Texte intégral
Cher Président COSTANTINI,
Chers présidents de fédérations et de ligues professionnelles, venus nombreux,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
Nous savons tous ici que Daniel COSTANTINI est un homme de défis. Je ne l'ai pas cru une seconde lorsque, fin août, il a répondu à ma proposition de présider la Commission Grandes Salles qu'il n'était pas l'homme de la situation, mais qu'il acceptait. Homme de défis, je vous disais.
Pardonnez-moi, cher Daniel, mais j'ai eu raison de ne pas vous croire - et vous avez eu raison d'accepter. Le rapport que vous venez de me remettre restera comme une étape marquante pour les sports de salle en France et une contribution majeure à leur développement. Les mois et les années à venir, croyez-moi, nous le prouveront.
Il suffit de regarder autour de nous pour comprendre l'importance de ce qui est en jeu et mesurer l'attente que vos travaux ont suscitée. Le basket (cher Yvan MAININI), le handball (cher Joël DELPLANQUE), le volley (cher Jean-Paul ALORO), mais aussi le badminton, le judo (cher Jean-Luc ROUGÉ), le tennis (cher Gilbert YSERN), l'escrime, la gymnastique, l'escalade (cher Pierre YOU), le squash, nous attendent. Ils attendent, vous attendez, à la fois une prise de conscience, la prise de conscience d'un retard préjudiciable à leurs sports, et une reconnaissance, la reconnaissance de l'enjeu national que représentent les salles nécessaires à leur développement. Jamais encore les pouvoirs publics ne s'étaient saisis de cette question pour inscrire à leur agenda, avec volontarisme et ambition, la question des grandes salles.
Permettez-moi d'être heureuse et fière de le faire aujourd'hui, avec vous et grâce à vous.
La prise de conscience du rôle important que jouent désormais les enceintes sportives dans l'économie du sport est récente. De même a-t-on longtemps sous-estimé à quel point les grandes salles et leur programmation participent du patrimoine d'un pays. Ce sont tout à la fois, ainsi que vous le soulignez, des lieux de culture et des lieux de mémoire. Ce sont aussi, et vous savez l'importance que j'y attache, des lieux de rassemblement, des lieux où se tisse, comme nulle part ailleurs, le lien social.
La France devrait ainsi pouvoir compter sur un parc de salles garantissant l'accès au sport pour tous et reflétant la vivacité du sport associatif et scolaire, mais capable aussi de répondre aux exigences d'accueil des compétitions internationales et permettant à nos clubs professionnels de mener des politiques sportives ambitieuses.
Pourtant, nous sommes en retard. Très en retard. Notre parc de salles ne nous permet pas de répondre aux attentes du haut niveau. Et il est très loin de soutenir la comparaison avec celui de nos concurrents.
L'état des lieux que dresse votre rapport, cher Daniel, est édifiant. C'est le désarmant constat d'un pays qui, alors que toute l'Europe se dotait de grandes installations multifonctionnelles, n'a construit aucune grande salle pendant plus d'un quart de siècle, entre 1984, année de la construction du Palais Omnisports de Paris-Bercy (qui nous a rendu, nous rend et nous rendra encore bien des services, cher Philippe VENTADOUR), et 2010, qui verra, cet automne, l'inauguration de la Grande Salle de Montpellier. Le POPB est un peu « l'arbre qui cache la forêt » ; sauf qu'il n'y a pas de forêt. La France ne compte aucune des 21 grandes salles européennes de plus de 15000 places qui peuvent accueillir des manifestations sportives. L'Allemagne et l'Espagne en comptent 4 chacune, l'Angleterre, la Grèce et la Belgique, 2. Sept autres pays disposent d'une telle salle. Nous restons l'un des seuls pays européens à ne pas nous être positionnés sur ce segment. La France ne compte qu'une seule des 90 grandes salles européennes de plus de 10 000 places en configuration sport. L'Allemagne en compte 18, l'Espagne 12, l'Italie 6, l'Angleterre 5. Nous côtoyons, dans ce palmarès, des pays comme l'Irlande, la Lettonie, la Lituanie ou la Serbie. Et encore, pas tout à fait, puisque leurs équipements sont de conception nettement plus récente. Car nos salles ne sont pas seulement plus petites, elles sont aussi plus âgées : la moyenne d'âge des enceintes de plus de 3 000 places utilisées par les clubs professionnels est de 21 ans en France contre 14 ans en Espagne et 7 ans en Allemagne.
Où est notre ambition ? Où est notre grand projet sportif ?
Je me tourne vers Yannick BAZIN, le passeur de l'équipe de France de volley, vice-champion d'Europe, et ses deux entraîneurs, Philippe BLAIN pour la sélection nationale, Mauricio PAÈS pour le Paris Volley. Je me tourne vers Crawford PALMER, vice-champion olympique de basket en 2000, aujourd'hui manager sportif de la fédération. Je me tourne vers Richard DACOURY, l'un des sportifs français les plus titrés avec cinq coupes d'Europe, dont la coupe des clubs champions avec le CSP Limoges en 1993. Je me tourne vers Olivier GIRAULT, champion du monde de handball en 2001, puis champion d'Europe en 2006 et champion olympique en 2008, aujourd'hui entraîneur du Paris Handball. Je me tourne vers Bruno MARTINI, double champion du monde de handball, vainqueur de la Ligue des champions avec Montpellier en 2003. Je me tourne vers Arnaud DI PASQUALE, médaillé de bronze aux jeux Olympiques de Sydney, qui vient d'intégrer la direction nationale de la Fédération française de tennis ; Arnaud qui pourrait passer une petite annonce rédigée ainsi : fédération dynamique, brillants résultats sportifs, cherche grande salle 12 000 places pour accueillir quart de finale France-Espagne juillet prochain... Contacter le ministère, qui transmettra.
Je me tourne enfin vers Frédérique JOSSINET, médaillée olympique et mondiale, triple championne d'Europe de judo. Je me tourne vers vous tous, qui êtes la vitrine du sport français, d'inlassables pourvoyeurs de médailles, vous qui contribuez à l'éclat et au rayonnement de notre pays. Daniel COSTANTINI me le rappelait, depuis 1993 les équipes nationales féminines et masculines de basket, de handball et de volley ont rapporté 21 podiums à la France, dont 9 médailles d'or. C'est un bilan magnifique. Je me tourne vers vous et je mesure davantage encore, aujourd'hui, les performances, les exploits que vous avez accomplis.
Nos infrastructures ne sont pas à la hauteur de vos résultats. Les écarts économiques s'accentuent, creusant aussi les hiérarchies sportives. Le retard de la France en matière de grandes salles de plus de 10 000 places constitue un frein au développement du sport dans le pays ; mais il s'inscrit aussi dans une problématique plus large, celle de la capacité de la France à attirer des événements de portée mondiale. La France est aujourd'hui dans l'incapacité de constituer des dossiers de candidature crédibles et ambitieux pour accueillir une compétition internationale de basket, de handball ou de volley notamment. Nos récentes candidatures se sont soldées par autant d'échecs : c'est tout, sauf un hasard.
Et nos prochaines candidatures resteront vaines si rien ne change.
Mais nous sommes là pour ça : changer. Insuffler enfin la dynamique que vous attendez, une dynamique à la hauteur de vos résultats, une dynamique qui soit aussi une forme de reconnaissance pour votre travail et vos performances. Une dynamique qui vaudra aussi pour le sport de masse, dont vous êtes les meilleurs promoteurs.
C'est de la vitalité des clubs de haut niveau qu'une fédération se nourrit pour étayer les ambitions de ses équipes nationales. C'est de la vitalité du sport d'élite que les associations et les clubs se nourrissent pour contribuer à leur tour à la dynamisation de leur territoire.
Or 75% des salles utilisées par nos clubs professionnels ont une capacité inférieure à 3000 places. La capacité moyenne des salles des clubs de 1re division de basket espagnol est le double de celle de nos clubs de Pro A. Celle des clubs de 1re division de handball allemand est proche du triple de celle de nos clubs de D1. La comparaison est éloquente. Le handball allemand et le basket espagnol dominent l'Europe et là non plus, il n'y a pas de hasard.
L'état de notre parc de salles (souvent impropres à une diffusion télévisuelle de qualité) concourt au manque de visibilité médiatique de nos clubs professionnels ; il rend aussi plus difficile la mise en place d'un modèle économique qui soit moins dépendant des subventions publiques. Aujourd'hui, nos clubs de première division masculine de handball, basket et volley dépendent en moyenne pour plus de la moitié de leur budget - 51% exactement - des subventions publiques.
Certains clubs évoluent dans des salles qui sont parfois loin de répondre aux conditions requises pour l'organisation de compétitions professionnelles, que ce soit au regard de la sécurité, des conditions d'accueil des sportifs, des officiels ou du public, du tracé sur les parquets, de la qualité des retransmissions audiovisuelles, de la visibilité des partenaires... Privés de diffuseurs, donc de téléspectateurs, évoluant devant des spectateurs moins nombreux, nos clubs génèrent moins de ressources propres. Il est donc urgent de permettre à nos clubs professionnels de bénéficier d'un « outil de travail » performant et donc de ressources nouvelles, grâce auxquelles ils pourront développer des politiques sportives plus ambitieuses ; la hausse de la qualité du spectacle sportif suscitant à son tour les diffusions audiovisuelles, elles-mêmes sources de revenus supplémentaires.
Mais l'enjeu des grandes salles dépasse le seul périmètre du sport. D'abord parce que les grandes salles modernes doivent aussi pouvoir héberger les grandes productions culturelles. Ensuite, parce que les salles sont structurantes pour l'aménagement, l'animation et le rayonnement d'un territoire et s'inscrivent dans une stratégie qui dépasse l'organisation des seules compétitions internationales. Le Millenium Stadium de Cardiff ou la Lanxess Arena de Cologne montrent ainsi qu'une enceinte sportive peut assurer une transition entre les quartiers, contribuer au maintien du lien social, permettre l'extension d'une ville à sa périphérie ou encore participer de l'animation urbaine et du développement économique. La rentabilité d'une grande salle est certes économique ; mais elle est aussi sociale. Les grandes salles sont donc au croisement d'acteurs et d'usages multiples. Pourtant, tout se passe comme si chacun avait développé sa propre politique, nous privant de l'indispensable réflexion commune permettant la mutualisation des usages. L'irrationnel n'est jamais très loin lorsque s'empilent ou se juxtaposent, dans l'espace et dans le temps, des équipements multiples (par ordre chronologique : gymnase, Palais des Sports, Zénith) et dont la redondance aurait parfois pu être évitée. Pourtant, la difficulté de trouver des financements, l'impératif d'une rationalisation des investissements publics et les exigences de rentabilité de l'exploitation nécessitent d'apporter une réponse commune aux attentes du sport et du spectacle. Ce défi, la France doit le relever. La salle idéale, qui prend en compte les spécificités des différents sports et les contraintes médiatiques et commerciales de l'événementiel, n'existe pas encore en France. Nous devons la construire ensemble. Nous devons construire des Arenas pour la France.
Les Arenas, ce sont ces grandes salles multifonctionnelles, permettant d'organiser des événements aussi bien sportifs que culturels, et dont une modularité précise et rapide, sans perte de temps entre deux événements, facilite la rentabilité. Ce sont des structures plus grandes, plus accueillantes et plus confortables que les salles classiques. Elles attirent un public plus diversifié, auquel elles offrent des prestations de grande qualité : les spectateurs ne se rendent plus dans les enceintes sportives dans le seul but d'assister à un match. Le bien-être est aussi important que l'adrénaline.
Le concept est désormais bien connu à travers toute l'Europe. Toute ? Non. Les irréductibles Gaulois, toujours. Or la séparation des usages entre le sport et le spectacle, si elle se prolongeait, conduirait les sports professionnels de salle français à une impasse en entravant leurs perspectives de développement. La France doit désormais, sans plus tarder, entrer de plain-pied dans l'ère des salles multifonctionnelles, a fortiori dès lors que les solutions technologiques utilisées donnent aujourd'hui pleinement satisfaction. C'est le cas des projets en cours, tels que ceux de Liévin, Montbéliard, Montpellier, Bordeaux, Dunkerque, Aix-en-Provence, Orléans - le projet du député-maire Serge GROUARD, que je remercie et salue bien amicalement -, Villeurbanne - le projet de Gilles MORETTON, que je salue aussi -, tous entre 6000 et 15000 places.
Nous devons aller plus loin.
Nous n'allons pas, demain, rattraper l'Allemagne. Mais entre une seule salle de plus de 10 000 places et 18 comme en Allemagne, il y a un fossé que nous devons réduire. L'objectif que vous me proposez, cher Daniel COSTANTINI, est proportionné, réaliste et ambitieux.
Nous devons permettre à la France d'accueillir des compétitions européennes ou mondiales et de s'inscrire dans le marché de l'événementiel européen en construisant ou rénovant une enceinte de 20 000 places, une enceinte de 15 000 places et cinq enceintes de 10 000 places sur le modèle Arena. Un objectif réaliste, puisque corroboré par les projets en cours, complétés par quelques autres qui restent à susciter. Un objectif ambitieux aussi, puisqu'il prévoit notamment de doter notre pays d'une très grande salle de 20 000 places, un équipement prestigieux permettant de s'inscrire dans le long terme et de nous mettre au niveau des autres grands pays européens. Un équipement aussi emblématique qu'ont pu l'être Bercy et le Stade de France.
Nous devons encourager l'avènement d'une nouvelle génération de salles multifonctionnelles.
Oui, cher Daniel, la mobilisation des fonds publics et privés est nécessaire. Oui, le développement durable doit être pris en compte dès les premières réflexions sur le projet. Oui, nous devons renforcer la sécurisation et la valorisation des investissements, favoriser et encourager le développement de l'investissement privé, notamment à travers le naming.
Oui, nous devons permettre à l'exploitant futur d'intervenir en amont et au coeur de la réalisation du projet. Oui, nous devons encourager l'intégration des clubs dans les montages juridiques.
Oui, l'Etat doit jouer un rôle moteur dans ce plan « Arenas 2015 ». Vous proposez que ce rôle se traduise par l'affectation d'un financement exceptionnel de 140 millions d'euros pour les grandes salles de plus de 10 000 places, et par une augmentation de la dotation équipements du CNDS pour les salles de 5 000 à 8 000 places.
Je serai à vos côtés, et aux côtés du mouvement sportif, comme je le suis toujours depuis que le Président de la République m'a fait l'honneur de me nommer au Secrétariat d'Etat aux Sports, pour relayer les préconisations de ce rapport dont je ne dirai jamais assez la très grande qualité.
Permettez-moi de m'attarder sur l'une d'elles, la troisième, qui suggère la mise en place d'un Comité Arena afin de faciliter les démarches pour la réalisation de grandes salles multifonctionnelles et d'attribuer les labels Arena, permettant de valider les cahiers des charges, d'assurer une fonction de coordination et de régulation, et ouvrant droit à un soutien financier de l'Etat. J'y souscris, naturellement.
Mais m'en voudrez-vous beaucoup, cher Daniel COSTANTINI, si je propose à Denis MASSEGLIA (puisque le Comité Arena travaillerait en lien avec le comité de programmation et le conseil d'administration du CNDS) de bien vouloir considérer la candidature, au moment de nommer le premier président de ce nouveau Comité, du président de la Commission qui en a préconisé la création ?
Rappelez-vous : vous êtes un homme de défis. Et vous ne pouvez plus essayer de faire croire à quiconque que vous n'êtes pas l'homme de la situation ! Il nous reste beaucoup de chemin à parcourir, vous le savez comme moi. Je vous remercie pour le travail exceptionnel que vous m'avez remis aujourd'hui. Je sais à quel point vos compétences, votre aura, votre implication ont compté dans la réussite de la Commission que vous avez présidée comme vous entraîniez : avec autant de charisme que de capacité d'écoute. Je sais aussi tout ce que ce travail doit à l'engagement quasi militant, au prosélytisme, au travail de sentinelle et de fédérateur des énergies qu'a accompli sans relâche son rapporteur omniprésent, Frédéric BESNIER, que je remercie également très chaleureusement. Rien n'aurait été possible sans vous, Frédéric. Je remercie naturellement tous les membres de la Commission. Je sais à quel point, malgré des emplois du temps chargés, vous avez eu à coeur d'apporter, depuis les premières réunions de novembre, vos compétences, votre disponibilité, votre détermination. Le rapport est riche de tous vos apports, de vos sensibilités, de vos disparités même, parce qu'elles reflètent la richesse nourricière du sport français. Il en va de même de tous ceux qui, au cours d'auditions, ou parce qu'ils ont été sollicités par le président ou le rapporteur, ont apporté sans compter leurs réflexions, leurs contributions, bref, leur talent. A tous, un grand merci.
Si nous pouvons de nouveau rêver, comme le suggèrent les derniers mots du rapport, d'une équipe de France sacrée championne du monde ou d'Europe devant son public et dans ses nouvelles Arenas en 2015, nous vous le devrons.
Source http://www.sports.gouv.fr, le 11 mars 2010