Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique, à RTL le 15 juillet 2010, sur l'affaire Woerth-Bettencourt, la politique de vente des propriétés domaniales de l'Etat et la notion de conflit d'intérêts.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

P. Corbé.- Bonjour, N. Kosciusko-Morizet.
 
Bonjour.
 
C'est curieux : depuis lundi, on a l'impression, depuis l'intervention télévisée de N. Sarkozy, que la page de l'affaire Woerth est tournée. Tout le monde veut croire dans la majorité "voilà, c'est fini".
 
Ben oui.
 
C'est fini ? L'orage est passé ?
 
Je crois que c'est lié à l'intervention de N. Sarkozy, c'est aussi lié à ce rapport à l'Inspection générale des Finances qui a dit clairement qu'il n'y avait pas eu d'intervention déplacée dans le dossier fiscal de madame Bettencourt. Oui, c'est derrière nous, et c'est bien parce qu'on a des sujets plus importants pour les Français, sur le bureau, et notamment la réforme des retraites.
 
Dont s'occupe E. Woerth, et pourtant il reste des questions autour de cette affaire. Par exemple, pourquoi est ce que d'abord, l'ex-comptable ne retire pas ses déclarations concernant le financement illégal de la campagne de 2007 ? Et puis, il n'y a pas de juge d'instruction dans cette affaire. Il y a un procureur monsieur Courroye, réputé proche de l'Elysée qui est charge de l'affaire.
 
Attendez, la justice est saisie de multiples procédures. Il y a un procureur qui est en charge. On ne peut pas dire des magistrats qu'ils sont indépendants quand on aime leurs décisions, et qu'ils le sont pas quand on n'aime ou on craint ne pas aimer leurs décisions. Ce procureur s'est attaqué par le passé à des personnalités de droite, comme à des personnalités de gauche. Je crois qu'il fait surtout son travail, et maintenant, on laisse la justice mener ces procédures là. Ce qui est important, c'est que l'Inspection générale des Finances a dit clairement qu'il n'y avait pas eu d'intervention d'E. Woerth. C'était ça qui créait l'essentiel de la confusion. Maintenant, c'est derrière nous. Et maintenant, on peut parler de ce qui concerne vraiment les Français, qui est les conditions, la durée de leur travail, les conditions du départ en retraite. Je crois que c'est quand même plus au coeur de leurs préoccupations.
 
Sauf, que vous voyez, il y a encore un problème. C'est qu'il y a un nouveau rebondissement sur une question de conflit d'intérêts, puisque le Canard Enchaîné et Marianne assurent qu'un terrain a été bradé à Compiègne à la société des courses par le ministre du Budget, E. Woerth. E. Woerth dément sur RTL toute irrégularité. Mais vous voyez, il y a encore un soupçon de conflit d'intérêts.
 
Ecoutez, j'ai lu ça. Regardons les choses très précisément sur ce sujet, parce que moi je pense que c'est une bonne illustration, que les média essaient de chercher n'importe quoi pour créer du rebond. L'Etat a une politique de vente d'un certain nombre de ses propriétés : des terrains et des bâtiments. Parce qu'il n'en a plus l'usage, parce qu'il a du mal aussi à les entretenir. Ce sont plusieurs centaines de millions d'euros par an. Et il y a un organisme qui s'appelle France Domaine qui le fait. Et dans ce contexte, l'Etat est propriétaire de quelques dizaines d'hectares qui sont depuis, je crois plus d'un siècle, loués à la même société qui organise des courses. Depuis plus d'un siècle.
 
A Compiègne ?
 
Cette société, est par ailleurs déjà propriétaire des bâtiments que j'imagine elle a fait construire elle-même. Et l'Etat gagne là-dessus, un loyer de 45.000 euros par an, un loyer qui doit d'ailleurs courir encore pendant douze ans. Parce que le bail court encore pendant douze ans. Qu'est ce qui est le plus raisonnable : continuer à gagner 45.000 euros par an, c'est à dire pour l'Etat franchement pas grand chose surtout qu'il doit y avoir des frais de gestion ou alors s'en défaire ? La seule question qui se pose pour l'Etat devant un sujet pareil, ce n'est pas une question financière. Manifestement pas beaucoup d'enjeux financiers pour l'Etat. La question qui se pose est : est ce qu'il va pouvoir y avoir une gestion écologiquement pertinente. Or là, c'est une société qui poursuit le même type de gestion qu'il y a un siècle. Je trouve que réussir à monter ce truc là en affaire, c'est quand même surtout l'illustration qu'on cherche n'importe quoi.
 
Le président lundi soir, a annoncé la création d'une commission pour lutter contre les conflits d'intérêts. Une commission qui réunirait tous les partis. Le PS pour l'instant est plutôt réservé. Beaucoup de membres du PS d'ailleurs ne veulent pas du tout y participer.
 
Ben oui, parce que le PS entretient les confusions. Le PS entretient cette espèce de mélange de fausses informations, de soupçons à partir d'amalgames.
 
Il faut se pencher sur les conflits d'intérêts ? C'est urgent ?
 
Moi, je trouve qu'il y ait en tout cas, quelque chose qui clarifie, quelque chose qui dise ce qui va et ce qui ne va pas. Comme ça, on ne sera pas dans la rumeur.
 
Alors, est-ce que par exemple, cette commission va se pencher sur le cas de votre collègue B. Kouchner, ministre des Affaires étrangères, dont l'épouse est directrice générale de l'audiovisuel extérieur de la France ? Est-ce que cette commission va se pencher sur le cas de J.-F. Copé, président du groupe UMP, et avocat d'affaire ?
 
S'il y a une commission, elle se penchera sur tous les cas. Et ça permettra en quelque sorte de régler les sujets, si vous voulez, de manière transparente, mais surtout de manière un peu sereine...
 
C'est un peu compliqué puisqu'on ouvre la boîte de Pandore.
 
...Et qu'on puisse travailler sur les vrais sujets, parce que là cela fait cinq minutes que vous êtes sur des sujets, qui de mon point de vue sont pas quand même au coeur de la vie des Français.
 
... C'est bien le problème... Regardez...
 
...Ils sont au coeur de l'actualité, mais est ce que ça change vraiment la vie des Français ?
 
Eh bien, par exemple, regarder les conflits d'intérêts, c'est compliqué. Parce que lorsqu'on ouvre la boîte, par exemple, vous, votre frère est aussi chef d'entreprise du numérique, vous êtes ministre du Numérique. C'est compliqué, ces sujets de conflits d'intérêts.
 
Ben oui, il faut que la famille travaille. Mon frère était chef d'une entreprise du numérique avant que je sois dans le numérique. Et so what ?
 
Vous disiez que vous vouliez qu'on parle des vrais sujets. Parlons des vrais sujets, les retraites. Seulement 30% des Français ont trouvé N. Sarkozy convaincant sur le chômage. 40% sur les retraites. Ce n'est pas beaucoup ça ?
 
Attendez, il y a un truc qui m'a frappé. Il y a deux chiffres dans ces sondages. Il y a la réponse à "est ce que vous l'avez trouvé convaincant ?"
 
Oui. C'est autour de 45%.
 
Non, il y a la question posée à ceux qui ont regardé l'émission. Ceux qui ont regardé l'émission, c'est 60%.
 
Non, c'est 45%.
 
Non, non, non. Ceux qui ont regardé l'émission, sondage du CSA... Il faudra qu'on regarde les chiffres parce que j'avais noté 60%. Mais en tous cas, Il y a ceux qui ont regardé l'émission et il y a ceux qui n'ont pas regardé l'émission. Et les journaux, enfin tous les Français y compris ceux qui n'ont pas regardé l'émission. Et les journaux reprennent plutôt ces derniers chiffres qui forcément sont moins bons. Mais quand vous demandez à des Français qui n'ont pas regardé l'émission "est-ce que vous l'avez trouvé convaincant sur l'émission ?", c'est naturellement un peu décevant. C'est quand même curieux d'utiliser des chiffres...
 
Parmi ceux qui ont regardé l'émission, à peine 40% l'ont trouvé convaincant sur les retraites. Pourtant, c'était bien le but de l'émission.
 
Sur les retraites, c'est un chiffre qui a augmenté. L'adhésion à la réforme des retraites, la compréhension de la réforme a augmenté sur les dernières semaines. Ce qui est véritablement un exploit, dans le climat de confusion entretenu par les affaires. C'est-à-dire qu'on réussit à faire passer ce message de l'importance, de la nécessité de cette réforme pour pouvoir sauver notre système par répartition dans un climat qui politiquement n'est pas facile. Moi je crois que ça marque surtout la force de la...
 
Ca ne va pas être facile non plus à la rentrée non plus.
 
Mais ça n'est jamais facile. Vous savez une réforme comme celle là... Qui disait qu'il y avait de quoi, avec la réforme des retraites, faire sauter plusieurs dizaines de gouvernement ?
 
M. Rocard.
 
Une réforme comme celle, c'est forcément très difficile.
 
C'est compromis par le contexte actuel cette réforme des retraites ?
 
Ca ne peut pas être compromis parce qu'on en a besoin. On est vous et moi de la même génération, le système par répartition, si on ne le sauve pas aujourd'hui demain il n'existera plus. Ca voudrait dire qu'il y aurait une génération qui aurait payé la retraite de ses parents et qui en plus n'en n'aurait pas. C'est profondément injuste, c'est inacceptable pour le pacte social républicain. Ce n'est pas possible.
 
Et la réforme des retraites vous, vous êtes chargée de la protection des Français à l'UMP, vous pensez qu'elle va réussir quel que soit le contexte à la rentrée ?
 
Mais elle doit réussir. Elle doit réussir et moi je crois qu'il y a tous les ingrédients pour qu'elle réussisse, parce que c'est enfin transparent et lisible. Ce n'est pas très simple la réforme des retraites, et là je crois qu'on réussit à avoir quelque chose qui est transparent et lisible, qui est juste. Il y a à la fois des mesures générales et puis en même temps, des adaptations, la pénibilité, le dispositif des carrières longues pour les Français qui ont commencé à travailler très jeunes. Un certain nombre de dispositifs en direction des femmes, en direction des agriculteurs, en direction des jeunes, pour favoriser l'emploi des seniors . Donc, il y a à la fois le cadre général et la lisibilité qui permettent que tout le monde soit dedans et en même temps, les dispositifs un peu plus particuliers qui permettent de faire en sorte que les situations particulières soient prises en compte et donc que ce soit juste. Et c'est donc comme ça que ça marche bien notre pacte social, c'est quand à la fois tout le monde est dedans et en même temps, eh bien on prend en compte aussi les situations particulières.
 
N. Kosciusko-Morizet, qui veut qu'on sauve les retraites pour notre génération, la vôtre, la mienne, était l'invitée de RTL ce matin. Bonne journée.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 juillet 2010