Texte intégral
C'est donc un peu comme une photographie de famille avec retardateur que nous sommes en train de faire ensemble aujourd'hui, puisque nous lançons à l'avance, à la fin du mois de mars, un grand événement très attendu de l'été prochain, les fameuses Rencontres d'Arles qui en seront - déjà ! - à leur 41e édition. Après, nous avons tout de même quelques mois pour nous mettre tous ensemble en face de l'objectif...
Cette sorte de calendrier de l'avent du festival n'est pas une simple coquetterie de communication. Elle vise à mettre en lumière la diversité de la programmation de cette année, pour laquelle je félicite chaleureusement François HÉBEL. Mais elle vise aussi à poser clairement les questions que doit affronter la photographie dans le monde contemporain, et d'ores et déjà, à esquisser quelques réponses que nous pouvons y apporter, modestement, mais avec détermination. Ces réponses, elles sont forcément et même fortement liées à la capitale française, européenne et mondiale de la photographie que la ville d'Arles a su devenir au fil du temps. Elles sont nécessairement liées à ses « Rencontres » qui en sont le moment fort, celui à la fois où tout s'accélère et où, en un instantané, nous avons en même temps une vision précise de la vitalité du monde de la photographie.
Le grand bouleversement qui met au défi ce champ, comme d'ailleurs la plupart des activités et des industries culturelles, c'est bien sûr la révolution numérique, que j'ai identifiée comme le point nodal de ma conception et de mon action au coeur de la culture et de la communication.
C'est le cas pour le livre, c'est le cas pour le journalisme dans son ensemble et bien sûr tout particulièrement pour le photojournalisme, c'est le cas pour notre patrimoine pictural, nos images animées, et c'est évidemment et presque plus encore le cas pour la photographie : la numérisation a marqué un franchissement de frontière et l'entrée dans un nouveau paradigme tant technologique qu'esthétique, et même éthique. Elle induit une métamorphose radicale de notre rapport à l'image, du
comportement des photographes et de notre comportement de spectateur.
Cette révolution numérique exerce son influence tant sur le patrimoine, que sur la création photographiques.
Elle nous enjoint de répondre à la fois au défi de la conservation et de la valorisation de nos fonds, c'est-à-dire en fait à en repenser l'ordre même, à la manière de ces classements nouveaux qui signalent toujours que des caps épistémologiques et historiques ont été franchis. Je sais que Jean-Noël JEANNENEY, le nouveau Président des Rencontres, où il succède à l'excellent François BARRÉ, est très sensible à cette « concordance des temps » improbable et féconde entre l'instantané du photographe et la « longue durée » chère à l'historien.
Eh bien, je vois deux réponses à ces défis.
La première, c'est bien sûr de créer un creuset de débat et d'échange, un forum à l'antique, une agora photographique, et par bonheur celle-ci existe déjà. Elle se présentera d'ailleurs cette année sous la forme de six « promenades », qui sont, chacun le sait, des moments de méditation et de découverte, à la façon des philosophes de l'antiquité ou encore à la manière des déambulations à la fois circulaires et imaginaires des habitants des anciens cloîtres... À la profusion des images dans le monde contemporain à l'ère numérique, les Rencontres d'Arles répondent par la profusion, mais surtout par la qualité des événements : « cartes blanches » et chambres noires, promenades argentiques et visions « argentines » bien sûr, à l'occasion du bicentenaire de l'indépendance de ce grand pays ami, dont je me réjouis qu'il soit cette année l'invité d'honneur.
La seconde réponse s'inscrit elle aussi, tout naturellement, en Arles. Elle se veut emblématique d'une décentralisation culturelle intelligente, car adaptée aux ressources et au génie des lieux. Dans mon action culturelle en région, j'ai en effet l'intention de croiser deux types de démarche : d'une part une approche volontariste, celle d'une « culture pour chacun » qui va porter la culture là où on l'attend moins, là où on la désire plus, comme le futur Louvre de Lens, comme le Centre Pompidou à Metz que nous inaugurerons début mai, comme l'installation d'une partie des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine, dans cette partie du Grand Pari(s) à valoriser qu'est le « 9-3 »... Mais d'autre part, je crois qu'il ne faut pas négliger aussi la logique de pôles, rendue nécessaire par la mondialisation, c'est-à-dire une logique visibilité et de concentration des forces sur les lieux emblématiques d'une excellence.
C'est pourquoi, vous vous en doutez, j'attends beaucoup de ce croisement entre l'instantané des Rencontres et la longue durée des projets que j'ai déjà évoqués : la création d'un pôle patrimonial qui pourrait rassembler les archives des photographes qui ont construit l'histoire de la photographie. J'en ai dit un mot lors des dernières Rencontres : ce projet que je souhaite mettre en place est la bonne manière de résister aux tendances déstabilisantes de la mondialisation, en ancrant nos archives photographiques dans ce territoire qui lui est en quelque sorte dédié. J'aurai l'occasion d'en préciser les contenus, aux côtés des collectivités locales et de la Fondation LUMA, lors des Rencontres en juillet prochain.
C'est aussi pour répondre aux grands défis conjoints du numérique, du patrimoine, de la création photographique mais aussi du photojournalisme que j'ai souhaité mettre en place une mission pour la photographie, qui me sera directement rattachée. Je l'ai confiée à Daniel BAROY et Manuel BAMBERGER, qui auront pour tâche de réfléchir aux meilleures solutions et à leur mise en oeuvre.
D'une part, elle organisera la poursuite du repérage des fonds photographiques constitués, et proposera une approche nationale cohérente de ces fonds, qui en puisse en permettre l'accès et la conservation. Elle prévoira les procédures d'enrichissement des collections publiques - grâce, notamment, à la création d'une commission ad hoc des dons et legs.
D'autre part, elle sera chargée de concevoir une politique de diffusion numérique de ces fonds, et veillera à ce que leur inventaire soit homogène au niveau national, afin d'en permettre la meilleure exploitation possible. Le Grand Emprunt, pour lequel mon ministère - c'est-à-dire nous tous - a obtenu pas moins de 750 millions d'euros, nous permet d'envisager les choses en grand et d'avoir les moyens de nos ambitions dans ce domaine crucial de la numérisation.
J'ai demandé à ma Direction générale de la Création qu'un effort tout particulier soir consenti en faveur de la commande publique en direction de la photographie, sur un champ généreux qui va des arts plastiques au photojournalisme en passant par la photographie documentaire.
La mission accompagnera, enfin, une politique d'expositions qui s'inscrira dans la continuité et le développement de l'action remarquable déjà engagée par le Musée du Jeu de Paume sous la présidence judicieuse et inspirée d'Alain-Dominique PERRIN et la brillante direction de Marta GILI. A Paris comme en région, à Tours, à Perpignan, à Cherbourg, elle permettra, grâce à une meilleure lisibilité, de toucher un plus large public : dans ce domaine également, Arles, par sa notoriété, son histoire et son rayonnement, est amenée à jouer un rôle majeur.
Cette mission va se mettre à la tâche dès maintenant, des groupes de travail seront mis en place dans les tout prochains jours et ouvriront le dialogue entre les représentants des institutions publiques et les professionnels, afin de préciser les différents chantiers d'ici l'été.
S'agissant d'Arles en particulier, je souhaite que s'instaure et se formalise une concertation régulière entre les services de l'Etat, les Rencontres, l'École nationale supérieure de photographie (ENSP) et les collectivités locales, très impliquées dans les stratégies d'avenir de cette Ecole et dans la création du centre d'archivage et de conservation, et je les en remercie vivement.
Notre démarche est et doit être partenariale : c'est ma méthode, fondée non seulement sur la réflexion préalable (comme c'est aussi le cas dans le dossier Google), mais aussi sur cette indispensable coopération, d'une part entre l'Etat et les collectivités territoriales, d'autre part entre la puissance publique et le secteur privé. Je compte beaucoup sur l'engagement des mécènes et en particulier sur la Fondation LUMA de Maja HOFFMANN, que je remercie chaleureusement de son soutien généreux et créatif. Son projet remarquable, fruit du travail des équipes qu'elle a su rassembler autour d'elle, trouvera dans la réalisation architecturale de Franck GEHRY le cadre de son déploiement futur.
Le chantier qui nous attend est vaste ; il s'inscrit, je le répète, dans la longue durée, qui est celle de l'action politique. Je sais que le succès éclatant des Rencontres constitue pour cela un atout capital, un levier irremplaçable. Nous ne pourrons bien sûr, d'un seul clic photographique ou numérique, résoudre toutes les questions soulevées par le monde complexe de la photographie, des photographes et des détenteurs de fonds, ni combler toutes les attentes des amateurs passionnés qui désirent - et c'est une chance formidable - mieux connaître la richesse de notre patrimoine et les voir rendus accessibles à chacun. Mais sachez que c'est avec détermination que je travaille, avec mon cabinet, mes services et l'ensemble des partenaires, à ce que la photographie profite pleinement des richesses apportées par la mutation numérique, tout en conservant ce qui fait son irréductible spécificité - ce que j'appellerai l'« exception photographique ».
Je tiens, pour finir, à remercier chaleureusement François BARRÉ pour son action remarquable accomplie à la Présidence des Rencontres. Son expérience et son expertise unanimement reconnues ont contribué à la réflexion qu'a engagée le Maire d'Arles, Hervé SCHIAVETTI, pour construire - avec l'Etat, la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, le Conseil général des Bouches du Rhône et l'Ecole Nationale de la Photographie - les fondements de ce futur pôle de conservation et de réflexion auquel je faisais allusion il y a un instant. Je suis certain que Jean-Noël JEANNENEY nourrira cette réflexion avec le brio que chacun lui connaît, dans la continuité, mais aussi en y apportant sa personnalité et sa vision propres.
Je remercie également François HÉBEL d'apporter inlassablement tout son engagement et toute sa compétence au service de la photographie, des photographes et bien sûr des publics, de plus en plus nombreux et variés, connaisseurs et amateurs au sens plein du terme. Tous forment désormais cette grande famille élargie, qui se réunit aujourd'hui à quelques mois de l'ouverture de ces 41e Rencontres d'Arles, pour préparer son avenir en attendant les retrouvailles festives de l'été.
Je donne à présent la parole au directeur pour qu'il nous donne, par sa présentation de la programmation, un avant-goût de l'album d'images que nous pourrons y découvrir.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 26 mars 2010