Texte intégral
Il y a soixante-cinq ans, en ce mois d'avril 1945, les déportés français commençaient à revenir des camps de concentration.
Ils étaient 45 000, épuisés, amaigris, malades.
Mais 45 000 à prendre, enfin, le chemin d'un retour auquel ils n'osaient plus croire.
Ils étaient juifs et tsiganes, déportés pour le seul fait d'être né juif ou tzigane.
Ils étaient résistants, déportés parce qu'ils avaient osé relever la tête.
Ils étaient homosexuels.
Tous, ils avaient connu l'enfer et la mort.
Dans l'histoire de l'Europe, jamais aucune génération n'avait dû subir un tel déferlement de haine et de barbarie.
Jamais des femmes et des hommes n'avaient dû endurer ce que les déportés endurèrent.
Eux, auxquels les nazis avaient ôté tout espoir, eux, qui avaient été promis à la mort, ils revenaient enfin à Paris.
Et ce retour était un retour à la vie. Mais c'était un retour précaire, un fragile bonheur.
À la liberté retrouvée se mêlaient la tristesse et le deuil. Beaucoup avaient vu leurs camarades tomber.
Beaucoup avaient perdu leur famille. Beaucoup se posaient la question que tous les survivants se posent et qui est la plus terrible des questions : pourquoi moi ?
Longtemps, aucune forme de réponse n'a été donnée à cette question.
Longtemps, les déportés se sont tus.
Longtemps, dans une France et une Europe qui se relevaient de la guerre, personne n'a voulu les écouter.
Par incrédulité, par lâcheté, par honte aussi.
Et puis, le temps a fait son oeuvre. Les années ont passé et la parole s'est libérée.
Alors, les survivants des camps de concentration ont compris pourquoi ils avaient survécu à pareille épreuve : pour rendre témoignage devant les hommes et devant l'Histoire, transmettre leur mémoire aux générations qui leur succédaient et défendre, envers et contre tout, l'idéal d'un monde de justice, de liberté et de paix.
Oui, les survivants et les rescapés sont des témoins. Des témoins de l'Histoire. Des témoins pour l'avenir.
Mais ici, au printemps 1945, le temps n'était pas loin où l'hôtel Lutetia accueillait les services de contre-espionnage nazi.
Le temps n'était pas loin où, en face, devant la Banque de France, tombait pour la Libération de Paris un FFI, un « FFI anonyme » comme l'appelle la plaque posée à sa mémoire.
Trois femmes (Elisabeth Bidault, Denise Mantoux, Sabine Zlatin), trois femmes exceptionnelles, se démenaient ici pour accueillir les déportés.
Une tâche prodigieusement complexe leur incombe : comment accueillir avec humanité les survivants ?
Comment simplement parler à des femmes et à des hommes qui ont traversé des épreuves aussi effroyables ?
Les autorités militaires avaient prévu qu'il ne fallait pas consacrer plus d'1h10 à chaque rapatrié : vérifier l'identité, contrôler la situation militaire, effectuer une visite médicale, procéder à l'épouillage, remettre des tickets de rationnement et des bons de transports.
Mais ce n'est pas là l'essentiel : les formalités administratives et sanitaires ne sont rien quand c'est le réconfort, la chaleur humaine et l'amitié que recherchent les anciens déportés.
Les témoins racontent : ceux qui arrivaient à l'hôtel étaient aussitôt assaillis par les familles. Chacune d'entre elles brandissait des photos et criait le nom de leurs proches disparus.
On s'organise, on affiche des noms, on demande aux familles de remplir des fiches de renseignement.
Des bénévoles se portent volontaires pour accueillir les déportés. Un réseau de solidarité se met en place.
Sur les murs de l'hôtel Lutetia fleurissent des affiches poignantes.
L'hôtel devient le point de ralliement de tous les espoirs. Et, souvent, malheureusement, des plus cruelles désillusions.
Je voudrais aujourd'hui rendre un hommage particulier aux résistants déportés. Parce que nous célébrons le 70ème anniversaire de l'appel historique du Général de Gaulle à refuser la défaite et à poursuivre le combat contre l'ennemi, le 18 juin 1940, nous devons rappeler le prix payé par celles et ceux qui relevèrent la tête contre l'Allemagne nazie.
Aujourd'hui, soixante-cinq ans après la libération des camps, il importe de ne pas oublier et de se souvenir.
D'abord, parce que nous n'en aurons jamais fini avec les révisionnistes et les falsificateurs de l'histoire : la vérité de ce qui s'est passé, la vérité de la déportation et des camps de concentration, voilà ce dont les survivants sont les dépositaires. Voilà ce qu'ils ont à nous transmettre.
Nous n'avons pas le droit d'oublier, parce qu'un devoir d'humanité nous lie à toutes les victimes et à tous les héros de la déportation. C'est un devoir filial, un devoir de respect et de mémoire pour tous ceux qui furent déportés.
Nous n'avons pas le droit d'oublier, car c'est au nom de ce qui s'est passé que nous avons, aujourd'hui, à construire un monde où une telle barbarie ne sera plus possible : la construction d'une Europe de la paix et de la prospérité, l'affermissement des droits de l'Homme, l'Organisation des Nations Unies et les progrès du droit international.
Ce devoir de mémoire, il est porté et assumé par les fondations et les associations : je voudrais saluer le travail que chacune d'entre elles accomplit pour transmettre la mémoire de la déportation.
Je voudrais, notamment, exprimer toute ma gratitude et ma reconnaissance aux anciens déportés : inlassablement, ils répondent aux sollicitations des uns et des autres, n'hésitant pas à braver la fatigue, la maladie ou le poids des années pour témoigner et partager leur expérience avec les plus jeunes.
Il n'y a pas de tâche plus belle ni de tâche plus utile que de transmettre cette mémoire, la partager et la faire vivre.
Aujourd'hui, l'hôtel Lutetia a repris depuis longtemps sa vocation initiale.
Et si nous nous souvenons, soixante-cinq ans après les faits, des malheurs et des tragédies qu'il a abrités, ce n'est pas pour gâcher notre bonheur, mais bien pour le sauver : la mémoire de la déportation nous apprend que tout peut basculer en un seul instant, que rien n'est jamais acquis et qu'il n'existe pas de vaccin contre la barbarie humaine, si ce n'est un sursaut permanent d'humanité.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 29 avril 2010
Ils étaient 45 000, épuisés, amaigris, malades.
Mais 45 000 à prendre, enfin, le chemin d'un retour auquel ils n'osaient plus croire.
Ils étaient juifs et tsiganes, déportés pour le seul fait d'être né juif ou tzigane.
Ils étaient résistants, déportés parce qu'ils avaient osé relever la tête.
Ils étaient homosexuels.
Tous, ils avaient connu l'enfer et la mort.
Dans l'histoire de l'Europe, jamais aucune génération n'avait dû subir un tel déferlement de haine et de barbarie.
Jamais des femmes et des hommes n'avaient dû endurer ce que les déportés endurèrent.
Eux, auxquels les nazis avaient ôté tout espoir, eux, qui avaient été promis à la mort, ils revenaient enfin à Paris.
Et ce retour était un retour à la vie. Mais c'était un retour précaire, un fragile bonheur.
À la liberté retrouvée se mêlaient la tristesse et le deuil. Beaucoup avaient vu leurs camarades tomber.
Beaucoup avaient perdu leur famille. Beaucoup se posaient la question que tous les survivants se posent et qui est la plus terrible des questions : pourquoi moi ?
Longtemps, aucune forme de réponse n'a été donnée à cette question.
Longtemps, les déportés se sont tus.
Longtemps, dans une France et une Europe qui se relevaient de la guerre, personne n'a voulu les écouter.
Par incrédulité, par lâcheté, par honte aussi.
Et puis, le temps a fait son oeuvre. Les années ont passé et la parole s'est libérée.
Alors, les survivants des camps de concentration ont compris pourquoi ils avaient survécu à pareille épreuve : pour rendre témoignage devant les hommes et devant l'Histoire, transmettre leur mémoire aux générations qui leur succédaient et défendre, envers et contre tout, l'idéal d'un monde de justice, de liberté et de paix.
Oui, les survivants et les rescapés sont des témoins. Des témoins de l'Histoire. Des témoins pour l'avenir.
Mais ici, au printemps 1945, le temps n'était pas loin où l'hôtel Lutetia accueillait les services de contre-espionnage nazi.
Le temps n'était pas loin où, en face, devant la Banque de France, tombait pour la Libération de Paris un FFI, un « FFI anonyme » comme l'appelle la plaque posée à sa mémoire.
Trois femmes (Elisabeth Bidault, Denise Mantoux, Sabine Zlatin), trois femmes exceptionnelles, se démenaient ici pour accueillir les déportés.
Une tâche prodigieusement complexe leur incombe : comment accueillir avec humanité les survivants ?
Comment simplement parler à des femmes et à des hommes qui ont traversé des épreuves aussi effroyables ?
Les autorités militaires avaient prévu qu'il ne fallait pas consacrer plus d'1h10 à chaque rapatrié : vérifier l'identité, contrôler la situation militaire, effectuer une visite médicale, procéder à l'épouillage, remettre des tickets de rationnement et des bons de transports.
Mais ce n'est pas là l'essentiel : les formalités administratives et sanitaires ne sont rien quand c'est le réconfort, la chaleur humaine et l'amitié que recherchent les anciens déportés.
Les témoins racontent : ceux qui arrivaient à l'hôtel étaient aussitôt assaillis par les familles. Chacune d'entre elles brandissait des photos et criait le nom de leurs proches disparus.
On s'organise, on affiche des noms, on demande aux familles de remplir des fiches de renseignement.
Des bénévoles se portent volontaires pour accueillir les déportés. Un réseau de solidarité se met en place.
Sur les murs de l'hôtel Lutetia fleurissent des affiches poignantes.
L'hôtel devient le point de ralliement de tous les espoirs. Et, souvent, malheureusement, des plus cruelles désillusions.
Je voudrais aujourd'hui rendre un hommage particulier aux résistants déportés. Parce que nous célébrons le 70ème anniversaire de l'appel historique du Général de Gaulle à refuser la défaite et à poursuivre le combat contre l'ennemi, le 18 juin 1940, nous devons rappeler le prix payé par celles et ceux qui relevèrent la tête contre l'Allemagne nazie.
Aujourd'hui, soixante-cinq ans après la libération des camps, il importe de ne pas oublier et de se souvenir.
D'abord, parce que nous n'en aurons jamais fini avec les révisionnistes et les falsificateurs de l'histoire : la vérité de ce qui s'est passé, la vérité de la déportation et des camps de concentration, voilà ce dont les survivants sont les dépositaires. Voilà ce qu'ils ont à nous transmettre.
Nous n'avons pas le droit d'oublier, parce qu'un devoir d'humanité nous lie à toutes les victimes et à tous les héros de la déportation. C'est un devoir filial, un devoir de respect et de mémoire pour tous ceux qui furent déportés.
Nous n'avons pas le droit d'oublier, car c'est au nom de ce qui s'est passé que nous avons, aujourd'hui, à construire un monde où une telle barbarie ne sera plus possible : la construction d'une Europe de la paix et de la prospérité, l'affermissement des droits de l'Homme, l'Organisation des Nations Unies et les progrès du droit international.
Ce devoir de mémoire, il est porté et assumé par les fondations et les associations : je voudrais saluer le travail que chacune d'entre elles accomplit pour transmettre la mémoire de la déportation.
Je voudrais, notamment, exprimer toute ma gratitude et ma reconnaissance aux anciens déportés : inlassablement, ils répondent aux sollicitations des uns et des autres, n'hésitant pas à braver la fatigue, la maladie ou le poids des années pour témoigner et partager leur expérience avec les plus jeunes.
Il n'y a pas de tâche plus belle ni de tâche plus utile que de transmettre cette mémoire, la partager et la faire vivre.
Aujourd'hui, l'hôtel Lutetia a repris depuis longtemps sa vocation initiale.
Et si nous nous souvenons, soixante-cinq ans après les faits, des malheurs et des tragédies qu'il a abrités, ce n'est pas pour gâcher notre bonheur, mais bien pour le sauver : la mémoire de la déportation nous apprend que tout peut basculer en un seul instant, que rien n'est jamais acquis et qu'il n'existe pas de vaccin contre la barbarie humaine, si ce n'est un sursaut permanent d'humanité.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 29 avril 2010