Déclaration de M. Hervé Morin, ministre de la défense, sur la coopération militaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis, à Paris le 2 juin 2010.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque du Conseil économique de la défense "Défense et sécurité : quelle relation Europe/Etats-Unis ?", à Paris le 2 juin 2010

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Parlementaires,
Messieurs les Ambassadeurs,
Messieurs les officiers généraux et officiers,
Mesdames, Messieurs,
Le 29 janvier, dans ce même amphithéâtre, Hillary CLINTON exposait la vision américaine de la sécurité de notre continent : une sécurité européenne indivisible, associée à un engagement américain indéfectible. Face aux défis mondiaux, elle appelait à moderniser et à renforcer notre partenariat transatlantique.
C'est une ambition que je partage pleinement. Le thème retenu pour votre colloque, cher Philippe ESPER, me donne aujourd'hui l'occasion de vous présenter ma vision d'une relation transatlantique renouvelée.
I. Je crois qu'un lien puissant, confiant et constamment renouvelé entre la première puissance mondiale et l'Europe est plus que jamais nécessaire. Et ce pour au moins deux raisons.
D'abord, parce que notre destin est lié.
Nous partageons les mêmes valeurs : la démocratie, les libertés individuelles, le respect des droits de l'Homme et du droit international...
Nous sommes également confrontés aux mêmes défis et aux mêmes menaces : arc de crise de la Mauritanie à l'Afghanistan, terrorisme, instabilité politique, risque de prolifération d'armes de destruction massive...
Autant de menaces qui nécessitent aujourd'hui des réponses collectives ; des réponses que nous apportons ensemble dans le cadre des opérations militaires où nous sommes engagés ou au sein des différentes organisations internationales.
Deuxième raison : de part et d'autre de l'Atlantique, nous avons des attentes réciproques.
A Washington, on souhaite que les Européens prennent une part plus importante du fardeau de la gestion des crises. On souhaite qu'ils s'engagent davantage, notamment en Afghanistan, avec des capacités militaires plus nombreuses et plus disponibles. On s'impatiente aussi, à l'occasion, de ne toujours pas disposer d'un numéro de téléphone unique.
Ces attentes ne sont pas toujours dépourvues d'ambiguïté : quand les Américains appellent à un partage du fardeau, cela n'implique pas spontanément pour nos Alliés un partage du leadership. A fortiori quand des doutes profonds demeurent sur la capacité des Européens à accroître leurs efforts de défense...
En Europe, les progrès de la construction européenne accroissent les aspirations à une reconnaissance de l'Union, sinon comme partenaire égal des Etats-Unis, tout au moins comme un acteur de premier rang.
Mais reconnaissons que la faiblesse de l'ambition européenne et le manque de volonté politique - car la volonté politique ne peut reposer uniquement sur la France - donnent des arguments aux Etats-Unis pour douter des nouvelles réalités européennes en matière de Politique de sécurité et de défense commune.
C'est d'autant plus vrai que les Européens ne sont pas encore prêts à faire tous les efforts nécessaires pour leur défense, ni à titre national, ni collectivement. Ils voient encore dans les Américains la véritable garantie de leur sécurité, une garantie qui, de surcroît, ne leur coûte pas cher, disons-le.
Avec l'élection du Président Barak OBAMA, les Etats-Unis semblent plus ouverts à l'émergence d'un monde multipolaire dans lequel l'Europe aurait toute sa place. Mais cela nous impose en retour des devoirs accrus : assumer l'exercice d'une « Europe puissance », nous affirmer comme des partenaires militaires crédibles et non subordonnés. Et là aussi, disons-le, il reste du chemin à faire des deux côtés.
Le maintien d'un lien étroit entre les Etats-Unis et l'Europe s'avère d'autant plus nécessaire que les occidentaux - sans qu'il soit question de rentrer dans les caricatures des guerres de civilisation - ont besoin d'être unis politiquement pour peser.
Malgré le triomphe de l'économie libérale, la légitimité des démocraties occidentales et de leur modèle de société, les Etats-Unis et l'Europe, pour ne prendre qu'un seul chiffre, ne représenteront plus en 2025 que 5% de la population mondiale, contre 50% pour l'Asie.
Il nous faut donc probablement créer, inventer de nouveaux modes de gouvernance.
On le voit bien : la relation Etats-Unis Europe, c'est d'abord une relation politique. Et c'est cela sa force, son ciment. Une civilisation commune, même si nos contrats sociaux sont différents. Le partage de la démocratie et la protection des libertés. C'est donc beaucoup plus large et plus profond qu'une alliance militaire.
II. Pour que ce partenariat transatlantique soit pleinement efficace, je vois trois conditions.
La première d'entre elles, c'est une Europe plus forte. Excusez-moi de citer à nouveau les meilleures sources américaines, mais comme Hillary CLINTON, je suis en effet convaincu que « le 21e siècle a besoin d'un leadership européen ».
Une Europe plus forte, c'est d'abord une Europe renforcée par l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne et par l'action déterminée de Catherine ASHTON, Haute représentante de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Avec la coopération structurée permanente prévue par le traité, les Etats les plus volontaires pourraient - je dis pourraient - constituer une sorte d'avant-garde de la défense européenne. Pourraient, car il ne faudrait pas que le caractère inclusif - c'est-à-dire des critères d'accès trop généraux permettant à tous ceux qui le veulent de venir - ne vide de substance ce qui doit être, non pas un projet technique, mais politique, c'est-à-dire réellement une avant-garde souhaitant progresser dans l'intégration.
Une Europe plus forte, c'est aussi une Europe capable d'agir et de faire entendre sa voix sur la scène internationale. Pour cela, nous avons besoin d'une Europe de la défense plus forte, qui puisse être combinée aux quelques 48 milliards d'euros par an - 3 fois plus que les Etats-Unis - que l'Union européenne et ses Etats-membres consacrent à l'action extérieure européenne. Car la force de l'Union européenne, c'est bien cette capacité à définir et à conduire une action globale cohérente associant moyens civils et militaires.
Une Europe plus forte, c'est enfin une Europe qui noue des partenariats stratégiques avec les grands pôles de puissance du monde : le Brésil, la Chine, l'Inde, la Russie...
Aujourd'hui, « l'Ouest sans le reste » (Samuel HUNTINGTON) ne peut plus faire seul la différence. Pour être un partenaire utile et crédible des Etats-Unis, l'Europe doit aussi compter pour les autres ensembles régionaux.
Une Europe plus forte, c'est la première condition.
La deuxième condition, c'est d'engager une véritable coopération politique et opérationnelle avec les Etats-Unis, partout où nos intérêts communs sont en jeu.
Au Kosovo, les Etats-Unis participent à la mission EULEX, tandis que militaires européens et américains travaillent ensemble au sein de la KFOR.
En Afrique, cette coopération s'organise. Les Américains contribuent à l'action de l'Union européenne pour former les soldats somaliens. D'autres coopérations pourraient être mises en place, à l'image de l'exercice commun euro-américain de lutte contre le terrorisme au Burkina-Faso, ou pour lutter contre l'insécurité maritime dans le Golfe de Guinée.
La situation au Proche-Orient appelle elle aussi des réponses collectives. Les évènements de ces derniers jours et l'usage disproportionné de la force contre la « flottille de la liberté » en route vers Gaza ne sont pas justifiables. La violence n'apportera aucune solution. Tout le monde doit revenir à la table des négociations. C'est une raison de plus pour que, le moment venu, l'Union européenne et les Etats-Unis contribuent à une offre de sécurité pour compléter un éventuel règlement de paix au Proche-Orient. Et l'Union européenne a un message : Palestiniens et Israéliens ont un destin commun. Ils sont - pardonnez-moi d'utiliser ce verbe - condamnés à vivre ensemble. Et nous, Européens, pouvons le dire plus que quiconque.
La troisième condition du succès, c'est de promouvoir un marché transatlantique de défense équilibré.
Sur un marché de la défense de plus en plus mondialisé, l'accès réciproque et sans entraves aux marchés de défense américains et européens est indispensable. Il est dans notre intérêt d'avoir des liens industriels solides pour produire des matériels interopérables.
Le marché européen se consolide progressivement. Les directives européennes qui ont été adoptées avec la Présidence française de l'Union européenne faciliteront la coopération, en réduisant les barrières entre les Etats membres et en introduisant une véritable compétition intra-européenne. Ces nouvelles règles offriront à nos partenaires américains une véritable opportunité.
Le marché américain reste en revanche difficilement accessible aux entreprises européennes. Le cas du contrat des ravitailleurs de l'US Air Force en est sans doute l'exemple le plus emblématique. Des engagements de transparence ont été pris par l'administration américaine, nous espérons qu'ils seront respectés.
Mesdames, Messieurs,
« Le déplacement des coeurs du monde vers le Pacifique et l'Asie » souligné par Jacques ATTALI a eu des répercussions indéniables sur la relation transatlantique. Mais cela ne doit pas nous effrayer. Je n'imagine pas que les liens qui unissent Américains et Européens puissent se distendre, avec le spectre d'une Amérique post-européenne tournée vers un G2 Etats-Unis / Chine.
Je vois au contraire dans cette évolution une formidable opportunité pour l'Europe de s'affirmer dans le concert des puissances. Pour que cette ambition devienne réalité, avec nos partenaires de l'Union européenne, nous devons simplement cesser de nous complaire dans une relation transatlantique sentimentaliste et nostalgique et assumer davantage l'idée d'une Europe puissance, fiable et décomplexée.
C'est pour moi l'esprit dans lequel nous devons travailler avec nos amis américains.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 4 juin 2010