Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, lors de la conférence de presse conjointe avec la journaliste soudanaise Lubna Hussein, sur la dénonciation des violations des droits des femmes au Soudan, Paris le 24 novembre 2009.

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C'est avec beaucoup d'émotion, d'intérêt et de sincérité que j'accueille Lubna Hussein, cette jeune femme journaliste, travaillant pour les Nations unies à Khartoum qui a eu le courage de se rebeller et d'être déterminée dans sa rébellion pour que les femmes ne soient pas simplement, si je puis dire, arrêtées, fouettées et emprisonnées pour, comme elle le fait avec grâce, avoir porté le pantalon.
Ce serait une anecdote bien suffisante pour qu'elle vienne ici et que nous nous sentions tous concernés. En effet, les violations des droits humains et particulièrement des droits des femmes nous appartiennent à tous et appartiennent à la France.
Je tiens à souligner que 43.000 femmes ont été ainsi arrêtées dans la seule région de Khartoum en 2008 par des policiers chargés spécialement de cette répression des moeurs. Lubna n'a pas lutté contre cette arrestation, elle a eu le courage de s'élever contre la loi, contre l'article 152 de cette loi liée à la Charia, la loi islamique qui est appliquée depuis que le président Bechir est au pouvoir au Soudan.
Ce fut donc un beau et important combat pour les femmes arabes, pour les femmes africaines, un combat pour lequel elle recevra bientôt un Prix arabe, au Caire. Il lui sera décerné par des femmes arabes, ce qui est tout à son honneur et qui exprime un certain progrès.
Il y a également ce livre "Quarante coups de fouets pour un pantalon", que vous connaissez, qui est d'une simplicité et d'une force extraordinaires.
Vous pourrez interroger Lubna sur les rapports complexes entre les hommes et les femmes à ce propos, entre le gouvernement et la société civile, mais aussi, vous pourrez l'interroger sur le rôle des ONG soudanaises, des ONG qui sont constituées de femmes soudanaises qui soutiennent le même combat.
Je suis très fier que Lubna Hussein ait choisi de rendre visite en France au ministre des Affaires étrangères. Je voudrais associer évidemment l'ambassadeur chargé des droits de l'Homme, François Zimeray et tous nos amis ici présents. Cette femme d'une simplicité héroïque et d'un courage persistant est un modèle. Nous sommes fiers et heureux de nous considérer comme des compagnons de son combat.

Q - Pouvez-vous dire quelles communications vous avez eues avec les autorités soudanaises par rapport à votre rencontre aujourd'hui ? Ne craignez-vous pas que cette rencontre puisse mettre en danger les autres dossiers que vous négociez avec Khartoum, par exemple sur le Darfour ?
R - C'est ce que je voulais vous expliquer tout à l'heure en vous disant que rien n'était simple. La défense des droits de l'Homme, de notre point de vue, passe bien au-dessus des intérêts d'Etat. Ce sont des intérêts collectifs et mondiaux. C'est une nécessité difficile à chaque fois à mettre en oeuvre.
J'ai reçu la semaine dernière M. Ghazi Salahaddine Al Attabani, un homme important dans la diplomatie soudanaise. Nous avons parlé de nombreux sujets. Avec Lubna également, nous avons parlé de bien d'autres sujets. Nous avons évoqué la question des femmes du Darfour, qui sont obligées - parce qu'elles sont seules, avec des enfants -, de vivre dans les rues de Khartoum et de vendre du thé. Or, tous les jours, les policiers tentent de les arrêter ou les arrêtent, brisant les tasses de thé qu'elles vendent. Evidemment, on les retrouve le lendemain dans les mêmes rues parce qu'elles n'ont pas d'autres moyens de vivre. Tout cela est lié aux difficultés que rencontre ce pays.
Nous avons vraiment essayé, aussi bien entre le Soudan et le Tchad qu'entre le Tchad et le Soudan, de jouer un rôle pacificateur, de jouer un rôle d'apaisement. Nous en avons parlé avec M. Ghazi Salahaddine Al Attabani la semaine dernière. Mais je vous rappelle que pour les Français et d'autres nations, notamment européennes, il faut aussi respecter ce que la Cour pénale internationale a édicté.
Tout cela est très difficile à mettre en parallèle ou en complément et cela ne simplifie pas les rapports avec ce grand pays qu'est le Soudan. D'autant, comme vous le savez aussi, que se prépare un référendum en 2011, car les efforts de paix qui ont été couronnés de succès, comportaient la nécessité d'un référendum en 2011, qui devrait - encore une fois ce n'est pas ma décision et je ne me mêle pas à ce point des affaires intérieures de ce pays - s'accompagner aussi d'élections législatives en 2010.
Il y a la nécessité d'une pression internationale aussi bien venue des organisations non gouvernementales qui sont avant tout au premier rang, bien avant les Etats, dans ce combat pour les droits de l'Homme, que des organisations des Nations unies, des agences, des Etats, et de l'Union africaine. Il y a également cette question de pouvoir mettre en application l'accord qui a permis la paix entre le Sud et le Nord.

Q - (A propos du rôle d'associations en France pour la défense du droit des femmes)
R - Je vous remercie, je n'ai pas cité quelqu'un d'important présent parmi nous, à savoir la représentante du mouvement "Ni Putes Ni Soumises". S'il n'y avait pas eu "Ni Putes Ni Soumises", il n'y aurait pas eu d'invitation, il n'y aurait peut-être pas eu de livre.
Je voudrais dire à Lubna que, bien sûr, nous soutenons le combat de toutes les femmes pour l'égalité des droits, mais il y a des organisations plus valeureuses que d'autres qui ont eu à le faire presque physiquement dans des quartiers en France où cela n'était pas non plus très facile.
Il existe en France des tendances qu'il faut combattre pour que cette égalité entre les femmes et les hommes soit respectée. "Ni Putes Ni Soumises" nous a démontré que cela était possible et a dû pour cela livrer un combat que nous saluons avec beaucoup de reconnaissance.

Q - En France, depuis 1800, il y a une loi qui existe d'ailleurs toujours aujourd'hui. Une femme, une parisienne sans autorisation de la préfecture n'a pas le droit de s'habiller en homme y compris porter un pantalon sauf pour monter à cheval ou en bicyclette. Or, aujourd'hui nous ne courons aucun danger de se promener à Paris en pantalon, cela peut être un modèle pour le gouvernement soudanais ?
R - J'admire tout ce que vous venez de dire qui témoigne d'un travail très attentif sur notre société.

Q - Concernant le Proche-Orient, avez-vous des nouvelles sur la libération attendue du soldat Shalit ?
R - Comme vous le dites, la libération est attendue, cela fait d'ailleurs trois ans. Nous, je parle de la France, y avons à un moment donné, joué un rôle très précis. Nous avons les mêmes informations. J'étais en Israël et en Palestine, il y a quatre jours. Il s'agit d'un échange, impliquant la libération du franco-israélien Gilad Shalit contre environ 500 prisonniers palestiniens. Cette liste a été transmise. Je crois qu'elle amendée. Des informations encourageantes ont été données par le président Shimon Pérès que j'ai rencontré il y a quatre jours. Depuis, il semble que les choses continuent dans un sens positif.
Voilà ce que je peux dire. Nous n'avons pas plus de précisions ni sur la date d'une éventuelle libération ni sur le contenu exact de cette liste. Je n'en suis pas sûr car nous avons été échaudés plusieurs fois depuis que nous attendons cette libération mais je crois que l'évolution de la négociation est positive.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 novembre 2009