Tribune de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, dans le quotidien polonais "Gazeta Wyborcza" du 5 mai 2010, sur les relations franco-polonaises et la construction européenne.

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Média : Gazeta Wyborcza

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La Pologne vient une nouvelle fois de connaître une tragédie majeure et sans précédent avec la mort dans l'exercice de ses fonctions du président Kaczynski et de sa femme ainsi que de très nombreuses et illustres personnalités polonaises.
Comme j'ai eu l'occasion de le souligner le soir même de la catastrophe de Smolensk à l'issue de la messe tenue à l'Eglise de l'Assomption, la coïncidence avec le 70ème anniversaire et le lieu du crime de Katyn dont le président Kaczynski allait honorer la mémoire des victimes rend cette tragédie d'autant plus bouleversante, pour qui connaît l'histoire polonaise.
La fête nationale que la Pologne vient de célébrer, j'en suis conscient, est importante non seulement pour la Pologne, mais encore pour l'Europe, à quelques jours du 60ème anniversaire de la déclaration Schuman.
En célébrant la constitution du 3 mai 1791, la Pologne a commémoré en effet un événement clé de l'histoire européenne, car les Polonais, que Voltaire appelait la seule nation vraiment libre, furent les premiers en Europe, au lendemain de la Révolution de 1789, à adopter une constitution démocratique qui assurait la séparation des pouvoirs et l'indépendance du pouvoir judiciaire, et cela alors même que la Pologne allait être livrée au partage. La fête nationale polonaise est donc aussi celle des valeurs universelles de la liberté, de la démocratie et des droits de l'Homme, si chères à nos deux nations qui ont combattu en leur nom.
La voie qu'emprunta alors la Pologne fut l'une des grandes étapes de la voie démocratique en Europe qui a permis qu'aujourd'hui la plupart des nations européennes se trouvent rassemblées ou sur le point de l'être au sein de l'Union européenne.
Ce lien intime entre la liberté en Pologne et la liberté de l'Europe, on le retrouve il est vrai à chaque étape de l'histoire, de la bataille de Legnica en 1241 face aux Mongols, en passant par la défense de Vienne en 1683 par le roi Jean Sobieski, jusqu'à la bataille de la Vistule en 1920 qui arrêta l'Armée rouge et à la double insurrection de Varsovie en 1943 et 1944. On le retrouve bien sûr avec le rôle phare de la Pologne et du Pape Jean-Paul II pour la libération de l'Europe du totalitarisme et pour la réunification du continent, tant il est vrai, comme l'a souligné l'historien Tony Judt, que l'opposé du communisme n'était pas le "capitalisme", mais l'Europe. Et aujourd'hui, la Pologne, après deux décennies d'un parcours qui force l'admiration, participe activement au développement d'une Union européenne qui contribue à son indépendance, à la prospérité et sa sécurité. Aussi n'y a-t-il rien d'étonnant que le Prix Charlemagne d'Aix-la-Chapelle, décerné chaque année à une personnalité oeuvrant à l'unification européenne, récompense cette année le Premier ministre Tusk.
Cette affinité pour la liberté et pour l'Europe, la France et la Pologne la partagent et c'est ce qui explique en partie l'exceptionnelle proximité de nos deux pays au cours de l'Histoire.
Comme l'a souligné le président de la République à Varsovie en mai 2008, nos deux nations ont vu leurs destins se mêler au cours des siècles sans jamais se dresser l'une contre l'autre. Elles ont toujours combattu du même côté et se sont porté un appui mutuel face aux périls. Je voudrais donc à mon tour citer le général de Gaulle lorsqu'il disait : "Nous, Polonais et Français, nous nous ressemblons tant ! En dépit de la distance et de tout ce qui les distingue, la Pologne et la France s'aiment et savent, d'instinct et d'expérience, que leurs destins doivent se conjuguer".
Entre la France et la Pologne, une étape importante s'est ouverte avec l'accord de partenariat stratégique de mai 2008 que nous mettons en oeuvre dans tous ses aspects. Et nous fêtons ou allons bientôt fêter ensemble d'importants anniversaires franco-polonais, que ce soit les 400 ans du consulat de France à Gdansk, le bicentenaire de la naissance de F.Chopin ou encore le centenaire du second prix Nobel de Marie Curie. Je saisis d'ailleurs cette occasion pour saluer le dynamisme de la communauté polonaise en France aujourd'hui.
Cette amitié franco-polonaise , nous devons aujourd'hui la mettre au service de notre avenir européen commun. L'amitié, n'est ce pas vouloir les mêmes choses ? Nous avons commencé à le faire avec détermination et efficacité en renforçant notre partenariat lors du Sommet franco-polonais du 5 novembre. La perspective de la Présidence polonaise de l'Union européenne au second semestre de 2011 nous offre actuellement des perspectives très fortes de coopération, de même que la relance du Triangle de Weimar avec l'Allemagne. Je me suis déjà rendu deux fois en Pologne dans l'exercice de mes fonctions et devrais y retourner bientôt pour la réunion informelle du Partenariat oriental.
La France a besoin de la Pologne comme chaque membre de l'Union européenne a besoin de ses partenaires. La Pologne fait partie des Etats membres qui, ensemble, ont la masse critique nécessaire pour faire avancer les choses. Dans le monde sans cesse plus concurrentiel et rapidement évolutif qui est le nôtre, nous ne pouvons réussir à promouvoir nos intérêts et éviter à nos pays de se trouver marginalisés qu'à condition de prendre ensemble nos responsabilités. Le Traité de Lisbonne nous a enfin donné tous les moyens de le faire. Mais il nous faut pour réussir une volonté politique ferme, il faut ce que l'on appelle le leadership et il faut agir de manière cohérente et collective dans les domaines clé pour notre avenir, qu'il s'agisse de gouvernance économique et de politique industrielle, d'énergie, d'immigration, d'agriculture ou d'environnement et de développement durable et, bien sûr, de politique étrangère, de défense et de sécurité et de relations avec les grands voisins de l'Union.
2009 et 2010 sont à bien des égards des années de commémorations importantes pour nos deux pays et pour l'Europe, car elles nous aident à nous émanciper d'un passé de haine et de destruction en retenant les leçons, sans rien oublier ni relativiser : 30ème anniversaire de la naissance de Solidarité, 20ème anniversaire du rétablissement de la démocratie en Pologne, 10ème anniversaire de l'adhésion de la Pologne à l'OTAN et 5ème anniversaire de son adhésion à l'Union européenne, mais aussi 70ème anniversaire du Pacte Ribbentrop-Molotov, du déclenchement du second conflit mondial et bien sûr du crime de Katyn contre la nation polonaise qui fait aujourd'hui partie de la mémoire collective. Varsovie si souvent meurtrie incarne le symbole de l'Europe nouvelle, du vieux continent qui renaît grâce à sa nouvelle unité.
Dans quelques jours, le 9 mai à Moscou, les cérémonies commémoratives de la fin de la Seconde guerre mondiale auxquelles prendront part les hautes autorités de nos nations et de nombreux autres pays pourraient constituer, nous l'espérons sincèrement, un mouvement vers un avenir où la Russie et l'Europe pourront enfin constituer ensemble un grand espace de partenariat humain, économique et politique.
Par son courage et sa détermination dans les épreuves, et aujourd'hui, par son attachement aux valeurs européennes et le dynamisme de son économie, la Pologne est un exemple. Avec "sa foi millénaire, son espérance de toujours, son âme nationale bien à elle" comme le disait le général de Gaulle, la Pologne est un des piliers de l'Europe.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 mai 2010