Texte intégral
INSTITUT DIPLOMATIQUE ET CONSULAIRE
DISCOURS D'OUVERTURE
DU MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES ET EUROPEENNES,
BERNARD KOUCHNER
(Paris, 7 avril 2010)
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Chers amis, et désormais chers collègues,
D'abord, je veux vous féliciter ! Vous êtes ici parce que votre parcours a été exemplaire - que ce soit à travers un début de carrière remarqué, des études exigeantes, des concours difficiles. Mais surtout, vous avez fait le bon choix : celui du ministère des Affaires étrangères et européennes. Avec l'ensemble des directeurs ici présents, nous sommes fiers de vous y accueillir.
Certains d'entre vous ont déjà, avant de nous rejoindre, fréquenté ce ministère d'une manière ou d'une autre. Certains y ont effectué un stage. D'autres ont occupé un poste de Volontaire International. D'autres encore ont eu ici une première expérience professionnelle plus longue, avant d'y revenir par concours, ou de bénéficier d'une promotion interne. Mais pour vous tous, une nouvelle étape commence.
Vous venez d'horizons très divers. Cette diversité est une chance. Mais quelque chose vous réunit : chacune et chacun, dans votre parcours, vous vous êtes fait de cette maison, de ce métier, une certaine idée. Et cette idée vous a conduit ici.
Cette idée, c'est notre bien le plus précieux, et je vous souhaite de la garder toujours. Il faudra la préciser, la nuancer, l'enrichir, la plonger dans la réalité des choses, la ressortir toujours plus forte et plus vivante.
Il faudra la poursuivre sans relâche, à travers le doute, la réflexion, le renouvellement, malgré les déceptions passagères et les remises en cause inévitables. C'est elle qui vous permettra de maintenir le cap, entre deux tentations coutumières : se plaindre pour trop peu de choses, et se contenter à trop bon marché.
La diplomatie française est riche de son histoire, de son expérience, de tous ses héritages. Mais sa plus grande richesse, c'est vous. C'est la conviction qui vous a fait franchir tous les obstacles jusqu'à cette réunion. C'est l'enthousiasme lucide qui vous fera encore franchir tous les obstacles et refuser toutes les résignations. C'est cela votre force, et la force de la France dans le monde.
Vous commencez votre parcours dans un moment difficile. Le déficit public atteint un triste record. La révision générale des politiques publiques nous impose des contraintes - notamment la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. Elle nous impose des choix. Tout n'est pas négatif : ainsi la règle du un sur deux, on le sait trop peu, s'accompagne de la restitution sous forme d'augmentation salariale de la moitié des économies réalisées.
Mais il y a, dans ce ministère, des inquiétudes légitimes. Je les entends. Je les comprends. Je les connais. Vous avez rencontré hier les représentants des syndicats. Je les rencontre aussi, régulièrement.
Je suis votre défenseur. Mais je serai aussi fidèle à ma mission : celle de servir l'intérêt de notre pays.
Dans l'effort global de réforme de l'Etat, le ministère des Affaires étrangères et européennes est exemplaire. Ce doit être notre fierté. Je me bats pour qu'il conserve la capacité de remplir l'intégralité de ses missions et pour que les moyens de notre action extérieure soient garantis.
Mes Chers Amis, notre situation, comme toute situation difficile, nous place devant un choix. Qui sommes-nous ? Et quelle France voulons-nous ? Voulons-nous une France qui regrette qu'aujourd'hui ne soit pas comme hier ? Ou bien voulons-nous une France qui se forge, malgré tout, un destin ?
Permettez-moi de dire ma conviction profonde : les circonstances n'empêcheront pas une génération lucide, ferme et résolue, de faire de grandes choses, et de bâtir pour ses enfants des conditions meilleures !
Vous êtes notre plus grande richesse. J'ai voulu que vous soyez l'objet des meilleurs soins, et que tout soit fait pour vous aider à prendre le meilleur départ possible : en améliorant vos conditions de travail et de vie, vos perspectives de carrière, et votre intégration.
Avant de prendre votre première affectation au mois de septembre, vous allez donc effectuer une formation initiale de quatre mois. Cela ne s'était jamais fait. Il n'y avait pas de formation initiale pour les agents, et la formation continue n'était pas suffisante.
J'ai voulu créer un Institut Diplomatique et Consulaire, pour remédier à cette situation. Cet Institut, nous l'inaugurons ensemble aujourd'hui. C'est une étape importante dans la réforme du ministère que j'ai engagée.
Pourquoi un cycle de formation initiale ? Parce que j'ai souhaité que vous puissiez avoir une vision aussi large que possible du ministère, de ses missions, et développer une perception commune de la politique étrangère de la France, avant de vous attacher à un poste particulier.
Pourquoi une formation initiale ? Parce que la diplomatie n'est pas seulement un savoir. C'est un ensemble de savoir-faire : écouter, convaincre, négocier, s'adapter à des situations parfois dangereuses, souvent urgentes. Ces qualités ne s'improvisent pas : elles s'exercent et se développent, s'éveillent et se réveillent, et demandent une attention spécifique, si on veut les porter jusqu'à leur maximum.
Il y a dans cette maison des trésors d'expérience, et cette expérience, il faut donner l'occasion à ceux qui la détiennent de la transmettre à ceux qui ne l'ont pas encore. Et donc cette formation initiale, j'ai voulu qu'elle soit effectuée d'abord par les diplomates eux-mêmes, comme une main tendue entre les générations, au-delà des liens que vous allez créer, dans votre premier poste, avec votre hiérarchie immédiate.
Pendant les quatre mois qui viennent, j'espère que vous pourrez tisser un esprit d'équipe à l'épreuve du temps.
Une fois que vous aurez achevé cette formation, vous prendrez votre premier poste. J'ai voulu que vos perspectives soient tout de suite améliorées : vos primes ont été augmentées, les procédures d'évaluation et de promotion ont été améliorées et assouplies. Une diplomatie plus performante, ce sont des diplomates mieux reconnus !
Le ministère dans lequel vous entrez est un ministère en mouvement. Depuis bientôt trois ans, nous avons engagé, collectivement, une réforme qui porte à la fois sur l'organisation interne à Paris, sur la présence diplomatique, consulaire et culturelle à travers le monde, sur les méthodes de travail et la culture collective.
J'ai voulu adapter notre ministère aux grands enjeux mondiaux et aux besoins quotidiens des Français. En créant un centre de crise, qui assure une veille permanente, 7 jours sur 7, 24h sur 24, pour répondre aux urgences humanitaires et assister les Français de l'étranger en difficulté.
En installant une direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats, qui conçoit et pilote des stratégies de long terme pour répondre aux enjeux globaux : santé, démographie, énergie, ressources naturelles, économie, technologies, culture...
En installant une direction de la prospective, qui renforce nos capacités de réflexion et de prévision à long terme. En rénovant la politique culturelle extérieure pour qu'elle réponde à l'envie de France de nos partenaires internationaux.
Avec cette réforme de la politique culturelle, notre dispositif sera enfin fédéré sous un label unique ! Notre réseau sera enfin doté d'une tête ! Avec cette réforme, nous allons pouvoir donner aux agents de notre réseau des formations et des parcours à la hauteur de leurs attentes. Avec cette réforme, nous allons pouvoir utiliser les crédits au mieux, justifier la possibilité d'en obtenir de nouveaux, et diversifier les moyens de financement !
J'ai également voulu donner à notre diplomatie un nouveau visage, celui de la France du XXIème siècle, avec un personnel plus féminin, plus jeune et provenant d'horizons plus divers. J'ai aussi voulu changer en profondeur les méthodes de travail, avec plus d'ouverture sur le monde, sur la société civile, les ONG, les entreprises, les universités.
Cette réforme vous appartient. Sans vous, elle n'est rien. C'est à vous de la faire vivre ! Le ministère s'est mis en ordre de marche pour les grandes batailles du XXIème siècle.
Avec le président de la République, nous avons lancé quelques chantiers qui sont appelés à durer, et qui seront les vôtres, et qui seront, je l'espère, à la hauteur de votre appétit de justice, d'aventure, de service de l'intérêt collectif : réussir le pari des financements innovants pour financer le développement ; réformer la gouvernance mondiale, et le système des Nations unies ; établir avec les pays émergents une relation équilibrée, responsable, bénéfique pour chacun ; nouer des liens plus étroits avec les sociétés civiles du monde entier, et promouvoir la liberté d'expression, qui est l'autre face de la conscience publique.
Aucun de ces projets ne s'achève en un jour. Aucun de ces projets n'est l'oeuvre d'une seule personne, d'un seul service, d'une seule direction. Il n'y a pas de tâche quotidienne qui ne soit au service de ce mouvement d'ensemble.
Je vous suggère de ne jamais oublier le remède que Saint John Perse préconise pour lutter contre l'assoupissement administratif : "rapidité d'exécution, vivacité des réflexes, acuité de vision, initiative, prévoyance et, plus haut encore, chez les chefs, éveil de l'imagination".
Et j'ajoute : indignation. Indignation contre les clichés qu'on nous sert si souvent sur le métier de diplomate. Indignation contre les lâchetés qui poussent au renoncement, qu'il s'agisse des droits de l'Homme, de l'Europe ou des valeurs de notre pays.
Chers Collègues, chers Amis,
J'ai insisté tout à l'heure sur la transmission de l'expérience. Eh bien je voudrais profiter de ce que vous êtes tous réunis, pour vous faire partager quelques convictions quant à l'avenir de votre tâche.
A quoi ressembleront vos fonctions dans 15 ans, dans 20 ans - en 2025, en 2030 ? C'est difficile de le prévoir. Certains deviendront ambassadeurs représentant la France. D'autres seront peut-être au service de l'Union européenne. Mais une seule chose est sûre : beaucoup de certitudes seront remises en cause !
Autrement dit : le temps des grands desseins, des grandes actions, est revenu. Certains ne l'ont pas vu, ou ne veulent pas le voir, et préfèrent s'accrocher au souvenir des habitudes qui font semblant de se survivre. Pourtant le temps presse. Il n'est pas notre allié. Il est notre juge.
Le temps des grands desseins est revenu, et nous devons retrouver l'audace des grands fondateurs : l'audace de ceux qui ont fait l'Union européenne, de ceux qui ont bâti les Nations unies, de ceux qui ont posé les fondements de la justice internationale.
Et qu'est-ce que l'audace des grands fondateurs ? Beaucoup d'humilité dans les commencements. Beaucoup de ténacité dans l'exécution. Et pas de limite dans l'imagination !
Je voudrais vous redire ce que j'ai dit aux ambassadeurs, en août dernier : ce que j'attends de vous, ce que j'attends de tous les agents de ce ministère, ce n'est pas seulement l'analyse des problèmes et des difficultés : c'est l'invention des solutions, à tous les échelons.
Et si ces solutions consistent à remettre en cause ce que vous faites et ce que vos prédécesseurs font depuis des années - ce n'est pas grave.
Et si ces solutions vous paraissent iconoclastes et vous font hésiter, craindre le ridicule ou la disgrâce, ce n'est pas forcément que vous êtes sur la mauvaise voie. Vous ne me croyez pas ? Attendez un petit peu, et vous verrez ! Le seul risque, c'est l'inertie. La seule disgrâce, c'est le fatalisme. Et le comble du ridicule, c'est la passivité !
Ceux qui ont perdu d'avance sont ceux qui font le choix regrettable de déplorer ce qui leur échappe.
Vous allez entrer de plein pied dans l'histoire qui se fait, qui est la somme de toutes les énergies, de tous les enthousiasmes, de toutes les initiatives et de toutes les rencontres.
Et vous entrez de plein pied dans l'histoire au moment où l'histoire est en train de rebattre les cartes. Vous êtes une génération, vous les jeunes diplomates, les jeunes lauréats, qui a cette chance et ce risque de devoir s'inventer un destin.
Et quand je vous vois tous ici réunis, je pense à cette phrase que Stefan Zweig appliquait aux premiers explorateurs - ceux qui, au tournant du XVIème siècle, ont en quelques années découvert toutes les mers et fait le tour du monde : "toutes les fois qu'une génération ferme et résolue se met au travail, l'univers se transforme". Eh bien maintenant, c'est votre tour !
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 avril 2010