. C'est la voie à emprunter pour que l'accès de tous à la culture se fasse dans le respect de la richesse et de la diversité culturelle.
On m'opposera que cet objectif ne s'atteint pas par génération spontanée. Je suis tout disposé à en convenir. Dans le champ artistique et culturel comme partout ailleurs, la proximité ne vaut rien si elle ne permet pas aux citoyens d'élaborer et de contrôler les politiques culturelles. Ce qui est vrai à l'échelle de l'Etat ne l'est pas moins à celle des collectivités locales. Là encore, l'Etat et les élus locaux sont tenus de travailler de concert, en se fixant sur l'horizon de la démocratie participative.
Il revient aux usagers d'être les auteurs de la modernisation du service public de la culture. A l'Etat et à ses partenaires incombent la responsabilité d'en créer les conditions. A ce titre, il faut savoir écouter l'une des principales attentes des français.
Le service public de la culture doit remplir sa mission d'éducation artistique. Il ne s'agit pas d'une mission parmi d'autres. Elle est tout à la fois la fin et le moyen de la démocratie et de la démocratisation cultuelle. C'est le fil rouge de l'action menée en commun par le ministère de la culture et celui de l'éducation nationale. Nul n'ignore qu'il reste beaucoup à faire en ce domaine.
Je voudrais pour terminer parler brièvement de ceux sur qui reposent les missions de service public de la culture. Chacun sait la créativité, la compétence et la rigueur dont font preuve ces salariés. Il est dès lors absurde, et pas seulement injuste, de s'attaquer à leur statut. Car ce statut n'est rien d'autre que la reconnaissance en acte de leur utilité sociale : un ensemble de droits indispensables pour s'acquitter de ses devoirs. Préserver et moderniser ce statut, ce n'est pas flatter des intérêts catégoriels, mais conforter les agents dans leur mission.
Beaucoup d'usagers le ressentent mieux que je ne parviens à le dire. Décidément, " les temps changent ", comme l'a écrit Mc Solar. La belle idée de service public est de retour...

(source http://www.culture.gouv.fr, le 21 mai 2001)