Interview de M. Denis Kessler, vice-président délégué du MEDEF, à RTL le 6 avril 2001, sur la grève à la SNCF, la proposition du MEDEF d'instaurer un service minimum, les licenciements chez Danone et Marks et Spencer et sur l'enveloppe budgétaire attribuée aux professions de santé libérales.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Arzt Les cheminots en grève poursuivent leur mouvement. La direction de la SNCF a-t-elle eu raison, hier, de faire des avancées en matière de salaire, d'embauches et d'annoncer une pause dans les réformes internes ?
- "Il faut surtout légiférer sur le droit de grève dans le service public. Nous sommes un des rares pays européens qui n'ait pas ce type de réglementation. La continuité du service public est un principe aussi important d'un point de vue constitutionnel que le droit de grève. Il me semble que le moment est venu de trouver les dispositions qui évitent ces grèves à répétition et dont le coup humain, social, économique, financier, dont le coût pour le contribuable est extrêmement élevé."
C'est quoi "légiférer" ? Est-ce instaurer un service minimum ? Est-ce vraiment réaliste ?
- "C'est tout à fait réaliste, cela a été fait dans d'autres pays et c'est un impératif pour éviter ce que l'on constate aujourd'hui. De très nombreuses entreprises subissent cette grève. Il y a 600 trains contenant des marchandises qui, à l'heure actuelle, sont bloqués, plus tous les voyageurs, plus tous les salariés qui mettent 2 ou 3 heures pour rejoindre leur poste de travail. Tout ceci est absolument inacceptable."
Une loi suffit à votre avis ?
- "Il faut une loi. Il est évident qu'il faudra un jour trouver des dispositions qui évitent ces grèves à répétition dont le coût est supporté par l'ensemble de la collectivité et par tous ceux qui utilisent le rail. Je trouve d'ailleurs, d'un point de vue symbolique, que ce qui est en train d'être abandonné, le programme Cap clients, est absolument désastreux. Il est évident que la SNCF doit être à la disposition de l'ensemble de la collectivité qui utilise le rail."
Etait-ce une bonne réforme interne de l'entreprise ?
- "Il est évident que la volonté d'augmenter, de doubler, le tonnage de fret d'ici 2010 est une très bonne disposition. On est en train d'abandonner ces objectifs, ce qui est tout à fait regrettable. "
Une partie ce ceux qui font grève craignent que cela aille vers une privatisation.
- "Ceux qui font grève - je pense notamment à SUD - sont des extrémistes qui n'ont pas du tout l'intérêt de l'entreprise en tête, ni d'ailleurs l'intérêt des clients de la SNCF et tout ceci est très regrettable."
Dans l'actualité, il y a aussi les licenciements chez Danone, chez Marks Spencer. Est-ce qu'une logique implacable de meilleure rentabilité suffit à justifier ces licenciements ?
- "Une phrase de Sauvy me revient en tête : "L'emploi qui naît est silencieux, l'emploi qui disparaît hurle." L'actualité, c'est aussi la création d'un million d'emplois par les entreprises au cours de ces trois dernières années, c'est le fait qu'aujourd'hui même se créent de nombreux emplois en France et que bien entendu, il y aura toujours coexistence de créations d'emplois avec des réductions d'effectif."
Est-ce que vous comprenez que certains demandent un boycott des produits Danone ?
- "Bien entendu, je comprends l'angoisse et la détresse de ceux qui apprennent leur licenciement. Il faut trouver les solutions de reclassement. C'est d'ailleurs au moins le cas pour l'une des deux entreprises qui a prévu des reclassements autour de 95 %. Il est évident que les mesures de boycott sont des mesures irresponsables dans la mesure où, in fine, ce seront bien les salariés des groupes boycottés qui pourraient en subir les conséquences. C'est tout à fait irresponsable, notamment de la part de maires responsables de collectivité, de décider aujourd'hui de boycotter les produits de telle ou telle entreprise. Ceci me semble exactement à l'inverse d'un sens civique"
Certains demandent des lois pour limiter les licenciements. R. Hue l'a encore fait hier.
- "C'est facile. A l'heure actuelle, il faudrait plutôt utiliser l'appareil législatif pour trouver des dispositions de réforme du service public dont on voit en ce moment le coût et les dysfonctionnements. Et à chaque fois qu'il y a effectivement une réduction d'effectif - ce qui est regrettable -, on voit apparaître des demandes d'un durcissement des législations totalement irréalistes, qui n'est pas mis en oeuvre dans les autres pays et dont la plupart du temps, l'effet pervers est au contraire de limiter l'emploi. C'est donc la raison pour laquelle il ne faut pas modifier sans cesse les dispositions concernant le droit du travail. Faisons surtout en sorte que les plans de reclassement aient lieu, qu'ils soient prévus, que le dialogue soit préalable aux mesures annoncées de réduction d'effectif. Tout ceci va dans le sens de ce qu'on appelle l'amélioration du dialogue social dans l'entreprise."
Chez Marks Spencer, cela a été annoncé de façon tellement brutale qu'il y a peut être une réforme nécessaire ?
- "Vous avez tout à fait raison. Vous savez aussi qu'il est difficile à l'heure actuelle de faire coexister deux droits : d'un côté ce que l'on appelle le délit d'initié - il faut informer tous ceux qui sont actionnaires de l'entreprise - d'autre part, le délit d'entrave - il faut informer les instances représentatives du personnel. Entre ces deux droits, la voie est très étroite. C'est aussi un des points sur lesquels il faudra réfléchir."
A propos des dépenses de santé, la ministre E. Guigou a fixé un objectif de dépenses déléguées de 149,9 milliards de francs - c'est l'enveloppe permise aux honoraires des professions de santé libérale. Est-ce un chiffre convenable ?
- "Non, ce n'est pas acceptable. Vous voyez que le Parlement vote une enveloppe qui est ensuite répartie entre les différents postes de dépenses, dont notamment le soin fait par les médecins et les spécialistes qui est géré par la CNAM. L'essentielle de l'enveloppe votée par le Parlement a été réservé à l'hôpital public - notamment au coût des 35 heures dans l'hôpital public - et on laisse une petite enveloppe, absolument insuffisante, qui croît à peu près comme l'inflation, pour les soins ambulatoires auxquels les Français sont très attachés. C'est la raison pour laquelle - je le dis avec beaucoup de netteté - le Medef votera au conseil d'administration de la CNAM contre cette enveloppe. Je crois savoir que la majorité de gestion a la même disposition d'esprit, notamment la CFDT. C'est la première fois que ceci se passe, ce qui montre l'urgence de réfléchir à une nouvelle architecture pour ce qui concerne l'assurance maladie, de façon à éviter ces blocages."
C'est la refondation sociale ?
- "Il est nécessaire de changer d'architecture puisque celle-ci ne marche pas..."
...Cela fait d'ailleurs un moment que vous le dites et ça n'avance pas tellement.
- "Nous allons ouvrir ce chantier dans les semaines qui viennent. Nous y sommes prêts, on en voit l'urgence. Il faut aussi savoir que recevoir l'enveloppe de dépenses début avril, alors que les dépenses commencent le 1er janvier, révèle encore une fois ces dysfonctionnements. On a attendu les municipales pour annoncer cette mauvaise mesure. Vous comprenez que ceci ne correspond pas, encore une fois, à la responsabilité qui doit être permanente dans la gestion de ces sommes et dans la gestion de l'assurance maladie."
Vous savez que les campagnes électorales, - il y en a l'an prochain -, dans les programmes électoraux, il y a souvent des idées sur l'entreprise. Qu'est-ce que vous souhaitez entendre l'an prochain ?
- "Surtout qu'on ne s'occupe pas de l'entreprise dans les échéances électorales ! Dans les autres pays, on cesse en permanence de faire de la politique sur le dos des entreprises. C'est vraiment ce que nous souhaitons, c'est-à-dire que l'on débatte des vrais problèmes, que ce soit la sécurité, l'Europe, l'éducation..."
Mais surtout pas des entreprises ?
- "Surtout pas des entreprises !"
Cela concerne pourtant les citoyens pourtant ?
- "Les entreprises sont aujourd'hui obligées de faire face à une compétition absolument extraordinaire, elles relèvent beaucoup de défi. Les entreprises vont bien, il faut au contraire les soutenir, les encourager, c'est ce que nous souhaitons. Il ne faut pas les menacer en permanence ou leur imposer de nouvelles réglementations."
(Source http://www,medef,fr, le 14 janvier 2003)