Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, dans "Les Echos" le 24 juin 2010, sur les mesures prises par les pays européens pour restaurer leurs finances publiques et sur l'initiative européenne de mise en place d'une taxe bancaire.

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Q - En quelques jours, l'Allemagne, puis la Grande-Bretagne ont présenté des plans de rigueur très ambitieux. Comment les analysez-vous ?
R - Je n'ai pas du tout été surprise par le plan allemand, mon collègue Wolfang Schäuble l'avait annoncé. L'Allemagne applique à la lettre, rigoureusement et de façon disciplinée, les engagements qu'elle a pris vis-à-vis de ses partenaires. Quant au plan anglais, les coupes dans les dépenses et les hausses d'impôt (taxes sur la consommation, revenus du capital, hauts revenus) paraissent massives. Ce projet programme un retour à l'équilibre des finances publiques en 2016 avec une pente ultra-rapide. George Osborne le reconnaît lui-même, sa brutalité pèsera évidemment sur la croissance.
Q - Ce budget britannique va-t-il trop loin ?
R - Compte tenu des circonstances, nous avons tous cet impératif de restaurer nos finances publiques.
Q - Justement, la France se distingue : elle n'a pas choisi ce style de communication en refusant même le mot de "rigueur" !
R - C'est un mot terriblement connoté en France - vous le savez, je le sais. C'est comme cela... Si vous voulez, je peux dire que nous devons avoir une politique responsable et rigoureuse. Est-ce différent ? Non ! Sur le fond, notre politique économique poursuit trois objectifs, ce sont les "trois R" : préserver la Reprise, Restaurer nos finances publiques et poursuivre les Réformes. Sur les déficits, nous aurions pu augmenter les impôts de façon générale ou tailler dans les dépenses publiques de façon drastique. Nous préférons agir de façon ciblée. Sur les dépenses, en gelant des dotations aux collectivités locales, en annonçant des réductions dans les frais de fonctionnement et d'intervention de l'Etat. Sur les impôts, en rabotant sur les niches fiscales ou en agissant de façon ciblée (plus-values boursières, hauts revenus, charges des entreprises avec l'annualisation des allégements de cotisations sociales...).
N'oubliez pas déjà la réforme des retraites qui aura un effet considérable sur les finances publiques : - 0,5% sur le déficit dès 2013 et + 0,3% par an sur la croissance. Tout cela n'est peut-être pas de la communication choc, mais nous avançons étape par étape, par séquence successive.
Q - Sur les dépenses, néanmoins, peu de mesures concrètes ont été annoncées jusqu'à maintenant hormis la réforme des retraites...
R - Le gouvernement travaille en ce moment sur les décisions qui seront bientôt prises et annoncées. Quelle va être l'ampleur des réductions budgétaires, quels projets va-t-on arrêter ou suspendre ?
Mais nous n'allons pas, sous prétexte que nos voisins font des annonces, leur emboîter le pas artificiellement. Notre calendrier est clair : la réforme des retraites la semaine dernière ; puis le débat d'orientation des finances publiques ; la consolidation de notre plan sur les dépenses de l'Etat en juillet ; le volet fiscal à la fin de l'été.
Q - François Fillon a évoqué 45 milliards d'euros d'économies dans les dépenses sur trois ans. Combien en faut-il dans le budget 2011 ?
R - D'une manière générale et absolument certaine, il va falloir en faire plus que ce que pensent tous les ministres ! Je peux vous le confirmer.
Q - Le FMI est dubitatif sur vos prévisions de croissance. Qu'en pensez-vous ?
R - Vous oubliez de mentionner que le rapport du FMI sur la France contient surtout beaucoup de compliments sur notre politique ! S'agissant de notre prévision d'une croissance de 2,5 % en 2011, elle est ambitieuse, mais pas irréaliste. Pourquoi ? En 2009, la France a mieux résisté que les autres pays. Si on raisonne, de surcroît, par analogie, la France s'était redressée très fortement après la crise de 1993 et dès l'année suivante. J'aviserai après lecture des résultats du deuxième trimestre 2010 qui seront connus mi-août.
Q - Que pensez-vous des interventions successives de Barack Obama et de Tim Geithner appelant les Européens à soutenir leur économie alors qu'ils les appelaient à la rigueur il y a quinze jours pour défendre l'euro ?
R - La volatilité de certains propos est presque la réplique de celle des marchés. Je ne pense pas que les responsables de la politique économique aient vocation à changer d'approche tous les 15 jours. Ce qui est sûr, c'est que les déficits publics européens cachent ceux, tout aussi importants, d'autres Etats dans le monde.
Q - Qu'attendez-vous de l'initiative européenne visant à mettre en place une taxe bancaire ?
R - Il s'agit de montrer à nos partenaires, y compris le camp des récalcitrants dont font partie le Canada, l'Australie et le Japon, voire certains pays émergents, qu'un groupe d'Etats solidaires, dont font également partie les Etats-Unis, est déterminé à prévenir le risque systémique présenté par certaines banques. Par cette démarche, la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et, plus largement, l'Union européenne montrent leur conviction que la taxation assise sur le bilan des banques a des vertus comparables aux exigences de renforcement des capitaux propres. L'autre message s'adresse aux opinions publiques. Nous mettons en place, rapidement, des mesures pour éviter une crise semblable à celle que nous avons connue il y a maintenant près de deux ans. J'ai bon espoir que le G20 définisse un cadre et les principes généraux d'une telle taxe.
Q - Pour autant, la question de l'affectation des sommes récoltées - budgétaire ou à fonds dédié - ne semble pas être réglée au sein même de l'Union ?
R - L'histoire montre que lorsque les choses tournent mal, c'est l'Etat qui vient à la rescousse en dernier ressort. Il n'est donc pas inconcevable que le produit de la taxe bancaire soit versé au budget de l'Etat. Nous sommes cependant ouverts au débat. L'Allemagne pense plutôt affecter ce produit à un fonds spécifique qui agirait comme un fonds d'assurance. Cette notion de fonds me paraît incompatible avec l'aléa moral. Si un tel fonds est créé, les banques ne seront-elles pas plus encouragées à prendre des risques dans leur activité sachant qu'elles disposeront de ce fonds d'assurance ?
Q - Quel serait le montant produit issu de la taxation bancaire pour la France ?
R - Il sera sans doute compris entre 300 millions, qui correspond au produit de la taxation sur les bonus cette année, et un milliard d'euros. J'aimerais bien un milliard. Les banques ont les moyens de supporter cette charge. L'année 2009 a été excellente au regard des bonus et des dividendes distribués.
Q - Vous citiez le Canada, qui exclut une telle taxe. La taxe sur les transactions financières que vous défendez n'a pas non plus ses faveurs...
R - Les responsables politiques doivent se donner les moyens de tenir leurs engagements, lorsqu'ils déclarent soutenir l'aide au développement, être attentifs à la misère d'un certain nombre de pays souffrant de catastrophes naturelles, reconnaissent la déception du Sommet de Copenhague et s'engagent à faire des progrès significatifs à Cancun pour financer la lutte contre le changement climatique... Compte tenu des énormes besoins de financement, la logique veut alors que nous trouvions de nouvelles ressources au regard de nos difficultés budgétaires. Le mérite de la taxe sur les transactions financières est que sa faisabilité a été largement démontrée. De plus, notre combat pour la transparence des transactions sur les marchés dérivés permettra de mettre en lumière de nouveaux points de passage pouvant servir à asseoir l'impôt. Profitons-en.
Q - Estimez-vous que les banques exagèrent quand elles expliquent que les diverses mesures visant à renforcer leurs fonds propres ou à les taxer pourraient limiter leur capacité à financer l'économie ?
R - Elles défendent leur business et c'est légitime. Comme les superviseurs défendent le leur. Elles en font peut-être un peu trop. Cependant, elles ont raison de dire que les exigences nouvelles en matière de fonds propres ne doivent pas être trop brutales et menacer le financement de l'économie. Ce n'est pas le but. Il ne faut pas casser le modèle économique bancaire, surtout quand celui-ci a plutôt bien résisté à la crise comme c'est le cas des banques françaises. Il faut également veiller à ce que les mesures prises n'aient pas pour effet de créer une distorsion de concurrence au détriment des banques européennes.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juin 2010