Texte intégral
N. Demorand.- Le calendrier de la réforme des retraites a donc été précisé hier, lors du sommet social de l'Élysée. La loi c'est pour septembre et pas pour juillet, c'est un recul tactique ou un recul technique ?
Non, il y avait des positions, qui avaient été exprimées par les partenaires sociaux, différentes. Certains étaient pour aller très vite, d'autres étaient pour donner du temps. Le choix qu'on a fait, c'est de trouver le point d'équilibre entre le fait de ne pas passer à la hussarde, mais en même temps de dire clairement : cette réforme, on doit la faire en 2010.
A lire Le Figaro, ce matin, on apprend qu'il n'était pas possible en fait de passer en juillet, à cause du Conseil d'Orientation des Retraites, le COR, qui doit rendre ses dernières évaluations que mi-avril, le calendrier étant ensuite ce qu'il est, voilà, ça donne septembre et pas juillet. Donc c'est plutôt technique, comme mesure, ce n'est pas sur le fond ?
Vous savez, il est toujours possible - et vous le savez, et quand c'est nécessaire vous le dénoncez -, quand on veut passer en force, on peut toujours passer en force. Donc là, le seul souci c'est de dire : c'est un sujet, on a besoin d'avoir une vraie expertise, c'est le Conseil d'Orientation des Retraites, on a besoin d'avoir une vraie consultation des partenaires sociaux et on a besoin d'avoir un débat au Parlement. Donc le choix, c'est juste, vous avez raison, ce n'est pas de passer en force, ce n'est pas de forcer la technique, à tout prix, c'est de se donner du temps.
La promptitude à mener cette réforme, disait B. Thibault de la CGT, hier, est un signe envoyé aux grandes agences de notation. La France est à la recherche de mesures anti-dettes, pour citer un autre journal que sont Les Echos, ce matin. Que répondez-vous à ce qui était une critique dans la bouche de B. Thibault ?
La réforme des retraites elle a un seul objectif et un seul impératif d'abord : c'est de faire en sorte qu'on sauve le financement de notre régime de retraite par répartition ! Il y a un moment où il faut qu'on arrête de faire la politique de l'autruche. La démographie, d'abord tout le monde la voit physiquement autour de soi, et puis elle a évidemment un impact sur le régime de financement. Juste quelques petits points, tout simple : d'ores et déjà aujourd'hui, 1 retraite sur 10 n'est pas financée. A un horizon très proche, on va se retrouver avec 1 retraite sur 8 non financée. On avait un rapport jusque là démographique, qui faisait que pour un retraité, il y avait deux personnes qui travaillaient. Sur un horizon qui est sur les 30 ans à venir, on va se retrouver avec un retraité qui travaille seulement pour un retraité pour seulement 1,2 personne qui travaille. Donc tout le monde comprend bien que le but ce n'est pas la Grèce, le but ce n'est pas les agences de notation. Il y a un moment où il faut aussi qu'on assume nos propres défis. Le but c'est d'assurer le financement de nos retraites pour l'avenir et de le faire nous, pour que ce ne soit pas vos enfants ou mes enfants qui aient à le faire à notre place.
Ça n'a rien à voir avec la note AAA et la note qu'a la France sur les marchés financiers ?
Non, mais il y a un moment où il faut arrêter les délires. Ça a à voir avec une seule chose, c'est : est-ce qu'on est capable d'avoir des régimes de retraites qui sont financés ? Après, le fait de dire « on n'en a rien à faire d'avoir des régimes de retraite financés », « on n'en a rien à faire de nos déficits » ait un impact sur la vision de la France à l'échelle mondiale, oui. Mais il faut remettre la hiérarchie la tête à l'endroit. Le premier but c'est de financer nos régimes de retraites ; le deuxième c'est de le faire avec un équilibre entre nos recettes et nos dépenses. Et ensuite, si on ne le fait pas, évidemment si vous rentrez dans le mur, il y a un certain nombre de personnes qui vont vous dire « vous rentrez dans le mur ». Mais notre objectif c'est d'abord de ne pas rentrer dans le mur, ce n'est pas de rassurer les observateurs qui regardent la voiture France, pour faire assez simple.
On a pu lire dans la presse, L. Wauquiez, un certain nombre de choses, vous allez me dire si c'est vrai ou pas, quant aux orientations...
Ce qu'on lit dans la presse, c'est toujours vrai, par définition !
Alors voilà ! Alors justement, alors, âge légal de la retraite à 62 ans, c'est vrai ?
Alors pour dire les choses et je vais le faire tout de suite, pour que ce soit...
C'est vrai ou ce n'est pas vrai ?
Mais je vais vous dire tout de suite les choses : rien n'est arrêté. C'est-à-dire qu'il y a deux principes qui sont arrêtés : le premier, financement, on veut assurer le financement des régimes de retraite par répartition. Ca compte, si vous revenez 10 ou 15 ans en arrière, il y avait des débats sur le thème : il faut faire de la retraite par capitalisation, il faut que chacun fasse sa retraite...
Ce n'est plus à la mode ça, maintenant ?
Ce n'est pas une question de mode. C'est une question de choix politique, il y a d'autres pays pour lesquels c'est à la mode. Là, le choix, qu'on a fait c'est de dire qu'on sauve le régime de retraite par répartition. Le deuxième qui aurait pu être une autre option, c'est de dire on va baisser le niveau des retraites actuelles.
Ça c'est niet ?
Ça c'est niet aussi.
Alors 62 ans ?
Ça fait partie d'options que certains ont mis sur la table, notamment portée par le Medef, portée par un certain nombre de représentants des employeurs. Ça fait partie des sujets qui sont sur la table, pour l'instant rien n'est arrêté. Si on fait une phase de concertation, ce n'est pas pour qu'il y ait la réforme avant.
Allongement de la durée de cotisation, ça non plus, ce n'est pas acté ?
Vous allez pouvoir me la poser, je comprends, c'est normal qu'il y ait ces questions. Mais on commence par une première phase qui est de faire le diagnostic. C'est le Conseil d'Orientation sur les Retraites. Donc si on attend un diagnostic, ce n'est pas pour ensuite plier la réforme avant, voilà !
La CFDT propose une réforme d'ampleur. En gros, le raisonnement pour le simplifier à l'extrême, c'est de dire que le système des retraites français est un véritable maquis extrêmement compliqué, que les parcours de travailleurs, de salariés aujourd'hui, peuvent être aussi baroques pour le dire d'un mot, sans doute impropre. Et qu'il faudrait donc remettre énormément de lisibilité, dans toutes ces choses-là. Est-ce que ça, c'est sur la table ? Une réforme d'ampleur, de A à Z : réécrire le système des retraites français ?
Si elle a du sens, oui. Si jamais c'est juste se faire plaisir pour avoir un raisonnement intellectuel, non. Prenons quelques exemples : la Suède a fait une réforme qui va un peu dans ce sens-là. Est-ce que c'est tellement plus simple ? Les grandes réformes, c'est soit le système par points ; vous avez un point, mais quelle est la valeur de votre point ? Et ensuite, la multiplication. Ce n'est pas tellement plus transparent. Le deuxième, c'est une espèce de système notionnel - je ne vais pas rentrer dans les détails - qui grosso modo assure l'équilibre chaque année. Est-ce que ces deux systèmes vont vers plus de transparence ? Je n'en suis pas totalement persuadé. En revanche, il y a une chose dont je suis persuadé, c'est que quelle que soit la réforme des retraites qu'on fait, on doit se battre pour l'emploi des seniors. Parce que notre pays, s'il veut assurer le financement de ses retraites, il doit continuer à se mobiliser pour inverser la tendance faite depuis trop d'années, qui consiste à sacrifier l'emploi des seniors. Ça, c'est un sujet sur lequel je n'attends pas la réforme des retraites, je me bats d'ores et déjà dessus.
Qu'est-ce qu'un métier pénible, L. Wauquiez ?
Un métier pénible, pour moi - mais là encore, ça fait partie de sujet qui seront ouverts sur la négociation - c'est une double caractéristique : d'abord en soi, c'est un métier physique. Physique ça peut être - eh bien ça peut être comme vous - se lever tôt le matin. Physique ça peut être un salarié de chez Michelin, qui est amené à faire de la manutention, qui peut être lourde. Donc ça c'est une première caractéristique. La deuxième, c'est qu'individuellement, la personne à 51, 52 ans, 53, 54, 56, 57, 58, en fonction de chacun, est épuisée. Et ça, c'est ce que j'appelle la caractéristique de la pénibilité. Parce qu'on est tous différent. Vous pouvez avoir une endurance, qui est beaucoup plus forte que la mienne. Et donc la pénibilité, en tout cas, telle que je pense qu'elle doit être approchée, c'est celle qui combine à la fois la pénibilité sur un métier, et en même temps la pénibilité pour une personne. Je le dis bien, c'est une approche personnelle, il y en a d'autres, et ce sujet, fait partie de ceux qui vont être également évoqués. Pourquoi ? Parce que c'est une question d'équilibre et de justice. Et le but c'est à la fois, c'est à la fois de faire la réforme dont on a besoin, mais de la faire en ayant ce sens de la justice et de l'équilibre. Voilà !
Est-ce qu'on aura une définition ou une série de définitions claires au terme de la phase de concertation, une liste pour le dire simplement, de ce que sont les métiers pénibles ?
On va voir. Voilà, c'est, là encore, enfin vous ne comprendriez pas, qu'alors que je vous dis « dialogue social, écoute des partenaires sociaux », je plie même au micro de France Inter, la réforme à l'avance.
Non, non, bien sûr ! Mais ce n'est pas le sens de ma question, est-ce que ça va déboucher là-dessus ? Puisque c'est un sujet qui est ouvert depuis 2003 en fait, ça fait donc 7 ans, et que, voilà, c'est aussi un vrai problème, pour savoir qui part à la retraite, quand et comment ?
Là encore - et ce n'est pas pour moi une façon de botter en touche - il y a un autre défi qui est également abordé : des seniors qui sont fatigués sur la fin de leur carrière, est-ce qu'on est capable ou non, à l'intérieur de la même entreprise, de les faire évoluer, de les faire changer de poste ? Je prenais l'exemple de Michelin, ils ont essayé de faire ça, en identifiant des postes très pénibles, où il voit que des personnes qui ont plus de 50 ans sont fatiguées et ils organisent des reconversions de carrière. Ça c'est un point qui est intéressant. Parce que ça permet à la fois de gérer le maintien au travail, et en même temps de le concilier avec la pénibilité des tâches. Il y a aussi, là, une voie à explorer.
Est-ce que vous ne pensez pas, L. Wauquiez, que l'emploi des seniors pour reprendre ce thème, c'est au fond une réalité du marché du travail à la française : on rentre très tard sur le marché du travail, on en sort très tôt. Des dizaines de mesures ont été annoncées, mise en place des dernières années, sans avoir jamais réussi à régler ce problème-là. Alors faire travailler les gens plus longtemps alors que les entreprises ne les aiment pas et les mettent dehors, comment résoudre cette contradiction ?
Monsieur Demorand, on ne peut pas dire ça. On ne peut pas dire que puisque la France est la seule à s'être mise au fond du trou, que la France est la seule à la fois à sacrifier l'emploi des jeunes depuis 30 ans, qu'elle est la seule à considérer que quelqu'un de plus de 50 ans n'a pas d'avenir professionnel, alors que tous les autres pays en Europe ont une autre approche.
Oui, alors comment, c'est quoi ? C'est le génie français, ça ? C'est quoi ?
C'est la bêtise de la politique de l'emploi depuis 30 ans, et quand je dis 30 ans, c'est tout le monde. On a cru qu'on allait gérer la question du chômage en faisant de la gestion statistique : mettre les jeunes en leur disant "oh ! la, la, la, la, surtout restez plus longtemps sur les bancs de la faculté", sans d'ailleurs même, réfléchir aux débouchés en terme d'emploi. Et dire aux plus de 50 ans "n'encombrez pas nos statistiques du chômage". Il y a une seule chose, à laquelle je tiens plus que tout, dans la conduite actuelle de la politique de l'emploi, c'est qu'on ne s'amuse plus à ça. Je ne finance pas de préretraites, c'est-à-dire que je ne dis pas à des seniors : "mettez-vous de côté sur le marché du travail". Et surtout, il y a un point que je voudrais, qui soit bien clair : c'est que les seniors dont on parle, c'est souvent des demandeurs d'emploi ; c'est la personne qui a 53 ans, qui est une mère de famille, qui était dans le secteur du textile, ou d'assistante de direction, qui s'est fait licencier, et qui parce qu'elle a 53 ans, en haut à droite, ne trouve pas d'emploi. Je suis allé, il y a 10 jours sur un forum de l'emploi des seniors, vous en revenez en vous disant qu'il est temps de secouer les habitudes françaises.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 16 mars 2010
Non, il y avait des positions, qui avaient été exprimées par les partenaires sociaux, différentes. Certains étaient pour aller très vite, d'autres étaient pour donner du temps. Le choix qu'on a fait, c'est de trouver le point d'équilibre entre le fait de ne pas passer à la hussarde, mais en même temps de dire clairement : cette réforme, on doit la faire en 2010.
A lire Le Figaro, ce matin, on apprend qu'il n'était pas possible en fait de passer en juillet, à cause du Conseil d'Orientation des Retraites, le COR, qui doit rendre ses dernières évaluations que mi-avril, le calendrier étant ensuite ce qu'il est, voilà, ça donne septembre et pas juillet. Donc c'est plutôt technique, comme mesure, ce n'est pas sur le fond ?
Vous savez, il est toujours possible - et vous le savez, et quand c'est nécessaire vous le dénoncez -, quand on veut passer en force, on peut toujours passer en force. Donc là, le seul souci c'est de dire : c'est un sujet, on a besoin d'avoir une vraie expertise, c'est le Conseil d'Orientation des Retraites, on a besoin d'avoir une vraie consultation des partenaires sociaux et on a besoin d'avoir un débat au Parlement. Donc le choix, c'est juste, vous avez raison, ce n'est pas de passer en force, ce n'est pas de forcer la technique, à tout prix, c'est de se donner du temps.
La promptitude à mener cette réforme, disait B. Thibault de la CGT, hier, est un signe envoyé aux grandes agences de notation. La France est à la recherche de mesures anti-dettes, pour citer un autre journal que sont Les Echos, ce matin. Que répondez-vous à ce qui était une critique dans la bouche de B. Thibault ?
La réforme des retraites elle a un seul objectif et un seul impératif d'abord : c'est de faire en sorte qu'on sauve le financement de notre régime de retraite par répartition ! Il y a un moment où il faut qu'on arrête de faire la politique de l'autruche. La démographie, d'abord tout le monde la voit physiquement autour de soi, et puis elle a évidemment un impact sur le régime de financement. Juste quelques petits points, tout simple : d'ores et déjà aujourd'hui, 1 retraite sur 10 n'est pas financée. A un horizon très proche, on va se retrouver avec 1 retraite sur 8 non financée. On avait un rapport jusque là démographique, qui faisait que pour un retraité, il y avait deux personnes qui travaillaient. Sur un horizon qui est sur les 30 ans à venir, on va se retrouver avec un retraité qui travaille seulement pour un retraité pour seulement 1,2 personne qui travaille. Donc tout le monde comprend bien que le but ce n'est pas la Grèce, le but ce n'est pas les agences de notation. Il y a un moment où il faut aussi qu'on assume nos propres défis. Le but c'est d'assurer le financement de nos retraites pour l'avenir et de le faire nous, pour que ce ne soit pas vos enfants ou mes enfants qui aient à le faire à notre place.
Ça n'a rien à voir avec la note AAA et la note qu'a la France sur les marchés financiers ?
Non, mais il y a un moment où il faut arrêter les délires. Ça a à voir avec une seule chose, c'est : est-ce qu'on est capable d'avoir des régimes de retraites qui sont financés ? Après, le fait de dire « on n'en a rien à faire d'avoir des régimes de retraite financés », « on n'en a rien à faire de nos déficits » ait un impact sur la vision de la France à l'échelle mondiale, oui. Mais il faut remettre la hiérarchie la tête à l'endroit. Le premier but c'est de financer nos régimes de retraites ; le deuxième c'est de le faire avec un équilibre entre nos recettes et nos dépenses. Et ensuite, si on ne le fait pas, évidemment si vous rentrez dans le mur, il y a un certain nombre de personnes qui vont vous dire « vous rentrez dans le mur ». Mais notre objectif c'est d'abord de ne pas rentrer dans le mur, ce n'est pas de rassurer les observateurs qui regardent la voiture France, pour faire assez simple.
On a pu lire dans la presse, L. Wauquiez, un certain nombre de choses, vous allez me dire si c'est vrai ou pas, quant aux orientations...
Ce qu'on lit dans la presse, c'est toujours vrai, par définition !
Alors voilà ! Alors justement, alors, âge légal de la retraite à 62 ans, c'est vrai ?
Alors pour dire les choses et je vais le faire tout de suite, pour que ce soit...
C'est vrai ou ce n'est pas vrai ?
Mais je vais vous dire tout de suite les choses : rien n'est arrêté. C'est-à-dire qu'il y a deux principes qui sont arrêtés : le premier, financement, on veut assurer le financement des régimes de retraite par répartition. Ca compte, si vous revenez 10 ou 15 ans en arrière, il y avait des débats sur le thème : il faut faire de la retraite par capitalisation, il faut que chacun fasse sa retraite...
Ce n'est plus à la mode ça, maintenant ?
Ce n'est pas une question de mode. C'est une question de choix politique, il y a d'autres pays pour lesquels c'est à la mode. Là, le choix, qu'on a fait c'est de dire qu'on sauve le régime de retraite par répartition. Le deuxième qui aurait pu être une autre option, c'est de dire on va baisser le niveau des retraites actuelles.
Ça c'est niet ?
Ça c'est niet aussi.
Alors 62 ans ?
Ça fait partie d'options que certains ont mis sur la table, notamment portée par le Medef, portée par un certain nombre de représentants des employeurs. Ça fait partie des sujets qui sont sur la table, pour l'instant rien n'est arrêté. Si on fait une phase de concertation, ce n'est pas pour qu'il y ait la réforme avant.
Allongement de la durée de cotisation, ça non plus, ce n'est pas acté ?
Vous allez pouvoir me la poser, je comprends, c'est normal qu'il y ait ces questions. Mais on commence par une première phase qui est de faire le diagnostic. C'est le Conseil d'Orientation sur les Retraites. Donc si on attend un diagnostic, ce n'est pas pour ensuite plier la réforme avant, voilà !
La CFDT propose une réforme d'ampleur. En gros, le raisonnement pour le simplifier à l'extrême, c'est de dire que le système des retraites français est un véritable maquis extrêmement compliqué, que les parcours de travailleurs, de salariés aujourd'hui, peuvent être aussi baroques pour le dire d'un mot, sans doute impropre. Et qu'il faudrait donc remettre énormément de lisibilité, dans toutes ces choses-là. Est-ce que ça, c'est sur la table ? Une réforme d'ampleur, de A à Z : réécrire le système des retraites français ?
Si elle a du sens, oui. Si jamais c'est juste se faire plaisir pour avoir un raisonnement intellectuel, non. Prenons quelques exemples : la Suède a fait une réforme qui va un peu dans ce sens-là. Est-ce que c'est tellement plus simple ? Les grandes réformes, c'est soit le système par points ; vous avez un point, mais quelle est la valeur de votre point ? Et ensuite, la multiplication. Ce n'est pas tellement plus transparent. Le deuxième, c'est une espèce de système notionnel - je ne vais pas rentrer dans les détails - qui grosso modo assure l'équilibre chaque année. Est-ce que ces deux systèmes vont vers plus de transparence ? Je n'en suis pas totalement persuadé. En revanche, il y a une chose dont je suis persuadé, c'est que quelle que soit la réforme des retraites qu'on fait, on doit se battre pour l'emploi des seniors. Parce que notre pays, s'il veut assurer le financement de ses retraites, il doit continuer à se mobiliser pour inverser la tendance faite depuis trop d'années, qui consiste à sacrifier l'emploi des seniors. Ça, c'est un sujet sur lequel je n'attends pas la réforme des retraites, je me bats d'ores et déjà dessus.
Qu'est-ce qu'un métier pénible, L. Wauquiez ?
Un métier pénible, pour moi - mais là encore, ça fait partie de sujet qui seront ouverts sur la négociation - c'est une double caractéristique : d'abord en soi, c'est un métier physique. Physique ça peut être - eh bien ça peut être comme vous - se lever tôt le matin. Physique ça peut être un salarié de chez Michelin, qui est amené à faire de la manutention, qui peut être lourde. Donc ça c'est une première caractéristique. La deuxième, c'est qu'individuellement, la personne à 51, 52 ans, 53, 54, 56, 57, 58, en fonction de chacun, est épuisée. Et ça, c'est ce que j'appelle la caractéristique de la pénibilité. Parce qu'on est tous différent. Vous pouvez avoir une endurance, qui est beaucoup plus forte que la mienne. Et donc la pénibilité, en tout cas, telle que je pense qu'elle doit être approchée, c'est celle qui combine à la fois la pénibilité sur un métier, et en même temps la pénibilité pour une personne. Je le dis bien, c'est une approche personnelle, il y en a d'autres, et ce sujet, fait partie de ceux qui vont être également évoqués. Pourquoi ? Parce que c'est une question d'équilibre et de justice. Et le but c'est à la fois, c'est à la fois de faire la réforme dont on a besoin, mais de la faire en ayant ce sens de la justice et de l'équilibre. Voilà !
Est-ce qu'on aura une définition ou une série de définitions claires au terme de la phase de concertation, une liste pour le dire simplement, de ce que sont les métiers pénibles ?
On va voir. Voilà, c'est, là encore, enfin vous ne comprendriez pas, qu'alors que je vous dis « dialogue social, écoute des partenaires sociaux », je plie même au micro de France Inter, la réforme à l'avance.
Non, non, bien sûr ! Mais ce n'est pas le sens de ma question, est-ce que ça va déboucher là-dessus ? Puisque c'est un sujet qui est ouvert depuis 2003 en fait, ça fait donc 7 ans, et que, voilà, c'est aussi un vrai problème, pour savoir qui part à la retraite, quand et comment ?
Là encore - et ce n'est pas pour moi une façon de botter en touche - il y a un autre défi qui est également abordé : des seniors qui sont fatigués sur la fin de leur carrière, est-ce qu'on est capable ou non, à l'intérieur de la même entreprise, de les faire évoluer, de les faire changer de poste ? Je prenais l'exemple de Michelin, ils ont essayé de faire ça, en identifiant des postes très pénibles, où il voit que des personnes qui ont plus de 50 ans sont fatiguées et ils organisent des reconversions de carrière. Ça c'est un point qui est intéressant. Parce que ça permet à la fois de gérer le maintien au travail, et en même temps de le concilier avec la pénibilité des tâches. Il y a aussi, là, une voie à explorer.
Est-ce que vous ne pensez pas, L. Wauquiez, que l'emploi des seniors pour reprendre ce thème, c'est au fond une réalité du marché du travail à la française : on rentre très tard sur le marché du travail, on en sort très tôt. Des dizaines de mesures ont été annoncées, mise en place des dernières années, sans avoir jamais réussi à régler ce problème-là. Alors faire travailler les gens plus longtemps alors que les entreprises ne les aiment pas et les mettent dehors, comment résoudre cette contradiction ?
Monsieur Demorand, on ne peut pas dire ça. On ne peut pas dire que puisque la France est la seule à s'être mise au fond du trou, que la France est la seule à la fois à sacrifier l'emploi des jeunes depuis 30 ans, qu'elle est la seule à considérer que quelqu'un de plus de 50 ans n'a pas d'avenir professionnel, alors que tous les autres pays en Europe ont une autre approche.
Oui, alors comment, c'est quoi ? C'est le génie français, ça ? C'est quoi ?
C'est la bêtise de la politique de l'emploi depuis 30 ans, et quand je dis 30 ans, c'est tout le monde. On a cru qu'on allait gérer la question du chômage en faisant de la gestion statistique : mettre les jeunes en leur disant "oh ! la, la, la, la, surtout restez plus longtemps sur les bancs de la faculté", sans d'ailleurs même, réfléchir aux débouchés en terme d'emploi. Et dire aux plus de 50 ans "n'encombrez pas nos statistiques du chômage". Il y a une seule chose, à laquelle je tiens plus que tout, dans la conduite actuelle de la politique de l'emploi, c'est qu'on ne s'amuse plus à ça. Je ne finance pas de préretraites, c'est-à-dire que je ne dis pas à des seniors : "mettez-vous de côté sur le marché du travail". Et surtout, il y a un point que je voudrais, qui soit bien clair : c'est que les seniors dont on parle, c'est souvent des demandeurs d'emploi ; c'est la personne qui a 53 ans, qui est une mère de famille, qui était dans le secteur du textile, ou d'assistante de direction, qui s'est fait licencier, et qui parce qu'elle a 53 ans, en haut à droite, ne trouve pas d'emploi. Je suis allé, il y a 10 jours sur un forum de l'emploi des seniors, vous en revenez en vous disant qu'il est temps de secouer les habitudes françaises.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 16 mars 2010