Déclaration de M. Éric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, sur la défense des valeurs de la laïcité, à l'Assemblée nationale le 2 février 2010.

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Circonstance : Colloque sur "les défis méditerranéens", organisé par le Cercle amical pour La Méditerranée (CAMED), à l'Assemblée nationale le 2 février 2010

Texte intégral

Madame la Présidente,
Monsieur le Ministre, Cher Bernard,
Monsieur le Secrétaire Général, Boutros Ghali
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
D'abord toutes mes excuses d'interrompre une table ronde pour intervenir sur un thème que vous ne traiterez que cet après-midi, mais Madame la Présidente vous m'aviez demandé d'intervenir c'était le seul moment dans ma journée où je pouvais le faire et je dois être à 11h05 pour répondre à des questions au Sénat donc c'est très circonscrit comme intervention je vous en présente mes excuses.
Je suis très heureux néanmoins de participer à ce colloque sur la Méditerranée certains d'entre vous dans la salle savent combien je suis attaché à la Méditerranée et j'ai même dit dans un débat l'autre jour, ça a choqué quelques personnes, que dans la hiérarchie d'appartenance qui est la mienne et qui est celle de beaucoup d'entre nous, je me sentais français, méditerranéen, européen. Et le fait, que je dise, contrairement à beaucoup de concitoyens, que je me sens français, méditerranéen avant de me sentir européen m'a voulu un certain nombre de questions, d'interrogations, de mails ou de lettres que d'ailleurs je trouve légitime en partie mais qui en disent long sur ce qu'est l'identité de certains d'entre nous et la mienne assumée.
Je veux aussi souligner l'engagement du gouvernement sous l'impulsion du Président de la République dans le projet d'Union Pour la Méditerranée. J'ai dit là aussi que parmi les oeuvres, les réalisations du gouvernement auquel j'appartiens, l'UPM est l'un des projets auquel je suis personnellement plus attaché. Et j'ai été très heureux d'entendre le Président de la République exprimer salle Gaveau au soir même de son élection, référence peut-être aussi à ce qu'avait fait François Mitterrand en 1981, quand il avait dit au soir de son élection qu'il se tournait vers d'autres peuples.
J'ai entendu des éléments du débat à l'instant, oui l'Union Pour la Méditerranée a été touchée, impacté par le conflit israélo-palestinien et les événements de Gaza, c'est une évidence. Il n'empêche que lorsqu'on discute avec les dirigeants de la rive du Sud de la Méditerranée ils nous disent leur attachement et un attachement qui est un attachement très concret. Au fond j'aime bien le message que nous adresse les dirigeants maghrébins mais au-delà du Maghreb, les dirigeants méditerranéens, ils nous disent au fond arrêtez de nous raconter la Méditerranée de mer commune, X milliers d'années et millénaire d'histoire commune, nous avons une jeunesse, nous avons besoin d'emplois, nous avons besoin d'activités, ce qui nous intéresse c'est concrètement ce que l'on peut faire ensemble. Pour la plupart d'entre eux l'histoire coloniale et post-coloniale est non pas oubliée mais dépassée, et ce qui les intéresse c'est tout simplement ce que nous pouvons faire concrètement ensemble et je crois que c'est la bonne façon d'appréhender cela.
Moi-même j'ai essayé et je vais essayer d'apporter ma contribution à cela. C'est pour ça que le 14 décembre dernier, certains d'entre vous était dans la salle et je pense notamment à Jean-Louis Guigou, j'ai annoncé la création d'un Office méditerranée de la jeunesse qui verra le jour en 2011. J'ai convaincu 12 de nos partenaires rive Nord et rive Sud de la Méditerranée d'essayer de faire, ce que je disais à l'instant, concrètement sur la Méditerranéen, c'est-à-dire organiser un échange pour nos jeunes étudiants et jeunes professionnels pour essayer de faire une Union Pour la Méditerranée concrètement et pas seulement dans les mots et j'imagine que tout ça vous l'évoquerez et je l'évoquerai dans la journée.
Et Madame Khoury vous avez placée mon intervention sous le titre « Identité et Laïcité » anticipant une table ronde et encore une fois merci de me permettre de le faire à brut et sans respecter votre calendrier. Je veux dire deux ou trois choses simples auxquels je crois profondément.
D'abord je revendique, comme beaucoup d'entre vous, le principe de laïcité, je la crois ouverte et tolérante cette laïcité, certains qualificatif paraissent inutiles, pour moi ils marquent bien la distinction avec une conception de la laïcité qui serait par nature hostile aux religions. Ensuite il y a historiquement une exception française, je continue de penser que la laïcité est un principe universel. Enfin dans le débat sur l'identité nationale que j'ai initié, je voudrai vous dire pourquoi je crois que j'ai vu la confirmation de l'attachement des français à ce principe de laïcité. Ils le vivent comme l'un des points cardinaux, l'un des éléments structurant de notre identité nationale.
La conception de la laïcité à laquelle je suis attaché est d'abord républicaine c'est-à-dire pragmatique et exigeante. Le principe de neutralité de l'Etat est intangible, l'Etat ne prend pas position pour une option philosophique ou religieuse. Il ne subventionne ni ne salarie aucun culte, ces fonctionnaires ne font pas état et n'agissent pas selon leurs opinions ou leurs croyances. C'est l'application de la loi de 1905 qui reprend et consacre un principe de séparation des pouvoirs temporels et spirituels qui plonge ses racines aux origines même de la nation française.
Et la laïcité n'est pas pour autant le refus des croyances. L'Etat n'est pas en lutte contre les cultes, notre espace public a été façonné par 2000 ans d'histoire, il n'y a aucune raison de supprimer du paysage de nos villes les églises, les synagogues, les temples, les croix et plus récemment les mosquées.
Il n'y a donc plus de raison de nourrir un conflit avec les cultes. Le Président de la République l'a affirmé dans sa tribune dans le journal Le Monde du 9 décembre dernier, il disait je cite : « La laïcité ce n'est pas le refus de toutes les religions mais le respect de toutes les croyances », et on pourrait ajouter la liberté de croire et de ne pas croire, de ne pas croire, parce que c'est aussi cela la laïcité un certains nombre d'entre nous sont agnostiques ou athés et ça aussi c'est la laïcité. C'est Nicolas Sarkozy qui a créé avec les musulmans le Conseil français du culte musulman, c'est inscrit d'ailleurs dans une tradition ancienne par exemple celle de Napoléon avec les juifs de France.
Quand à la loi de séparation de 1905 rappelons-nous que Clémenceau, laïque farouche, a su mettre fin aux inventaires pour pacifier la Nation le principe de laïcité a donc toujours été appliqué avec exigence et pragmatisme.
Je souhaiterai insister sur les déclinaisons du principe de laïcité que sont la discrétion et la tolérance de l'expression des opinions et des croyances dans l'espace public. Dans l'espace public laïque et républicain, chacun doit savoir se garder de toute ostentation et de toute provocation. Ca ne veut pas dire masquer sa religion, masquer sa croyance mais en même temps respecter les autres. Cet espace public où les citoyens se rencontrent et échangent n'est pas un lieu où les différences doivent s'effacer mais le lieu où elles doivent s'exprimer et cohabiter. La diversité des identités n'est pas un danger pour notre nation républicaine c'est l'uniformité qui la menacerait parce qu'elle fait perdre aux individus leurs repères et susciterait ainsi la frustration. L'éradication de toute expression du pouvoir spirituel dans l'espace public sur le modèle de ce que fut le régime stalinien n'est pas préférable à la confusion entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel.
Le fait que la religion relève de la vie privée n'implique absolument pas qu'il soit interdit d'en montrer des signes dans l'espace public, parce que l'espace public n'est pas la simple juxtaposition des espaces privés c'est un lieu d'échange, d'échangeur social, qui a précisément pour objectif de mettre en présence des citoyens dans leur diversité, la diversité de leurs cultures, de leurs origines, de leurs religions à visage découvert. La civilisation occidentale, la civilisation française requiert le face à face, les yeux dans les yeux, l'échange à visage découvert. La différence de chaque individu est la marque de son humanité. Et cette différence doit être respectueuse de la différence de l'autre, comme l'écrit Anna Lindt « l'homme n'existe pas, il existe des hommes ».
La deuxième chose c'est que, la laïcité n'est pas qu'une exception française, elle est une exception française d'un point de vue historique seulement, notre conception de la laïcité puise ses sources dans le christianisme. Marcel Gaucher dans son fameux ouvrage « Le désenchantement du monde » a qualifié le christianisme de religion de la sortie de la religion. Mais cela ne nous dit rien de la spécificité française par rapport aux autres pays européens par exemple.
Regardons rapidement notre histoire on trouve le gallicanisme cette tendance française à chercher l'indépendance de son clergé catholique à l'égard de Rome. Plus encore, on découvre ou on retrouve l'édit de Nantes en 1581 par Henri IV, car la France a cette particularité d'avoir permis la cohabitation de plusieurs religions. Alors que l'Europe allait accoucher elle du principe telle religion, telle prince. Alors oui il y a une exception historique française qui a conduit jusqu'à la loi de 1905 et dont les principes nous gouvernent toujours.
Et si la France est le pays de la laïcité, ce principe n'est évidement pas inaccessible à d'autres. J'en veux pour preuve historique et le dire ici n'est pas le fait du hasard, la Turquie de Mustafa Kemal Atatürk. C'est Atatürk qui inspiré sans doute par la Révolution française, en tout cas c'est ce que nous aimons à croire, instaure la laïcité en Turquie. Il sépare le pouvoir politique, le sultanat, du spirituel, le Khalifat. Il inscrit la laïcité dans la Constitution.
Alors qu'est-ce qu'il y a d'extraordinaire dans cette révolution ? D'abord qu'elle se passe en terre musulmane, qui oserait, après cela, dire que l'Islam serait par nature incompatible avec la République. Ensuite cette révolution turque montre que la laïcité va de pair avec le progrès des moeurs, Atatürk donne, par exemple, aussi le droit de vote aux femmes.
Je crois que la laïcité est un principe universel qui porte la démocratie et le progrès. Elle est pour nous le principe cardinal de la République car en demandant, à chaque citoyen, de s'abstraire de ses appartenances particulières elle permet le dialogue dans une relation d'égal à égal, elle permet aussi de dialoguer en réseau. C'est pourquoi la laïcité fonde une République démocratique, d'égalité et de progrès.
Cet idéal tous les peuples et tous les individus sont susceptibles de l'exiger car il assure la dignité de chaque personne, de chaque peuple. J'ajoute que le principe de laïcité devient toujours plus impératif, selon moi, dans un monde unifié, globalisé. C'est parce que les hommes bougent, passent les frontières, s'installent dans différents pays que le besoin de dialogue devient nécessaire. Et c'est selon moi la laïcité qui permet à chacun de s'abstraire de ces déterminismes pour rentrer en relation avec l'autre.
C'est pourquoi je crois à l'extension progressive avec le temps de la laïcité dans le monde et en particulier à la sphère méditerranéenne. Même si je sais et je vis tous les jours quand je rencontre mes collègues, ministres européens en charge de ces questions nous restons pour l'heure une exception, même si je note que beaucoup sont en train d'évoluer de ce point de vue là. Je vois des débats qui ont concernés la Belgique, par exemple, il y encore quelques jours, quelques semaines et où les belges se disent finalement est-ce que la laïcité à la française ce n'est pas un concept d'avant-garde et pas un concept entre guillemets ringard comme on avait pu l'entendre il y a encore quelques années ou quelques décennies ?
Alors soyons réaliste, certains testent notre détermination. L'un de ces tests c'est bien sûr celui du voile intégral, que d'autres ont résumé sous le vocable à mon avis inapproprié de la burqa. La question du voile intégral n'a rien à voir avec la question de savoir si l'Islam est capable ou non de s'adapter à la laïcité. Les différents représentants de l'Islam comme les théologiens, nous disent que ce voile intégral n'est pas une exigence du Coran ou de la tradition islamique. Enfin le gouvernement n'a pas à dire ce qui est religieux et ce qui ne l'est pas. Et quand les représentants du culte musulman en France nous disent explicitement et officiellement, le voile intégral n'a rien à voir avec notre tradition, le gouvernement et les parlementaires peuvent l'entendre et l'intégrer. Il s'agit selon nous d'une dérive intégriste récente qui n'a pas plus d'une vingtaine d'années.
Ce n'est pas la raison principale pour que la République agisse, même si elle doit le faire avec tact et mesure. Le voile intégral n'est pas l'alpha et l'oméga des questions de laïcité ou même de politique ne France aujourd'hui. Il nous faut trouver la bonne mesure entre reconnaître les problèmes de principe que ça nous posent et les raisons pour lesquelles nous voulons agir et en même temps ne pas en faire un épouvantail et surtout pas une espèce d'assimilation qui poserait un problème et confondre voile et religion musulmane ce qui n'a strictement rien à voir.
Il ne revient pas, je le disais, à la République d'apprécier la valeur d'une tradition dans la religion, et la raison principale pour laquelle, selon nous, le port du voile intégral n'est pas acceptable en France, le Président de la République l'avait résumé en disant « il n'est pas le bienvenu » c'est parce qu'il porte atteinte à la dignité humaine. Le voile intégral traduit une conception de la condition féminine contraire à la dignité des femmes et aux valeurs fondamentales de la République.
Notre espace public est une arène sociale où les citoyens et citoyennes descendent pour se rencontrer et échanger. Le voile intégral n'est pas un signe de conviction religieuse qui serait porté dans l'espace public. Il est selon nous une mutilation de l'identité de ces femmes, mises à l'écart des rapports sociaux. Laisser déambuler dans notre espace public des femmes ainsi cloitrées ce n'est pas seulement donner libre court à l'obscurantisme et autorisé une discrimination inacceptable à l'encontre des femmes, c'est remettre en cause cette part d'humanité dont la personne humaine ne dispose pas, on n'aliène pas sa dignité dans la République française même sur une base du supposé volontaire. Nous devons réaffirmer nos principes c'est pourquoi une résolution c'est-à-dire une déclaration solennelle du Parlement ainsi qu'une loi d'interdiction dont le périmètre est encore à l'étude seront adoptées par le Parlement.
Je conclus cette intervention sur l'attachement des français à la laïcité, si vous allez sur le site du débat que j'ai créé www.débatidentiténationale.fr j'insiste car si vous y allez vous ferez justice des bêtises, des calomnies, qui ont été racontées sur le sujet. Si vous y allez vous verrez que ce n'est pas le défouloir raciste, vous verrez que c'était absurde de dire qu'un débat conçu pour rassembler, pour unir, pour dire ce qui fait la communauté nationale, n'était pas tourné contre les français d'origine étrangère, les étrangers ou pire encore les musulmans, c'est une absurdité. Et si vous allez sur le site vous verrez la générosité, l'ouverture d'esprit de nos concitoyens, vous verrez les déclarations très émouvantes des francophones, des francophiles, des étrangers qui disent leur attachement à la langue françaises, à la culture française, à l'universalité de nos valeurs. Je répète www.identiténationale.fr.
Cette la??cité ne doit pas être perçue celle revendiquée par nos concitoyens comme un rempart, une digue exprimant une opposition à d'autres religions. Ce serait un contresens d'entendre cela de nos compatriotes. Il faut aussi savoir les écouter et c'était bien le but du débat que j'ai voulu lancer. Il a permis d'aborder les questions d'immigration et de religion car elles se situent au coeur de l'histoire de notre nation et de son évolution. La France a toujours été une terre d'immigration et d'intégration. Et en même temps et c'est Julien Dray qui l'a dit avec le plus de force, oui il y a une minorité de français qui ont peur de l'Islam, ce n'est pas une découverte, on le sait mais les républicains pensent qu'il faut écouter et traiter sereinement y compris des peurs d'une minorité du peuple. Pas se boucher les oreilles, les yeux et la bouche. C'est d'expliquer, de discuter, de dire non vous avez tort de confondre Islam avec islamisme, Islam avec fondamentalisme, Islam avec terrorisme, mais il faut le dire, il faut en parler, ce n'est pas la peine de voir naître un certains nombre d'abcès et de prétendre ne pas les traiter.
L'apparition de l'Islam dans la République est encore trop récente pour qu'il n'y ait pas de débat. D'autant qu'on dit qu'il y a beaucoup de musulmans en France depuis le début du siècle dernier, oui certes, mais auparavant c'était, sans blesser personne, c'était presque une religion de « dominés » au sens de ceux qui venaient travailler au départ dans de mauvaises conditions. Aujourd'hui c'est une religion voulue, revendiquée, d'entrée par quantité de nos compatriotes et qui fait et de très loin la deuxième religion de France. Donc évidemment que ça a fait bouger notre identité nationale et le visage de la France. Je suis pour ma part convaincue, que l'Islam comme les autres religions trouvera peu à peu sa place dans notre République laïque. Je dis haut et fort que je crois à la compatibilité de la religion musulmane avec les valeurs de la République française dont la laïcité. Et lorsque que je compare les sondages qualitatifs européens je me réjouis de voir que les musulmans de France sont parmi les musulmans d'Europe les plus attachés aux valeurs de leur pays et notamment pour les musulmans de France à la laïcité donc il n'y a pas d'incompatibilité, ça il faut le dire, il faut l'expliquer, il faut un peu de pédagogie, un peu de salive et j'ai essayé d'en user beaucoup ces dernières semaines avec, convenons en, un succès parfois inégal.
Il faut du temps, il faut de la tolérance, il faut de la pédagogie et de la patience et ça c'est un débat qui devrait normalement dans une Démocratie apaisée réunir tous les républicains de droite comme de gauche.
Merci, pardon d'avoir été trop long.
Source http://www.le-camed.com, le 18 mars 2010