Texte intégral
Q - Vous êtes l'invité de Radio J, Bernard Kouchner. Au menu, les grands dossiers diplomatiques et internationaux du moment :
- Crise de l'euro : qu'est-ce qui ne va pas ? Qu'est-ce qui ne fonctionne pas ? Et qu'est-ce qui ne fonctionne plus au sein de l'Union européenne ? Comment l'Europe peut-elle se sortir de la crise ?
- Proche-Orient : quels sont, aux yeux de la France, les moyens de parvenir à une paix israélo-palestinienne ?
- Iran : quid de la menace nucléaire iranienne ?
Et puis, on va rester en Iran pour commencer, Bernard Kouchner, avec le retour de Clotilde Reiss en France. Quelles ont été les contreparties françaises à la libération de cette otage française ? Et quels pays ont favorisé le dénouement de cette affaire ?
R - Laissez-moi d'abord être heureux, vous aussi j'espère ainsi que tout le monde, parce que nous l'attendions depuis longtemps, Clotilde ! Et la voilà ! Elle n'est pas encore arrivée mais elle est sur le chemin du retour. Laissons-la arriver, nous en parlerons ensuite.
Je voudrais simplement vous dire qu'il n'y a eu aucune contrepartie.
Q - Aucune contrepartie, parce que...
R - Cette succession de décisions judiciaires - et, en France, on n'influence pas les décisions des juges - n'a rien à voir avec un marchandage éventuel, avec un marchandage allégué ! Alors, laissons-la arriver, laissons sa famille l'embrasser. Dès qu'elle sera là, nous en parlerons en détail.
Q - Une précision : quand vous dites qu'il n'y a pas eu de marchandage, vous parlez d'agendas judiciaires, vous parlez de la libération de l'ingénieur Majid Kakavand qui a regagné Téhéran le 7 mai, après que les Etats-Unis ont souhaité qu'il soit extradé vers leur pays ; et puis, il y a l'attente pour mardi d'un arrêté d'expulsion concernant Ali Vakili Rad qui a été condamné pour l'assassinat du Premier ministre iranien, Chapour Baktiar, c'est bien de cela dont vous parlez ?
R - Vous avez bien lu les journaux. Il n'y a aucun rapport entre ces deux affaires iraniennes, qui ont été traitées par la justice française, et la libération de notre otage, "notre" parce que Clotilde Reiss était devenue, à chacun d'entre nous, précieuse. C'est une jeune femme, lectrice à l'université, d'Ispahan, innocente de ce dont on l'accusait. Permettez-moi d'en rester là, le temps qu'elle arrive. C'est la moindre des choses que ses proches l'accueillent, que sa famille l'accueille, qu'ils s'embrassent et que nous respirions.
Q - Qu'est-ce que la libération de Clotilde Reiss change à la perception que vous avez du régime iranien ? Est-ce qu'il est juste de dire que le gouvernement iranien chercherait, à travers la libération de Clotilde Reiss, à se donner un nouveau visage plus conciliant ? Est-ce que c'est ce que vous pensez, Monsieur Kouchner ?
R - Je vous le répète : laissons sa famille accueillir Clotilde, laissons le président de la République la voir. Je vous assure que cela ne change rien aux questions politiques, directement politiques, et, en particulier, à notre décision, avec la communauté internationale, de travailler sur une résolution du Conseil de sécurité.
Je voudrais, néanmoins, vous rappeler - et cela est important - qu'il y a d'autres prisonniers, beaucoup d'autres prisonniers iraniens, qu'il y a des exécutions fréquentes.
Q - Il y en a eu cinq la semaine dernière...
R - Oui, en effet, cinq Kurdes.
Et je pense à Jaafar Panahi, un metteur en scène qui se trouve dans la même prison où était notre amie Clotilde Reiss...
Q - ... et où ont été exécutés cinq prisonniers la semaine dernière...
R - Oui, mais ne mélangeons pas.
Là, il s'agit d'un metteur en scène qui devait être au jury du Festival de Cannes, qui est dans la prison d'Evin et dont nous attendons évidemment la sortie avec beaucoup d'impatience. Il y a eu des manifestations à Cannes, toute la profession est derrière M. Panahi et je souhaite en parler au moment où nous avons la joie d'attendre l'arrivée de Clotilde.
Q - Vous avez des assurances éventuellement de la part du régime iranien comme quoi ce metteur en scène pourrait être accueilli à Cannes avant la fin du Festival ?
R - Hélas ! Non, à ma connaissance. J'espère me tromper.
Q - Où en sont les négociations en ce qui concerne les deux journalistes de France 3 retenus en Afghanistan ? Est-ce que cela avance aussi ?
R - Nous savons - mais cela n'a pas changé - dans quelle région ils se trouvent, en dehors des changements de lieux où ils sont retenus et c'est cela qui est difficile parce que les changements de lieux se font la nuit, ils sont très difficiles à déceler. Nous pensons savoir quelle est la zone, nous ne connaissons pas l'endroit exact et nous pensons qu'ils sont encore en bonne santé. Les négociations sont très difficiles. Depuis la cassette que vous connaissez, il n'y a pas eu de signes de vie, mais les services afghans, les ministères afghans et nos alliés s'en occupent. Tous les efforts sont faits, tous les efforts de la France et des alliés pour espérer leur libération prochaine.
Q - On revient sur l'Iran qui reste, pour les Etats-Unis, un Etat terroriste le plus actif du monde - c'est le Département d'Etat qui affirme cela -, un pays qui continuerait à planifier et à financer des attentats terroristes au Proche-Orient, en Europe et en Asie centrale - donc, cela, c'est la position américaine. Est-ce que c'est aussi la position française, Monsieur Kouchner ?
R - Ne parlons pas en termes aussi généraux. Il est certain que l'Iran a planifié des attentats. Maintenant, le fait-il encore ? Nous n'avons pas de preuves immédiates. Mais ce qui compte, c'est le danger que représente l'Iran dans une situation déjà très tendue, déjà explosive au Proche-Orient.
Ce qui compte, c'est que, loin des atermoiements, des petites ruses, etc., la position de tous les pays occidentaux et d'ailleurs de tous les pays de la communauté internationale est claire : il faut répondre à des demandes simples de l'Agence internationale de l'Energie atomique. L'Iran a le droit au nucléaire civil et nous avons même proposé notre aide, les Russes ont proposé leur aide, etc. L'Iran n'a pas le droit, ayant signé le Traité de non-prolifération, de tenter de fabriquer une bombe atomique.
Voilà pourquoi l'Agence internationale, l'agence de l'ONU, pose un certain nombre de questions, demande des précisions. C'est tout ce que nous voulons.
Q - L'AIEA demande des précisions, le président brésilien Lula est en ce moment même à Téhéran. Avez-vous l'impression que cette mission est la mission de la dernière chance ou est-ce une mission pour rien ?
R - Je n'en sais rien. J'espère qu'elle ne sera pas une mission pour rien, comme vous dites, que ce sera une mission productive et qu'elle produira les effets allant vers la paix. Tout le monde peut essayer, nous avons essayé, nous avons beaucoup essayé.
Q - ...depuis 2003...
R - 2003, c'est le début de la démarche européenne. Mais cela n'a rien donné. Nous avons toujours dit, la France - nous ne cherchons pas à attiser le feu-, voyons !, nous n'avons malheureusement pas pu parler du coeur du sujet ; à chaque fois qu'on a l'espoir de parler aux Iraniens, ils nous déçoivent. J'espère que le président Lula, dont vous connaissez l'amitié que nous lui portons et la fraternité qui unit nos deux pays, aura de bonnes nouvelles à nous apprendre. Comme d'ailleurs d'autres, les Turcs par exemple, ou encore le président Medvedev.
Q - Quels sont les Etats qui ont aidé à la libération de Clotilde Reiss ? Là aussi, il y a eu les Turcs...
R - Cela aussi, on en parlera plus tard. Vous connaissez cette phrase : "la victoire a beaucoup de pères, la défaite est orpheline".
Q - Le Sénégal, c'est...
R - Cela doit être un des "pères".
Q - Un des "vrais"pères ou un des "faux" pères ?
R - Regardez comme je suis muet !
Q - Donc, le Sénégal n'a pas contribué à cette libération ?
R - Nous en parlerons lorsque Clotilde Reiss sera arrivée...
Q - On passe au sujet suivant : vous aviez déclaré il y a quelques temps que l'Iran essayait sans cesse depuis 2003 de gagner du temps. Est-ce que c'est encore le cas aujourd'hui ? Est-ce votre état d'esprit aujourd'hui ?
R - Je ne sais pas pour ce qui concerne le président Lula, mais, jusque là, oui, l'Iran a essayé de gagner du temps en offrant des analyses différentes, en se contredisant d'un service à l'autre. C'est assez simple, les questions ne sont pas posées par les pays occidentaux ou par les membres du Conseil de sécurité, elles sont posées par l'Agence internationale de l'Energie atomique dont c'est la mission. Que l'Iran réponde aux questions posées ! Maintenant, c'est le directeur Amano qui, vous le savez, a succédé à Mohammed El Baradeï, mais ce sont les mêmes questions que l'Agence pose.
Q - Et le directeur général Amano qui semble mettre sur le même plan le nucléaire iranien et le nucléaire israélien : est-ce que la France est d'accord avec cela ?
R - Je n'ai pas entendu M. Amano dire cela ! Les questions qu'on pose aux Iraniens sont spécifiques et précises. Pour le moment je n'ai pas entendu de questions s'adresser à Israël de la même façon, sûrement pas !
Q - Considérez-vous que l'option militaire est encore une option envisagée contre l'Iran ? Cette option est-elle à prendre au sérieux ? Faut-il exclure tout recours à la force contre l'Iran ?
R - C'est à la fois trop précis et trop vague ! Tout est un danger au Moyen-Orient puisque la paix n'est pas signée, puisque l'Etat palestinien n'est pas créé. En dehors de cela, il y a aussi des confrontations, des tensions entre la Syrie et l'Irak, entre l'Irak et l'Iran, entre la Syrie et le Liban et entre tout le monde dans la région à propos de l'existence de l'Etat d'Israël et de la non-existence actuelle d'un Etat palestinien- existence à laquelle nous aspirons -. Tout est dangereux.
Q - Sur une menace, une intervention militaire contre l'Iran, cela fait-il partie éventuellement des plans envisagés ?
R - Mais cela ne peut pas faire partie de notre quotidien, il faut s'en prémunir. Ce sont tous les efforts de la France qui tendent vers la paix. Tous les efforts des Nations unies vont vers la paix pour éviter ce qui serait une catastrophe et qui, d'ailleurs, pour le moment n'est pas plus précis qu'auparavant, au contraire. Des tensions dangereuses existent par exemple entre le Sud Liban et Israël.
Q - Qui vous préoccupent ! Confirmez-vous, selon vos informations, que la Syrie a bien livré au Hezbollah libanais des missiles à moyenne et longue portée ?
R - Nous n'avons pas la confirmation s'agissant des missiles de longue portée. Cependant, des missiles livrés au Hezbollah de moindre portée sont suffisants pour toucher les villes israéliennes et il y en a beaucoup. Faisons très attention à cette zone et manifestons, nous, tous ensemble pour la paix. Faisons pression pour l'apaisement.
Q - Comment expliquez-vous qu'il y ait ces livraisons de missiles à moyenne portée, dites-vous, vers le Hezbollah alors que les soldats français, les soldats de la FINUL sont présents au Sud Liban, ne voient-ils rien ?
R - Les chemins sont nombreux et ils ne peuvent pas tous être surveillés. Nous avons le sentiment, en effet, qu'il y a un armement lourd dans le Sud Liban.
Q - Plus lourd qu'avant la guerre ?
R - Probablement.
Q - Pensez-vous qu'il pèse une menace de conflit entre le Hezbollah et Israël ?
R - Dans toute la région, et nous sommes quelques-uns à en avoir été témoins, tout au long des trente, voire quarante dernières années, pas plus maintenant, peut-être, du moins je l'espère, mais cela existe
Q - Vous aviez lancé, vous parliez tout à l'heure d'un Etat palestinien, l'idée, c'était le 20 février dernier : la proclamation rapide d'un Etat palestinien et sa reconnaissance immédiate par la communauté internationale, avant même la négociation sur les frontières. Est-ce qu'à l'époque c'était une bourde, ou est-ce que c'était un ballon d'essai, Monsieur Kouchner ?
R - J'ai peu de choix : une bourde ou un ballon d'essai !? C'était mon opinion personnelle qui est aussi partagée par bien d'autres responsables.
Q - Est-ce votre opinion aujourd'hui ?
R - Oui, mais il faut parler des délais. Pour le moment, des "proximity talks" - c'est-à-dire des contacts nouveaux et indirects par l'intermédiaire de George Mitchell - ont été liés entre les Palestiniens et les Israéliens. Attendons leurs résultats. Soyons-en heureux, ne bouleversons rien. Quelque chose s'est déclenché que nous attendions depuis longtemps, j'espère que cela débouchera sur des contacts directs. Je vous rappelle que sous le précédent gouvernement israélien de M. Ehud Olmert, ces contacts étaient directs, notamment avec Mme Tzipi Livni.
Q - Vous confirmez que vous allez au Proche-Orient la semaine prochaine ou dans les prochains jours ?
R - Si rien ne change - les programmes changent souvent - oui !
Q - Régis Debray publie un ouvrage le 19 mai. Cet ouvrage "Un ami israélien" est un pamphlet à charge contre Israël. Il dépeint Israël, je le cite, comme un Etat colonial qui n'a cessé de coloniser, d'exproprier et de déraciner, partagez-vous ce point de vue, cette opinion de Régis Debray ?
R - Je la trouve trop entière, je trouve que l'esprit qui anime mon ami, Régis Debray, est excessif dans cette affaire, presque "une charge" - cela c'est pour vendre le livre, c'est bien fait d'ailleurs. Il écrit à Elie Barnavi, qui, comme vous le savez, n'est pas suspect et qui était l'ambassadeur d'Israël en France. C'est un intellectuel de grande valeur. Elie Barnavi lui répond. Les arguments sont excessifs de la part de Régis, bien que je n'ai pas lu l'intégralité du livre mais quelques extraits seulement. Donc, ce n'est pas une position extrêmement nouvelle.
Q - Dites-vous : Israël est un Etat colonial ?
R - Non, Israël n'est pas un Etat colonial au sens traditionnel du terme même si la colonisation de certains territoires qui sont palestiniens se poursuit. Vous savez que la France est opposée à la poursuite de cette colonisation. Cela fait obstacle à la création d'un Etat palestinien viable, démocratique dans des frontières reconnues, évidemment. C'est pour cela que l'idée d'une reconnaissance de l'Etat palestinien a repris. Ce serait peut être un cri de désespoir - je n'en sais rien - et nous n'en sommes pas là puisque les pourparlers ont repris. Attendons, enfin cela traîne beaucoup et cela envenime les choses dans l'ensemble du Moyen-Orient.
Q - Certains disent que la paix du monde dépend du Moyen-Orient, faites-vous partie de ceux-là - c'est Hubert Védrine par exemple qui dit cela ?
R - Si vous voulez dire que cela peut déclencher la guerre, oui...
Q - La guerre mondiale ?
R - Non la guerre mondiale, je n'ai jamais pensé cela. Je pense aux Palestiniens, ainsi qu'aux Israéliens et je les mets, si j'ose dire, dans le même sac. Ces deux peuples ont besoin de la paix. Tout ce qui va dans ce sens apaiserait l'atmosphère de la région, abaisserait les tensions et ce serait profitable à l'ensemble du monde.
Q - Alors justement, l'appel "J call" - vous avez du voir cet appel de personnalités juives européennes en faveur d'une paix israélo-palestinienne - va-t-il dans le sens de la paix ? Dispose-t-il de votre appui, de votre soutien ?
R - D'abord à la place que j'occupe pour l'heure, je ne dois pas signer d'appel ! Je sais que vous l'avez signé ! J'ai reçu ce texte, je l'ai lu comme quelque chose qui devait contribuer à la paix, peut-être certains termes sont-ils un peu excessifs ?
Q - Lesquels ? Faute morale d'Israël ?
R - Oui, cela me gêne un petit peu. On peut comprendre certaines critiques de la politique israélienne, la France ne s'est pas gênée pour critiquer cette politique. Nous, nous voulons que les dialogues de paix reprennent, c'est le cas, indirectement. Le président de la République l'a dit à la Knesset, il l'a dit à Ramallah, nous voulons deux Etats - un palestinien, un israélien- et Jérusalem capitale de ces deux Etats. Tout ce qui va dans ce sens ne me paraît pas condamnable.
Q - Les signataires de cet appel demandent aux Etats-Unis et à l'Union européenne de faire pression sur les Israéliens et sur les Palestiniens...
R - Cela prouve qu'ils ne font pas beaucoup de politique. Qu'est ce que cela veut dire, "faire pression" ? Comme si nous ne faisions pas pression, comme si la France, l'Union européenne ne faisaient pas pression ? L'Union européenne a approuvé un seul et même document pour vingt-sept pays - le 8 décembre. Nous avons non pas la solution mais un document qui représenterait le minimum pour l'Etat palestinien et pour l'Etat israélien, c'est formidable d'avoir fait cela. J'ai d'ailleurs suggéré que les Vingt-sept aillent le proposer des deux côtés, à Jérusalem.
Q - Et pas question de faire pression sur Israël et sur les Palestiniens ?
R - Mais qu'est ce que c'est que "faire pression" ? Nous faisons pression politiquement en permanence, la communauté internationale fait pression. En dehors de cela, c'est vraiment un leurre. Il y a deux expressions qui sont assez faciles à employer : "la volonté politique" et "faire pression". "Faire pression", comment ?
Q - "Faire pression" comment ? Peut être en trouvant un interlocuteur ...
R - ... est-ce que vous savez qu'il y a eu un certain nombre de pressions qui ont été exercées à un moment donné par les Américains sur les assurances et le crédit. Mais dans les circonstances actuelles, tout le monde prêtera à Israël . C'est un leurre !
Q- Est-ce que le problème aussi c'est que le camp de la paix palestinien n'existe pas ? Il n'y a pas d'appel correspondant au "J call" du côté palestinien.
R - Mais la faute à qui ? Les Palestiniens peuvent le faire. Cet argument est discutable ; ce n'est pas la même chose. Il y a, je le sais, c'est peut être la dernière génération et c'est très important de le dire, une génération de Palestiniens qui manifestement veut la paix. Je vous signale qu'il n'y pas en Cisjordanie d'incidents et que pendant ce temps-là, l'Etat palestinien connaît une croissance de 5 à 6 %.
Q - Marwan Barghouti fait-il partie des personnalités palestiniennes qui pourraient peut-être jouer le rôle dans l'avenir d'un Mandela palestinien ?
R - C'est probable, mais c'est aux Israéliens de le dire, il est en prison.
Q - Vous le souhaitez, vous souhaitez par exemple qu'ils le libèrent ?
R - Ne me faites pas parler à la place des autres Etats, j'ai déjà fait cela et on me l'a beaucoup reproché. Laissons chacun décider.
Q - Benjamin Netanyahu devrait venir à Paris le 27 mai avec son ministre des Affaires étrangères, M. Lieberman. Recevrez-vous M. Lieberman ?
R - J'ai déjà reçu M. Lieberman.
Q - Est-ce qu'il sera reçu par Nicolas Sarkozy ?
R - M. Netanyahu sera reçu. Il vient, vous le savez, parce qu'Israël est membre maintenant de l'OCDE. L'OCDE est une organisation économique et non politique et l'Etat d'Israël a été accepté par consensus, par tout le monde, les 31 pays. C'est normal qu'il vienne et c'est normal que nous le voyons. Par ailleurs, j'ai déjà reçu M. Lieberman. Comment ne pas recevoir un ministre des Affaires étrangères d'un Etat souverain avec qui nous entretenons des relations diplomatiques ? C'est normal.
Q - Autre sujet, autre dossier, autre pays de la région, la Libye, qui a été élue jeudi au Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, pour la défense des droits de l'Homme, un organisme qui est basé à Genève. Est-ce digne de cette institution, que la Libye en fasse partie ?
R - Ce qui a été extrêmement digne, c'est que l'Iran, qui avait postulé, n'a pas été élu. Pour ce qui est de la Libye, il s'agit d'un vote groupé : nous n'avons pas eu à nous prononcer. Il y a quatre-sept pays renouvelés par tiers chaque année. C'est un groupe de pays qui, ensemble, est élu. L'Iran a renoncé à concourir après une grande pression de la part de la France en particulier et d'autres pays.
La Libye comme parangon des droits de l'Homme c'est un peu surprenant. Vous savez, moi je crois que malgré les améliorations, le Conseil des droits de l'Homme de Genève n'est pas l'organisation parfaite à laquelle nous aspirions.
Q - Cela ne sert pas à grand chose ?
R - Cela sert au débat, oui, parce qu'il y a maintenant un contrôle permanent sur chacun des pays. Il y a donc un renouvellement des explications que l'on demande aux Etats. Simplement, il faut voir le nombre d'Etats dans le monde qui, si j'ose dire, défendent des règles morales ou de défense des droits de l'Homme par rapport au nombre total d'Etats ? C'est forcément très imparfait. Mais c'est là aussi que, encore une fois, l'Iran n'a pas été accepté.
Q - Autre dossier d'actualité, la situation en Thaïlande. On n'entend pas ou très faiblement la voix de la France. Cela signifie-t-il que le droit et le devoir d'ingérence c'est terminé pour Bernard Kouchner ?
R - C'est extrêmement méchant de dire cela et complètement injuste. Ce n'est pas terminé du tout ; c'est beaucoup plus difficile qu'avant. Ce qui prouve quoi ? Qu'avec les militants il était nécessaire de tendre vers un but, qui a été le devoir d'ingérence, la responsabilité de protéger. La responsabilité de protéger a été votée à l'Assemblée générale des Nations unies ; c'est un projet et c'était un progrès majeur dans l'histoire du droit international. Maintenant, il y a une frilosité considérable et même une espèce de refus de défendre les droits de l'Homme.
Q - (inaudible)
R - Vous ne pouvez pas dire cela. Le dernier exemple, c'est la Guinée, où la France s'est portée au premier rang, pour que l'ensemble de la communauté internationale refuse ce massacre immonde fait à Conakry, dans ce stade. Maintenant, nous apprenons - j'espère que cela sera le 27 juin -, que des élections auront eu lieu et que tous, l'Union africaine, l'Union européenne, l'ONU, la Cour pénale internationale, la CEDEAO, nous avons poussé au "droit d'ingérence", si vous voulez.
Q - (Au sujet de la Thaïlande)
R - La Thaïlande est un pays souverain, avec un gouvernement qui a été élu. La protestation vient du gouvernement passé, c'est les chemises rouges qui sont assiégées dans un réduit. J'espère que cela se finira sans grande effusion de sang. De l'autre côté, il y avait les chemises jaunes, elles assiégeaient, il y a quelques mois encore, les chemises rouges. Ces deux courants s'affrontent militairement. Il n'y a pas d'ingérence à avoir. Qui le demande ? Personne. Ni l'un ni l'autre des camps ne demandent une intervention. D'ailleurs, y aurait-il une intervention possible ? Ce que je crains, puisque les camps des chemises rouges sont au centre de la ville, c'est qu'évidemment une intervention pourrait être extrêmement meurtrière.
Q - On en vient à l'actualité européenne. Il y a tout juste une semaine Nicolas Sarkozy déclarait la guerre aux spéculateurs parallèlement à cet accord sur le plan de sauvetage de la Grèce. Le lendemain c'était l'euphorie sur les places financières internationales et puis patatras, les marchés sont de nouveau inquiets, les bourses chutent, l'euro est au plus bas. Qu'est-ce qui ne va pas ? Qu'est-ce qui ne va plus en Europe ? Qu'est-ce qui ne fonctionne plus au sein de l'Union, Monsieur Kouchner ?
R - Il y a quand même quelque chose qui a fonctionné.
Q - C'est quoi ?
R - C'est M. Nicolas Sarkozy. S'il n'y avait pas eu cette forte volonté de la France représentée par le président de la République, il n'y aurait pas eu d'accord et la catastrophe se produisait. En deux jours et deux nuits, l'ensemble du dispositif européen des Vingt-sept - mais surtout des Seize, c'est-à-dire les pays de l'euro -, a pu se mettre en ligne de bataille et, en effet, le lendemain, les marchés ont compris que l'euro, les pays de l'euro et donc l'Europe, seraient défendus ; c'est formidable. Et s'il n'y avait pas eu Nicolas Sarkozy, rien n'aurait été possible. Les marchés ont repris un peu de poil de la bête. Les marchés, c'est fait pour gagner de l'argent. C'est très immoral les marchés, cela peut jouer à la baisse, cela peut jouer à la hausse. Mais on s'est aperçu qu'en effet un certain nombre de pays, en dehors de la France ou de l'Allemagne , avaient des dettes importantes, qu'il fallait les rembourser.
Je pense que les marchés n'ont pas terminé, mais se rendront compte qu'ils ont à faire à une forte partie, qui s'appelle l'Union européenne, qui est un projet, non seulement novateur, une aventure politique exceptionnelle, mais dont nous avons besoin. Il n'était pas question une seconde que nous laissions l'Europe se défaire.
Q - Justement, dans ce contexte, il y a eu cette information, cette rumeur comme quoi Nicolas Sarkozy aurait menacé de quitter l'euro si l'Allemagne ne suivait pas.
R - On aurait fait tous ces efforts pour garder l'euro, mais on l'aurait quitté ? Mais enfin, ce n'est pas sérieux ! Nous nous sommes battus. Le président de la République s'est battu, le gouvernement de François Fillon et Angela Merkel. On peut dire que l'on a perdu du temps, oui, c'est vrai.
Q - Que l'on a ou que l'Allemagne a perdu du temps ?
R - Le temps a été perdu. Nous le regrettons, mais la décision, sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy, vraiment une impulsion, comment dirai-je ? Une espèce d'orage nécessaire a été suivie par l'Allemagne et que l'Allemagne et la France ont influencé les autres. Nous avons d'abord voulu sauver la Grèce, nos amis grecs que nous n'abandonnerons pas. Je me souviens de réunions avec le formidable Georges Papandréou, un homme courageux, qui a proposé à son gouvernement et à sa population de faire des sacrifices dont on peut comprendre qu'ils sont douloureux.
Q - Comment cela se passe entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ? On avait l'impression qu'au début du quinquennat on privilégiait l'axe franco-allemand.
R - Mais pas mal du tout. Sans l'axe franco-allemand, il n'y aurait pas eu cette défense de l'euro. Simplement les deux plus grands pays, pour l'heure, cela peut changer, mais les deux pays moteurs de l'Europe, c'est l'axe franco-allemand. Ce n'est pas simple, nous avons des intérêts différents, mais qu'est-ce que vous croyez ? Ce n'est pas angélique la politique. Nous avons des industries à défendre, nous avons une population à défendre, nous avons un système social à défendre. Nous demandons des efforts à des gens qui se dirigent vers une retraite à soixante-sept ans et il faudra bien que nous évoluions nous-même. Les Allemands se dirigent vers la retraite à soixante-sept ans alors qu'en Grèce, l'âge de départ à la retraite est de cinquante-sept ans. Alors vous comprenez bien que ce problème n'est pas facile à résoudre. Il faut que les Allemands, les Français et les autres discutent.
Q - Il y a une proposition dans ce contexte de crise, celle de la Commission européenne, qui est de contrôler les budgets nationaux avant leur adoption au Parlement. Est-ce une proposition loufoque ?
R - Il faut qu'il y ait du sérieux dans la gestion. L'équilibre est assez simple, il ne faut pas dépenser plus que ce dont on dispose. On prend un prêt, celui-ci doit être remboursé et on s'enchaîne pour bien des années. Alors il est clair qu'il faut une économie saine. Et lorsque l'on vit plus longtemps, il faut cotiser plus longtemps pour avoir une retraite.
Q - Vaut-il mieux être à la merci des spéculateurs ou soumettre le budget de son pays à la Commission de Bruxelles ?
R - Comme si c'était le seul choix qui nous est proposé ! Il faut que l'Europe, en particulier les pays de la zone euro, aient des budgets transparents, qu'ils réduisent leur déficit - ce sont les critères de Maastricht - et qu'ils présentent leurs comptes de manière très contrôlée, très transparente. D'ailleurs, François Fillon vient de le faire en disant qu'en 2013, la France sera à 3 % de déficit budgétaire.
Q - Vous y croyez ?
R - Et vous, croyez-vous à l'Europe ? Moi j'y crois profondément. Je crois que ce sont des épisodes. Il y a eu la crise et tout le monde a été bouleversé par cette crise économique à laquelle nous devons faire face.
Q - David Cameron peut-il être un allié pour la France ? Cette élection peut-elle faire basculer les relations européennes vers un couple franco-britannique plutôt que vers un couple franco-allemand ?
R - C'est très complémentaire. Lorsque Gordon Brown et David Miliband étaient au gouvernement travailliste, il y avait - et cela s'est manifesté en particulier dans la crise économique et dans la façon dont nous voulions corriger les excès du marché, dont nous voulions une régulation économique - un triangle très important qui était la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France, et d'autres se sont ajoutés. Nous avons fait avec les Britanniques un nombre de choses considérables : d'abord dans le domaine de la défense, les deux pays majeurs sont la Grande-Bretagne et la France.
S'agissant de David Cameron, j'espère que dans tous ces domaines nous allons poursuivre. L'alliance nécessaire avec la Grande-Bretagne demeurera.
Q - La loi sur la burqa va être présentée mercredi en Conseil des ministres, le gouvernement a-t-il raison de ne pas se soucier des réserves émises par le Conseil d'Etat ?
R - Le Conseil d'Etat émet des avis et le gouvernement prend ces responsabilités.
Q - Vous êtes donc favorable à cette loi ?
R - J'ai mis du temps. Et puis j'ai constaté que toutes les femmes étaient solidaires et tentent de libérer ces femmes emprisonnées dans cette prison d'étoffe. Et puis j'ai la responsabilité, en tant que ministre des Affaires étrangères et européennes, d'expliquer aux pays qui sont autour de nous et parfois plus lointains ce que nous voulons faire. Que ce geste n'a rien d'un geste contre l'Islam, ce n'est pas un geste religieux. C'est un geste qui émane de la République française et qui après la décision belge va être imité dans bien des pays.
Q - Redoutez-vous la réaction des pays musulmans ?
R - Nous avons enregistré ces réactions comme étant très modérées.
Q - Le vote de cette loi sur la burqa peut-elle accroître le risque terroriste en France ?
R - Je ne pense pas. Encore une fois, ce n'est pas une loi religieuse, c'est au contraire une façon pour ce que l'on appelle l'Islam modéré qui est de loin majoritaire, de s'appuyer sereinement sur sa croyance en évitant les excès. Je pense que cela sera quelque chose de très positif.
Q - Lorsque l'on vient de la gauche et que l'on travaille dans le gouvernement Sarkozy, est-ce que cela veut dire que l'on soutiendra la campagne de M. Sarkozy en 2012 ?
R - Pour ce qui me concerne - et je ne regrette pas du tout d'avoir accepté l'offre de Nicolas Sarkozy pour m'occuper des Affaires étrangères et européennes de la France sur une entente qui a donné, sous l'impulsion du président, mais aussi avec ce que je pouvais faire de positif, une politique étrangère acceptée, sinon admirée, en tout cas remarquée partout dans le monde - peut être pas assez en France - et je suis assez fier d'avoir servi le président de la République pour cette politique.
Q - La semaine dernière dans "Le Parisien", vous vous disiez parfois enragé que des décisions venant de l'Elysée aient pu contrarier des décisions que vous entendiez mener. Est-ce toujours le cas ?
R - Je suis un enragé de l'action collective et de la discussion. Evidemment, le président de la République n'est pas toujours à ma disposition pour cela. Je pense que les décisions que nous avons prises sont bonnes et je ne parle pas que des décisions de politique étrangère : vous savez, ce qui va se passer sur la réforme des retraites, je suis très pour, je pense que c'est nécessaire. J'enrage sur toutes les occasions manquées de développer de l'action collective pour ces politiques-là. L'autonomie des universités, le service minimum, le service civil, le RSA...
Q - Vous allez donc voter pour Sarkozy en 2012 ?
R - Cela ne vous regarde pas.
Q - Vous pouvez voter autrement ?
R - Nous ne sommes pas face à cette échéance.
Q - Votre secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, Pierre Lellouche, a remis en cause le bouclier fiscal. Etes-vous sur la même ligne que lui ?
R - Je pense qu'il s'est fait piéger et qu'il ne voulait pas dire cela. Très clairement, le bouclier fiscal ne sera pas remis en question. Ce dont on parle, c'est d'un financement qui sera différencié.
Q - Sentez-vous que vous arrivez à la fin de votre mission ?
R - Non, je ne le sens pas aujourd'hui.
Q - Vous pensez que vous resterez après le remaniement de la rentrée ?
R - Je n'en sais rien. Je peux vous poser une question ? Que pensez-vous de la politique extérieure de la France ?
Q - Si vous deviez quitter votre ministère, serait-ce pour vous un soulagement ou un déchirement ?
R - Je ne suis pas en train de le quitter, mais je vous préviendrai sans aucun doute. Votre question est prématurée, je ne peux pas y répondre. Je n'ai pas l'intention de partir.
Q - Que vous inspirent les derniers développements de l'affaire Polanski ?
R - Chacune de vos questions mériterait plus de réflexion. Vous savez que je ne veux pas faire de tort à la justice. Cela me fait de la peine. Non pas le ministre des Affaires étrangères et européennes qui parle avec son homologue suisse et qui ne porte pas de jugement, mais Bernard Kouchner ? Je connais Roman Polanski, et j'ai trouvé singulière la dernière intervention de Charlotte Lewis. Je ne commente pas, mais cela me paraît singulier et j'espère que la justice suisse, avec l'accord de la justice américaine, permettra qu'une fois pour toutes, Roman Polanski soit tiré de cet effrayant engrenage où il risque de perdre sa santé, voire plus. Cela me ferait de la peine, pour tous les artistes du monde, pour sa formidable vitalité, pour son talent, pour le souvenir de ce qu'il est, de ce qu'il a été comme réalisateur de films. Je ne peux pas en dire plus pour ne pas influencer qui que ce soit, mais je pense qu'il y a un contenu humain dans l'arrêt des souffrances morales de cet homme qui devrait être au crédit de l'humanité.
Q - Qu'entendez-vous par-là ?
R - Que la justice se prononce, qu'il soit soulagé de ce fardeau, et qu'il nous soit rendu.
Q - Je suppose que vous rejoignez Jack Lang qui dit aujourd'hui que la Suisse s'honorerait en libérant Roman Polanski.
R - Parfois, j'envie la liberté de parole de Jack Lang.
Q - Et celle de Bernard-Henri Levy qui a lancé une pétition de soutien ?
R - Je note qu'ils ne sont ministres ni l'un ni l'autre.
Q - Vous souhaiteriez quitter le Quai d'Orsay pour avoir plus de liberté de parole et signer des pétitions ?
R - Tant de finesse m'étonne...
Q - Est-il vrai que le Brésil pourrait annoncer officiellement, dès la semaine prochaine et peut-être dès demain, qu'il va commander 26 Rafale à la France ?
R - Je l'espère. Tout cela est en question depuis longtemps. Cela arrivera le plus vite possible, nous serions très contents. Mais, ce n'est un secret pour personne, un certain nombre de pays réfléchissent à l'acquisition de ce formidable avion qu'est le Rafale. Sur la base de Kandahar en Afghanistan - où je préférerais qu'il y ait la paix - je l'ai vu fonctionner, c'est impressionnant.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mai 2010
- Crise de l'euro : qu'est-ce qui ne va pas ? Qu'est-ce qui ne fonctionne pas ? Et qu'est-ce qui ne fonctionne plus au sein de l'Union européenne ? Comment l'Europe peut-elle se sortir de la crise ?
- Proche-Orient : quels sont, aux yeux de la France, les moyens de parvenir à une paix israélo-palestinienne ?
- Iran : quid de la menace nucléaire iranienne ?
Et puis, on va rester en Iran pour commencer, Bernard Kouchner, avec le retour de Clotilde Reiss en France. Quelles ont été les contreparties françaises à la libération de cette otage française ? Et quels pays ont favorisé le dénouement de cette affaire ?
R - Laissez-moi d'abord être heureux, vous aussi j'espère ainsi que tout le monde, parce que nous l'attendions depuis longtemps, Clotilde ! Et la voilà ! Elle n'est pas encore arrivée mais elle est sur le chemin du retour. Laissons-la arriver, nous en parlerons ensuite.
Je voudrais simplement vous dire qu'il n'y a eu aucune contrepartie.
Q - Aucune contrepartie, parce que...
R - Cette succession de décisions judiciaires - et, en France, on n'influence pas les décisions des juges - n'a rien à voir avec un marchandage éventuel, avec un marchandage allégué ! Alors, laissons-la arriver, laissons sa famille l'embrasser. Dès qu'elle sera là, nous en parlerons en détail.
Q - Une précision : quand vous dites qu'il n'y a pas eu de marchandage, vous parlez d'agendas judiciaires, vous parlez de la libération de l'ingénieur Majid Kakavand qui a regagné Téhéran le 7 mai, après que les Etats-Unis ont souhaité qu'il soit extradé vers leur pays ; et puis, il y a l'attente pour mardi d'un arrêté d'expulsion concernant Ali Vakili Rad qui a été condamné pour l'assassinat du Premier ministre iranien, Chapour Baktiar, c'est bien de cela dont vous parlez ?
R - Vous avez bien lu les journaux. Il n'y a aucun rapport entre ces deux affaires iraniennes, qui ont été traitées par la justice française, et la libération de notre otage, "notre" parce que Clotilde Reiss était devenue, à chacun d'entre nous, précieuse. C'est une jeune femme, lectrice à l'université, d'Ispahan, innocente de ce dont on l'accusait. Permettez-moi d'en rester là, le temps qu'elle arrive. C'est la moindre des choses que ses proches l'accueillent, que sa famille l'accueille, qu'ils s'embrassent et que nous respirions.
Q - Qu'est-ce que la libération de Clotilde Reiss change à la perception que vous avez du régime iranien ? Est-ce qu'il est juste de dire que le gouvernement iranien chercherait, à travers la libération de Clotilde Reiss, à se donner un nouveau visage plus conciliant ? Est-ce que c'est ce que vous pensez, Monsieur Kouchner ?
R - Je vous le répète : laissons sa famille accueillir Clotilde, laissons le président de la République la voir. Je vous assure que cela ne change rien aux questions politiques, directement politiques, et, en particulier, à notre décision, avec la communauté internationale, de travailler sur une résolution du Conseil de sécurité.
Je voudrais, néanmoins, vous rappeler - et cela est important - qu'il y a d'autres prisonniers, beaucoup d'autres prisonniers iraniens, qu'il y a des exécutions fréquentes.
Q - Il y en a eu cinq la semaine dernière...
R - Oui, en effet, cinq Kurdes.
Et je pense à Jaafar Panahi, un metteur en scène qui se trouve dans la même prison où était notre amie Clotilde Reiss...
Q - ... et où ont été exécutés cinq prisonniers la semaine dernière...
R - Oui, mais ne mélangeons pas.
Là, il s'agit d'un metteur en scène qui devait être au jury du Festival de Cannes, qui est dans la prison d'Evin et dont nous attendons évidemment la sortie avec beaucoup d'impatience. Il y a eu des manifestations à Cannes, toute la profession est derrière M. Panahi et je souhaite en parler au moment où nous avons la joie d'attendre l'arrivée de Clotilde.
Q - Vous avez des assurances éventuellement de la part du régime iranien comme quoi ce metteur en scène pourrait être accueilli à Cannes avant la fin du Festival ?
R - Hélas ! Non, à ma connaissance. J'espère me tromper.
Q - Où en sont les négociations en ce qui concerne les deux journalistes de France 3 retenus en Afghanistan ? Est-ce que cela avance aussi ?
R - Nous savons - mais cela n'a pas changé - dans quelle région ils se trouvent, en dehors des changements de lieux où ils sont retenus et c'est cela qui est difficile parce que les changements de lieux se font la nuit, ils sont très difficiles à déceler. Nous pensons savoir quelle est la zone, nous ne connaissons pas l'endroit exact et nous pensons qu'ils sont encore en bonne santé. Les négociations sont très difficiles. Depuis la cassette que vous connaissez, il n'y a pas eu de signes de vie, mais les services afghans, les ministères afghans et nos alliés s'en occupent. Tous les efforts sont faits, tous les efforts de la France et des alliés pour espérer leur libération prochaine.
Q - On revient sur l'Iran qui reste, pour les Etats-Unis, un Etat terroriste le plus actif du monde - c'est le Département d'Etat qui affirme cela -, un pays qui continuerait à planifier et à financer des attentats terroristes au Proche-Orient, en Europe et en Asie centrale - donc, cela, c'est la position américaine. Est-ce que c'est aussi la position française, Monsieur Kouchner ?
R - Ne parlons pas en termes aussi généraux. Il est certain que l'Iran a planifié des attentats. Maintenant, le fait-il encore ? Nous n'avons pas de preuves immédiates. Mais ce qui compte, c'est le danger que représente l'Iran dans une situation déjà très tendue, déjà explosive au Proche-Orient.
Ce qui compte, c'est que, loin des atermoiements, des petites ruses, etc., la position de tous les pays occidentaux et d'ailleurs de tous les pays de la communauté internationale est claire : il faut répondre à des demandes simples de l'Agence internationale de l'Energie atomique. L'Iran a le droit au nucléaire civil et nous avons même proposé notre aide, les Russes ont proposé leur aide, etc. L'Iran n'a pas le droit, ayant signé le Traité de non-prolifération, de tenter de fabriquer une bombe atomique.
Voilà pourquoi l'Agence internationale, l'agence de l'ONU, pose un certain nombre de questions, demande des précisions. C'est tout ce que nous voulons.
Q - L'AIEA demande des précisions, le président brésilien Lula est en ce moment même à Téhéran. Avez-vous l'impression que cette mission est la mission de la dernière chance ou est-ce une mission pour rien ?
R - Je n'en sais rien. J'espère qu'elle ne sera pas une mission pour rien, comme vous dites, que ce sera une mission productive et qu'elle produira les effets allant vers la paix. Tout le monde peut essayer, nous avons essayé, nous avons beaucoup essayé.
Q - ...depuis 2003...
R - 2003, c'est le début de la démarche européenne. Mais cela n'a rien donné. Nous avons toujours dit, la France - nous ne cherchons pas à attiser le feu-, voyons !, nous n'avons malheureusement pas pu parler du coeur du sujet ; à chaque fois qu'on a l'espoir de parler aux Iraniens, ils nous déçoivent. J'espère que le président Lula, dont vous connaissez l'amitié que nous lui portons et la fraternité qui unit nos deux pays, aura de bonnes nouvelles à nous apprendre. Comme d'ailleurs d'autres, les Turcs par exemple, ou encore le président Medvedev.
Q - Quels sont les Etats qui ont aidé à la libération de Clotilde Reiss ? Là aussi, il y a eu les Turcs...
R - Cela aussi, on en parlera plus tard. Vous connaissez cette phrase : "la victoire a beaucoup de pères, la défaite est orpheline".
Q - Le Sénégal, c'est...
R - Cela doit être un des "pères".
Q - Un des "vrais"pères ou un des "faux" pères ?
R - Regardez comme je suis muet !
Q - Donc, le Sénégal n'a pas contribué à cette libération ?
R - Nous en parlerons lorsque Clotilde Reiss sera arrivée...
Q - On passe au sujet suivant : vous aviez déclaré il y a quelques temps que l'Iran essayait sans cesse depuis 2003 de gagner du temps. Est-ce que c'est encore le cas aujourd'hui ? Est-ce votre état d'esprit aujourd'hui ?
R - Je ne sais pas pour ce qui concerne le président Lula, mais, jusque là, oui, l'Iran a essayé de gagner du temps en offrant des analyses différentes, en se contredisant d'un service à l'autre. C'est assez simple, les questions ne sont pas posées par les pays occidentaux ou par les membres du Conseil de sécurité, elles sont posées par l'Agence internationale de l'Energie atomique dont c'est la mission. Que l'Iran réponde aux questions posées ! Maintenant, c'est le directeur Amano qui, vous le savez, a succédé à Mohammed El Baradeï, mais ce sont les mêmes questions que l'Agence pose.
Q - Et le directeur général Amano qui semble mettre sur le même plan le nucléaire iranien et le nucléaire israélien : est-ce que la France est d'accord avec cela ?
R - Je n'ai pas entendu M. Amano dire cela ! Les questions qu'on pose aux Iraniens sont spécifiques et précises. Pour le moment je n'ai pas entendu de questions s'adresser à Israël de la même façon, sûrement pas !
Q - Considérez-vous que l'option militaire est encore une option envisagée contre l'Iran ? Cette option est-elle à prendre au sérieux ? Faut-il exclure tout recours à la force contre l'Iran ?
R - C'est à la fois trop précis et trop vague ! Tout est un danger au Moyen-Orient puisque la paix n'est pas signée, puisque l'Etat palestinien n'est pas créé. En dehors de cela, il y a aussi des confrontations, des tensions entre la Syrie et l'Irak, entre l'Irak et l'Iran, entre la Syrie et le Liban et entre tout le monde dans la région à propos de l'existence de l'Etat d'Israël et de la non-existence actuelle d'un Etat palestinien- existence à laquelle nous aspirons -. Tout est dangereux.
Q - Sur une menace, une intervention militaire contre l'Iran, cela fait-il partie éventuellement des plans envisagés ?
R - Mais cela ne peut pas faire partie de notre quotidien, il faut s'en prémunir. Ce sont tous les efforts de la France qui tendent vers la paix. Tous les efforts des Nations unies vont vers la paix pour éviter ce qui serait une catastrophe et qui, d'ailleurs, pour le moment n'est pas plus précis qu'auparavant, au contraire. Des tensions dangereuses existent par exemple entre le Sud Liban et Israël.
Q - Qui vous préoccupent ! Confirmez-vous, selon vos informations, que la Syrie a bien livré au Hezbollah libanais des missiles à moyenne et longue portée ?
R - Nous n'avons pas la confirmation s'agissant des missiles de longue portée. Cependant, des missiles livrés au Hezbollah de moindre portée sont suffisants pour toucher les villes israéliennes et il y en a beaucoup. Faisons très attention à cette zone et manifestons, nous, tous ensemble pour la paix. Faisons pression pour l'apaisement.
Q - Comment expliquez-vous qu'il y ait ces livraisons de missiles à moyenne portée, dites-vous, vers le Hezbollah alors que les soldats français, les soldats de la FINUL sont présents au Sud Liban, ne voient-ils rien ?
R - Les chemins sont nombreux et ils ne peuvent pas tous être surveillés. Nous avons le sentiment, en effet, qu'il y a un armement lourd dans le Sud Liban.
Q - Plus lourd qu'avant la guerre ?
R - Probablement.
Q - Pensez-vous qu'il pèse une menace de conflit entre le Hezbollah et Israël ?
R - Dans toute la région, et nous sommes quelques-uns à en avoir été témoins, tout au long des trente, voire quarante dernières années, pas plus maintenant, peut-être, du moins je l'espère, mais cela existe
Q - Vous aviez lancé, vous parliez tout à l'heure d'un Etat palestinien, l'idée, c'était le 20 février dernier : la proclamation rapide d'un Etat palestinien et sa reconnaissance immédiate par la communauté internationale, avant même la négociation sur les frontières. Est-ce qu'à l'époque c'était une bourde, ou est-ce que c'était un ballon d'essai, Monsieur Kouchner ?
R - J'ai peu de choix : une bourde ou un ballon d'essai !? C'était mon opinion personnelle qui est aussi partagée par bien d'autres responsables.
Q - Est-ce votre opinion aujourd'hui ?
R - Oui, mais il faut parler des délais. Pour le moment, des "proximity talks" - c'est-à-dire des contacts nouveaux et indirects par l'intermédiaire de George Mitchell - ont été liés entre les Palestiniens et les Israéliens. Attendons leurs résultats. Soyons-en heureux, ne bouleversons rien. Quelque chose s'est déclenché que nous attendions depuis longtemps, j'espère que cela débouchera sur des contacts directs. Je vous rappelle que sous le précédent gouvernement israélien de M. Ehud Olmert, ces contacts étaient directs, notamment avec Mme Tzipi Livni.
Q - Vous confirmez que vous allez au Proche-Orient la semaine prochaine ou dans les prochains jours ?
R - Si rien ne change - les programmes changent souvent - oui !
Q - Régis Debray publie un ouvrage le 19 mai. Cet ouvrage "Un ami israélien" est un pamphlet à charge contre Israël. Il dépeint Israël, je le cite, comme un Etat colonial qui n'a cessé de coloniser, d'exproprier et de déraciner, partagez-vous ce point de vue, cette opinion de Régis Debray ?
R - Je la trouve trop entière, je trouve que l'esprit qui anime mon ami, Régis Debray, est excessif dans cette affaire, presque "une charge" - cela c'est pour vendre le livre, c'est bien fait d'ailleurs. Il écrit à Elie Barnavi, qui, comme vous le savez, n'est pas suspect et qui était l'ambassadeur d'Israël en France. C'est un intellectuel de grande valeur. Elie Barnavi lui répond. Les arguments sont excessifs de la part de Régis, bien que je n'ai pas lu l'intégralité du livre mais quelques extraits seulement. Donc, ce n'est pas une position extrêmement nouvelle.
Q - Dites-vous : Israël est un Etat colonial ?
R - Non, Israël n'est pas un Etat colonial au sens traditionnel du terme même si la colonisation de certains territoires qui sont palestiniens se poursuit. Vous savez que la France est opposée à la poursuite de cette colonisation. Cela fait obstacle à la création d'un Etat palestinien viable, démocratique dans des frontières reconnues, évidemment. C'est pour cela que l'idée d'une reconnaissance de l'Etat palestinien a repris. Ce serait peut être un cri de désespoir - je n'en sais rien - et nous n'en sommes pas là puisque les pourparlers ont repris. Attendons, enfin cela traîne beaucoup et cela envenime les choses dans l'ensemble du Moyen-Orient.
Q - Certains disent que la paix du monde dépend du Moyen-Orient, faites-vous partie de ceux-là - c'est Hubert Védrine par exemple qui dit cela ?
R - Si vous voulez dire que cela peut déclencher la guerre, oui...
Q - La guerre mondiale ?
R - Non la guerre mondiale, je n'ai jamais pensé cela. Je pense aux Palestiniens, ainsi qu'aux Israéliens et je les mets, si j'ose dire, dans le même sac. Ces deux peuples ont besoin de la paix. Tout ce qui va dans ce sens apaiserait l'atmosphère de la région, abaisserait les tensions et ce serait profitable à l'ensemble du monde.
Q - Alors justement, l'appel "J call" - vous avez du voir cet appel de personnalités juives européennes en faveur d'une paix israélo-palestinienne - va-t-il dans le sens de la paix ? Dispose-t-il de votre appui, de votre soutien ?
R - D'abord à la place que j'occupe pour l'heure, je ne dois pas signer d'appel ! Je sais que vous l'avez signé ! J'ai reçu ce texte, je l'ai lu comme quelque chose qui devait contribuer à la paix, peut-être certains termes sont-ils un peu excessifs ?
Q - Lesquels ? Faute morale d'Israël ?
R - Oui, cela me gêne un petit peu. On peut comprendre certaines critiques de la politique israélienne, la France ne s'est pas gênée pour critiquer cette politique. Nous, nous voulons que les dialogues de paix reprennent, c'est le cas, indirectement. Le président de la République l'a dit à la Knesset, il l'a dit à Ramallah, nous voulons deux Etats - un palestinien, un israélien- et Jérusalem capitale de ces deux Etats. Tout ce qui va dans ce sens ne me paraît pas condamnable.
Q - Les signataires de cet appel demandent aux Etats-Unis et à l'Union européenne de faire pression sur les Israéliens et sur les Palestiniens...
R - Cela prouve qu'ils ne font pas beaucoup de politique. Qu'est ce que cela veut dire, "faire pression" ? Comme si nous ne faisions pas pression, comme si la France, l'Union européenne ne faisaient pas pression ? L'Union européenne a approuvé un seul et même document pour vingt-sept pays - le 8 décembre. Nous avons non pas la solution mais un document qui représenterait le minimum pour l'Etat palestinien et pour l'Etat israélien, c'est formidable d'avoir fait cela. J'ai d'ailleurs suggéré que les Vingt-sept aillent le proposer des deux côtés, à Jérusalem.
Q - Et pas question de faire pression sur Israël et sur les Palestiniens ?
R - Mais qu'est ce que c'est que "faire pression" ? Nous faisons pression politiquement en permanence, la communauté internationale fait pression. En dehors de cela, c'est vraiment un leurre. Il y a deux expressions qui sont assez faciles à employer : "la volonté politique" et "faire pression". "Faire pression", comment ?
Q - "Faire pression" comment ? Peut être en trouvant un interlocuteur ...
R - ... est-ce que vous savez qu'il y a eu un certain nombre de pressions qui ont été exercées à un moment donné par les Américains sur les assurances et le crédit. Mais dans les circonstances actuelles, tout le monde prêtera à Israël . C'est un leurre !
Q- Est-ce que le problème aussi c'est que le camp de la paix palestinien n'existe pas ? Il n'y a pas d'appel correspondant au "J call" du côté palestinien.
R - Mais la faute à qui ? Les Palestiniens peuvent le faire. Cet argument est discutable ; ce n'est pas la même chose. Il y a, je le sais, c'est peut être la dernière génération et c'est très important de le dire, une génération de Palestiniens qui manifestement veut la paix. Je vous signale qu'il n'y pas en Cisjordanie d'incidents et que pendant ce temps-là, l'Etat palestinien connaît une croissance de 5 à 6 %.
Q - Marwan Barghouti fait-il partie des personnalités palestiniennes qui pourraient peut-être jouer le rôle dans l'avenir d'un Mandela palestinien ?
R - C'est probable, mais c'est aux Israéliens de le dire, il est en prison.
Q - Vous le souhaitez, vous souhaitez par exemple qu'ils le libèrent ?
R - Ne me faites pas parler à la place des autres Etats, j'ai déjà fait cela et on me l'a beaucoup reproché. Laissons chacun décider.
Q - Benjamin Netanyahu devrait venir à Paris le 27 mai avec son ministre des Affaires étrangères, M. Lieberman. Recevrez-vous M. Lieberman ?
R - J'ai déjà reçu M. Lieberman.
Q - Est-ce qu'il sera reçu par Nicolas Sarkozy ?
R - M. Netanyahu sera reçu. Il vient, vous le savez, parce qu'Israël est membre maintenant de l'OCDE. L'OCDE est une organisation économique et non politique et l'Etat d'Israël a été accepté par consensus, par tout le monde, les 31 pays. C'est normal qu'il vienne et c'est normal que nous le voyons. Par ailleurs, j'ai déjà reçu M. Lieberman. Comment ne pas recevoir un ministre des Affaires étrangères d'un Etat souverain avec qui nous entretenons des relations diplomatiques ? C'est normal.
Q - Autre sujet, autre dossier, autre pays de la région, la Libye, qui a été élue jeudi au Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, pour la défense des droits de l'Homme, un organisme qui est basé à Genève. Est-ce digne de cette institution, que la Libye en fasse partie ?
R - Ce qui a été extrêmement digne, c'est que l'Iran, qui avait postulé, n'a pas été élu. Pour ce qui est de la Libye, il s'agit d'un vote groupé : nous n'avons pas eu à nous prononcer. Il y a quatre-sept pays renouvelés par tiers chaque année. C'est un groupe de pays qui, ensemble, est élu. L'Iran a renoncé à concourir après une grande pression de la part de la France en particulier et d'autres pays.
La Libye comme parangon des droits de l'Homme c'est un peu surprenant. Vous savez, moi je crois que malgré les améliorations, le Conseil des droits de l'Homme de Genève n'est pas l'organisation parfaite à laquelle nous aspirions.
Q - Cela ne sert pas à grand chose ?
R - Cela sert au débat, oui, parce qu'il y a maintenant un contrôle permanent sur chacun des pays. Il y a donc un renouvellement des explications que l'on demande aux Etats. Simplement, il faut voir le nombre d'Etats dans le monde qui, si j'ose dire, défendent des règles morales ou de défense des droits de l'Homme par rapport au nombre total d'Etats ? C'est forcément très imparfait. Mais c'est là aussi que, encore une fois, l'Iran n'a pas été accepté.
Q - Autre dossier d'actualité, la situation en Thaïlande. On n'entend pas ou très faiblement la voix de la France. Cela signifie-t-il que le droit et le devoir d'ingérence c'est terminé pour Bernard Kouchner ?
R - C'est extrêmement méchant de dire cela et complètement injuste. Ce n'est pas terminé du tout ; c'est beaucoup plus difficile qu'avant. Ce qui prouve quoi ? Qu'avec les militants il était nécessaire de tendre vers un but, qui a été le devoir d'ingérence, la responsabilité de protéger. La responsabilité de protéger a été votée à l'Assemblée générale des Nations unies ; c'est un projet et c'était un progrès majeur dans l'histoire du droit international. Maintenant, il y a une frilosité considérable et même une espèce de refus de défendre les droits de l'Homme.
Q - (inaudible)
R - Vous ne pouvez pas dire cela. Le dernier exemple, c'est la Guinée, où la France s'est portée au premier rang, pour que l'ensemble de la communauté internationale refuse ce massacre immonde fait à Conakry, dans ce stade. Maintenant, nous apprenons - j'espère que cela sera le 27 juin -, que des élections auront eu lieu et que tous, l'Union africaine, l'Union européenne, l'ONU, la Cour pénale internationale, la CEDEAO, nous avons poussé au "droit d'ingérence", si vous voulez.
Q - (Au sujet de la Thaïlande)
R - La Thaïlande est un pays souverain, avec un gouvernement qui a été élu. La protestation vient du gouvernement passé, c'est les chemises rouges qui sont assiégées dans un réduit. J'espère que cela se finira sans grande effusion de sang. De l'autre côté, il y avait les chemises jaunes, elles assiégeaient, il y a quelques mois encore, les chemises rouges. Ces deux courants s'affrontent militairement. Il n'y a pas d'ingérence à avoir. Qui le demande ? Personne. Ni l'un ni l'autre des camps ne demandent une intervention. D'ailleurs, y aurait-il une intervention possible ? Ce que je crains, puisque les camps des chemises rouges sont au centre de la ville, c'est qu'évidemment une intervention pourrait être extrêmement meurtrière.
Q - On en vient à l'actualité européenne. Il y a tout juste une semaine Nicolas Sarkozy déclarait la guerre aux spéculateurs parallèlement à cet accord sur le plan de sauvetage de la Grèce. Le lendemain c'était l'euphorie sur les places financières internationales et puis patatras, les marchés sont de nouveau inquiets, les bourses chutent, l'euro est au plus bas. Qu'est-ce qui ne va pas ? Qu'est-ce qui ne va plus en Europe ? Qu'est-ce qui ne fonctionne plus au sein de l'Union, Monsieur Kouchner ?
R - Il y a quand même quelque chose qui a fonctionné.
Q - C'est quoi ?
R - C'est M. Nicolas Sarkozy. S'il n'y avait pas eu cette forte volonté de la France représentée par le président de la République, il n'y aurait pas eu d'accord et la catastrophe se produisait. En deux jours et deux nuits, l'ensemble du dispositif européen des Vingt-sept - mais surtout des Seize, c'est-à-dire les pays de l'euro -, a pu se mettre en ligne de bataille et, en effet, le lendemain, les marchés ont compris que l'euro, les pays de l'euro et donc l'Europe, seraient défendus ; c'est formidable. Et s'il n'y avait pas eu Nicolas Sarkozy, rien n'aurait été possible. Les marchés ont repris un peu de poil de la bête. Les marchés, c'est fait pour gagner de l'argent. C'est très immoral les marchés, cela peut jouer à la baisse, cela peut jouer à la hausse. Mais on s'est aperçu qu'en effet un certain nombre de pays, en dehors de la France ou de l'Allemagne , avaient des dettes importantes, qu'il fallait les rembourser.
Je pense que les marchés n'ont pas terminé, mais se rendront compte qu'ils ont à faire à une forte partie, qui s'appelle l'Union européenne, qui est un projet, non seulement novateur, une aventure politique exceptionnelle, mais dont nous avons besoin. Il n'était pas question une seconde que nous laissions l'Europe se défaire.
Q - Justement, dans ce contexte, il y a eu cette information, cette rumeur comme quoi Nicolas Sarkozy aurait menacé de quitter l'euro si l'Allemagne ne suivait pas.
R - On aurait fait tous ces efforts pour garder l'euro, mais on l'aurait quitté ? Mais enfin, ce n'est pas sérieux ! Nous nous sommes battus. Le président de la République s'est battu, le gouvernement de François Fillon et Angela Merkel. On peut dire que l'on a perdu du temps, oui, c'est vrai.
Q - Que l'on a ou que l'Allemagne a perdu du temps ?
R - Le temps a été perdu. Nous le regrettons, mais la décision, sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy, vraiment une impulsion, comment dirai-je ? Une espèce d'orage nécessaire a été suivie par l'Allemagne et que l'Allemagne et la France ont influencé les autres. Nous avons d'abord voulu sauver la Grèce, nos amis grecs que nous n'abandonnerons pas. Je me souviens de réunions avec le formidable Georges Papandréou, un homme courageux, qui a proposé à son gouvernement et à sa population de faire des sacrifices dont on peut comprendre qu'ils sont douloureux.
Q - Comment cela se passe entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ? On avait l'impression qu'au début du quinquennat on privilégiait l'axe franco-allemand.
R - Mais pas mal du tout. Sans l'axe franco-allemand, il n'y aurait pas eu cette défense de l'euro. Simplement les deux plus grands pays, pour l'heure, cela peut changer, mais les deux pays moteurs de l'Europe, c'est l'axe franco-allemand. Ce n'est pas simple, nous avons des intérêts différents, mais qu'est-ce que vous croyez ? Ce n'est pas angélique la politique. Nous avons des industries à défendre, nous avons une population à défendre, nous avons un système social à défendre. Nous demandons des efforts à des gens qui se dirigent vers une retraite à soixante-sept ans et il faudra bien que nous évoluions nous-même. Les Allemands se dirigent vers la retraite à soixante-sept ans alors qu'en Grèce, l'âge de départ à la retraite est de cinquante-sept ans. Alors vous comprenez bien que ce problème n'est pas facile à résoudre. Il faut que les Allemands, les Français et les autres discutent.
Q - Il y a une proposition dans ce contexte de crise, celle de la Commission européenne, qui est de contrôler les budgets nationaux avant leur adoption au Parlement. Est-ce une proposition loufoque ?
R - Il faut qu'il y ait du sérieux dans la gestion. L'équilibre est assez simple, il ne faut pas dépenser plus que ce dont on dispose. On prend un prêt, celui-ci doit être remboursé et on s'enchaîne pour bien des années. Alors il est clair qu'il faut une économie saine. Et lorsque l'on vit plus longtemps, il faut cotiser plus longtemps pour avoir une retraite.
Q - Vaut-il mieux être à la merci des spéculateurs ou soumettre le budget de son pays à la Commission de Bruxelles ?
R - Comme si c'était le seul choix qui nous est proposé ! Il faut que l'Europe, en particulier les pays de la zone euro, aient des budgets transparents, qu'ils réduisent leur déficit - ce sont les critères de Maastricht - et qu'ils présentent leurs comptes de manière très contrôlée, très transparente. D'ailleurs, François Fillon vient de le faire en disant qu'en 2013, la France sera à 3 % de déficit budgétaire.
Q - Vous y croyez ?
R - Et vous, croyez-vous à l'Europe ? Moi j'y crois profondément. Je crois que ce sont des épisodes. Il y a eu la crise et tout le monde a été bouleversé par cette crise économique à laquelle nous devons faire face.
Q - David Cameron peut-il être un allié pour la France ? Cette élection peut-elle faire basculer les relations européennes vers un couple franco-britannique plutôt que vers un couple franco-allemand ?
R - C'est très complémentaire. Lorsque Gordon Brown et David Miliband étaient au gouvernement travailliste, il y avait - et cela s'est manifesté en particulier dans la crise économique et dans la façon dont nous voulions corriger les excès du marché, dont nous voulions une régulation économique - un triangle très important qui était la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France, et d'autres se sont ajoutés. Nous avons fait avec les Britanniques un nombre de choses considérables : d'abord dans le domaine de la défense, les deux pays majeurs sont la Grande-Bretagne et la France.
S'agissant de David Cameron, j'espère que dans tous ces domaines nous allons poursuivre. L'alliance nécessaire avec la Grande-Bretagne demeurera.
Q - La loi sur la burqa va être présentée mercredi en Conseil des ministres, le gouvernement a-t-il raison de ne pas se soucier des réserves émises par le Conseil d'Etat ?
R - Le Conseil d'Etat émet des avis et le gouvernement prend ces responsabilités.
Q - Vous êtes donc favorable à cette loi ?
R - J'ai mis du temps. Et puis j'ai constaté que toutes les femmes étaient solidaires et tentent de libérer ces femmes emprisonnées dans cette prison d'étoffe. Et puis j'ai la responsabilité, en tant que ministre des Affaires étrangères et européennes, d'expliquer aux pays qui sont autour de nous et parfois plus lointains ce que nous voulons faire. Que ce geste n'a rien d'un geste contre l'Islam, ce n'est pas un geste religieux. C'est un geste qui émane de la République française et qui après la décision belge va être imité dans bien des pays.
Q - Redoutez-vous la réaction des pays musulmans ?
R - Nous avons enregistré ces réactions comme étant très modérées.
Q - Le vote de cette loi sur la burqa peut-elle accroître le risque terroriste en France ?
R - Je ne pense pas. Encore une fois, ce n'est pas une loi religieuse, c'est au contraire une façon pour ce que l'on appelle l'Islam modéré qui est de loin majoritaire, de s'appuyer sereinement sur sa croyance en évitant les excès. Je pense que cela sera quelque chose de très positif.
Q - Lorsque l'on vient de la gauche et que l'on travaille dans le gouvernement Sarkozy, est-ce que cela veut dire que l'on soutiendra la campagne de M. Sarkozy en 2012 ?
R - Pour ce qui me concerne - et je ne regrette pas du tout d'avoir accepté l'offre de Nicolas Sarkozy pour m'occuper des Affaires étrangères et européennes de la France sur une entente qui a donné, sous l'impulsion du président, mais aussi avec ce que je pouvais faire de positif, une politique étrangère acceptée, sinon admirée, en tout cas remarquée partout dans le monde - peut être pas assez en France - et je suis assez fier d'avoir servi le président de la République pour cette politique.
Q - La semaine dernière dans "Le Parisien", vous vous disiez parfois enragé que des décisions venant de l'Elysée aient pu contrarier des décisions que vous entendiez mener. Est-ce toujours le cas ?
R - Je suis un enragé de l'action collective et de la discussion. Evidemment, le président de la République n'est pas toujours à ma disposition pour cela. Je pense que les décisions que nous avons prises sont bonnes et je ne parle pas que des décisions de politique étrangère : vous savez, ce qui va se passer sur la réforme des retraites, je suis très pour, je pense que c'est nécessaire. J'enrage sur toutes les occasions manquées de développer de l'action collective pour ces politiques-là. L'autonomie des universités, le service minimum, le service civil, le RSA...
Q - Vous allez donc voter pour Sarkozy en 2012 ?
R - Cela ne vous regarde pas.
Q - Vous pouvez voter autrement ?
R - Nous ne sommes pas face à cette échéance.
Q - Votre secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, Pierre Lellouche, a remis en cause le bouclier fiscal. Etes-vous sur la même ligne que lui ?
R - Je pense qu'il s'est fait piéger et qu'il ne voulait pas dire cela. Très clairement, le bouclier fiscal ne sera pas remis en question. Ce dont on parle, c'est d'un financement qui sera différencié.
Q - Sentez-vous que vous arrivez à la fin de votre mission ?
R - Non, je ne le sens pas aujourd'hui.
Q - Vous pensez que vous resterez après le remaniement de la rentrée ?
R - Je n'en sais rien. Je peux vous poser une question ? Que pensez-vous de la politique extérieure de la France ?
Q - Si vous deviez quitter votre ministère, serait-ce pour vous un soulagement ou un déchirement ?
R - Je ne suis pas en train de le quitter, mais je vous préviendrai sans aucun doute. Votre question est prématurée, je ne peux pas y répondre. Je n'ai pas l'intention de partir.
Q - Que vous inspirent les derniers développements de l'affaire Polanski ?
R - Chacune de vos questions mériterait plus de réflexion. Vous savez que je ne veux pas faire de tort à la justice. Cela me fait de la peine. Non pas le ministre des Affaires étrangères et européennes qui parle avec son homologue suisse et qui ne porte pas de jugement, mais Bernard Kouchner ? Je connais Roman Polanski, et j'ai trouvé singulière la dernière intervention de Charlotte Lewis. Je ne commente pas, mais cela me paraît singulier et j'espère que la justice suisse, avec l'accord de la justice américaine, permettra qu'une fois pour toutes, Roman Polanski soit tiré de cet effrayant engrenage où il risque de perdre sa santé, voire plus. Cela me ferait de la peine, pour tous les artistes du monde, pour sa formidable vitalité, pour son talent, pour le souvenir de ce qu'il est, de ce qu'il a été comme réalisateur de films. Je ne peux pas en dire plus pour ne pas influencer qui que ce soit, mais je pense qu'il y a un contenu humain dans l'arrêt des souffrances morales de cet homme qui devrait être au crédit de l'humanité.
Q - Qu'entendez-vous par-là ?
R - Que la justice se prononce, qu'il soit soulagé de ce fardeau, et qu'il nous soit rendu.
Q - Je suppose que vous rejoignez Jack Lang qui dit aujourd'hui que la Suisse s'honorerait en libérant Roman Polanski.
R - Parfois, j'envie la liberté de parole de Jack Lang.
Q - Et celle de Bernard-Henri Levy qui a lancé une pétition de soutien ?
R - Je note qu'ils ne sont ministres ni l'un ni l'autre.
Q - Vous souhaiteriez quitter le Quai d'Orsay pour avoir plus de liberté de parole et signer des pétitions ?
R - Tant de finesse m'étonne...
Q - Est-il vrai que le Brésil pourrait annoncer officiellement, dès la semaine prochaine et peut-être dès demain, qu'il va commander 26 Rafale à la France ?
R - Je l'espère. Tout cela est en question depuis longtemps. Cela arrivera le plus vite possible, nous serions très contents. Mais, ce n'est un secret pour personne, un certain nombre de pays réfléchissent à l'acquisition de ce formidable avion qu'est le Rafale. Sur la base de Kandahar en Afghanistan - où je préférerais qu'il y ait la paix - je l'ai vu fonctionner, c'est impressionnant.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mai 2010