Interview de M. Eric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, à RFI le 7 juillet 2010, sur l'affaire touchant le ministre du travail Eric Woerth, sur la diversité culturelle et l'identité nationale.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

F. Rivière.- Bonjour E. Besson.
 
Bonjour.
 
Vous avez regardé, je suppose, l'interview d'E. Woerth hier soir chez nos confrères de TF1. Le ministre du Travail a rejeté en bloc toutes les accusations portées contre lui par l'ancienne comptable de L. Bettencourt. Est-ce que vous l'avez trouvé convaincant ?
 
Je l'ai trouvé convaincant, je l'ai trouvé émouvant. Vous disiez à l'instant « il commence à accuser le coup »...
 
Vous l'avez senti blessé ?
 
Bien sûr. Mais comment n'accuserait-il le coup ? Trois semaines de calomnies, d'attaques insensées qui portent sur lui, qui portent sur son épouse, qui mettent en cause son honneur, sa probité. Pourquoi faisons-nous bloc derrière E. Woerth ? Non seulement parce que nous sommes convaincus de son innocence, au regard de ce que nous connaissons au sein du Gouvernement. Moi je persiste à penser que c'est probablement l'un des ministres les plus compétents et les plus honnêtes que je connaisse. Donc j'ai envie de l'aider. Mais ça pose une question de principe, qui est celle d'une démocratie et d'un Etat de droit. Est-ce que c'est à un homme de prouver son innocence, ou est-ce que c'est à ceux qui l'accusent de prouver sa culpabilité ? Or on en est là avec l'affaire, dite Woerth maintenant. Personne n'apporte la moindre preuve. Le témoignage le plus lourd et le plus accablant, il est sous l'anonymat avec des invraisemblances extraordinaires. Cette femme qui confond Chamonix et la Suisse, en disant « madame Woerth allait régulièrement en Suisse dans son appartement ». On s'aperçoit que les Woerth n'ont pas d'appartement en Suisse mais que c'était à Chamonix. Comment peut-on monter une cabale sur des témoignages aussi fragiles ? C'est ça qui est insupportable.
 
Cela étant ce n'est pas spécifique à E. Woerth. Dans tous les cas où des hommes publics sont mis en cause, il y a le temps des soupçons avant l'éventuel temps des preuves.
 
Très bien, mais là ils sont extrêmement lourds. Et puis alors colportés à l'envie. Ça fait trois semaines que la France... Et vous imaginez pour vos auditeurs à l'international, l'image de la France ? On accuse des pires vilénies le ministre du Budget actuel, ministre du Travail, sans qu'au moment où nous nous parlons personne n'ait pu apporter le moindre commencement de preuve. Des soupçons, des suggestions, des déductions : parce qu'il était ceci et son épouse était cela, forcément on tisse une passerelle. Mais qu'est-ce que c'est que cette démocratie ?
 
E. Woerth dénonce une cabale orchestrée, dit-il, notamment par le Parti socialiste. Est-ce que c'est aussi votre avis ?
 
Orchestrée, je ne sais pas. Je me garde...
 
C'est le mot qu'il a employé hier.
 
Oui je sais, je sais, mais je vous réponds moi, je ne sais pas si elle est orchestrée. Mais que le Parti socialiste en profite avec un climat.... Pourquoi aussi cette solidarité à notre égard d'E. Woerth ? Parce qu'on voit ce qui se passe sur les travées de l'Assemblée. Quand il a dit hier, il a employé à juste titre le mot « la haine », moi aussi comme lui j'ai vu la haine sur les travées de l'Assemblée. Et je peux mettre des noms. Quand C. Paul pose sa question, il y a moins de quinze jours, c'est la haine qui suinte de son visage. S'il a une arme, on a l'impression qu'il tue dans ce cas-là. Vous pouvez en politique mettre en cause l'exécutif, vous avez le droit de contrôler l'exécutif, vous avez le droit de demander des comptes. Mais je n'ai jamais vu depuis que je suis en politique un tel climat. C'est plus que l'affaire Bettencourt ou le dossier d'E. Woerth qui se joue actuellement. Il y a une espèce de désir de revanche. Soyons juste : pas de tous les députés socialistes, il y a une vingtaine ou une trentaine que visiblement l'odeur du sang ou le fait qu'un homme puisse être blessé excite de façon profondément malsaine. C'est ce qui explique notre solidarité. Au-delà de la politique, elle est d'abord humaine, je crois, en ce moment.
 
E. Woerth met en cause le Parti socialiste et le secrétaire général de l'UMP, X. Bertrand, s'en est pris assez durement hier à la presse et notamment à Mediapart, le journal en ligne, qu'il a accusé d'employer des méthodes fascistes. Vous trouvez que la presse fait un mauvais boulot en ce moment dans cette affaire, et Médiapart en particulier ?
 
Moi ce qui me frappe dans le dossier Médiapart, mais un jour peut-être on saura, qu'est-ce que c'est que ce goutte à goutte, si je puis dire ? De deux choses l'une : soit Médiapart a tout le dossier, pourquoi il ne le met pas clairement et complètement sur la place ? Qu'est-ce que c'est que cette façon d'égrainer au fur et à mesure, de soupeser...
 
A mesure qu'il obtient des informations, ou qu'il les découvre.
 
Oui mais, mais... voilà, il y a quand même une méthode qui est très impressionnante. Moi je ne suis pas enquêteur, je n'affirme pas. Je suis quand même frappé par la façon dont les choses sont distillées, et effectivement parfaitement reprises le jour même par le Parti socialiste, ça donne de l'extérieur l'idée d'une très grande concertation. Mais je n'ai pas les preuves et donc je ne vais pas moi faire ce que je reproche aux autres.
 
La majorité répète depuis plusieurs jours que c'est la réforme des retraites en fait qu'on cherche à torpiller à-travers E. Woerth. Mais depuis hier, le président de la République a lui-même été mis en cause par cette ex comptable. Donc l'entreprise au fond serait encore plus vaste.
 
D'abord il y a une coïncidence qui n'a trompé personne. C'est le 16 juin que E. Woerth a présenté la réforme des retraites, c'est le 16 juin que Médiapart a mis sur son site les supposées révélations. Donc la coïncidence est quand même troublante. Deuxième chose : on s'acharne par exemple sur le fait qu'il avait été trésorier de l'UMP et ministre du Budget ; comment se fait-il qu'on s'acharne quand il ne l'est plus ? Parce que je rappelle qu'il est ministre du Travail. Donc pourquoi ce qui est passé dans l'indifférence pendant près de trois ans heurte une fois qu'il ne l'est plus ? C'est ça qui nous trouble. On va voir au fur et à mesure et on saura comment les choses se sont passées.
 
Est-ce que l'ambiance est lourde en ce moment au Gouvernement ?
 
Oui bien sûr, mais elle est aussi révoltée. Le fait qu'E. Woerth ait porté plainte contre A. Montebourg et contre E. Joly est très sain.
 
C'est sa femme, je crois, qui a porté plainte.
 
Oui, vous avez raison, c'est son épouse. Mais c'est très sain. Comment A. Montebourg a-t-il pu dire « son épouse a organisé la fraude ». Comment on peut affirmer quelque chose ? Ou alors A. Montebourg a des éléments de preuve qu'il va devoir présenter au tribunal.
 
On va parler, E. Besson, de l'actualité de votre ministère. Vous avez signé aujourd'hui la charte de la diversité avec les entreprises de l'audiovisuel. A quoi vont-elles s'engager ?
 
Elles vont s'engager à ce que de part et d'autre de la caméra - si je puis dire - la France dans toute sa diversité soit représentée. Ca veut dire dans les contenus, pour parler très clairement, que les Français d'origine étrangère n'aient pas dans tous les films le rôle du malfrat, je ne dis pas que c'est la réalité aujourd'hui, on a dépassé ce stade, mais parfois la caricature existe aussi. Et que de l'autre côté, mais c'est déjà le cas à Radio France, c'est déjà le cas dans des télévisions...
 
A RFI ici aussi.
 
Ca va s'accentuer - oui je voulais dire l'ensemble du groupe - que les présentateurs, animateurs, journalistes etc., soient le reflet de la diversité de la société française. Je n'oublie pas, même si ce n'est pas l'aspect que j'arrive le mieux à mettre en valeur, que dans le titre de mon ministère il y a « immigration, intégration », et une bonne intégration suppose que tous les Français se reconnaissent dans ceux qui les représentent de part et d'autre de la caméra.
 
Et il y a « identité nationale » aussi dans votre ministère. Où en est ce débat ? Il est terminé ou il va ...
 
Non, il n'est pas terminé du tout. Quasiment tous les lundis, j'organise ce que j'appelle des « lundis républicains ». Vous voyez, lundi dernier, avant hier, nous avons longuement parlé de « Islam et république, compatibilité de l'islam avec les valeurs de la République». Auparavant, nous avions parlé « Morale et République ». Je continue et vos auditeurs peuvent aller sur le site « débatidentitenationale.fr », et ils verront que nous continuons. Simplement, comme il n'y a plus de polémique, on s'y intéresse moins. Je dois sans doute me réjouir qu'on s'y intéresse moins.
 
Merci E. Besson, bonne journée.
 Source : Premier ministre, Service de l'Information du Gouvernement, le 7 juillet 2010