Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur le rayonnement et la diplomatie culturelle, le rôle et les enjeux de la diffusion de la culture et des industries culturelles, Paris le 22 avril 2010.

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Circonstance : Réception des conseillers culturels des ambassades à Paris le 22 avril 2010

Texte intégral


J'ai tenu à vous réunir aujourd'hui parce que je suis pleinement conscient - de par mon expérience bien sûr, mais aussi de manière plus générale - de l'importance essentielle de ce que l'on appelle la diplomatie culturelle.
Je trouve d'ailleurs cette expression très éloquente et profondément juste. Car au fond, j'ai toujours eu du mal à dissocier la diplomatie de la culture et la culture de la diplomatie. « Cedant arma togae » disait CICÉRON - dans les grammaires latines... Je crois qu'il faut traduire : « Que les armes cèdent à la toge ». « La toge », c'est-à-dire l'éloquence, c'est-à-dire la diplomatie, c'est-à-dire la culture et l'humanisme que ces deux activités humaines ont profondément, radicalement en commun.
Pour moi, la culture est un appui naturel et consubstantiel de la diplomatie. Je ne peux pas concevoir de diplomatie sans cet apport, car la culture offre non seulement un espace de sublimation, de symbolisation et un trésor de formulations affinées qui permettent de dépasser une fausse simplicité toujours tentée de n'être que le masque de la brutalité. La culture est aussi un extraordinaire creuset de rencontres. C'est une réserve d'affinités qu'il faut sans cesse abonder, car c'est sur cet actif-là que se fondent les échanges les plus fructueux dans tous les domaines. Elle n'est donc pas un simple supplément d'âme, elle est l'âme elle-même de la diplomatie. Elle est à la fois l'une de ses conditions et son aboutissement. C'est pourquoi votre rôle de diffusion de la culture de votre pays est essentiel pour nous. Car il ne s'agit pas simplement de se cultiver dans une sorte d'accumulation aveugle de connaissances. Il s'agit de faire votre rencontre, d'entrer dans votre système de valeurs, celui qui est porté par votre langue, par vos artistes, par votre patrimoine, par votre création. Et ainsi « cultivés », nous serons toujours mieux capables de vous comprendre dans tous les aspects de la vie, dans tous les domaines de nos échanges, même ceux qui paraissent le plus éloigné des problématiques culturelles.
L'enjeu n'est pas uniquement celui, économique, de la diffusion des industries culturelles d'un pays. L'enjeu n'est plus seulement aujourd'hui, dans la mondialisation, le prestige que peut conférer un dynamisme culturel. L'enjeu réside bien aujourd'hui dans l'« interculturel », c'est-à-dire dans notre capacité à prendre en compte les différences de regard sur les choses et ainsi à désamorcer - mieux qu'autrefois, je crois, en tout cas je l'espère - les différends qui peuvent parfois surgir au sein même de l'humanité.
Le plus souvent, des malentendus, l'ignorance, une forme d'inculture de l'Autre sont à la base des conflits qui opposent les hommes. Le projet d'une diplomatie culturelle est donc, à mes yeux, non seulement une extraordinaire ouverture sur la diversité des sociétés humaines et de leurs créations, une occasion de découvertes et d'enrichissements exceptionnels par rapport à l'ère nationaliste où les cultures se construisaient les unes contre les autres. Mais ce projet d'une diplomatie culturelle est le coeur même d'une mondialisation à visage humain, et tout simplement d'une mondialisation réussie, d'une « mondialisation que c'est la peine » pour paraphraser la savoureuse expression de Valéry LARBAUD qui parlait, lui, « de la littérature que c'est la peine »...
Oui, sans la culture, notre monde resserré serait celui de la promiscuité et non pas de la proximité. C'est la culture qui donne sa qualité à un vivre-ensemble désormais mondialisé. Le « conseiller culturel » n'est pas un supplétif de l'ambassadeur, il est plus que jamais au coeur même de la diplomatie dans un monde comme le nôtre. Aujourd'hui, la connexion est d'une simplicité désarmante. Ce qui compte, ce n'est plus la possibilité des contacts ou leur multiplication, mais c'est leur qualité, et cette qualité est humaine, c'est-à-dire qu'elle est avant tout de culture.
Depuis mon arrivée à la tête de ce ministère, j'ai eu à coeur de renforcer le dialogue avec nombre de vos pays - quels que soient leur taille ou leur poids politique - avec nombre de mes homologues, d'ambassadeurs, d'artistes, ainsi qu'avec les représentants des instituts culturels - que vous êtes nombreux à présider - à l'occasion de la réunion du Forum des Instituts culturels étrangers à Paris (FICEP), ici même en septembre dernier. J'ai parcouru, toujours trop vite hélas, de nombreux pays, de la Chine au Brésil, en passant par la Tunisie, la Syrie, la Jordanie, l'Arabie saoudite ou le Kazakhstan, mais aussi l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Suisse ; et, la semaine prochaine, je retourne en Chine à l'occasion de l'Exposition universelle de Shanghai.
Cette exigence d'un dialogue interculturel, qui est une nécessité, et bien sûr aussi une joie, il est de notre responsabilité de lui donner forme dans des projets qui soient l'occasion de rencontres véritables et durables.
Je pense aux grandes saisons culturelles, auxquelles mon ministère apporte régulièrement son soutien, à la Saison de la Turquie en France, à l'Année croisée avec la Russie qui revivifie nos relations, mais aussi à l'Année CHOPIN que nous célébrons avec nos amis polonais, pour lesquels j'ai une pensée toute particulière, et demain l'Année LISZT. Je pense au bicentenaire des indépendances latino-américaines, ainsi qu'au Cinquantenaire des indépendances africaines, que nous allons commémorer tout au long de l'année, et qui sera un moment important de retrouvailles et d'échanges, tant nous avons à recevoir de la culture africaine, de sa peinture, de sa musique et de son cinéma, que je souhaite toujours plus présent dans nos salles et que je me réjouis de voir figurer, cette année, dans la sélection officielle du Festival de Cannes.
Les rencontres culturelles, ce sont aussi, justement, les festivals internationaux (tels le festival indien « Namaste France » ou les « Croisements » franco-chinois), mais également les salons du livre, les expositions, les spectacles et les grandes rétrospectives cinématographiques, qui sont autant de moments privilégiés d'accueil de l'Autre.
Bien sûr, les événements ponctuels ne sauraient suffire, et je suis toujours très attentif à développer des coopérations de fond avec nos partenaires, en particulier dans ce domaine économiquement complexe qu'est le cinéma, où plusieurs accords de coproduction vont être lancés ou rediscutés, mais aussi dans celui de la formation - je pense notamment au très beau projet de Cité de la Culture de Tunis -, et dans celui des musées : à cet égard, je me félicite du rythme auquel avance le merveilleux projet du Louvre ABOU DABI, mais aussi de la qualité des nouveaux partenariats récemment noués avec la Syrie ou encore avec l'Italie, où nos deux pays ont uni leurs forces pour reconstruire ensemble la magnifique Eglise Santa Maria del Suffragio de l'Aquila.
Vous savez aussi toute l'importance que j'accorde au dialogue entre les deux rives de la Méditerranée, qui doit former ce nouveau « Mare Nostrum » du XXIe siècle que nous appelons de nos voeux. C'est pourquoi j'attache tant de prix à la réussite du projet de Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MUCEM) à Marseille, mais aussi aux initiatives audiovisuelles portées par la Conférence permanente de l'audiovisuel méditerranéen, la COPEAM, et tout particulièrement à son projet de chaîne de télévision méditerranéenne.
La culture, c'est aussi une affaire de symboles. Je pense, par exemple, à ce don de livres de la Bibliothèque nationale de France à la Bibliotheca Alexandrina, le plus important jamais consenti, qui contribuera à faire de ce lieu mythique un lieu unique de rencontre et de francophonie. Je pense aussi à ce moment plein d'émotion que fut ma participation au vingtième anniversaire de la réunification allemande, le 3 octobre dernier à Berlin.
Une affaire de symboles, mais aussi de solidarité. Je veux évoquer ici Haïti, ce pays de culture foisonnante, ce pays dont la culture est l'âme et j'ai envie de dire, le levain d'avenir. Mon ministère est déjà pleinement mobilisé aux côtés des autorités haïtiennes pour y faire renaître la création. Mais je veux aller plus loin, avec toutes les bonnes volontés qui se joindront à la nôtre. J'ai ainsi décidé de lancer un projet de restauration du « Ciné Théâtre Triomphe » qui, au coeur de Port-au-Prince détruite, pourrait redevenir le lieu prestigieux qu'il fut dans les années soixante-dix, un établissement culturel de référence à vocation nationale et internationale, ouvert sur le monde et accueillant aux autres cultures. Ce projet, qui est à portée de main si nous savons nous mobiliser, j'en parlerai à mes collègues européens lors de notre prochaine rencontre, le 10 mai, et je forme le voeu d'un élan de solidarité en faveur d'Haïti, de sa culture et de son peuple.
Dans un monde où les frontières - au moins matérielles - tendent à s'estomper, je suis aussi très attentif à la nécessité de faire émerger des solutions convergentes aux grands enjeux culturels auxquels nous sommes tous confrontés.
Je pense tout particulièrement à la numérisation du patrimoine culturel, qui constitue l'un des grands défis d'aujourd'hui. Comme vous le savez, j'ai obtenu, dans le cadre du Grand Emprunt, pas moins de 750 millions d'euros qui y seront consacrés. J'espère ainsi favoriser l'accès de chacun aux oeuvres de notre patrimoine partagé et faire avancer ce que j'appelle la « culture pour chacun ». Pour mener à bien ce chantier, la concertation est indispensable. Je me réjouis, à cet égard, que cette question soit devenue l'un des grands enjeux débattus au sein du Conseil des ministres de l'Union européenne, avec notamment pour objectif de renforcer EUROPEANA, le projet de bibliothèque numérique européenne. Je souhaite qu'elle le soit également dans d'autres enceintes, et j'appuie pleinement le projet de la directrice générale de l'UNESCO, mon amie Irina BOKOVA, d'organiser une conférence internationale sur cette question.
L'enjeu du numérique, c'est aussi la lutte contre le piratage des contenus culturels sur Internet et le développement d'une offre légale diversifiée et accessible. Des réponses crédibles ont, vous le savez, commencé à être apportées en France ; mais nous sommes aussi très attentifs à ce qui se fait ailleurs. Car ce défi de la création à l'ère numérique, nous devons le relever ensemble : au niveau européen, d'abord - où l'idée d'un taux réduit de TVA pour les biens et services culturels commence à faire son chemin - mais aussi, bien sûr, en dehors de l'Union.
Au moment où la France manifeste, par la création d'une Agence, une nouvelle ambition pour son action culturelle extérieure, que je partage avec mon ami Bernard KOUCHNER, j'entends contribuer à cette ouverture de la France sur les autres cultures, dans la diversité qui constitue notre plus grande richesse.
Je veux vous assurer que vous trouverez toujours en moi un interlocuteur engagé, désireux de réaliser des projets concrets de coopération, et d'accueillir la création sous toutes ses formes. Vous trouverez toujours en moi un défenseur acharné de cette « diplomatie culturelle » dont je parlais pour commencer, qui fait notre force à tous et fonde notre communauté de valeurs.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 27 avril 2010