Interview de M. Georges Tron, secrétaire d'Etat à la fonction publique à France 2 le 28 avril 2010, sur le projet de réforme des retraites, l'âge légal de la retraite et la burqa.

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Média : France 2

Texte intégral


 
 
J. Wittenberg.- L'un des nouveaux visages du Gouvernement. Vous êtes inquiet, comme tous vos collègues j'imagine, par les nouveaux soubresauts de la crise financière en Grèce, on l'a entendu dans le journal, les Bourses ont dévissé hier. Est-ce qu'il faut craindre une contagion de cette crise aux autres pays européens selon vous ?
 
Il faut s'inquiéter, il faut à tout prix l'éviter. Deux observations sautent aux yeux. La première pour dire que l'Europe se mobilise et il faut qu'elle se mobilise entièrement et que rapidement elle agisse pour éviter cette contagion. Seconde l'observation qui est plus distante si j'ose dire, c'est quand même à nouveau sur la base d'une notation qu'on se retrouve dans ce relent de crise, si j'ose dire.
 
On voit que ça va très vite, il suffit d'une notation...
 
Trop vite...
 
...Effectivement, pour que les Bourses, les acteurs économiques s'inquiètent. Est-ce qu'on peut craindre notamment que la crise économique rejaillisse en France ? On a vu que le chômage notamment se stabilisait, ou baissait très légèrement le mois dernier, mais est-ce que, à peine sortie de la crise, la France ne risque pas d'y replonger à cause de cette récession ?
 
Il faut faire très attention à ça. La crise est en voie de se terminer, elle n'est pas totalement terminée, les économies sont encore fragiles et il faut absolument éviter un phénomène de contagion.
 
C'est-à-dire ?
 
D'abord, je crois, en agissant rapidement et sur l'ensemble de l'Europe. Nos amis allemands sont dans une posture qui aujourd'hui est plutôt un peu en retrait, en établissant toute une série de conditions. Il faut que très rapidement, l'aide soit versée à la Grèce, que très rapidement son économie soit confortée, que très rapidement les marchés soient rassurés.
 
Vous êtes le secrétaire d'Etat chargé de la Fonction publique, et ils sont inquiets ces fonctionnaires que vous rencontrez ces jours-ci. Des fonctionnaires qui sont inquiets pour leur retraite puisqu'il est question que leur future pension de retraite soit calculée non plus sur les six derniers mois comme actuellement, mais sur les vingt-cinq meilleures années, peut-être comme dans le privé. Quels sont vos projets en la matière ?
 
Vous en savez plus que moi parce que moi je ne serais jamais allé jusque-là !
 
C'est la crainte qu'ils ont en tout cas.
 
C'est une crainte qu'ils ont. La vérité est plus simple que cela. C'est une réforme de société, ce n'est pas une réforme du régime de la retraite de la fonction publique. La question, c'est : est-ce que, oui ou non, on reste dans un système par répartition, est-ce que les générations s'entraident mutuellement ? Si la réponse est oui, il faut examiner la situation dans la fonction publique comme dans le privé, de la même façon, sans fustiger, sans mettre à l'index qui que ce soit, et en ayant des axes de réforme. Les axes de réforme sont très simples : ou on agit sur les paramètres d'âge, ou on agit sur les paramètres de fiscalité, ou on fait un peu des deux dans des proportions à déterminer.
 
Quelle est la tendance aujourd'hui ?
 
La tendance consiste, au stade où nous en sommes, à faire un point objectif de la situation. C'est-à-dire qu'on écoute les syndicats, qui sont d'ailleurs, je trouve, très informés, très affûtés, qui sont très constructifs dans la façon dont ils présentent les choses. Et puis après, il y a aura vers le 15 mai à peu près, les premières orientations que le Gouvernement déposera.
 
Est-ce que l'âge légal de la retraite restera à 60 ans ?
 
Je n'en sais rien, sincèrement, au moment où je vous parle. Parce que si au moment où je vous parlais, nous étions, avec E. Woerth, dans la situation où nous disions ce que vont être les paramètres de sortie, ça prouve qu'il y aurait déjà un plan dans notre tête. Aujourd'hui, on se met d'accord sur deux ou trois choses. Le constat : personne ne remet en cause le COR. En second lieu, l'éventail des pistes. On les connaît tous à peu près. Et en troisième lieu, on essaye de voir quels sont les modes de convergence que l'on pourrait trouver encore plus qu'aujourd'hui entre le public et le privé, sans que ni les uns ni les autres ne se sentent fustigés.
 
Est-ce que vous confirmez - comme piste en tout cas - qu'il pourrait y avoir par exemple un avantage financier à partir à la retraite au-delà de 60 ans, que l'âge légal resterait ... C'est par exemple ce que pense B. Thibault, le leader de la CGT, l'âge légal serait maintenu à 60 ans, mais en partant plus tard, on toucherait plus en quelque sorte. Est-ce que ça c'est une piste que vous envisagez ?
 
Les pistes sont, comment dirais-je, d'une autre nature que celle-ci. Je vois tous les jours dans un journal ou dans un autre des pistes nouvelles qui sont évoquées. Nous n'en sommes pas à ce stade-là. Nous en sommes au stade où nous faisons un tour d'horizon global, et c'est sur la base de celui-ci que vers le 15 mai il y aura des premières orientations qui seront données.
 
Ce scénario-là est exclu ?
 
J'ai lu un scénario un peu différent de celui que vous décrivez dans les journaux ces derniers jours. C'est un peu surprenant mais voilà...
 
Ce n'est pas dans les journaux que vous vous informez là-dessus, vous avez bien une idée quand même de ce que va sortir de...
 
Permettez-moi de revenir là-dessus, je reviens sur ce que vous avez posé comme question très précisément. La piste qui était celle en fait d'une seconde décote, c'est un petit peu différent à partir de 60 ans, est une piste que honnêtement j'ai lue, et je ne suis pas le seul, dans les journaux.
 
Vous dites que les syndicats sont constructifs, vous ne craignez pas quand même une très forte mobilisation syndicale déjà à l'occasion du 1er mai, samedi, et puis lors de la rentrée ? Est-ce qu'on ne va pas tout de même vers un gros conflit par rapport à ce projet de réforme des retraites que, globalement, tous les syndicats rejettent pour l'instant ?
 
Je n'en veux à aucun syndicat - et d'ailleurs, comment le pourrais-je ? - de vouloir mobiliser ses troupes. Je dis simplement la chose suivante : quand nous sommes dans un débat de cette nature, on ne peut pas rester dans l'immobilisme. Et les syndicats en conviennent. Donc il faudra bien montrer aux uns et aux autres qu'ils ne sont pas désignés comme étant les coupables de quoi que ce soit, mais que l'on fait une réforme de société qui suppose une participation, un effort de chacun.
 
Un effort de chacun, vous prenez votre temps sur les retraites, en revanche sur la burqa ça va très vite. On a appris hier qu'un projet de loi serait déposé finalement début juillet. Est-ce que vous approuvez cette procédure d'urgence et le fait qu'il faille légiférer très vite sur cette question qui concerne, on le rappelle, 3.000 personnes en France ?
 
Au stade où nous en sommes aujourd'hui, oui incontestablement. Cette affaire est révélatrice, non pas du problème de Nantes, mais révélatrice en réalité des inquiétudes qui sont celles des Français, qui d'ailleurs le manifestent clairement dans les sondages, au regard d'un sentiment de malaise, pour ne pas dire plus, qu'ils ressentent face des situations de cette nature. La burqa, aujourd'hui, c'est en quelque sorte les valeurs de la République que l'on défend. Et pour ça je crois qu'il faut être ferme, ne pas s'arrêter à des considérations juridiques, je le dis en particulier pour ceux qui pensent qu'il faut faire très attention au Conseil d'Etat, ils ont sans doute raison. Mais il faut qu'il y ait un geste politique très fort et très rapide.
 
Il y a aussi votre ami D. de Villepin qui trouve qu'on sur-réagit dans cette affaire, vous n'êtes pas de son avis ?
 
D. de Villepin met le doigt sur un problème fondamental : il ne faut surtout pas que la communauté musulmane se sente fustigée, il ne faut pas que la communauté musulmane se sente agressée. Et c'est la raison pour laquelle le discours est double, et il est en même temps très sincère, il faut être très fort dans la défense des valeurs de la République, et simultanément, tout à fait en empathie avec la communauté musulmane qui réagit d'ailleurs, comme la communauté dans son ensemble, c'est-à-dire en ne se reconnaissant pas en France dans le port de la burqa et en défendant la dignité de la femme.
 
Vous ne trouvez pas qu'on en fait un peu trop sur la burqa aujourd'hui, franchement ?
 
Il ne faut pas oublier qu'il y a d'autres problèmes, il ne faut pas faire comme si ça épuisait tous les sujets de la politique. Les Français ont d'autres raisons de préoccupation, il faut faire attention de ne pas les oublier.
 
Alors il y a un autre de vos amis, de vos anciens amis ...
 
J'en ai des amis !
 
Vous étiez très impliqué dans la campagne d'E. Balladur en 1995, et c'est vrai qu'on en parle actuellement de cette campagne, puisqu'il y a des soupçons de financement irrégulier, via des ventes de sous-marins au Pakistan en 1995. Vous étiez donc très proche d'E. Balladur ; est-ce que tout était "nickel", entre guillemets, à cette époque là pour le financement de cette campagne ? Est-ce que vous pouvez nous le dire ce matin ?
 
Ecoutez, moi je peux me tenir aux faits. Les comptes de campagne d'E. Balladur ont été approuvés par le Conseil constitutionnel, premier point. Deuxièmement, il a fait une campagne comme toute campagne présidentielle, au cours de laquelle il a fait des dizaines et des centaines de meetings, il a rencontré des dizaines et des centaines de milliers de gens, il a touché (inaud.) de la façon la plus légale qui soit. C'est un problème qui est résumé comme cela. Ce que je voudrais simplement dire, c'est que dans une affaire comme celle d'E. Balladur, comme d'autres affaires, il y a des faits les uns derrière les autres que l'on met dans une espèce de système logique, comme s'ils étaient dans une espèce de causalité les uns par rapport aux autres. C'est un acharnement qui est un acharnement cruel, difficile, dont on ne se sort qu'au bout de mois et de mois d'explications, et qui, pardon de le dire, peut s'avérer complètement factice. Donc ce que je souhaiterais, c'est qu'il y ait un peu de réserve, un peu de retenue. Et vue la gravité du sujet - car c'est un sujet grave quand on termine par l'attentat de Karachi -, dans la logique que l'on développe, faire attention de ne pas faire comme s'il y avait des causalités aussi évidentes.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 mai 2010