Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur le mécénat culturel, les fonds de dotation dédiés à des projets culturels et le mécénat d'entreprise, Paris le 20 avril 2010.

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Circonstance : Signature de la 2ème charte nationale pour le développement du mécénat culturel à Paris le 20 avril 2010

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Il y a, dans Les Affinités électives de GOETHE, une singulière théorie du mariage. L'un des personnages y propose, en effet, que « le mariage ne soit valable que pour cinq ans » : « ce nombre impair et sacré (ajoute-t-il) suffit pour apprendre à se connaître, pour se brouiller, et, ce qui est le plus charmant, pour se réconcilier. L'on oublierait, au milieu de ce charmant petit commerce, l'époque fixée pour la résiliation du contrat d'association, comme on oublie, dans une bonne société, l'heure à laquelle on s'était promis de se retirer. Et je suis persuadé que l'on ne s'apercevrait de cet oubli qu'avec un sentiment de bonheur, parce qu'il aurait tacitement renouvelé le contrat ».
Cette théorie aussi amusante qu'intéressante d'un mariage à durée déterminée - un « MDD » en quelque sorte...! - , mais indéfiniment renouvelable par tacite reconduction, elle me semble pouvoir s'appliquer à toutes sortes de mariages, en particulier à ceux qui unissent, comme c'est le cas pour nous, un Ministère, comme le nôtre, et une Chambre de Commerce et d'Industrie.
Je dois dire que c'est avec un très grand plaisir que je me trouve aujourd'hui parmi vous, au siège de l'Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d'Industrie (ACFCI), accueilli par son Président Jean-François BERNARDIN, à l'occasion du renouvellement de notre mariage de raison, mais aussi d'inclination, fondé sur l'amour de la Culture ! Notre contrat de mariage s'appelle « Charte pour le développement du mécénat culturel », et fut signé pour la première fois le 15 mars 2005, il y a 5 ans - la durée prescrite par le personnage de GOETHE. Et voilà que nous aussi, nous avons décidé de signer sa reconduction pour 5 nouvelles années ! Ce nouvel accord répond à une volonté partagée de poursuivre, sur des bases renouvelées, le travail fructueux qu'ont mené de concert nos réseaux et nos collaborateurs, afin que la culture ne demeure plus, sinon une « affaire d'Etat », du moins une affaire de l'Etat, mais croise l'action de la puissance publique et celle des entreprises.
Voici cinq ans, il s'agissait d'abord de faire connaître la loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations ; ensuite, de mettre en place à travers toute la France des réseaux de correspondants mécénat qui oeuvrent ensemble au rapprochement entre les acteurs culturels et les dirigeants d'entreprise. Il s'agissait également d'asseoir définitivement l'idée que l'activité culturelle et le patrimoine constituent un élément essentiel d'attractivité et par là de développement économique pour nos régions. La crise l'a montré : la culture crée des richesses, des entreprises, des emplois, par le tourisme, par le développement des pratiques et des industries culturelles, surtout aujourd'hui, à l'ère du numérique.
Durant ces cinq années, ces objectifs ont été largement réalisés. Nous avons réussi à déployer des « liaisons » (jusque là perçues comme « dangereuses », mais aujourd'hui officialisées !) entre deux mondes longtemps étrangers l'un à l'autre, nous avons réussi à intégrer le dense tissu des petites et moyennes entreprises (PME) dans le dialogue avec les acteurs culturels, dont l'horizon était jusqu'alors presque réduit à quelques grandes entreprises parisiennes.
Les chiffres confirment d'ailleurs un changement des mentalités qui se vérifie partout : s'il y avait en France, avant la loi du 1er août 2003, moins de 2000 entreprises connues pour faire du mécénat, elles étaient déjà, en 2008, plus de 15 000 à utiliser des dispositions fiscales favorables au mécénat, et non moins nombreuses à soutenir des initiatives d'intérêt général dans des actions de parrainage. Plus d'un tiers de la générosité de ces entreprises profite au domaine culturel - une tendance que la crise que nous traversons ne semble pas avoir profondément infléchie.
La législation française relative au mécénat est, vous le savez, l'une des plus complètes et des plus généreuses au monde. Depuis 2003, elle s'est enrichie de mesures importantes qui, pour la plupart, concernent le domaine culturel : je pense notamment à la diffusion du spectacle vivant et à l'organisation des expositions d'art contemporain, je pense aussi aux monuments historiques privés, qui constituent un pan essentiel de notre patrimoine et qui concourent beaucoup à cette attractivité des territoires que j'évoquais tout à l'heure. Je pense enfin à la presse, qui peut désormais bénéficier de soutiens privés.
J'ajoute que, depuis la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (la loi « TEPA »), certains types d'organismes - les fondations reconnues d'utilité publique, les établissements d'enseignement supérieur et de recherche - peuvent bénéficier de dons déductibles de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Enfin, grâce à la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008, nous disposons d'un nouvel outil de financement, le « fonds de dotation ». Il s'agit d'une nouvelle génération de fondations, dont le succès est exceptionnel. Il s'en est créé en effet plus de 240 depuis un an. Cela montre à quel point la culture du don à des oeuvres d'intérêt général représente un vaste potentiel dans notre pays. Or, pas moins de 18 %, presque un cinquième de ces fonds sont dédiés à des projets culturels, ce qui est loin d'être négligeable.
Je souhaite, vous le savez, poursuivre l'amélioration de cette législation, en proposant notamment de relever le plafond des dons afin de donner davantage de marge au mécénat des plus petites entreprises. Si le contexte budgétaire actuel n'est guère favorable au développement des avantages fiscaux, c'est un objectif que je ne perds pas de vue.
L'offre culturelle a été l'un des domaines privilégiés du développement du mécénat d'entreprise dans notre pays pour des raisons évidentes. D'abord, la culture est l'un des axes les plus forts de notre rayonnement. Ensuite, les entreprises ont depuis longtemps compris qu'il ne s'agit pas seulement d'améliorer leur image, mais de travailler à la qualité même de leurs valeurs communes, de leur identité et de leur interaction avec leur environnement. L'importance économique de la culture n'a pas échappé non plus aux chefs d'entreprise, notamment dans les territoires. Et l'articulation entre mécénat et responsabilité sociale a fait ressortir ce que la culture, parce qu'elle s'accompagne d'une ouverture d'esprit et d'un certain regard, peut apporter à la lutte contre toutes les formes d'exclusion et à l'égalité des chances. Finalement ce mécénat culturel de l'entreprise contribue fortement à la « culture pour chacun » dont j'ai fait l'un des grands principes de mon action.
Un excellent rapport sur cette question m'a été remis récemment. Ses propositions, qui concernent principalement les jeunes, les habitants des banlieues défavorisées et ceux de l'espace rural, nourriront le plan d'action que j'exposerai dans les mois à venir, fédérant tous les acteurs du secteur, y compris les entreprises mécènes.
Le dialogue avec l'entreprise fait désormais partie de la culture du Ministère. Il s'articule de plus en plus sur des « pôles mécénat » régionaux ou interrégionaux, qui associent les chambres de commerce, les chambres de notaires et des conseils régionaux de l'ordre des experts-comptables, voire d'autres réseaux actifs en matière de mécénat. Plusieurs régions ont déjà donné l'exemple. Je suis convaincu que ces pôles fourniront les meilleurs interlocuteurs aux porteurs de projets en quête de partenaires, comme aux entreprises qui souhaitent se lancer dans le mécénat culturel.
Mais même la générosité a besoin sinon d'une initiation, du moins d'une formation, et votre réseau consulaire est le deuxième formateur de notre pays, après l'Éducation nationale ! Il gère de nombreux réseaux d'établissements d'enseignement supérieur (Ecoles supérieures de commerce, Ecoles de gestion des cadres, etc.). Des formations au mécénat existent déjà dans certains de ces établissements, qui sont les pépinières de nos dirigeants d'entreprise. Les Directions Régionales des Affaires Culturelles (DRAC) jouent évidemment un rôle sinon central, du moins axial dans cette politique. C'est pourquoi l'idée que les étudiants mobilisent leurs compétences dans des partenariats avec elles me paraît excellente. Ils peuvent se former sur le terrain et apporter leur contribution à toute l'ingénierie des projets : des enquêtes sur les pratiques locales à la communication dans des campagnes de mécénat, en passant même parfois par la recherche de fonds.
Cette charte préconise enfin le développement de démarches collectives de mécénat qui émanent des entreprises. Il existe en France, depuis des années, de nombreux clubs ou cercles d'entreprises, informels ou associatifs, qui viennent soutenir des organismes, des événements culturels, des festivals, des monuments, des musées, à l'instar des sociétés d'amis. Il existe aussi des fondations collectives d'entreprises dont l'engagement s'inscrit dans la durée, au profit de la vie culturelle d'un territoire ou de l'activité d'un établissement. Les instruments juridiques ne manquent pas, de la fondation reconnue d'utilité publique à la fondation d'entreprise et au fonds de dotation, pour répondre à des situations très diverses, et nous pouvons ensemble réfléchir aux outils les plus adaptés. Une forme de mobilisation assez nouvelle en France, mais bien vivante dans d'autres pays, comme le Canada, est en train d'émerger : celle de la fondation territoriale, appelée outre-Atlantique « communautaire ». C'est dans le maillage le plus fin de nos territoires, que l'expertise des entreprises et des fondations, leur capacité de diagnostic et d'évaluation pourront donner toute la mesure de leur apport : là aussi, les DRAC doivent jouer un rôle clef, en partenariat étroit avec les chambres de commerce et d'industrie, avec lesquelles elles possèdent d'ores et déjà de nombreuses affinité électives.
C'est pourquoi je me réjouis de ce renouvellement de confiance mutuelle entre le Ministère de la Culture et de la Communication, et l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie, qui permet de consolider les acquis des cinq ans écoulés et de lancer, pour cinq nouvelles années, bien des nouveaux projets en faveur de cette culture partenariale qui est l'un des leviers de la « culture pour chacun ».
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 27 avril 2010