Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "Aujourd'hui en France" le 31 juillet 2010, sur la tentative de sauvetage et l'assassinat de Michel Germaneau par le groupe terroriste Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) au Sahel.

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Média : Aujourd'hui en France

Texte intégral

Q - La France a-t-elle pensé un moment pouvoir sauver Michel Germaneau ?
R - Franchement nous n'avons jamais été optimistes. Aucune de nos tentatives de dialogue n'a abouti, nous avons tenté de lui faire passer des médicaments pour son coeur, car il était malade, et même cela, les ravisseurs l'ont refusé. Nous recherchons encore sa dépouille, mais ce sera très compliqué, celle de l'otage britannique exécuté par la même katiba, il y a un an, n'a jamais été rendue. Nous étions face à des gens déterminés à assassiner Michel Germaneau.
Q - Le raid franco-mauritanien du 22 juillet était-il nécessaire ?
R - C'était notre dernière chance. Michel Germaneau est-il mort après ? A t-il succombé depuis longtemps à son affection cardiaque ? Nous ne le savons pas. Les présidents mauritanien, nigérien et malien que j'ai vus cette semaine étaient tous persuadés qu'il n'y avait pas d'espoir. Parce que ce groupe terroriste est un des plus durs, qu'il a déjà tué à de multiples reprises. Le raid a été un succès militaire avec six activistes abattus, dont deux chefs. Nous avions tout ciblé pour que la tente où l'on pensait que Michel Germaneau pouvait se trouver ne soit pas touchée. Malheureusement, il n'y avait pas de trace de lui.
Q - Nicolas Sarkozy a déclaré que "ce crime" ne resterait pas impuni. Que peut faire la France ?
R - Ne vous attendez pas à ce que l'on envoie nos légionnaires ou nos soldats sauter dans le désert avec des parachutes bleu-blanc-rouge ! Il ne s'agit pas de cela. Notre plan, c'est d'abord de renforcer nos défenses : de dire aux Français qui résident en Mauritanie, au Niger et au Mali d'éviter les zones dangereuses bien répertoriées, d'être très prudents même lorsqu'ils ont l'habitude de ces pays, de sécuriser nos ambassades et nos antennes diplomatiques, mais aussi nos lycées et nos centres culturels pour éviter par exemple d'éventuelles attaques suicides. Les ONG sur place prennent forcément des risques, mais nous leur demandons de bien les apprécier et d'employer du personnel local si cela est possible. Ensuite nous allons poursuivre et renforcer notre lutte contre Aqmi. Nos militaires forment déjà des forces d'intervention locales, mais cela ne peut se faire qu'avec le soutien - et a fortiori l'accord - des gouvernements locaux.
Q - Gouvernements qui parfois ne s'entendent pas entre eux...
R - Oui, il est essentiel qu'il y ait une collaboration plus étroite entre les pays de la région. Car il n'y a pas que le Niger, la Mauritanie et le Mali. Il y a aussi l'Algérie, le Maroc, la Libye, et même le sud de la Tunisie à être plus ou moins concernés par la situation. Les terroristes jouent là-dessus, ils se fichent pas mal des frontières qu'ils franchissent allègrement. Nous parlons d'une zone grande comme cinq ou six fois la France. Il y a des progrès à faire dans la mutualisation des moyens.
Q - Cette résurgence du terrorisme algérien au Sahel peut-elle devenir un des soucis majeurs des pays occidentaux ?
R - Il n'y a pas aujourd'hui de menace directe pesant sur nos territoires. Mais le danger est réel, Al-Qaïda au Maghreb islamique se nourrit de la pauvreté, de la misère. Elle a recruté des gens qui viennent du monde entier, on dit qu'il y a des Afghans dans ses rangs, des Yéménites, des militants qui viennent d'Afrique noire. Et elle sous-traite à des criminels locaux certaines de ses actions, comme les enlèvements. Oui, c'est inquiétant.
Q - Il reste trois otages français. Un agent de la DGSE en Somalie, deux journalistes de France 3 en Afghanistan. Avez-vous des nouvelles d'eux ?
R - Concernant les journalistes nous ne sommes pas particulièrement inquiets sur l'issue, mais cette détention est longue, trop longue. Le dialogue se poursuit avec leurs ravisseurs. A propos de l'otage en Somalie, c'est plus compliqué. Mais nous ne laisserons tomber personne.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 août 2010