Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, lors de la conférence de presse conjointe avec ses homologues allemand, Guido Westerwelle, polonais, Radoslaw Sikorski, et russe, Sergueï Lavrov, sur l'ouverture du Triangle de Weimar (France-Allemagne-Pologne) à la Russie, les relations entre l'UE et la Russie et la gestion des crises, le Kirghizstan, Paris le 23 juin 2010.

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Circonstance : Réunion du Triangle de Weimar (France-Allemagne-Pologne) et Russie à Paris le 23 juin 2010

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Pardon de vous avoir fait attendre. Je crois que l'attente était nécessaire et le résultat de notre rencontre me paraît - et j'espère que mes amis confirmeront - très positif.
C'est donc la première fois que le Triangle de Weimar se réunit en présence de la Russie. Le format "Weimar", fondé, je vous le rappelle, par les trois ministres des Affaires étrangères qu'étaient M. Genscher, M. Dumas et M. Skubiszewski, est un format à trois, comme le Triangle l'impose... Là, nous sommes quatre et je dis à mes amis, le ministre allemand des Affaires étrangères, le ministre polonais des Affaires étrangères, le ministre russe des Affaires étrangères qu'ils sont non seulement les bienvenus mais que cette rencontre était à la fois nécessaire et, si vous me permettez ce mot, exaltante.
Les sujets ne manquaient pas et nous n'avons pas tout réglé. Tout d'abord, le format de cette réunion témoigne de la nécessité d'une approche, d'un langage, d'une considération très particulière entre l'Union européenne et la Russie.
Il était nécessaire de se retrouver, après un certain nombre de rencontres, je les cite par ordre rétrospectif mais sans aucun classement. Nous étions ensemble à Saint-Pétersbourg, Sergueï Lavrov et moi-même, avec le président Sarkozy et le président Medvedev. Quelques jours auparavant avait eu lieu une rencontre entre Mme Merkel et le président Medvedev. Radek Sikorski vient d'Afghanistan, ce qui nous a valu une discussion très intéressante, les rencontres entre la Russie et la Pologne sont également fréquentes et riches.
Nous avons donc abordé le sujet de l'Afghanistan, puisque notre collègue polonais en venait et puisque j''avais aussi à l''esprit les impressions d'Hervé Morin, le ministre de la Défense, qui en est rentré ce matin.
Nous avons également parlé d'un problème très précis, sur lequel mes amis reviendront, celui de la position géographique très particulière de Kaliningrad, territoire russe. Nous avons - mais je laisserai Guido, Sergueï et Radek, surtout, peut-être le présenter - éprouvé le besoin commun de convaincre l'Union européenne que la solution proposée pour les habitants de Kaliningrad était, quelque chose d'humainement nécessaire et sans aucun doute de politiquement acceptable ; c'est une première étape.
Puisque c'était un des grands sujets, nous avons parlé du problème de la Transnistrie en Moldavie, et de la réunion souhaitée des 5+2, à la lumière du document destiné à l'Union européenne qui a été proposé par le président Medvedev et Mme la Chancelière Merkel. C'est un document dont nous rediscuterons mais qu'il nous semble intéressant de faire accepter, ou au moins de faire comprendre, par l'Union européenne. Il porte sur les possibilités d'un règlement global de ces questions, pas seulement du problème de la Transnistrie, du Haut-Karabakh ou de la Bosnie. Nous avons à proposer, ensemble, avec d'autres membres de l'Union européenne et d'autres ministres des Affaires étrangères, ces éléments qui doivent évidemment être repris par l'Union européenne.
Nous avons aussi parlé de ce qui se passait au Kirghizstan. Nous sommes d'accord là aussi et nous proposons à l'Organisation des Nations unies de faire davantage. Nos amis russes, mais également allemands, ont déjà apporté une grande aide humanitaire. La France n'a pas été en reste mais il nous semble qu'un effort humanitaire très appuyé doit être fait par l'Organisation des Nations unies, à la fois pour aider les près de 100.000 personnes qui ont franchi la frontière - vers l'Ouzbékistan en provenance du Kirghizstan - mais aussi pour permettre que soit garantie l'efficacité de notre action humanitaire. Le climat de tensions et l'anxiété des habitants du Kirghizstan devraient diminuer si nous acceptons de faire un effort supplémentaire à l'égard des populations civiles. Le 27 juin aura lieu un référendum, qui se déroulera non seulement dans la capitale, Bichkek, mais sur l'ensemble du territoire du Kirghizstan. Nous devons soutenir ce processus.
D'autres sujets ont, également, été largement abordés.
Ce Triangle de Weimar, né, d'ailleurs dans cette même salle en 1991, voulait incarner l'avenir de l'Europe, dérivée de la réconciliation franco-allemande, en s'ouvrant à la Pologne. Aujourd'hui, il élargit son horizon à la Russie. C'est tout à fait nécessaire et heureux. Le partenariat avec la Russie est un objectif stratégique de l'Union européenne, ce n'est pas du tout, au contraire, un facteur de division.
Cette réunion fut donc très politique, ce n'était pas seulement une réunion d'amis qui se connaissent bien et qui se voient régulièrement. Il a surtout été question des progrès - mais également des difficultés - de l'Union européenne dans ses relations avec la Russie. C'était une rencontre, à mon avis, très importante, tout à fait pratique mais profondément politique.
Mes Chers Amis, Sergueï Lavrov doit rejoindre le président Medvedev aux Etats-Unis, je lui donne donc la parole en premier.
(...)
Q - Ma question porte sur le mémorandum entre la chancelière Merkel et le président Medvedev auquel vous avez fait référence aujourd'hui. Il parle d'un travail commun entre l'Union européenne et la Russie dans la gestion de crise et, notamment, sur la Transnistrie. Cela ne mentionne pas les Etats-Unis. Or vous avez parlé du format 5 + 5 qui lui inclut les Etats-Unis. Est-il envisageable que le dossier de la Transnistrie soit traité entre l'Union européenne et la Russie sans implication des Etats-Unis ? Plus précisément, Monsieur le Ministre Lavrov, la Russie accepterait-elle la présence d'une mission, d'une force d'interposition, d'une présence européenne en Transnistrie ? Toujours au sujet des conflits gelés : avez-vous parlé de la présence demandée par l'Union européenne d'observateurs de l'Union européenne et de l'OSCE dans les territoires de l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie ?
R - Je vais donner la parole à M. Lavrov puisque vous l'interrogez directement, ainsi qu'aux autres interlocuteurs s'ils le souhaitent.
J'ai le mémorandum sous les yeux. Nous n''oublions personne : les 5 + 2 comprennent, comme vous l'avez dit, l'Union européenne, les Etats-Unis, l'OSCE, la Transnistrie, la Moldavie, l'Ukraine et la Russie. (...)
Q - Très récemment l'Allemagne et la Pologne ont décidé d'échanger des hauts conseillers auprès des ministres de chacun des deux pays, donc un Polonais à Berlin, et un haut conseiller allemand à Varsovie. Cette formule existe depuis assez longtemps entre la France et l'Allemagne, à quand, pour équilibrer, pour refermer en quelque sorte le triangle, un échange similaire entre la Pologne et la France ? Et seconde question, M. Lavrov vous a-t-il rassuré concernant les livraisons de gaz dans le contexte évidemment du contentieux entre la Russie et la Biélorussie ?
R - J'attendais que vous formuliez cette proposition. En effet cela fonctionne bien entre l'Allemagne et la France, il n'y a donc pas de raison que cela ne fonctionne pas aussi bien, sinon mieux encore avec la Pologne. Mais la proposition n'a pas été faite.
S'agissant du gaz, je crois que c'est à Sergueï Lavrov de répondre.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juin 2010