Interview de M. Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique à RMC le 23 avril 2010, sur la réforme des retraites, l'âge et les régimes de retraite, notamment dans la fonction publique, la pénibilité et le rapport du Conseil d'Orientation des retraites (COR).

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral


 
 
J.-J. Bourdin.- Alors E. Woerth, ce dossier des retraites : vous avez commencé à recevoir les syndicats, les syndicats qui, pour l'instant, sont assez réticents, et qui nous disent, "il y a un texte prêt, le Gouvernement a déjà préparé son texte, cette concertation ne sert pas à grand-chose". Vrai ou faux ?
 
C'est faux. Si c'est leur opinion, je la respecte par principe, mais c'est évidemment faux. Le Gouvernement se donne le temps de concerter, de négocier sur certains dossiers...
 
La réforme n'est pas verrouillée déjà ?
 
Non, elle n'est pas verrouillée. D'ailleurs, elle ne peut pas l'être. J'ai suivi cette idée de dire "ils ne prennent pas de temps, ils vont trop vite, ils veulent passer en force..."
 
C'est ce que dit D. de Villepin aussi...
 
Oui, enfin, évidemment c'est faux. On prend du temps. Vous savez, il y a eu deux réformes majeures, 1993 et 2003. En 1993 ça a été plus vite, beaucoup plus vite, quelques jours, et en 2003, ça a été un peu plus rapide encore qu'aujourd'hui.
 
...Au coeur de l'été.
 
En 1993, c'était au coeur de l'été, et puis en 2003, la réforme de F. Fillon et de J.-P. Raffarin a été menée avec un peu moins de temps que ce qu'on a pris aujourd'hui. En réalité, il y a urgence pour la situation. Et donc il faut à la fois écouter, concerter, définir les grandes lignes de la réforme, c'est ce qu'on fera vers la mi-mai, vers la fin du mois de mai. On mettra un document d'orientation sur la table, on poursuivra la discussion avec ce document, et puis ce document deviendra un avantprojet de loi d'ici la fin du mois de juin. Vous savez, l'idée c'est bien de sauver notre système par répartition, c'est de faire en sorte que la réforme permette, au fond, d'affronter les difficultés financières de notre système par répartition. Donc on veut conserver un système par répartition, on est attaché au système par répartition, c'est-à-dire à la solidarité entre les générations, c'est le coeur du pacte républicain. Sur le plan financier, ça a un peu de mal à fonctionner pour des raisons démographiques, il faut faire une réforme.
 
Certains disent que c'est une erreur d'être attaché au système par répartition, un peu de capitalisation serait une bonne chose. Pas de capitalisation ?
 
Mais il y a déjà de la capitalisation. On peut faire des PERP, des PERCO, enfin tous ces noms un peu... dans lesquels les gens peuvent faire de la retraite par capitalisation. L'assurance vie, vous savez que les Français ont beaucoup d'argent placé aujourd'hui en assurance vie, un taux d'épargne très important, 15, 16, 17 % de la richesse nationale est épargnée par les Français. Donc tout le monde, enfin beaucoup de gens en tout cas, font un peu de capitalisation à côté. Mais le coeur du système, la pension de retraite qui vous est versée, celle sur laquelle c'est très important de l'avoir, parce que c'est votre sécurité, c'est au fond bien le système par répartition. C'est-à-dire que c'est la génération qui vous succède qui paye votre retraite, comme vous avez payé la retraite de ceux qui vous ont précédés. Et quand en terme de génération, il y a de plus en plus de monde dans la génération qui touche sa retraite, parce qu'on vit plus longtemps, ça pose une question de financement évidente. Et il ne faut pas se cacher la tête, il ne faut pas se mettre comme l'autruche la tête dans le sable, il faut regarder les choses en face. Et puis, il faut réformer, il faut changer, il faut adapter. Le pacte républicain c'est le système par répartition. Le reste c'est des modalités d'organisation ; on est en train d'en discuter avec tous.
 
Je voudrais vous poser des questions précises. D'abord, je voudrais que nous parlions de la retraite des fonctionnaires, parce que vous êtes ministre de la Fonction publique, et que vous avez commencé à recevoir les syndicats de fonctionnaires hier. D'abord, est-ce que vous allez relever le taux de cotisation des fonctionnaires ? Vous y êtes favorable ou pas ?
 
Je ne peux pas répondre précisément à toutes ces questions parce que je suis dans une phase de dialogue, de concertation, de négociation, je vois les partis politiques, je vois les syndicats, j'essaye de faire en sorte de proposer au président de la République, au Premier ministre, une réforme qui soit efficace, c'est-à-dire qui sauve notre système par répartition - c'est vraiment de cela dont il s'agit -, donc être à la hauteur de cet enjeu, donc d'être totalement responsable. Et puis d'être totalement juste aussi. Donc il y a des différences entre les fonctionnaires et puis le secteur privé.
 
On les garde ou on ne les garde pas ?
 
Mais je pense qu'il faut... Elles ont été dans les précédentes réformes, il y a eu des convergences, c'est-à-dire que les durées de cotisations ou l'âge de départ sont maintenant les mêmes.
 
Même durée de cotisations, oui...
 
Sont maintenant les mêmes et ils resteront évidemment les mêmes. Et puis, il y a des spécificités, les six mois, le taux de cotisation des fonctionnaires est inférieur, mais ce taux de cotisation ne porte que sur le traitement indiciaire, ne porte pas sur les primes, parce que les primes ne rentrent pas dans la retraite. Vous n'avez pas votre retraite sur tout. Il y a beaucoup de systèmes différents.
 
Tout dépend des métiers dans la fonction publique...
 
Cela dépend des métiers parce qu'un certain nombre de fonctionnaires sont classés dans une catégorie qu'on appelle "active". Ce n'est pas très beau comme terme...
 
Les policiers, par exemple...
 
Oui, les policiers, mais un certain nombre d'instituteurs, etc., les douaniers. Donc il y a des catégories dites "actives". Et quand on est dans une catégorie "active" - cela ne veut pas dire que les autres fonctionnaires ne sont pas actifs, je referme la parenthèse - mais quand on est dans une catégorie dite "active", on peut partir plus tôt parce qu'on considère que votre métier, la pénibilité de votre métier, la dangerosité de votre métier...
 
On pourra toujours partir plus tôt ?
 
Ce que je souhaiterais, c'est une réflexion sur la pénibilité. On ne peut pas réformer aujourd'hui notre système de retraite sans qu'il y ait une vraie réflexion sur la pénibilité : est-ce que je fais un métier au fond qui m'a usé physiquement, même psychologiquement d'ailleurs, plus vite, et donc je vais moins pouvoir profiter de ma retraite, ou je vais vivre moins longtemps. Il y a eu beaucoup, beaucoup de débats là-dessus. Moi, je souhaiterais que dans le projet du Gouvernement, il y ait évidemment quelque chose sur la pénibilité pour bien prendre en compte le fait que les Français ne sont pas injustes.
 
Mais il y aura un volet pénibilité...
 
Moi, je vais le proposer. Après, le Gouvernement tranchera, le président de la République arbitrera sur le texte du Gouvernement.
 
Vous proposerez un volet pénibilité dans la réforme ?
 
Je pense qu'on a besoin d'un volet pénibilité, et notamment parce que, au fond, la pénibilité c'est la façon dont on est exposé à certains risques. Il y a des gens... les vibrations par exemple : quand vous êtes pendant dix ans, quinze ans, derrière un marteau piqueur - je ne l'ai jamais fait donc je ne peux pas dire - mais quand on voit les gens derrière un marteau piqueur, on se dit que ça doit être quand même physiquement quelque chose de très difficile, et donc, vous allez avoir des séquelles probablement de cela. C'est vrai aussi pour, je ne sais pas... Vous soulevez des parpaings, il n'y a pas de différence au fond...
 
Si je suis avec un marteau piqueur je vivrai moins longtemps...
 
Ce n'est pas sûr que vous vivrez moins longtemps, mais la probabilité alors...
 
C'est pas sûr mais enfin, il y a plus de risques que je vive moins longtemps.
 
Moins bien. Cela veut dire que vous allez vivre votre retraite avec un mal de dos épouvantable, avec une épaule fracassée, etc. Et donc, il faut tenir compte de cela pendant le travail, c'est-à-dire dans les conditions de travail. Au fond, la retraite n'est pas là pour solder tous les problèmes que vous avez eus pendant quarante ans, mais vous devez pouvoir peut-être aussi en tenir compte au moment où vous prenez votre retraite. C'est plus juste, c'est plus équitable. Et quand vous êtes dans la fonction publique ou dans le privé, on doit pouvoir essayer de juger de la même chose. Le parpaing public que vous portez pèse la même chose que le parpaing privé que vous portez. Donc il faut avoir ce type de réflexion en toute équité et en toute justice entre les Français. Et bien respecter la différenciation, évidemment, d'être fonctionnaire par rapport à un agent du privé.
 
Alors on sait qu'il y a de nombreux régimes différents de retraite en France, beaucoup...
 
Oui, trente-cinq.
 
Oui, trente-cinq, trente-huit certains disent... Enfin bon, peu importe. Il y a le régime des agriculteurs, des mineurs, des marins, des cheminots, est-ce que...
 
Il y a le régime général surtout, le régime général de la sécurité sociale.
 
Oui, régime général. Est-ce que vous allez toucher à tous ces régimes spéciaux, différents ou pas ? Est-ce qu'il faut uniformiser en quelque sorte.
 
On ne peut pas faire table rase de l'histoire du pays...
 
Donc ce n'est pas possible ?
 
Non, d'ailleurs ce n'est même pas souhaitable. Quand vous avez des professions libérales, etc., elles ont leur propre régime. Il faut simplement qu'on vérifie que toutes les règles sont des règles d'égalité, et de faire en sorte que ces régimes soient évidemment financièrement viables. Et c'est ça qui est important. Mais l'idée d'un grand soir, au fond, dans lequel il n'y a plus qu'un régime, tout le monde dans le monde dans la même... Non, la France n'a pas été construite comme ça. Donc on est là, au fond, pour vraiment ajuster notre régime par répartition, faire en sorte que les déficits énormes que le Conseil d'orientation des retraites a chiffré, ces déficits énormes qui ne sont que des projections, cela veut dire que c'est ce qui se passe si on ne fait rien. Donc ça veut dire qu'il faut surtout qu'ils ne se passent pas ces scénarios. Donc il faut que ces projections ne se passent pas. Donc il faut agir. La bonne nouvelle, c'est qu'on va agir, c'est-à-dire qu'on va bien protéger noter système par répartition.
 
Est-ce que vous êtes capable aujourd'hui de connaître le déficit des retraites dans dix, vingt ou trente ans, alors qu'on est incapable de savoir ce que sera la croissance dans un an ?
 
Oui, bien sûr, on est capables de le faire. On est capables de le projeter, on fait des scénarios. Mais ce n'est pas moi, c'est le Conseil d'orientation des retraites. Il y a tous les partenaires sociaux, etc., donc il y a ...
 
Je ne vous mets pas en cause, je pose la question normalement.
 
On est capables, quand même, de regarder devant. Vous, vous faites des prévisions chez RMC, etc., tout le monde fait des prévisions. Le Conseil d'orientation des retraites, il prend grosso modo deux scénarios : un scénario dans lequel il y a beaucoup moins de chômage et puis un taux d'activité qui croît, une croissance tout à fait correcte de la France, et puis il regarde ce que ça donne. Après, c'est de la démographie, combien il y a de gens qui partent en retraite, combien il y a de gens qui payent la retraite de ceux qui partent en retraite. Et quand il regarde ça, il fait la somme des déficits. La somme des déficits est absolument gigantesque, elle est 45 milliards en 2020, elle est de 70 milliards en 2030, elle est quasiment de 100 milliards par an - par an ! ! - en 2050. Donc ces projections sont plutôt optimistes, personne ne dramatise, moi je dis l'extrême vérité. Ces prévisions ou ces projections, elles sont faites pour nous dire : « ce n'est pas possible et donc vous devez réagir ». Le Gouvernement avait réagi en 1993, réagi en 2003, ça a beaucoup amélioré le système, ce n'est pas suffisant, la crise en plus est passée par là, et a effondré les recettes. Donc il faut que nous fassions quelque chose. C'est un problème de responsabilité devant les Français.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 mai 2010