Interview de M. Georges Tron, secrétaire d'Etat à la fonction publique, à France 2 le 21 juin 2010, sur la réforme des retraites, la négociation avec les partenaires sociaux et les grèves du 24 juin.

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Média : France 2

Texte intégral


 
 
J. Wittenberg.- Bonjour à tous, bonjour à vous G. Tron.
 
Bonjour.
 
Vous êtes secrétaire d'Etat, élu local, élu en région parisienne à Draveil, c'est à la fois à l'élu local et à l'élu de la République que j'ai envie de demander ce qu'il pense de cette tourmente de l'équipe de France de football, est-ce que c'est l'image de la France elle-même qui est atteinte, comme le disent certains ?
 
Une grande tristesse sur le plan sentimental, parce que tout le monde comptait beaucoup sur l'équipe de France, et un peu d'inquiétude aussi, parce que l'équipe de France, elle ne s'en rend vraiment pas compte, mais c'est un modèle pour beaucoup de jeunes dans nos banlieues, et ils sont en train de montrer que le modèle n'est plus un modèle et devient même en quelque sorte un anti-modèle. Quand on a des responsabilités comme les leurs, on ne fait pas ce qu'ils font.
 
Vous dites : « elle ne se rend plus compte », c'est ce que vous me disiez d'ailleurs tout à l'heure, vous avez l'impression qu'ils sont déconnectés aujourd'hui de l'image qu'ils renvoient ?
 
Je pense qu'ils ne réalisent pas qu'ils ont un devoir d'image, et que ce devoir d'image compte en particulier beaucoup pour toute une série de jeunes de banlieue. Nos clubs de foot, ils ont le double ou le triple d'adhérents que tous les autres réunis, donc, par définition, c'est un modèle, et quand ce modèle ne marche plus, à l'écran, si j'ose dire, il peut y avoir effectivement des répercussions.
 
Alors, les commentaires sont très sévères envers l'équipe de France, est-ce que certains aussi ne prennent pas leur revanche, c'est ce que l'on entend dans d'autres commentaires, contre une certaine France métissée, la fameuse France « black blanc beur » de 1998. On a l'impression que tout le monde tire un petit peu à boulets rouges sur cette équipe de France qui la symbolise en quelque sorte.
 
Voilà le type de raisonnement, à mes yeux, absurde, qui consiste, quand il y a un problème, à essayer de trouver toutes les causes, autres que la bonne, du problème. La vérité c'est quoi ? Cette équipe de France métissée « Black blanc beur » est une formidable équipe, que l'on a tous en tête, et c'est justement parce que l'on compare celle-ci à l'équipe précédente que l'on voit bien qu'il y a une différence inexplicable. La vérité c'est que l'on a des comportements individuels, qui sont des comportements choquants, et ces comportements choquants deviennent choquants au niveau de l'équipe, collectivement. Ce sont donc des individus qui ne voient pas leurs responsabilités, c'est lié à leur comportement, pas du tout à leur couleur de peau.
 
Sportivement, il faut quand même soutenir cette équipe de France jusqu'au bout, jusqu'à son dernier match contre l'Afrique du Sud demain ?
 
Oui, il faut espérer en tout cas qu'elle donnera une image un peu rehaussée, un peu redressée, et qu'elle jouera sur le terrain comme elle doit jouer, et puis voilà, que le résultat soit là au moins pour montrer qu'elle est un peu professionnelle quand même.
 
Vous êtes, avec E. Woerth, le ministre, le secrétaire d'Etat qui co-pilotez la réforme des retraites. Est-ce qu'il y a, comme l'a laissé entendre le ministre, hier, encore un petit peu de grain à moudre, notamment sur la question de la pénibilité et des polypensionnés, c'est-à-dire des personnes qui dépendent de plusieurs régimes de retraite ?
 
Oui, sur les deux sujets il y a évidemment des grains à moudre. Sur la question de la pénibilité, en deux mots, on fait beaucoup. Comme d'habitude, quand on fait quelque chose, on a tendance à considérer que c'est facile et que c'est acquis, ce n'est pas le cas. La pénibilité va être reconnue dans le parcours qui aboutit à la retraite, on pourra avoir la retraite maintenue à 60 ans, avec le taux plein, pour peu que l'on ait une incapacité supérieure à 20 %, reconnue par un médecin. Pourquoi, parce que c'est un médecin qui peut le juger, donc c'est déjà énorme. On va voir si on peut aller plus loin, par rapport aux facteurs d'exposition, si par exemple, le fait d'avoir des facteurs, telles substances cancérigènes et ainsi de suite, doit conduire à avoir un dispositif particulier.
 
Alors, vous avez noté tout de même que les syndicats, finalement, n'ont pas eux-mêmes ouvert leurs portes, n'ont pas cherché à amender le texte qui leur avait été proposé, et finalement on va droit vers un choc frontal avec la manifestation du 24 juin. Vous regrettez finalement cette non-participation des syndicats à l'élaboration du texte ?
 
Non, je ne regrette rien, mais je constate une chose : le dossier pénibilité, c'est F. Fillon qui a demandé qu'il soit ouvert en 2003. Les syndicats s'en sont emparés en 2005, ils ont conclu les négociations en 2008, avec le Medef, sans se mettre d'accord. On reprend le dossier, il a été déjà largement défriché, et puis nous on le fait avancer. On nous dit : il ne faut pas faire simplement ça, aller plus loin, on va le faire.
 
Mais sur le fond ? Globalement, la négociation reste au point mort, les syndicats ne sont pas revenus vous voir en disant : « On voudrait changer tel ou tel point ».
 
Si, si, si, si, il y a la CGT et Force ouvrière qui ne sont pas venus, on a reçu tous les autres qui sont venus, on a discuté avec eux, c'est toujours mieux de discuter que de ne pas discuter quand même.
 
Mais, est-ce qu'il y a des avancées, concrètes, et sur quels points ?
 
Eh bien je vous le dis, sur la pénibilité on peut avancer dans ce sens ; on pourra voir, également, en matière par exemple de polypensionnés, si on ne peut pas simplifier les procédures. Le public et le privé sont très différents, on sait que l'on a quelques marges de manoeuvre pour essayer d'ajuster les régimes.
 
Vous êtes chargé de la Fonction publique, dans ce secteur très particulier il y a aussi des adaptations, éventuellement, à espérer ?
 
Oui, on peut faire...
 
Quoi par exemple ?
 
Eh bien je vais vous donner un exemple concret : on a une grande partie des agents qui sont des agents qui ont une carrière courte, parce qu'ils ont passé une partie de leur carrière, déjà, dans le privé. Bon, on demande pour avoir une retraite, au minimum 15 ans dans la Fonction publique. On peut voir par exemple si on ne peut pas baisser ce seuil de 15 ans pour toucher une retraite plus facilement et que les polypensionnés ne soient pas « préjudiciés », c'est un néologisme, qu'ils ne soient pas l'objet d'un préjudice parce qu'il y a différences de régimes. Mais enfin, il y a des marges de manoeuvre, il faut y réfléchir, il faut discuter à nouveau.
 
Vous avez dit hier, G. Tron, que vous ne redoutiez pas la mobilisation du 24 juin. Vous ne la redoutez pas jusqu'à quel point, jusqu'à combien de millions de personnes dans la rue ?
 
Je ne le chiffre pas. Quand je dis que je ne le redoute pas, j'ai précisé que c'était parce que je les écoute, parce que je les entends, parce que je peux comprendre une certaine forme d'inquiétude qui s'exprime...
 
S'il y a trois millions de personnes dans la rue, vous ne reculerez pas ?
 
Vous savez, je ne sais pas s'il y aura 3 millions, s'il y aura 2 millions, s'il y aura un million. Ce que je sais, c'est que si on ne fait pas cette réforme, le régime des retraites s'effondre et là il pourrait y avoir 50 millions de Français dans la rue, à juste titre, pour dire « On n'a plus de retraites qui sont payées à la fin du mois » et en conséquence de quoi, toutes les pensions vont diminuer. C'est ça le sujet.
 
G. Tron, le ministre du Travail, avec lequel vous travaillez, E. Woerth, est actuellement fragilisé, puisqu'il y a des soupçons selon lesquels il aurait été au courant, avec son épouse, d'une possible fraude fiscale de la milliardaire L. Bettencourt. Vous lui apportez votre soutien, vous êtes troublé par ces révélations ?
 
Je ne suis pas troublé, je suis choqué, et pour une raison extrêmement simple : l'épouse d'E. Woerth, au moment même où elle cherche à quitter une société, voit son nom cité dans un conflit familial épouvantable. Point d'arrivée : E. Woerth, dit monsieur Montebourg, doit démissionner. Autrement dit, il suffit maintenant que votre nom soit cité, soit cité, par des gens autour d'une table, pour que, enregistrés à leur insu et la cassette sortant, certains demandent votre démission. C'est choquant, c'est scandaleux, et ça devrait faire réfléchir tout le monde, parce que ce n'est pas simplement E. Woerth ministre, c'est E. Woerth citoyen qui doit nous conduire à réfléchir à ce qui peut nous arriver à tous.
 
Et pour vous, il n'y a rien dans cette affaire ?
 
Il n'y a rien, il y a un conflit familial interne depuis des mois et des mois, qui est en train de dégénérer, sous nos yeux, et on cherche évidemment politiquement à mouiller E. Woerth au moment où il porte la réforme des retraites. C'est tout.
 
Vous avez cité A. Montebourg, E. Joly, l'ancienne juge, qui est aujourd'hui représentante d'Europe Ecologie, demande également la démission d'E. Woerth.
 
Oui, ça me laisse pantois, quand on songe qu'elle a été juge elle-même. Si c'est ça le recul d'E. Joly, si c'est comme cela qu'elle avait ce raisonnement lorsqu'elle était magistrat, j'en suis terrorisé.
 
Dernier point, G. Tron, on vous connaît comme un ami de D. de Villepin, et pourtant vous n'étiez pas au lancement de son mouvement République Solidaire, samedi. Pour quelle raison ?
 
Oh, en accord avec lui, tout simplement, parce qu'il n'était pas question d'avoir une confusion des styles. C'était le lendemain, ou surlendemain du jour où on présentait la réforme des retraites. Cela dit, j'ai écouté ce qu'il a dit avec attention. Pour moi les choses sont très simples : il faut que D. de Villepin participe au travail de la majorité, qu'il nous apporte quelque chose de plus dans la majorité. S'il franchit la ligne qui consiste à ne plus être dans la majorité, je pense qu'il perdra une grande partie de ses amis.
 
S'il est candidat à la présidentielle, il franchira cette ligne ?
 
Je pense que pour l'instant, la question ne se pose pas dans son esprit, pas plus qu'elle ne se pose dans l'esprit des gens sensés qui l'entourent. A deux ans d'une présidentielle, il l'a d'ailleurs dit lui-même, on ne pense pas à ça.
 
Mais est-ce que vous êtes toujours derrière lui ?
 
Je suis toujours avec lui, je suis toujours en discussion avec lui, on est d'accord parfois sur les sujets, parfois on ne l'est pas, et depuis longtemps d'ailleurs : le nombre de fonctionnaires qu'ils doivent remplacer ou pas, et d'autres sujets. Eh bien je le dis, c'est une discussion amicale, ouverte, mais qui n'exclut en aucun cas, parfois, les désaccords.
 
Je vous remercie beaucoup G. Tron.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 21 juin 2010