Interview de M. Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, à Europe 1 le 20 juillet 2010, sur l'affaire du dossier fiscal de Mme Bettencourt et la réforme des retraites.

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Média : Europe 1

Texte intégral


 
 
T. Guerrier.- Bonjour, E. Woerth.
 
Bonjour.
 
La réforme des retraites, vous allez la défendre aujourd'hui devant les députés, on va en parler, bien sûr. Mais d'abord l'affaire Bettencourt. Le Parquet de Nanterre a annoncé, hier, que votre épouse et vous-même seriez entendus par la police, je cite « dans de brefs délais ». Est-ce que vous savez quand ?
 
Non, non, je ne sais pas du tout quand, mais j'espère que ce sera très rapide, pour mon épouse évidemment et pour moi-même.
 
Aucune convocation pour l'instant, aucune information ? Il y a une condition préalable : c'est le Conseil des ministres soit saisi pour une demande d'autorisation...
 
...voilà, c'est ça, oui, oui, oui.
 
...Mais ce n'est pas le cas. C. Guéant a dit hier : « ce n'est pas encore le cas ».
 
Oui, mais ça sera le cas, ce sera nécessairement le cas. Donc, bien évidemment, je souhaite être entendu et je souhaite pouvoir expliquer et puis bien évidemment réagir aux questions qui me seront posées.
 
Vous n'avez pas peur que ça traîne avec ce processus ?
 
Ecoutez, moi, je souhaite que ce soit rapide, je le dis depuis quinze jours ou trois semaines, donc je n'ai pas de problème là-dessus. Donc plus c'est rapide mieux c'est. Après, c'est à la justice de décider le moment où elle décide de m'écouter.
 
Pourquoi dites-vous souhaiter cette audition ? Qu'est-ce que vous voulez prouver ?
 
Mais parce qu'il faut s'expliquer dans cette affaire. C'est une affaire assez surnaturelle, si vous voulez, qui m'est tombée dessus un peu comme ça. On m'a accusé de tous les maux, je suis passé par 36 000 « révélations » - on appelle ça des « révélations » en général - chaque matin, donc j'ai lutté contre des « révélations » totalement fantaisistes, contre des amalgames de toute nature, contre la mise en cause moi-même aussi, la mise en cause de mon épouse. Tout ça a été extraordinairement dense, violent, voilà. Donc, j'ai besoin de m'expliquer très sereinement sur les sujets.
 
Vous voulez prouver quoi, qu'il n'y a pas de passe-droit parce que vous avez fait ou demandé qu'on embauche votre femme ?
 
Je n'ai jamais demandé qu'on embauche ma femme, jamais, jamais, jamais. Personne n'a dit ça d'ailleurs. Moi, je n'ai jamais demandé qu'on embauche ma femme. Jamais !
 
Attendez, demander au gestionnaire de la première fortune de France de recevoir sa femme pour la « conseiller sur sa carrière » est-ce que ce n'est pas quand on est ministre du Budget prendre un très gros risque ?
 
Non, je n'ai jamais demandé qu'on embauche ma femme. Je ne l'ai jamais fait depuis vingt-cinq ans, elle a sa propre carrière. Je l'ai expliqué aussi 25 000 fois, et ce n'est pas du tout, du tout, ce qui s'est passé. Je n'ai jamais demandé qu'on embauche ma femme. Elle n'a pas besoin de ça.
 
Ca veut dire que vous démentez la formule de P. de Maistre...
 
... elle n'a pas besoin de ça. Ben, je ne vais pas faire un débat contradictoire avec P. de Maistre sur Europe 1.
 
Mais il l'a dit devant les policiers.
 
Oui, peut-être, enfin je n'ai pas vu le... j'ai vu les journaux, mais je vais m'expliquer sur ça, mais c'est surtout ma femme qui va s'expliquer sur ses conditions d'embauche, c'est là-dessus qu'elle doit être, je pense, entendue : comment elle a été embauchée, qu'elle a été son parcours professionnel, pourquoi elle avait la capacité et les compétences pour le faire, voilà. Elle est dans sa vie professionnelle et c'est la même vie professionnelle depuis longtemps.
 
Mais, là, il ne s'agit pas de votre épouse, il s'agit de vous. Est-ce que vous comprenez...
 
Mais moi, je ne suis jamais intervenu, Monsieur...
 
...attendez, est-ce que vous comprenez qu'on ait du mal à croire qu'il n'y ait aucun lien entre cette éventuelle demande - c'est ce que dit P. de Maistre, le gestionnaire de la fortune de Madame Bettencourt - et l'embauche de votre épouse quelques mois plus tard ?
 
Mais, je n'ai jamais demandé qu'on embauche ma femme. Alors, je ne peux pas être plus clair que cela, vous voyez, c'est assez difficile à un moment donné d'être...
 
... donc, ce qu'a dit P. de Maistre c'est un mensonge.
 
Je ne rentre pas dans les commentaires là-dessus, mais je n'ai jamais demandé quoi que ce soit en ce qui concerne mon épouse, voilà. Ca, c'est au moins quelque chose de clair. Qu'est-ce que vous voulez que je dise ? Comment voulez-vous que je m'exprime autrement ? C'est assez compliqué, au fond. On me demande à chaque fois de prouver, au fond, l'improuvable. Ca été le cas sur 36 000 sujets. Ma femme elle est embauchée normalement dans un job qui convient à son parcours professionnel ancien. D'ailleurs, elle ne cherchait pas de travail en tant que tel.
 
E. Woerth, je vais vous dire pourquoi tout simplement il y a soupçon aux yeux de tous - hier, C. Guéant, le secrétaire général de l'Élysée, lui-même a employé un terme, la notion, l'idée de « renvoi d'ascenseur » - : d'un côté, il y a l'embauche de votre femme d'une manière ou d'une autre, les dons à votre micro parti de Madame Bettencourt ; de l'autre côté, il y a les 30 millions du bouclier fiscal à Madame Bettencourt qui lui ont été rendus, et il y a la Légion d'honneur remise par vous-même à P. de Maistre.
 
Mais vous voyez tous ces amalgames...
 
...non mais, attendez, amalgames, vous dites amalgames...
 
...mais oui, je dis amalgames, oui !
 
Ce sont des faits et il y a des gens qui regardent et qui se disent...
 
Qui se disent « société de suspicion »...
 
... « Mais, pourquoi est-ce qu'il ne répond pas là-dessus ? ».
 
... Mais j'ai répondu, Monsieur Guerrier. Je n'ai pas arrêté de répondre que il n'y a pas de lien entre cela, il n'y a pas de ma part d'aide, d'intervention.
 
Vous ne comprenez pas qu'il y ait soupçon.
 
Mais j'ai déjà répondu au premier point qui était toute une affaire de suspicion concernant, au fond : « vous avez ministre du Budget, est-ce que vous avez favorisé la situation fiscale de Madame Bettencourt, de monsieur Untel ou de monsieur Untel ? », enfin voilà, tous les protagonistes de cette affaire qui ne me concerne pas. L'Inspection des finances a fait un rapport extraordinairement détaillé pour montrer que je n'étais jamais intervenu et que j'avais fait mon métier de ministre du Budget, que je n'étais jamais intervenu.
 
Mais depuis, il y a l'enquête préliminaire, l'interrogatoire de P. de Maistre, voilà les éléments nouveaux.
 
Attendez, je n'étais jamais intervenu, donc il n'y a pas de contrepartie. Tout ça c'est une histoire. Je ne suis jamais intervenu dans ce cadre-là. Et si jamais, enfin... Vous voyez bien, il n'y a pas de contrepartie fiscale, parce que c'est extraordinairement important l'histoire de la fiscalité. C'est de cela dont on m'a accusé pendant quasiment deux semaines ou deux semaines et demie : « est-ce que vous avez à un moment donné favorisé, etc. ? ».
 
Pas de pression sur vos services pour favoriser Madame Bettencourt.
 
« Fait des pressions »... J'ai même à un moment donné été accusé d'avoir calculé le bouclier fiscal de cette contribuable. Vous imaginez le ministre du Budget en train de calculer le bouclier fiscal ? Non, c'est totalement fantaisiste ! L'Inspection des finances l'a montré. Donc, toute cette partie-là a été terriblement éclaircie. C'était la partie qui était au coeur du sujet.
 
Dernière question sur ce sujet avant qu'on passe...
 
... et on ne peut pas remettre en cause la qualité de l'Inspection des finances, parce que j'ai entendu aussi des gens dire : « ah oui, mais l'Inspection des finances c'est pas indépendant ». Eh ben, si, justement !
 
Vous noterez, E. Woerth, que s'il y a acharnement, c'est aussi celui du Parquet, du procureur, plutôt que celui des journalistes, mais dernière question sur ce sujet...
 
... je ne parle pas... je ne dis pas que vous n'avez pas le droit de poser de questions, je n'ai jamais dit ça.
 
Enquête préliminaire...
 
Ce que j'ai dénoncé à plusieurs reprises c'est les amalgames, au fond les commentaires bêtes et méchants, c'est-à-dire les amalgames : on prend un truc, on prend un autre, on relie et on crée une autre histoire et on met ça en gros titre et après on entretient les choses. Ca, c'est de la chasse à l'homme. Ce n'est pas tout à fait pareil, sinon, évidemment, on a le droit de me poser des questions sur le sujet, je n'ai pas de problème là-dessus.
 
Vous voyez comme c'est difficile d'aborder le sujet. Pourquoi ne pas démissionner pour vous consacrer totalement à défendre votre honneur, comme l'a fait D. Strauss-Kahn avant d'être mis en examen, avant d'être mis en examen dans l'affaire MNEF ? Lui, il disait : « La morale et le sens des responsabilités me l'imposent ». Pourquoi vous ne vous libérez pas de cette pression en démissionnant ?
 
Mais parce que je n'ai pas de problème de morale, je n'ai pas de problème de déontologie. Je n'ai aucun problème de cette nature. Donc, je n'ai vraiment aucunement l'intention de démissionner. Je ne vois pas pourquoi je démissionnerais.
 
Vous n'êtes pas ligoté en ce moment par cette affaire ?
 
Non, pas du tout ! Écoutez, je vais passer à peu près trois jours, là, sur les retraites dans le domaine de la Commission des affaires sociales et dans le domaine de la Commission des lois tout à l'heure, je ne me sens pas lié. Je ne suis pas obsessionnel là-dessus. Je sais que... voilà, je suis un vrai punching-ball, on a décidé de m'en mettre plein la figure dans tous les sens, en inventant sans arrêt des histoires nouvelles, et je peux vous en faire une litanie pendant longtemps...
 
...Wildenstein, l'hippodrome de Vincennes, oui, les soupçons s'accumulent.
 
Ce n'est même pas Vincennes, c'est Compiègne.
 
Compiègne, pardon.
 
Mais il n'y a pas de soupçon. C'est insupportable cette idée-là, l'idée de l'hippodrome de Compiègne elle est claire, elle est clairissime, elle est d'une... elle est totalement claire, et on essaie après de vous entraîner pour essayer de bafouer à la fois probablement votre honneur, mais les gens qui font ça n'en ont rien à faire, car pour eux c'est jamais une question d'honneur.
 
Pas de démission, on a compris.
 
Bien sûr que non ! Bien sûr que non !
 
On va passer aux retraites, mais d'abord la dépendance. On a appris hier que le Gouvernement allait créer une nouvelle taxe, une assurance obligatoire à partir de 50 ans pour financer la dépendance. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire de cette future assurance qui serait obligatoire pour chacun d'entre nous ?
 
C'est un rapport parlementaire. C'est V. Rosso-Debord.
 
... c'est un ballon d'essai, c'est une idée que vous lancez ?
 
Non, il n'y a pas de ballon d'essai, il n'y a pas de jeu de rôle, au fond, sur ce genre de sujet. Je veux dire, les parlementaires, heureusement d'ailleurs, écrivent ce qu'ils souhaitent écrire et V. Rosso-Debord est une excellente parlementaire, donc elle donne son opinion. Le président de la République a indiqué que sur la dépendance ce serait un dossier dont on s'occuperait juste après les retraites, donc il faut déjà passer le cap des retraites, c'est déjà long et lourd, et puis on s'occupera de la dépendance parce que c'est un sujet de préoccupation majeure des Français. C'est dans le cadre et dans le champ de mon ministère.
 
C'est crédible cette idée d'assurance obligatoire ? Elle aura lieu, elle va naître ?
 
On va avec N. Berra bien regarder les choses. On a évidemment un certain nombre d'idées, et puis après on rentrera dans un système normal de concertation, de consultation, et puis de décision, mais il faudra trouver la manière de financer la question de la dépendance. Il y a 36 000 idées qui circulent, on verra quelles sont les idées qui sont retenues. Mais en tout cas, on ne peut pas laisser les choses filer comme ça, on ne peut pas laisser... on a chacun des personnes dépendantes dans notre entourage, et on voit bien que c'est extraordinairement compliqué. On doit assurer une fin de vie digne, c'est ça la question qui est posée, sans peser outre mesure sur évidemment les comptes sociaux qui ne vont pas bien aujourd'hui.
 
La réforme des retraites, trois jours en commission à l'Assemblée à partir d'aujourd'hui. Sur quels aspects elle peut être amendée alors qu'elle est très critiquée par les syndicats ?
 
Elle peut être amendée sur pas mal d'aspects mais pas sur l'essentiel : elle ne peut pas être amendée sur les conditions d'âge...
 
...sur le report de l'âge légal.
 
Elle ne peut pas être amendée sur le rythme de progression de cet âge. Elle ne peut pas être amendée sur l'idée qu'en 2018 on doit être en équilibre financier, bon. Par contre, on peut continuer à travailler sur la pénibilité, c'est ce que j'ai dit d'ailleurs aux députés de la majorité, c'est que nous souhaitons, et le président de la république nous l'a demandé, donc poursuivre la concertation. On l'a fait avec les syndicats...
 
.. Quelle ouverture possible ? Les syndicats disent que vous refusez la dimension collective de la pénibilité d'un métier.
 
Oui, enfin, en tout cas on intègre la dimension de la pénibilité dans le texte, et c'est déjà une première. On pourrait dire ça, si vous voulez, plutôt que toujours voir le truc en noir, quoi, le verre à moitié vide on pourrait le regarder à moitié plein. Pour la première fois, il y a un gouvernement qui intègre les notions de pénibilité dans le domaine de la retraite. On peut aller plus loin...
 
...mais s'il y a invalidité personnelle, il n'y aura pas pénibilité, c'est ce que disent les syndicats.
 
Non, mais parce qu'il faut bien le constater. Si vous ne constatez pas la pénibilité, ça veut dire que n'importe qui peut y avoir accès et ça veut dire que c'est très injuste par rapport à quelqu'un qui bénéficiera d'une mesure de pénibilité alors que l'autre n'en bénéficiera pas. Donc, il faut bien pouvoir le mesurer, et ça c'est un affaire de justice. On peut regarder plus comment ça peut se passer pour l'avenir, en réalité. Et c'est là-dessus qu'on est en train de travailler. On a reçu les syndicats sur les quinze derniers jours dans des réunions techniques, qui n'ont pas fait l'objet de médiatisation. On se donne le mois d'août, et puis à la fin du mois d'août, on va essayer de mettre ça, notamment en discussion aussi avec les parlementaires de la majorité.
 
Ceux qui rachètent des anuités pour essayer de compléter leur retraite, ils partent plus tard à la retraite. C'est une injustice pour eux.
 
Il y a des personnes qui ont racheté, selon la loi Fillon on avait la possibilité de racheter des trimestres parce qu'on n'avait pas assez de trimestres pour avoir le taux plein à 60 ans. Bon, on nous a soumis, évidemment, cette idée « vous allez reporter l'âge de la retraite, et moi j'ai acheté des trimestres ». Donc évidemment c'est une question légitime, donc nous allons rembourser, je vais proposer que nous remboursions, que la CNAV rembourse, et l'État sera derrière, rembourse ces trimestres achetés. Alors, ce n'est pas vrai pour tout le monde, certains auront besoin de ces trimestres, au fond, mais beaucoup de gens n'en auront pas besoin, et donc nous allons les rembourser, ce qui est bien normal. Donc, c'est très important parce que beaucoup de gens étaient très sensibles à ça. Évidemment, si vous achetez quelque chose qui ne sert plus à rien, bon... Donc, on remboursera ces trimestres, et je le proposerai aux députés.
 
La séance publique pour l'Assemblée pour la réforme c'est pour septembre.
 
C'est pour septembre, c'est pour le 7 septembre, c'est-à-dire dans bientôt, c'est-à-dire que c'est une rentrée évidemment très accélérée. J'espère en tout cas que l'esprit de responsabilité soufflera, mais moi je n'en doute pas, c'est qu'on ne peut pas, en fait, laisser aller le système de retraite tel qu'il est, il faut le réformer, il faut le modifier, il faut le faire en douceur, voilà.
 
On n'est pas à 65-67 ans avec l'UMP !
 
On est à 62 ans, et c'est 62 ans le bon âge en 2018.
 
Merci E. Woerth.
 
Merci.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 21 juillet 2010