Texte intégral
J.-M. Aphatie.- Bonjour E. Woerth.
Bonjour.
Avez-vous été surpris par les prévisions financières du Conseil d'Orientation des Retraites ?
A la vérité, non, parce que les prévisions n'étaient déjà pas bonnes lorsqu'elles ont été faites en 2007 ; là, elles ont été réactualisées pour tenir compte notamment de l'impact de la crise. Donc, elles ne pouvaient pas être meilleures, elles sont effectivement nettement dégradées.
Au vu de ces prévisions, E. Woerth, excluez-vous toujours, dans l'hypothèse de la réforme du financement des régimes de retraite, l'augmentation des cotisations retraite pour les employeurs et les salariés ?
Oui, bien sûr, parce quand vous regardez les chiffres du Conseil d'Orientation des Retraites, un organisme qui fait un travail d'ailleurs assez formidable et détaillé, vous oscillez entre 70 milliards, donc des chiffres absolument immenses et 100 milliards d'euros, selon les circonstances, selon la croissance, etc.,
A l'horizon de 2050. A l'horizon de 2050. Donc on voit bien que ce sont des chiffres qui ne sont pas atteignables par la fiscalité. L'impôt sur le revenu, c'est une cinquantaine de milliards d'euros ; donc, il faudrait doubler l'impôt sur les sociétés, 50 milliards d'euros quand il n'y a pas de crise. L'impôt sur le revenu, c'est à peu près pareil. Il faudrait doubler ces impôts pour uniquement parvenir en équilibre. Donc, on voit bien que quand il y a des problèmes de cette nature, c'est-à-dire structurelle, au fond il faut passer par d'autres voies ; et d'autres pays l'ont fait. Donc c'est de cela dont on doit discuter dans les deux mois qui viennent.
D'autres voies ? Il n'y en a pas au pluriel ! Il n'y a que l'augmentation de la durée de cotisations, alors ?
Il y a l'augmentation de la durée de cotisations, bien sûr, quand on vit plus longtemps. Il y a trois éléments assez importants dans ce rapport.
Qui peuvent bouger.
Tous les rapports sont extrêmement importants, mais juste dans le descriptif, je ne ferai pas trop de descriptif, mais juste dans le descriptif... Il y a trois points. Vous viviez jusqu'à 66 ans en 1950 ; vous vivez jusqu'à 81 ans en moyenne, enfin nous, on verra, nous, on verra. Mais en moyenne, 81 ans, en 2010 ; et 15 ans d'espérance de vie Journaux et invités du matin - Dept. Revues de presse - 01 42 75 54 41 Page 13 sur 27 https://rpa.applications.pm.gouv.fr/journaux_et_invites.php3?date=2010-04-14 14/04/2010 qui est gagné. Les conclusions du COR anticipent de 20 ans les chiffres qu'on prévoyait, c'est-à-dire que les chiffres qu'on prévoyait en 2010, en 2030 à cause de la crise, qui sont atteints, mais la crise, au fond, ne fait qu'être un accélérateur du problème structurel.
Nous, on parle de la réforme, E. Woerth. Qu'est-ce qui doit changer ?
Et puis si on fait rien, effectivement, ce serait (...) milliards en 2050. Ca fait un triptyque, au fond, qui est extraordinairement lourd, qui impose la réforme, qui rend indispensable la réforme. D'ailleurs, aucune organisation syndicale ne le conteste.
Vous venez de répéter, E. Woerth, au micro RTL que vous excluez l'augmentation des cotisations retraite.
Parce que ce n'est pas à la hauteur du sujet ?
On a compris. Vous excluez aussi la baisse des pensions ?
Bien sûr, parce que la baisse des pensions, ce n'est pas une possibilité. D'ailleurs, on voit dans ce rapport que les pensions vont plutôt augmenter au fur et à mesure du temps.
Donc, le seul critère sur lequel on peut bouger, c'est l'augmentation de la durée de cotisations ?
Mais c'est l'allongement du temps, à un moment donné de travail. On verra quelle forme ça peut prendre mais quand vous vivez plus longtemps, il y a un moment donné, vous devez passer plus de temps au travail, puis vous passez aussi plus de temps, d'ailleurs entre nous, à la retraite. Mais vous devez tenir compte de toutes les autres circonstances.
L'âge légal de 60 ans.
Notamment la pénibilité...
L'âge légal de 60 ans.
Ou l'emploi des seniors.
L'âge légal de 60 ans dans votre esprit est-il en débat, Eric Woerth ?
L'âge de 60 ans est évidemment en débat. Le président de la république l'a indiqué il y a plus d'un an d'ailleurs, en indiquant qu'au fond, il ne faut pas avoir de tabou dans ce type de sujet parce que c'est bien du sauvetage du système des retraites dont il s'agit.
Vous avez entendu l'opposition radicale des syndicats que vous avez reçus, lundi : CGT, CFDT notamment.
Je vais y venir.
... à la modification de l'âge de la retraite.
Les deux réformes précédentes ont à peu près réduit de moitié les besoins de financement ; donc elles ont eu un impact. Mais au fond, il faut aussi s'occuper de ce qui fait la structure même du système. D'autres pays l'ont fait. Si vous voulez regarder au fond vos enfants dans les yeux, ceux qui partiront en 2050, c'est ceux qui ont 20 ans, aujourd'hui. Moi j'ai une cinquantaine d'années, un peu plus malheureusement, mais ça veut dire que des enfants de 20 à 25 ans, en 2050, ils commencent à partir à la retraite. Vous ne pouvez pas les laisser partir à la retraite...
Essayons d'être concret. Nous, nous sommes d'accord. Ca, on a compris. (...)
Ce n'est pas possible.
Donc, vous avez compris que les syndicats étaient très hostiles à la modification de l'âge légal du départ à la retraite ?
Oui.
Vous l'avez compris ? Vous l'intégrez ? Vous le regrettez ?
Ils sont hostiles, bien sûr, ils sont hostiles. Je vais aussi, ou je le regrette, je n'ai pas à regretter pour les uns ou pour les autres. Moi je mène une concertation approfondie et j'ai envie que cette réforme, elle soit juste.
Mais dans la concertation, ils vous disent : ne touchez pas à ça ! Et vous, vous voulez y toucher ?
Ils disent : ne touchez pas à cela ! Et ils disent, en même temps : la réforme est indispensable. Aucun syndicat n'a, au fond, nié la nécessité, le côté indispensable de la réforme. Et moi, le Premier ministre, le Président de la République, on ne veut pas passer en force. Donc, il n'y aura pas de passage en force.
On voit bien le point de désaccord ; mais ne tournons pas autour du pot.
C'est une concertation vraiment très approfondie, puis à un moment donné, il y aura le temps de la décision...
On voit bien les points de désaccord !
Ne vous faites pas dire qu'il y aura absolument un désaccord dans deux mois quand on n'a pas encore mis la réforme sur la table. Je concerte, j'écoute, c'est très important de le faire, et notamment j'intègre des données qui ne sont pas aujourd'hui sur la table, notamment la donnée de la pénibilité : comment on prend en compte la pénibilité au travail.
Et ça nous coûtera plus cher, donc, ça ne résoudra pas le problème des déficits.
Comment ? Ca coûtera plus cher ? Mais vous ne pouvez pas non plus ne pas obtenir compte de la pénibilité.
D'accord, mais enfin !
Comment augmenter la solidarité au sein du système ? Quand une mère a trois enfants, quand quelqu'un a passé une partie de sa vie au chômage, quand il y a de la précarité parce qu'il y a de la précarité évidemment au travail aujourd'hui, il faut tenir compte de cela au moment où on prend sa retraite. Et il y a l'emploi des seniors.
D'accord, oui, mais...
Oui, oui. Non, non, pas oui, oui. C'est des points extraordinairement importants pour construire un système de réforme de la retraite qui n'est pas uniquement lié à un certain nombre de paramètres...
Je veux savoir s'il y a une négociation encore, ce matin, E. Woerth ?
Il n'y a pas de... il y a une concertation...
L'âge légal de la retraite, pour vous, doit bouger. On a vu que les syndicats n'étaient pas d'accord.
J'ai dit que l'âge légal était sur la table. Je n'ai pas dit qu'il devait bouger. Ne préemptons pas sur les solutions.
D'accord, mais s'il est sur la table c'est que dans votre esprit, il peut bouger ? Nous sommes d'accord ?
On va en discuter...
D'accord.
Je vais en discuter avec des partis politiques. Je vais en discuter avec le Parti Socialiste, par exemple.
Le calcul des pensions des salariés du secteur public se fait sur les six derniers mois de salaire. Ceux du secteur privé sur les 25 dernières années. Cela aussi, d'après vous, est-il dans le champ de la négociation ?
Je reçois les fédérations de fonctionnaires avec G. Tron, la semaine prochaine, je les connais bien, je les ai reçus à plusieurs reprises. Je mettrai sur la table aussi tous les sujets qui font une différenciation entre le secteur privé et le secteur public. Et nous verrons si cette différenciation est judicieuse et juste entre les Français. Je ne veux pas qu'on oppose, à un moment donné...
Cela aussi peut bouger ?
... Je veux dire, à partir du moment où vous êtes au début d'un travail, tout peut bouger. Mais ça ne veut pas dire que ça bougera et je veux dire que ...
Mais il faut récupérer 100 milliards.
Pardonnez-moi, je viendrai à votre antenne dans un mois et demi.
D'ici 2050, on se retrouvera, oui, oui !
Je vous en dirais plus ; mais en attendant, je ne vais pas annoncer des éléments de réforme d'ailleurs qui ne sont pas encore construits parce que la concertation doit prédominer. Mais dans la concertation, vous mettez les choses sur la table. Et les régimes des fonctionnaires sont différents des régimes des salariés du privé parce que ce n'est pas la même chose d'être fonctionnaire. Il y a une spécificité. Donc, on va évidemment tenir compte de cette spécificité, il faut plus de convergence.
J.-L. Mélenchon, qui était à votre place, hier matin, assurait que faute d'avoir été informatisée, la reconstitution des carrières dans la Fonction Publique était impossible et donc, on ne pouvait pas remonter au-delà de six mois pour reconstituer la carrière d'un fonctionnaire ?
Non, mais tout cela est complètement faux. Vous croyez que l'administration française ne peut pas reconstituer la carrière d'un fonctionnaire ? Non...
Certains hauts fonctionnaires le disent aussi, c'est dans la presse ce matin. Je vous renvoie aux Echos notamment.
Non, non pas du tout... Vous savez, moi j'ai été ministre du Budget, je suis toujours ministre de la Fonction publique, mais j'ai bien regardé ça.
Pas de problème de votre point de vue ?
Et j'ai créé sur le plan des retraites un organisme centralisé qui monte en charge et qui sera l'interlocuteur unique pour les carrières des fonctionnaires. Mais quand vous regardez dans les ministères, il n'y a pas de problème pour reconstituer la carrière d'un fonctionnaire, donc ce n'est vraiment pas le sujet.
Le 31 mars, recevant les députés UMP, le président de la République avait dit qu'un petit effort serait demandé, un petit effort financier sur la réforme des retraites. Est-ce que vous pouvez nous donner des précisions ?
Ca veut dire, au fond, qu'on ne s'empêche pas, heureusement d'ailleurs, de faire en sorte qu'il y ait des recettes supplémentaires. Ca ne veut pas dire une augmentation générale des cotisations, elles sont très élevées en France, donc ce n'est pas une voie ...
Mais ciblée ?
... mais ciblée. Il faut que dans cette réforme, il y ait à la fois de l'efficacité, c'est nécessaire pour sauver le système de retraite et puis, il faut de la justice...
Augmentation ciblée, ça veut dire ?
Il faut que les gens considèrent que c'est une réforme juste, et que ceux qui peuvent faire plus feront plus ...
Le bouclier fiscal ?
Je n'ai pas dit cela.
Ceux qui peuvent faire plus, feront plus ?
Je n'ai pas dit cela, Monsieur Aphatie, et je n'en suis pas encore là.
Ceux qui peuvent faire plus, feront plus !
Ce n'est pas ça le sujet mais nous devons avoir plus d'équité dans le système. On ne peut pas construire un système de retraite sans justice et équité ; mais ce sera vrai pour les parlementaires aussi. On ne peut pas demander un effort aux Français sans demander aussi un effort aux parlementaires. Je vais en parler.
Le régime spécial des retraites des parlementaires sera revu ?
Il va être mis sur la table. On ne peut pas demander un effort aux Français sans demander un effort aux parlementaires, ils en sont d'ailleurs bien d'accord. Je vais en parler avec B. Accoyer, avec G. Larcher, avec les présidents de groupe puisque ce sont les Assemblées qui décident elles-mêmes de leur régime de retraite.
Allez, on passe tout à la moulinette ; pour les réponses, on se reverra avec E. Woerth, enfin pour les décisions, d'ici 2050.
Je serai encore là, oui je sais. Je sais parce que vous aurez une trop petite retraite. Vous savez que si on veut justement combattre le phénomène des petites retraites, on doit évidemment sauvegarder le système.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 avril 2010