Interview de M. Eric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, à I-télévision le 15 mars 2010, après les résultats du premier tour des élections régionales.

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Texte intégral

L. Bazin.- Bonjour E. Besson.
 
Bonjour.
 
Ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire. Avouez qu'on le dit rarement dans son entier ce titre-la.
 
Oui et il manque même un mot important, « l'Asile », puisque c'est dans mon ministère que nous gérons les réfugiés politiques.
 
Il y a six ans, vous fêtiez la vague rose au sein du Parti socialiste. Hier soir vos oreilles ont dû siffler un peu, parce qu'à l'UMP, on ne dit pas beaucoup de bien ni de l'identité nationale et du débat dans la manière dont vous l'avez mené, ni de l'ouverture dont vous êtes un exemple ?
 
Quelle question d'entrée ! D'abord ramener à ma personne des enjeux nationaux et régionaux, ça me paraît beaucoup mais puisque vous le dites. Dans le débat sur l'identité nationale, qu'est-ce que j'ai essayé de dire ? Que nous devons parler de ce qui nous rassemble, de ce qui nous unit. Et si vous regardez bien, j'ai dit qu'une partie minoritaire des Français doutait, avait peur. Peur de la mondialisation, peur de la construction européenne, peur de l'étranger, peur de l'islam.
 
Ce sont ceux qui se sont abstenus ou qui ont voté Front national ?
 
Je pense que dans l'électorat du Front national hier, il y a une partie de ceux-là, même si je veux noter, contrairement aux commentaires que j'entends depuis ce matin, que le Front national est en recul. Il était à 16%...
 
Par rapport aux régionales.
 
Bien sûr. Il faut toujours comparer une élection à une autre. Les élections régionales de 2004, le Front national est à 16%. Aujourd'hui il est à 11,2, 11,5%. C'est beaucoup certes, c'est bien moins qu'en 2004. Traduction concrète : 17 triangulaires en 2004, 12 cette fois-ci.
 
C'est 12 de trop pour l'UMP j'imagine non, quand même ?
 
Bien sûr que c'est 12 de trop dans la mesure en plus où objectivement, même si les convictions sont totalement différentes, objectivement ceux qui vont voter Front national vont de fait favoriser les listes du Parti socialiste.
 
Pas une seconde ne vous effleure l'idée que le débat sur l'identité nationale mais aussi la façon dont certaines campagnes électorales ont dérapé- je pense à l'affaire Soumaré, on pourrait mettre monsieur Frêche, on peut penser aux propos de G. Longuet trois jours avant le premier tour - pas une seconde ne vous vient à l'idée que tout cela a pu influencer et porter des voix vers le parti de J.- M. Le Pen ?
 
Je n'en suis pas convaincu. Vous avez le droit d'avoir vos thèses, permettez-moi d'avoir la mienne. La mienne c'est qu'un peuple doit s'interroger sur les valeurs qui l'unissent. Qu'un peuple doit dire « voilà ce qu'est mon projet, voilà ce vers quoi je veux aller ». Dans les questions qui étaient posées, identité nationale, je m'interrogeais et je continue de l'interroger sur ce qui fait notre communauté. Pourquoi nous vivons ensemble ?
 
Pour vous ni le débat sur l'identité nationale, ni l'ouverture ne sont remises en cause par ce qui s'est passé hier soir ?
 
Je ne le crois pas, je vais même vous dire, je crois même l'inverse. Derrière une abstention aussi forte parce qu'elle est colossale, un Français sur deux ne s'est pas déplacé, au-delà des partis ça veut dire que ce qu'avait réussi N. Sarkozy et S. Royal en 2007, c'est-à-dire amener 85% des Français à aller voter à l'élection présidentielle, malheureusement ne s'est pas confirmé au premier tour. Ce qui veut dire aussi qu'il reste une semaine pour mobiliser. J'ai entendu le Premier ministre hier. Bien évidemment dans les abstentionnistes, il n'y a pas que des électeurs de la majorité présidentielle mais visiblement il y en a aussi beaucoup.
 
Vous êtes un trop fin analyste du jeu politique pour ne pas savoir que ce qui s'est passé hier aura un impact fort sur ce qui se passera dans une semaine. On ne ramène pas une clientèle déçue comme ça.
 
Je ne vous ai pas dit l'inverse mais il y a un certain nombre de régions, je pense à l'Alsace, je pense à la région parisienne où on est allé un peu trop vite hier soir en disant finalement, la gauche en position favorable. V. Pécresse est en tête, J.-P. Huchon fait moins que 25%. Les choses me paraissent ouvertes. Je ne vous dis pas qu'on renverse tout mais en une semaine de mobilisation, ça peut changer encore beaucoup de choses, oui.
 
Ecoutez ce que dit D. Cohn-Bendit ce matin sur la position que vous venez d'énoncer et qui a effectivement été beaucoup prononcée hier soir, sur laquelle il doute. Ce ne sera pas une grande surprise pour vous.
 
D. Cohn-Bendit (Eurodéputé Europe Ecologie) : Si j'avais été à leur place, j'aurais dit la même chose. Qu'est-ce que vous voulez qu'ils disent ? Ils disent : bon ben voilà il y a l'abstention. Donc c'est vrai que rien n'est joué quand il y a un deuxième tour. Je crois quand même que la majorité des abstentionnistes viennent de la droite, des déçus du sarkozysme, qu'à partir du moment où ils sont déçus du sarkozysme, ils ne seront pas moins déçus en une semaine. Donc je crois qu'il y a une dynamique qui fait que vraisemblablement, on retrouvera au deuxième tour le rapport de forces du premier tour.
 
 Il y a des déçus du sarkozysme E. Besson ?
 
Comme son introduction, je serais à sa place, j'aurais dit la même chose.
 
 
Oui c'est un jeu de rôle permanent mais surtout du jeu de rôle deux minutes. Oui ou non est-ce qu'il y a des déçus du sarkozysme à mi mandat ?
 
Il y a des impatiences manifestes. On vient quand même de sortir ou on est en train de sortir de la plus grande crise financière et économique que le monde ait connue depuis un siècle. Or qu'est-ce que c'est que le sarkozysme ? C'est d'abord un volontarisme : il y a un problème, j'ai des solutions à vous proposer. Là où il y a inertie, moi je suis dans l'action.
 
Les Français, pour vous, ont dit ça ne va pas assez vite ?
 
Bien sûr.
 
Donc il y a bien des leçons nationales à en tirer, ce qui est intéressant.
 
Mais je ne le conteste pas. Quand le peuple souverain s'exprime, il faut toujours écouter. Il y a des élections régionales et il y a aussi une part de national. Mais un peu de prudence sur les commentaires. Souvenez-vous il y a neuf mois, après les élections européennes, un magazine, c'était Le Point si je me souviens bien, titrait « Enfin seul ». Autrement dit, N. Sarkozy a la route dégagée pour 2012.
 
Avec un petit tableau avec la photo de D. Cohn-Bendit derrière, si vous vous rappelez bien.
 
Mais enfin D. Cohn-Bendit, sauf erreur de ma part, jouera un rôle modeste dans l'élection présidentielle de 2012. Mais ce que je veux dire, c'est que l'idée qu'une élection suffit à prédire la météo politique des trois ans qui viennent, me paraît un peu court. Il y a neuf mois, on nous expliquait que la stratégie de l'UMP, rassemblement dès le premier tour, était la martingale gagnante à tous les coups. Hier soir, on avait l'impression que c'était l'échec systématique. La réalité n'est pas celle-là. En une semaine, il peut se passer beaucoup de choses et il faut qu'il se passe quelque chose d'important. La clarification sur des projets. Moi je suis maire de Donzère en Rhône Alpes, je veux savoir cette semaine ce que les socialistes et les verts vont faire sur le nucléaire et sur les transports.
 
Vous le saurez mardi midi a priori.
 
J'espère que je le saurai mardi midi parce que la dernière fois, c'était très peu clair. La région Rhône-Alpes a été la seule à voter un voeu contre l'implantation d'un réacteur nouvelle génération, l'EPR, dans le bassin de vie qui est le mien, Montélimar/Pierrelatte. Je voudrais que ce soit clair de ce point de vue-là. Les Verts en Rhône-Alpes essaient d'empêcher le Parti socialiste d'implanter une gare TGV sur la nouvelle ligne TGV et ça les électeurs ont le droit de savoir. Ils doivent voter dimanche prochain en connaissance de cause sur qui fait quoi. Or le PS et les verts ont de ce point de vue-là des contradictions majeures. A eux de dire, en 48 heures, s'ils sont prêts à les résoudre.
 
J'entends cette petite musique là aussi depuis hier soir qui consiste à dire : regardez comme ils sont en désaccord finalement. Vous doutez sur le fait que les Verts et les socialistes se mettront d'accord d'ici mardi midi ?
 
Non je ne doute pas beaucoup mais ce dont je doute, c'est qu'ils disent exactement la vérité sur leur programme. Ce que je vous dis, ce n'est pas simplement depuis hier soir. L'histoire de l'implantation de l'EPR, le fait que la région Rhône-Alpes a été la seule à voter contre le nucléaire, contre ce nouveau réacteur, c'est inscrit dans la mandature précédente. Pourquoi ? Parce que J.-J. Queyranne n'avait déjà pas les mains libres. Il était entre les mains de sa coalition. Or les conséquences chez nous en termes d'emploi sont absolument colossales.
 
Vous dites ce matin : le Parti socialiste sera le prisonnier des Verts dans les régions. Je dois entendre cette ligne-là.
 
Vous accentuez un peu.
 
A peine. En Rhône-Alpes, c'est vrai. Ailleurs c'est peut-être un peu moins systématique, encore qu'en PACA il y a le projet ITER, en Loire- Atlantique une question d'aéroport. Il faut une clarification. Je pense que quand vous allez vers les électeurs, il faut leur dire : voilà ce que je vais faire, ensuite le peuple est souverain.
 
J'ai retenu que vous avez dit tout à l'heure que l'Ile de France n'était pas jouée.
 
Oui je le crois.
 
Vous y croyez ?
 
Oui j'y crois vraiment.
 
Parce que V. Pécresse peut gagner ?
 
Je pense que V. Pécresse peut gagner. Je pense que J.-P. Huchon n'a visiblement pas convaincu les Franciliens et que lorsque je regarde les résultats et le taux d'abstention qui en Ile-de-France est encore plus important que dans le reste de la France, oui ça peut faire partie des surprises de dimanche prochain.
 
Rapidement, trente secondes, trois noms. G. Frêche qui a près de 40%.
 
G. Frêche a gagné son pari. Je ne partage pas, je voyais dans les salons en attendant l'analyse de V. Peillon : « M. Aubry s'est tiré une balle dans le pied ». Je n'y crois pas. Je crois qu'au contraire elle a été habile, trop habile en la matière. C'est-à-dire que la réconciliation était prévisible, elle va avoir lieu.
 
M. Aubry ?
 
Elle sort renforcée objectivement.
 
Oui ? Elle marque des points pour 2012 ?
 
Oui mais je ne suis pas le meilleur commentateur aujourd'hui.
 
Oui vous n'êtes plus l'arbitre des élégances à gauche. S. Royal estelle de retour ?
 
Oui, objectivement oui. Elle fait un joli score dans sa région et hier soir honnêtement, elle a su trouver les mots pour, comme d'habitude, dépasser le cadre de Poitou-Charentes et prétendre s'adresser à la France.
 
Vous pensez qu'elle est encore en piste elle aussi pour 2012 ? C'est important parce que dans le camp dans lequel vous êtes, on doit scruter ce qui se passe dans le camp d'en face.
 
Je ne suis pas politologue. Et je crois que vous interrogez un socialiste tout à l'heure après moi.
 
Oui, J.-C. Cambadélis.
 
 Il vous dira mieux que moi ce qu'il faut en conclure dans la compétition.
 
Vous n'êtes pas politologue mais vous faites les calculs et c'est normal. Vous faites partie des gens qui sont reçus à l'Elysée et notamment dans les réunions de réflexion et de cadrage. Vous êtes aussi un amateur de foot, un pronostic pour le second tour des régionales ? Pas pour le grand chelem de l'équipe de France de rugby. Pour le second tour des régionales, vous voyez la droite conserver ou gagner des régions ?
 
Je ne sais pas. En matière de pronostic, il faut être prudent. C'est vrai en sport et c'est encore plus vrai en politique. Mais on a évoqué deux ou trois régions qui ne me paraissent pas jouées, y compris la mienne. Rhône-Alpes, je ne considère pas aujourd'hui que les jeux sont faits. Il peut y avoir dimanche prochain une surprise.
 
Merci E. Besson d'avoir été notre invité. Bonne journée à vous, bonne campagne parce qu'on sent que tous les ministres sont mobilisés.
 
Oui et ce soir je serai à Lyon d'ailleurs.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 mars 2010