Interview de M. Georges Tron, secrétaire d'Etat à la fonction publique à Canal plus le 23 avril 2010, sur la réforme des retraites, le financement, le calcul dans le secteur public et le privé et l'augmentation des cotisations et

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Média : Canal Plus

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G. Delafon.- G. Tron, vous avez reçu hier l'UNSA, la CGC, CFDT et FSU, premier contact avec les syndicats, vous recevez lundi la CGT. Est-ce qu'il y a déjà des points de blocage ?
 
Non, je dirais qu'il n'y a pas de point de blocage. C'était une première réunion d'un cycle qui va en comporter 25 ou 30 dans les prochaines semaines. Il s'agissait de définir une méthode, un calendrier et de repérer les points sur lesquels nous allions ouvrir des discussions un peu plus précises dans le contexte général du débat. Pas de point de blocage...
 
Pas de point dur ?
 
Des lignes qui étaient, cela dit, assez bien marquées de part et d'autre.
 
Des lignes rouges ?
 
Le mot a été employé mais ça ne voulait pas dire qu'il y avait un refus de dialoguer sur un sujet donné. Ça voulait simplement dire qu'il y avait des questions, par exemple la diminution des pensions, sur lesquelles ni d'un côté ni de l'autre d'ailleurs on s'accordait la moindre marge de manoeuvre.
 
Donc ça, on n'en discute pas ?
 
On n'en discute pas. Pour être honnête, il y a certains syndicats qui ont plus insisté également sur le fait que toucher aux six mois, pour eux, était quelque chose d'ennuyeux. C'est le mot qui était employé.
 
Justement, on va rappeler que dans le public, le calcul des retraites est basé sur les salaires des six derniers mois et dans le privé sur le meilleur des vingt-cinq dernières années. Est-ce qu'on peut réformer sans harmoniser ces modes de calcul ?
 
Est-ce qu'on doit tenter d'harmoniser ? La réponse est plutôt oui. Est-ce qu'on doit le faire de façon caricaturale ? La réponse est non. Pourquoi je dis "caricaturale" ? Parce qu'il faut bien mesurer qu'il y a plusieurs paramètres qui entrent en ligne de compte. Sans faire de technique, je vous donne un exemple par rapport à ce que vous venez d'indiquer. Vous prenez la retraite dans la fonction publique, six mois de référence ; vous la prenez dans le privé, vingt-cinq années. Vous prenez le privé, c'est la totalité en fait de la rémunération ; vous prenez le public, c'est en réalité tout sauf les primes, même si ça a été changé il y a quelques années et que maintenant elles commencent à être introduites dans le système. Donc...
 
Il faut qu'elles le soient ?
 
Je pense qu'il faut tendre à ce qu'elles le soient. Mais je pense surtout qu'il faut bien mesurer qu'on ne parle pas de la même chose. La rémunération du public, c'est en gros une seule partie de la rémunération, les primes c'est à peu près en moyenne 25 % de la rémunération d'un fonctionnaire, dans certaines catégories ça peut monter jusqu'à 45, 50 %. On mesure bien que si on fait un calcul sur la base de la rémunération moins 40...
 
Sans les primes...
 
Ou 50 %...
 
Ce n'est pas la même chose.
 
On n'est pas dans la même logique. Donc, quand on parle du public et du privé, il faut bien mesurer qu'il y a des différences, il faut bien mesurer qu'on peut avoir des points de convergence, sur la pénibilité par exemple, sur l'emploi des seniors, mais pas aller non plus dans la caricature.
 
Le ministre E. Woerth, hier, qui a donc mené les négociations avec vous, dit qu'il s'interroge pour savoir si le système des retraites actuelles est équitable. Est-ce que pour vous, il est équitable entre public et privé ?
 
La question posée par E. Woerth est justement posée. Il y a des points sur lesquels...
 
C'est pour ça qu'on vous la pose.
 
Oui et c'est bien joué. Il y a des points sur lesquels on peut penser qu'on peut introduire plus d'équité dans le système. On prend un exemple...
 
Mais est-ce qu'il est équitable aujourd'hui ?
 
Je ne peux pas vous le dire avant qu'on en ait discuté avec les syndicats, par définition...
 
On connaît le système, on connaît les modes de calcul, on connaît les pensions...
 
Non, mais qu'on le connaisse, c'est clair, on connaît les avantages d'un côté, on connaît les avantages de l'autre. Mesurer l'équité sans avoir mis à plat le système, ce n'est aujourd'hui à mon sens pas possible et pas souhaitable, pourquoi ? Si on le fait, ça veut dire qu'il y a des préalables à la discussion qui s'engage, je ne veux pas qu'il y en ait. Je vous prends un exemple précis : vous êtes un agent de la fonction publique, après quinze ans de service, quand vous êtes parent de trois enfants, vous pouvez liquider votre pension, dans le privé vous ne le pouvez pas. C'est équitable ou ce n'est pas équitable ? Question numéro 2, vous parlez de pénibilité, il y a une appréciation différente dans le public, une appréciation différente dans le privé...
 
Pas pour E. Woerth qui dit qu'un parpaing pèse le même poids dans le public et dans le privé.
 
C'est ce que j'allais vous dire. E. Woerth introduit des dispositifs de comparaison assez sensés. Est-ce que le fait de porter un parpaing, c'est très différent quand on est agent public ou agent privé ? Est-ce qu'il faut maintenir une forme de différence d'appréciation ? Voilà, c'est toutes ces questions-là qu'on met sur la discussion. Mais on le met, je répète, sans souci de stigmatiser quiconque.
 
Et vous aurez le temps de le faire dans le calendrier qui est proposé et qui est critiqué par les syndicats ?
 
Oui, enfin je voudrais quand même rappeler que sur les questions des retraites, on en est - et c'est bien ainsi - à la troisième réforme, ne serait-ce que depuis 2003. Donc, par définition, il faut toujours qu'on ait, si j'ose dire, "les clauses de revoyure", parce que les paramètres divers évoluent, la démographie bouge, les crises viennent s'impacter là-dessus. Donc on connaît les deux sujets, on connaît les dossiers, le COR a remis un rapport qui met très précisément les choses sur la table, je pense que le calendrier est largement suffisant.
 
Il y a quelque chose que je ne comprends pas, je voudrais que vous m'expliquiez. E. Woerth a dit très récemment que le montant des retraites va continuer à augmenter, mais dans le même temps, on ne va pas augmenter les impôts et les cotisations. Alors je pose une question, comment on fait là ?
 
Eh bien, on est logique avec soi-même et E. Woerth, à mon avis, de ce point de vue-là, l'est totalement, pourquoi ? On est dans un système par répartition, ça veut dire quoi ? Cela veut dire qu'on a une solidarité entre générations pour payer les retraites...
 
D'accord.
 
Ce n'est pas de la capitalisation, on ne met pas de l'argent de côté pour soi-même plus tard, c'est un système qui consiste à faire payer à une génération les retraites précédentes.
 
Oui, mais il y a un manque de 100 milliards à l'horizon de 2030 ou 50, je ne sais plus. Où est-ce qu'on trouve l'argent ?
 
On trouve l'argent en jouant sur différents paramètres, dont évidemment le paramètre de l'âge.
 
Oui mais c'est le seul qu'a le Gouvernement pour l'instant, alors hormis le paramètre de l'âge ?
 
Parce que c'est le plus cohérent, parce que nous sommes dans un système qui est un système intergénérationnel et que donc, par définition, puisqu'on sait qu'il y a une génération du moment qui paie les retraites des retraités du moment, et construit ses propres droits pour plus tard, on mesure bien que s'il y a plus de retraités et moins de cotisants, il faut jouer sur les paramètres à un moment où l'espérance de vie s'accroît.
 
D'accord.
 
C'est tout à fait cohérent.
 
OK, mais est-ce que les Français ne sont pas suffisamment matures pour qu'on puisse leur dire : vous savez, il va falloir augmenter les cotisations et probablement que les pensions vont baisser. Ça, ça paraît assez évident quand même.
 
Non, je ne crois pas que ce soit évident comme ça...
 
Vous pensez que les cotisations ne vont pas augmenter et que les pensions ne baisseront pas ?
 
 Je pense que les pensions ne doivent pas baisser et qu'on peut faire en sorte qu'elles ne baissent pas. Je pense que le paramètre majeur c'est le paramètre de l'âge, avec la durée de cotisation bien entendu, mais également l'âge légal. Et je pense en troisième lieu qu'on est dans une situation où il faut éviter d'augmenter les prélèvements, et en particulier les cotisations, ce qui n'exclut pas qu'il puisse y avoir, ici ou là, tel ou tel aménagement, parce que je vous le rappelle, la France a quand même la particularité d'être le pays, à économie comparable, dans lequel les taux de prélèvement sont les plus importants. Donc si on continue à accroître la fiscalité, par définition, on va avoir des conséquences en termes d'emplois qui seront délocalisés, il y aura moins de masse salariale, moins de cotisations et on accroîtra le déficit.
 
Donc la seule solution, c'est d'allonger quoi ?
 
La solution rationnelle, si on est dans un système par répartition, c'est de jouer sur le paramètre de l'âge. Ça n'exclut pas tel ou tel ajustement sur d'autres sujets, mais tout ça doit se faire avec, si vous me permettez...
 
Les syndicats n'en veulent pas !
 
Mais les syndicats...
 
Ils n'en veulent pas, ça c'est clair !
 
Je crois que les syndicats, d'abord, ne sont pas aussi fermés que cela sur ce sujet-là et qu'en second lieu, il faut bien comprendre que la logique de la répartition dans laquelle nous sommes et dans laquelle ils veulent rester, c'est celle-ci.
 
Est-ce que le Gouvernement est prêt politiquement à aller jusqu'à un conflit social, comme on a connu en 1995 ? Parce que là, je vous le dis moi, les syndicats, l'allongement, pour l'instant, ils ne veulent pas en entendre parler !
 
Oui, je crois que la situation a beaucoup évolué depuis 1995 et je vais vous dire pourquoi. Tout le monde aujourd'hui est bien conscient que la retraite, c'est quelque chose de fondamental et qu'aujourd'hui les éléments démographiques mettent à mal son financement. Tout le monde est bien conscient qu'il faut faire quelque chose, personne ne le reproche au Gouvernement. Et je dirais que ni du côté du Gouvernement ni du côté des syndicats, les Français n'attendent des positions qui soient radicales mais attendent également une position d' (inaud.). Chacun doit prendre ses responsabilités, je fais confiance aux syndicats pour le faire, le Gouvernement le fera.
 
Alors vous êtes connu pour avoir été un proche de D. de Villepin, vous l'êtes probablement toujours et vous êtes maintenant au sein du gouvernement de N. Sarkozy. Différents leaders de la majorité ont appelé à la fin de la récréation, c'est-à-dire que vous vous interdisez j'imagine de critiquer le Gouvernement ou le Président ?
 
Je vais vous dire, le Président m'a confié une mission sur un sujet que je connaissais parce que j'y travaille depuis des années, qui est le sujet du moment et qui est un vrai dossier. Je me consacre à ce dossier. Question, est-ce que pour autant je renie mes amitiés, ma proximité avec D. de Villepin ? La réponse est non, bien entendu.
 
Vous serez au côté de D. de Villepin le 19 juin, quand il va lancer son parti ?
 
J'en parlerai avec lui. J'ai déjà dit que ça ne me posait aucun problème d'y aller à titre personnel. Je ne veux pas que ce soit interprété comme un symbole particulier de défiance à l'égard des uns ou des autres. Donc je verrai ça le moment venu, en en parlant aux uns et aux autres.
 
Quand il dit qu'il est contre le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, vous êtes d'accord avec lui ?
 
Non, et je lui ai d'ailleurs déjà dit bien avant d'entrer au Gouvernement, puisque sans vouloir revendiquer quoi que ce soit, c'est un des sujets sur lequel je travaille depuis quatre ou cinq ans et que j'avais moi- même conceptualisé dans mes rapports sur la fonction publique.
 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 mai 2010