Texte intégral
Q - Bernard Kouchner au moment où nous parlons vous êtes encore aux Etats-Unis, vous avez participé avec le président Sarkozy au Sommet nucléaire de Washington. Bonjour ou bonsoir ?
R - Bonsoir.
Q - Barack Obama, Nicolas Sarkozy et même les Chinois disent que ce Sommet est un succès. Est-ce vrai ? En quoi est-ce un succès et pour qui ?
R - Pour les 46 Etats qui s'étaient réunis - et c'est un nombre important. C'est un succès pour parler, pour s'interroger et pour se prémunir contre la menace du terrorisme nucléaire. Nous avions oublié - un peu trop oublié - que la dissémination des matières fissiles à travers le monde pouvait entraîner des risques. Imaginez si un groupe terroriste entrait en possession de ces matières fissiles.
Q - C'est un principe, mais y a-t-il un risque réel que des groupes terroristes ou Al Qaïda possèdent ou soient sur le point de posséder une arme nucléaire ?
R - Non, il n'y a pas de risque précis mais il y a une menace générale. S'ils venaient à s'emparer de ces matières fissiles et en particulier de l'uranium enrichi, cela pourrait être particulièrement dangereux. Il fallait que l'on en parle et que les pays, un par un, se prémunissent. Finalement il y a une vraie menace et une protection physique des matières, en particulier du plutonium et de l'uranium, s'impose. Voilà ce qu'il fallait faire. Des groupes terroristes, pour s'approprier ces matières, auraient besoin de la complicité des Etats qui en possèdent. C'est cela le grand danger.
Q - La France a proposé que les chefs d'Etat responsables ou complices, comme vous dites Bernard Kouchner, complices de prolifération soient désignés et avez-vous le sentiment que l'idée a progressé à Washington avec vous ?
R - L'idée a progressé sans aucun doute. Beaucoup des Etats représentés ont salué la proposition du président français. En effet, Nicolas Sarkozy a dit que, s'il y a une complicité des Etats, les chefs et les gouvernements de ces Etats, cela ne peut pas rester impuni. Ils devraient être traduits devant un Tribunal international ad hoc - mais il faut le former. Cela pose des questions juridiques mais c'est une proposition très forte.
Q - Ce qui était impressionnant, c'est de voir à quel point les problèmes du nucléaire, de la prolifération nucléaire prennent le devant de la scène internationale. Il y a un texte qui dit, et qui a circulé à Washington, que l'arsenal nucléaire massif hérité de la guerre froide est peu adapté aux défis posés par les kamikazes. Y a-t-il un moyen de se débarrasser ou de se préparer à se débarrasser des contrebandiers du nucléaire ?
R - Il faut s'en débarrasser. Mais, parallèlement, il y a un développement du nucléaire civil qui a été souligné ici également. Il faut, cependant, être très clair. Par exemple, l'Ukraine a déjà l'intention de se débarrasser, d'ici le prochain Sommet en 2012, de tout son stock d'uranium hautement enrichi. Il y a des conversions annoncées de plusieurs réacteurs. Il y a l'annonce, en dehors de la signature du START + intervenue la semaine passée, d'un accord américano-russe sur l'élimination des stocks de plutonium en excès des besoins de défense. Tout cela est la conséquence de cette réunion.
Q - Alors, on dit sécuriser davantage en quatre ans, les stocks nationaux d'uranium et de plutonium et vous le répétez Bernard Kouchner, mais la France peut-elle faire plus que ce qu'elle a déjà fait ?
R - La France, c'est tout à fait différent. La France a précédé le mouvement, la France a déjà détruit ses capacité d'enrichissement de l'uranium, sur le site de Marcoule par exemple. La France a réduit de moitié tout son stock de têtes nucléaires. On dit que l'on en a près de 300, la France a été entièrement transparente et a précédé ce qui doit se faire ici en particulier après cette Conférence. La prise de conscience de la France a été bien en avance par rapport aux autres. J'ajoute que nous insistons sur une sécurisation des ports et des aéroports, ce qui est important.
Q - C'est-à-dire ?
R - Il faut savoir sécuriser ses ports et ses aéroports avec notamment des déploiements de capacités de détection plus précises.
Q - Les pressions contre la prolifération obligeront-elles la France, Bernard Kouchner, à renoncer ou à réduire encore son arsenal nucléaire ?
R - Pour le moment, non. Il y a environ 22 000 têtes nucléaires dans le monde. Nous, nous en avons moins de 300 et nous avons réduit déjà le nombre de moitié. Nous ne refusons pas pour le moment de suivre la progression de la prise de conscience, au contraire, nous l'avons précédé.
Actuellement, nous avons une dissuasion et une position claire sur la dissuasion qui a été récemment rappelée. Je l'ai dernièrement exposée lors d'un débat au Sénat et l'ensemble des groupes politiques français était d'accord avec cela.
Q - Bernard Kouchner, confirmez-vous qu'entre Barack Obama, le n°1 chinois, Hu Jintao et même avec Nicolas Sarkozy, ça va bien mieux et que la Chine est plutôt d'accord pour imposer des sanctions à l'Iran ?
R - La Chine est d'accord pour discuter sur le contenu des sanctions, c'est-à-dire sur l'essence même, ce que, jusqu'à présent, elle avait refusé de faire. Dans les jours qui viennent - demain, après-demain... - les discussions à 5+1, avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité dont la Chine vont se poursuivre à New York. Cela arrivera-t-il à échéance avant la fin du mois ? Nous l'espérons tous, mais ce n'est pas sûr.
Q - Mais quels types de sanctions ? Le président de la République a évoqué la décision de ne plus acheter de pétrole à l'Iran : c'est possible ?
R - Vous le savez, la Russie en particulier refuse toute sanction sur l'énergie ; il faut donc discuter et je ne peux pas en préjuger. La discussion a lieu et c'est très important. Quand on parle de sécurité nucléaire, il faut d'abord parler de ce qui se passe en Iran et en Corée du Nord. Si l'on ne parle pas de cela, on n'est pas sérieux et nous en avons beaucoup parlé à Washington.
Q - Avez-vous constaté un accord unanime contre les ambitions nucléaires de l'Iran ?
R - Oui, bien sûr, mais sur les sanctions c'est autre chose. Il faut discuter entre techniciens et entre experts quels types de sanctions à appliquer. Il faut que ce soit échelonné, que ce soit peut-être gradué et qu'il y ait des échéances précises. Nous allons discuter de cela à New York. Là, nous étions à Washington et il y avait un accord pour ne pas laisser l'Iran se doter de la bombe atomique.
Q - Les ravisseurs Taliban des deux journalistes de France 3 durcissent leur chantage et réclament la libération de Taliban détenus. La négociation, même indirecte, pour sauver nos deux confrères continue-t-elle avec les Taliban ?
R - Nous faisons tout ce que nous pouvons. Nous sommes tous mobilisés à Paris comme à Kaboul pour obtenir la libération d'Hervé Ghesquière et de Stéphane Taponier. Ils sont détenus, mais ils sont vivants et nous faisons tout pour que cessent leurs souffrances.
Q - Pas forcément avec un échange de détenus contre les deux otages ?
R - Sur la négociation, pardonnez-moi de ne pas en dire plus. Vous comprendrez bien que je ne puisse pas le faire.
Q - Dimanche, le président de la République va-t-il se rendre aux obsèques du président de la Pologne ?
R - Oui, le président de la République se rendra aux obsèques. Je m'y rendrai moi-même également. A cette Conférence de Washington, je peux vous dire que l'on l'a bien senti l'émotion provoquée par cet accident. Il y a eu une minute de silence très symbolique, mais également très chargée d'émotion, de ces 46 chefs d'Etat. Nos amis polonais subissent un martyr, à la fois bien sûr parce que cet accident mortel a été une véritable souffrance, mais aussi parce que les Polonais ressentent cela dans leur histoire, dans l'histoire vis-à-vis de Katyn, des martyrs, des assassinats... C'est vraiment très difficile de parler de ce que nous ressentons nous-mêmes par rapport à eux. Nous devons être à leurs côtés, solidaires et pour longtemps.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 avril 2010
R - Bonsoir.
Q - Barack Obama, Nicolas Sarkozy et même les Chinois disent que ce Sommet est un succès. Est-ce vrai ? En quoi est-ce un succès et pour qui ?
R - Pour les 46 Etats qui s'étaient réunis - et c'est un nombre important. C'est un succès pour parler, pour s'interroger et pour se prémunir contre la menace du terrorisme nucléaire. Nous avions oublié - un peu trop oublié - que la dissémination des matières fissiles à travers le monde pouvait entraîner des risques. Imaginez si un groupe terroriste entrait en possession de ces matières fissiles.
Q - C'est un principe, mais y a-t-il un risque réel que des groupes terroristes ou Al Qaïda possèdent ou soient sur le point de posséder une arme nucléaire ?
R - Non, il n'y a pas de risque précis mais il y a une menace générale. S'ils venaient à s'emparer de ces matières fissiles et en particulier de l'uranium enrichi, cela pourrait être particulièrement dangereux. Il fallait que l'on en parle et que les pays, un par un, se prémunissent. Finalement il y a une vraie menace et une protection physique des matières, en particulier du plutonium et de l'uranium, s'impose. Voilà ce qu'il fallait faire. Des groupes terroristes, pour s'approprier ces matières, auraient besoin de la complicité des Etats qui en possèdent. C'est cela le grand danger.
Q - La France a proposé que les chefs d'Etat responsables ou complices, comme vous dites Bernard Kouchner, complices de prolifération soient désignés et avez-vous le sentiment que l'idée a progressé à Washington avec vous ?
R - L'idée a progressé sans aucun doute. Beaucoup des Etats représentés ont salué la proposition du président français. En effet, Nicolas Sarkozy a dit que, s'il y a une complicité des Etats, les chefs et les gouvernements de ces Etats, cela ne peut pas rester impuni. Ils devraient être traduits devant un Tribunal international ad hoc - mais il faut le former. Cela pose des questions juridiques mais c'est une proposition très forte.
Q - Ce qui était impressionnant, c'est de voir à quel point les problèmes du nucléaire, de la prolifération nucléaire prennent le devant de la scène internationale. Il y a un texte qui dit, et qui a circulé à Washington, que l'arsenal nucléaire massif hérité de la guerre froide est peu adapté aux défis posés par les kamikazes. Y a-t-il un moyen de se débarrasser ou de se préparer à se débarrasser des contrebandiers du nucléaire ?
R - Il faut s'en débarrasser. Mais, parallèlement, il y a un développement du nucléaire civil qui a été souligné ici également. Il faut, cependant, être très clair. Par exemple, l'Ukraine a déjà l'intention de se débarrasser, d'ici le prochain Sommet en 2012, de tout son stock d'uranium hautement enrichi. Il y a des conversions annoncées de plusieurs réacteurs. Il y a l'annonce, en dehors de la signature du START + intervenue la semaine passée, d'un accord américano-russe sur l'élimination des stocks de plutonium en excès des besoins de défense. Tout cela est la conséquence de cette réunion.
Q - Alors, on dit sécuriser davantage en quatre ans, les stocks nationaux d'uranium et de plutonium et vous le répétez Bernard Kouchner, mais la France peut-elle faire plus que ce qu'elle a déjà fait ?
R - La France, c'est tout à fait différent. La France a précédé le mouvement, la France a déjà détruit ses capacité d'enrichissement de l'uranium, sur le site de Marcoule par exemple. La France a réduit de moitié tout son stock de têtes nucléaires. On dit que l'on en a près de 300, la France a été entièrement transparente et a précédé ce qui doit se faire ici en particulier après cette Conférence. La prise de conscience de la France a été bien en avance par rapport aux autres. J'ajoute que nous insistons sur une sécurisation des ports et des aéroports, ce qui est important.
Q - C'est-à-dire ?
R - Il faut savoir sécuriser ses ports et ses aéroports avec notamment des déploiements de capacités de détection plus précises.
Q - Les pressions contre la prolifération obligeront-elles la France, Bernard Kouchner, à renoncer ou à réduire encore son arsenal nucléaire ?
R - Pour le moment, non. Il y a environ 22 000 têtes nucléaires dans le monde. Nous, nous en avons moins de 300 et nous avons réduit déjà le nombre de moitié. Nous ne refusons pas pour le moment de suivre la progression de la prise de conscience, au contraire, nous l'avons précédé.
Actuellement, nous avons une dissuasion et une position claire sur la dissuasion qui a été récemment rappelée. Je l'ai dernièrement exposée lors d'un débat au Sénat et l'ensemble des groupes politiques français était d'accord avec cela.
Q - Bernard Kouchner, confirmez-vous qu'entre Barack Obama, le n°1 chinois, Hu Jintao et même avec Nicolas Sarkozy, ça va bien mieux et que la Chine est plutôt d'accord pour imposer des sanctions à l'Iran ?
R - La Chine est d'accord pour discuter sur le contenu des sanctions, c'est-à-dire sur l'essence même, ce que, jusqu'à présent, elle avait refusé de faire. Dans les jours qui viennent - demain, après-demain... - les discussions à 5+1, avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité dont la Chine vont se poursuivre à New York. Cela arrivera-t-il à échéance avant la fin du mois ? Nous l'espérons tous, mais ce n'est pas sûr.
Q - Mais quels types de sanctions ? Le président de la République a évoqué la décision de ne plus acheter de pétrole à l'Iran : c'est possible ?
R - Vous le savez, la Russie en particulier refuse toute sanction sur l'énergie ; il faut donc discuter et je ne peux pas en préjuger. La discussion a lieu et c'est très important. Quand on parle de sécurité nucléaire, il faut d'abord parler de ce qui se passe en Iran et en Corée du Nord. Si l'on ne parle pas de cela, on n'est pas sérieux et nous en avons beaucoup parlé à Washington.
Q - Avez-vous constaté un accord unanime contre les ambitions nucléaires de l'Iran ?
R - Oui, bien sûr, mais sur les sanctions c'est autre chose. Il faut discuter entre techniciens et entre experts quels types de sanctions à appliquer. Il faut que ce soit échelonné, que ce soit peut-être gradué et qu'il y ait des échéances précises. Nous allons discuter de cela à New York. Là, nous étions à Washington et il y avait un accord pour ne pas laisser l'Iran se doter de la bombe atomique.
Q - Les ravisseurs Taliban des deux journalistes de France 3 durcissent leur chantage et réclament la libération de Taliban détenus. La négociation, même indirecte, pour sauver nos deux confrères continue-t-elle avec les Taliban ?
R - Nous faisons tout ce que nous pouvons. Nous sommes tous mobilisés à Paris comme à Kaboul pour obtenir la libération d'Hervé Ghesquière et de Stéphane Taponier. Ils sont détenus, mais ils sont vivants et nous faisons tout pour que cessent leurs souffrances.
Q - Pas forcément avec un échange de détenus contre les deux otages ?
R - Sur la négociation, pardonnez-moi de ne pas en dire plus. Vous comprendrez bien que je ne puisse pas le faire.
Q - Dimanche, le président de la République va-t-il se rendre aux obsèques du président de la Pologne ?
R - Oui, le président de la République se rendra aux obsèques. Je m'y rendrai moi-même également. A cette Conférence de Washington, je peux vous dire que l'on l'a bien senti l'émotion provoquée par cet accident. Il y a eu une minute de silence très symbolique, mais également très chargée d'émotion, de ces 46 chefs d'Etat. Nos amis polonais subissent un martyr, à la fois bien sûr parce que cet accident mortel a été une véritable souffrance, mais aussi parce que les Polonais ressentent cela dans leur histoire, dans l'histoire vis-à-vis de Katyn, des martyrs, des assassinats... C'est vraiment très difficile de parler de ce que nous ressentons nous-mêmes par rapport à eux. Nous devons être à leurs côtés, solidaires et pour longtemps.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 avril 2010