Interview de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'écologie, à La Chaîne info LCI le 4 mai 2010, sur les enjeux du débat parlementaire à propos du projet de loi sur l'environnement, dit Grenelle 2.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- C. Jouanno bonjour.
 
Bonjour.
 
Le volcan Eyjafjöll est reparti, va-t-on vers une fermeture des aéroports français s'il le faut ?
 
S'il le faut, mais c'est bien trop tôt pour le dire et puis ça dépend de la concentration des particules dans les nuages. Et ce qu'on a vu sur le dernier épisode, c'est que contrairement à ce que nous disaient les experts au départ à savoir qu'aucun réacteur ne pouvait passer à travers ce type de nuage, en réalité si. Il y a un niveau de tolérance, donc on a appris de la précédente crise...
 
On prendra plus de risque cette fois-ci ?
 
On ne prendra pas plus de risque, ça certainement pas mais au moins on a une meilleure connaissance effectivement de la réaction possible des avions à ce type d'évènement. Donc on sait qu'on peut ouvrir des couloirs sous certaines conditions.
 
Vous défendez aujourd'hui le Grenelle 2 à l'Assemblée nationale dans un climat étrange. N. Mamère vient de déclarer sur RTL : c'est un escamotage, ce texte est vidé de son contenu.
 
N. Mamère, je ne l'ai jamais vu en commission pour préparer le texte. Donc j'aurai aimé que l'on en débatte de vive voix tous les deux pour savoir ce qu'il aurait aimé voir de plus dans le texte. Le texte fait 383 pages, écrit petit en plus, 250 articles, donc il y a quand même énormément de choses dans le Grenelle. Les choses avancent. Alors après il y a des évènements, il y a des éléments symboliques qui font que certains considèrent que ça ne va pas aussi loin qu'ils le souhaiteraient. Mais on ne peut pas dire que c'est une coquille vide ou alors c'est vraiment une grosse coquille.
 
Est-ce que la principale grogne ne vient pas de l'UMP ? Beaucoup d'élus disent « ça commence à bien faire », un peu comme le Président au Salon de l'agriculture.
 
L'écologie ça ne peut pas être comme ça l'otage systématiquement de tous les clivages politiques. C'est-à-dire que quand la droite est pour, la gauche est contre, quand la gauche est pour, la droite est contre. Ca ne se résume pas à ça. Alors il y a des choses qui avancent, il y a des choses qui avancent assez vite d'ailleurs. Ca fait grincer des dents, ça c'est clair. Mais on ne peut pas dire que c'est la majorité qui est contre et l'opposition qui est pour. Parce qu'en réalité, en général, aujourd'hui, enfin en tous cas jusqu'à aujourd'hui, la majorité a systématiquement voté pour, les Verts se sont souvent abstenus, l'opposition au Sénat avait voté contre.
 
Les Verts vous ont aidés en commission.
 
Les Verts ont apporté toute leur conviction, on ne peut pas leur retirer. Les Verts au moins, ils ont vraiment de la conviction. Ils se tiennent à leur ligne.
 
Qu'allez-vous leur concéder pour qu'ils vous soutiennent dans l'Hémicycle et qu'éventuellement l'opposition rejoigne la majorité ?
 
Il ne s'agit pas de concéder, on va voir. Il y a 1.600 amendements qui ont été déposés. Le gros sujet vous le savez, c'est l'éolien évidemment qui fait le plus de débat aujourd'hui.
 
C'est-à-dire, on freine, on mettra moins d'éolienne, on va revenir à l'électricité classique ?
 
De toute façon, moi je suis obligée de m'en remettre à la sagesse du Parlement parce que c'est comme ça dans une démocratie, c'est très clair. Moi j'ai toujours été très réservée sur ces dispositions qui freinent l'éolien parce que dans tous les cas, si on veut développer toutes les sources d'énergie renouvelable, diversifier nos énergies - c'est le gros sujet aujourd'hui : diversifier nos énergies - il faut mettre le curseur au maximum partout et l'éolien c'est 4.000 mâts, 4.500 mâts, c'est-à-dire éoliennes, supplémentaires en France. Ce n'est pas dramatique.
 
Qui veut la mort de l'éolien ?
 
Personne ne veut la mort de l'éolien.
 
Il y a des gens qui sont contre, qui font des amendements contre.
 
Sur le terrain, il faut être conscient qu'effectivement il y a des oppositions à l'éolien au nom du paysage, au nom de diverses raisons. Il y a eu des endroits aussi, il faut reconnaître, où on a fait de l'éolien, ce n'était vraiment pas recommandé, ce n'était pas terrible. Mais à force d'encadrer effectivement, il ne faut pas non plus qu'on freine une filière qui peut être une filière de reconversion pour des outils de sidérurgie par exemple. On peut être très bon dans tout ce qui est entretien, maintenance des éoliennes. C'est-à-dire qu'il ne faut pas croire que c'est une filière qui nous échappe aujourd'hui.
 
Est-ce qu'il n'y a pas un autre lobby qui a eu la peau de certains aspects du Grenelle, c'est le lobby routier ? La taxe poids-lourd est reportée, la fin de la taxe carbone c'est tout bénef pour les routiers, les poids-lourds de 44 tonnes seront autorisés à circuler pour transporter dans l'agricole. Ils marquent des points.
 
Les 44 tonnes, il y a simplement l'engagement de faire une étude pour voir si le bilan complet en termes d'émission de gaz à effet de serre est intéressant. S'il vaut mieux avoir un 44 tonnes plutôt que plusieurs petits camions. Donc il y a une étude. Sur l'éco redevance poids-lourd, le problème est un problème qui est tout simple : c'est qu'il y a eu beaucoup plus de demandes des collectivités, notamment des départements, pour que ce principe soit appliqué sur leurs routes que prévu. Donc effectivement il faut redimensionner. C'est simplement un délai d'un an supplémentaire. Ce n'est pas un abandon.
 
On a l'impression que le Grenelle 2 freine la reprise, freine la croissance et que donc on ne peut pas se permettre aujourd'hui cela.
 
C'est vrai que demeure notamment dans le post Copenhague, un peu cette idée que l'écologie c'est quelque chose, c'est un luxe qui coûte. On ne voit pas que derrière le Grenelle, il y a surtout la volonté de réduire notre dépendance à l'énergie, donc de réduire la facture énergétique, de réduire à long terme parce qu'on le voit bien d'ailleurs actuellement, le vrai problème c'est que le pétrole ce n'est pas infini et c'est une ressource qui va devenir de plus en plus chère. Et derrière le Grenelle, il y a tout ça. Il y a à préparer notre économie à l'avenir. Alors aujourd'hui ce sont des investissements mais des investissements nécessaires et ce sont des emplois. Il y a quand même derrière le Grenelle, 600 000 emplois.
 
Un autre secteur sinistré, c'est l'agriculture. Avez-vous cédé devant les demandes des agriculteurs et donc diminué la pression sur l'usage des pesticides ?
 
Ça, il y a toujours aussi cette volonté entre guillemets d'opposer l'agriculture à l'écologie. On a fait le Grenelle ensemble. Après, il y a eu effectivement cette crise énorme qui a touché l'agriculture mais qui n'est pas liée à l'environnement. C'est une crise qui est liée aux problèmes de régulation des marchés. Aujourd'hui, il faut qu'on se remette autour de la table pour savoir comment les aider. Donc ce n'est pas un recul sur le niveau des exigences, ça non, on n'a rien changé : toujours la réduction de l'usage de 50% des phytosanitaires en France d'ici dix ans. On maintient l'objectif. Mais on voit comment on peut mieux les aider à l'atteindre. Donc on maintient l'objectif et on augmente les moyens.
 
 « Se remettre autour de la table », appelez-vous la Fondation Nicolas Hulot à revenir dans le Grenelle ?
 
La Fondation a dit « moi, je suspends ». Elle n'a pas dit « je claque la porte, je m'en vais ». Elle a dit « je suspends, et je vois... ».
 
Alors est-ce qu'elle revient activement ?
 
Elle verra en fonction de ce qui est décidé à l'Assemblée nationale sur le Grenelle 2 et du vote final du Grenelle 2. C'est son choix. Une ONG a sa totale liberté de parole et sa totale liberté de choix. C'est à nous effectivement de faire le job et de la convaincre que ça vaut le coup de continuer. Mais en tous cas je croise les doigts, ça va bien se passer.
 
 
 
Sur l'Ouest Atlantique, reconnaissez-vous que le zonage des maisons à raser après la tempête Xynthia est totalement remis à plat et que le préfet avait fait fausse route ?
 
Non, certainement pas. Moi je vais vous dire, vraiment à tous les avocats ou les hommes et les femmes politiques qui jouent un peu de cette situation, je leur demande s'ils signeraient en bas pour dire que dans cette zone c'est sans risque. Moi je ne le ferais pas. Je n'engagerais pas ma responsabilité. Ces zones noires, ce sont des zones à risque mortel. On ne reviendra pas sur cette logique-là. Maintenant, dans la démarche qui est la nôtre, on a fait des zones noires pour permettre aux personnes de vendre leur maison à l'Etat. Ensuite au sein de ces zones, il y a une enquête qui se fait maison par maison pour bien déterminer si chaque maison est dans la même situation de risque parce qu'au sein d'une zone homogène, vous pouvez avoir une maison construite sur un promontoire, enfin plus élevé que les autres, où effectivement il y a moins de risque. Mais donc ça c'est la deuxième étape mais c'est normal, c'est la procédure. Maison par maison, on va voir quel est le niveau de risque.
 
Souhaitez-vous après la catastrophe pétrolière dans le Golfe du Mexique que la France prenne une initiative pour interdire les forages dans des zones écologiques trop sensibles ?
 
Il faut en tous cas que clairement le message soit porté au niveau international parce que ce que montre cette catastrophe, c'est qu'on est obligé d'aller toujours plus profond. Et encore ce n'est pas le forage le plus profond - à 1.500 mètres, on n'est pas au plus profond - toujours plus profond et toujours plus loin dans les pôles. Et ça on ne peut pas accepter de prendre autant de risque.
 
La France doit le dire ?
 
La France doit le dire mais elle le dit déjà. Mais elle doit le dire sans doute plus fort et ça ce sera l'occasion de le dire.
 
C. Jouanno, bonne journée.
 
Merci.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 mai 2010