Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Le monde bipolaire que s'étaient partagé les grands vainqueurs de la Seconde guerre mondiale n'était pas sans périls ; mais il était stable dans sa confrontation essentielle ; il était ordonné ; il était prévisible.
Depuis la fin de la guerre froide, les menaces se sont multipliées, diversifiées, déplacées. Elles sont devenues plus diffuses, plus difficiles à percevoir. Ces menaces, vous les connaissez bien.
Le terrorisme, dont notre pays est une cible potentielle ; la prolifération, qu'elle soit nucléaire, biologique ou chimique ; la vulnérabilité cybernétique, au moment où tous les secteurs de la vie d'une nation sont devenus dépendants des réseaux de communication et des systèmes d'information ; les missiles balistiques de longue portée dont se dotent de nouvelles puissances ; les tensions sur les ressources énergétiques et les ressources naturelles ; les crises migratoires, sinon militaires, qui naîtront peut-être de prochains dérèglements climatiques ; enfin, subsiste la possibilité de guerres interétatiques.
Ce monde incertain, mouvant, imprévisible, a profondément modifié nos perspectives stratégiques, que nous avons redéfinies en 2008 dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
Connaissance et anticipation sont devenues essentielles pour notre capacité d'action et notre crédibilité internationale.
Parce que l'identification même des menaces est devenue cruciale, jamais le renseignement n'a été pour notre pays une priorité stratégique aussi haute.
Et parce que ces menaces sont devenues protéiformes, jamais la mise en commun des compétences et la complémentarité des missions n'ont été aussi nécessaires.
Les frontières ne cristallisent plus comme autrefois la menace et la défense. Les risques les plus aigus, aujourd'hui, ce sont les attentats qui peuvent survenir sur notre territoire ; ce sont les prises d'otages de nos ressortissants à l'étranger - je veux dire ici que je pense avec émotion à nos compatriotes enlevés au Niger, que je partage l'angoisse de leurs familles, et que tous les moyens sont mis en oeuvre pour qu'ils soient libérés au plus vite.
Face à ces menaces, la différence entre l'intérieur et l'extérieur n'est plus aussi tranchée qu'auparavant. Entre le policier et le militaire, les missions sont de plus en plus complémentaires. Entre sécurité et défense, la continuité est désormais au coeur de notre pensée stratégique.
Tel est le cadre dans lequel s'écrit, depuis 2007, une nouvelle page de l'histoire de notre renseignement.
Vous connaissez les réformes engagées depuis trois ans.
Vous savez ce que nous avons voulu à travers elle : un renseignement toujours plus efficace, au service de la France, de sa diplomatie, de sa défense, de ses intérêts dans le monde, et de la sécurité de ses citoyens ; mais aussi un renseignement conforme à nos valeurs, digne d'un Etat de droit, inscrit dans nos institutions démocratiques, contrôlé par le Parlement et les organes spécialisés ; et nous voulions, enfin, un renseignement revalorisé, qui réponde aux attentes des membres des services, en matière de protection juridique, d'équipement, de gestion des ressources humaines, de qualité de la formation.
La coordination et le pilotage ont été les maîtres mots de la réforme.
Le Conseil national du renseignement est né de cette volonté.
Autour du président de la République, il réunit le Premier ministre, les ministres concernés, avec la participation des directeurs des services spécialisés.
C'est là, dans ce Conseil, qu'est définie au sommet de l'Etat notre stratégie de renseignement.
Un plan national d'orientation du renseignement a été adopté, qui constitue une référence pour chacun de nos six services de renseignement - DCRI, DGSE, DRM, DPSD, TRACFIN, DNRED.
Et nous avons créé un coordonnateur national du renseignement, qui veille à la mise en oeuvre des décisions prises par le Conseil et à la pleine coopération de ces différents services.
Sa fonction, c'est au fond de faire travailler ensemble ces services, dans l'idée qu'ils forment une équipe, une équipe où les compétences propres à chacun sont à la fois valorisées en elles-mêmes et mises au service de tous.
Les services ne sont pas infaillibles - personne de l'est - mais ce qu'on ne pourrait leur pardonner, c'est de n'avoir pas su prévenir un attentat à cause d'un défaut de coordination entre eux.
Face aux menaces et aux défis que j'évoquais à l'instant, le temps des rivalités est révolu.
Je sais, à cet égard, qu'une véritable évolution des esprits a accompagné les évolutions institutionnelles. Elle tient pour beaucoup aux dirigeants des services et à leur sens de l'Etat. Grâce à cela, les services ont réussi à travailler ensemble dans bien des domaines et à mener des coopérations opérationnelles qui sont aujourd'hui de plus en plus denses.
De ces évolutions, un exemple majeur a été, en juillet 2008, la création de la DCRI, fusionnant les RG et la DST.
C'était une réforme capitale, initiée, portée par le président de la République, qui était résolu à la mener à bien.
Comme bien d'autres réformes que nous avons réalisées, celle-ci n'avait jamais été faite parce qu'on la croyait impossible ; ou bien parce que, l'habitude aidant, beaucoup s'étaient résolus au statu quo.
Eh bien, cette réforme, nous l'avons faite.
En moins de deux ans, deux cultures policières différentes ont pu se fondre pour créer un service nouveau, dans un domaine très sensible.
Je ne dis pas que cela a été facile. Mais l'essentiel a été accompli. C'est le fruit d'un travail considérable, celui de Bernard Squarcini, de ses collaborateurs, et des deux ministres de l'Intérieur qui ont conduit cette réforme.
Mesdames, Messieurs,
L'action du renseignement est plus que jamais nécessaire.
Mais plus que jamais aussi, l'idéal démocratique nous invite à la rigueur déontologique.
Entre démocratie et renseignement, l'histoire nous apprend que les relations n'ont pas toujours été sereines.
L'esprit de notre temps se défie du secret.
Il le soupçonne de dissimuler des agissements contraires à la morale, sinon à la loi.
Ces craintes sont excessives lorsqu'elles sont systématiques. Le secret a sa légitimité. La transparence absolue est impossible. Elle serait, à la vérité, souvent dangereuse pour les idéaux mêmes au nom desquels on la réclame.
Mais nous devons aussi entendre l'exigence éthique exprimée par nos concitoyens, car elle se fonde sur leur désir d'être fiers de leur pays et de leur démocratie.
Nous avons voulu que le Parlement exerce son contrôle sur les services de renseignement.
Il en va ainsi dans toutes les grandes démocraties. C'est une contrepartie légitime aux pouvoirs particuliers dévolus aux services. Il était temps que la France l'inscrive à son tour dans sa législation.
Nous l'avons fait.
Nous l'avons fait dès octobre 2007, avec le vote de la loi portant création d'une délégation parlementaire au renseignement.
Jusqu'alors, des parlementaires participaient à des commissions spécialisées, par exemple la commission nationale des interceptions de sécurité, ou la commission consultative du secret de la défense nationale ; ils continuent d'ailleurs d'y participer ; mais il n'existait aucun organe purement parlementaire qui permette à la représentation nationale de veiller à la bonne marche du renseignement.
Eh bien, cette lacune a été comblée. Et la délégation parlementaire a remis en janvier dernier son premier rapport au président de la République.
Quant à l'installation du Conseil national du renseignement, elle a clarifié les liens du renseignement avec le pouvoir exécutif.
Ce conseil, je l'ai dit, est présidé par le chef de l'Etat.
Est-ce là une nouveauté «redoutable», comme certains ont fait semblant de le croire ?
C'est surtout la fin d'une hypocrisie !
L'exécutif ne peut plus maintenir artificiellement ses distances, comme il l'a fait trop longtemps.
Il assume désormais pleinement cette activité, comme il assume celle de l'administration civile ou des forces armées.
Auparavant, le pouvoir politique n'énonçait pas clairement aux services ses besoins de renseignement ; et les services cherchaient et définissaient eux-mêmes leurs propres priorités stratégiques.
On comprend quelles pertes d'efficacité pouvaient naître de cette situation, des deux côtés.
Aujourd'hui, la demande politique de renseignement est clarifiée et guide l'action des services.
Votre travail est mieux valorisé, mieux orienté. Et ceux qui gouvernent disposent, grâce à vous, de sources d'information plus riches, plus précises, plus fiables.
Il était logique que ces services apparaissent pleinement comme l'un des outils dont le chef de l'Etat et le Gouvernement disposent pour mettre en oeuvre leur politique.
Si spéciaux soient-ils, ces services sont des services publics, investis d'une mission d'intérêt général et national.
De plus en plus, les services de renseignement sont confrontés à la question de leur ouverture à la société, car il ne leur est pas possible d'ignorer le monde dominé par l'échange et l'information qui les entoure.
Il ne s'agit pas de porter atteinte au secret dont vous avez besoin pour travailler et que vous avez le devoir de préserver ; mais de faire en sorte que les Français connaissent mieux les services de renseignement, sachent mieux quelle est leur contribution à leur sécurité quotidienne, et soient plus nombreux à vouloir servir dans leurs rangs.
Bref, il faut qu'ils soient conscients de ce que vous faites, il faut qu'ils soient rassurés, parce que vous travaillez dans un cadre juridique clair et sûr, il faut en un mot qu'ils soient fiers de leurs services de renseignement et de ceux qui y servent.
Vous le savez, nos services de renseignement ne jouissent pas encore d'une image aussi flatteuse que certains de leurs homologues étrangers. Je pense notamment aux Britanniques. Mais c'est en train de changer. Et pour accélérer ce changement, il faut communiquer davantage, dans des conditions qui doivent être évidemment parfaitement maîtrisées.
Les journalistes, les chercheurs, les historiens doivent pouvoir, plus que cela n'a été le cas, travailler sur le monde du renseignement. C'est utile pour la société française, c'est utile pour les services eux-mêmes.
Je le répète, cette ouverture doit être raisonnable, décidée par vos hiérarchies respectives, et compatible avec le respect des règles qui encadrent votre activité.
Mesdames et Messieurs,
La réforme du renseignement impliquait aussi de répondre à vos attentes.
Je pense tout d'abord à la protection juridique des membres des services.
Elle était jusqu'alors complètement absente de notre droit.
Avec la LOPPSI, deux avancées considérables sont en train d'être réalisées.
D'une part, l'usage d'une identité d'emprunt ou d'une fausse qualité va désormais être encadrée légalement, pour certaines missions de renseignement.
D'autre part, la révélation de l'identité des agents ou de leur appartenance à un service devient un délit lourdement réprimé.
La France était, là encore, l'un des rares pays démocratiques à n'avoir aucune disposition de ce type. Il sera bientôt mis fin à ce manque.
La rapidité des évolutions technologiques nous impose également de garantir aux services les moyens techniques et financiers d'assurer leur mission.
Un effort budgétaire très soutenu a été consenti, avec pour contrepartie la mutualisation des investissements entre les services.
Cette mutualisation est aujourd'hui une réalité, en particulier entre la DRM et la DGSE, que je félicite et encourage à aller plus loin, car je sais qu'il existe encore des marges ; c'est aussi une réalité entre la DGSE et la DCRI, dont les coopérations se sont développées d'une manière remarquable.
Enfin, les réformes concernent un volet essentiel, qui conditionne la qualité de nos services de renseignement pour les années et les décennies à venir.
Je veux parler des ressources humaines.
Les talents et les compétences que requièrent vos missions sont très élevés. La culture ; le sens des évolutions historiques ; la faculté d'anticiper ; la rigueur intellectuelle ; l'expertise technologique ; l'adaptation permanente : il suffit d'énumérer quelques-unes des qualités nécessaires à votre action pour marquer le caractère exceptionnel des profils recrutés.
L'adaptation de la gestion des ressources humaines s'imposait avec de plus en plus d'évidence.
De ce renouvellement, le rapport commandé au conseiller d'Etat Bernard Pecheur a tracé les deux grandes lignes de force : d'une part, faciliter la gestion des ressources humaines de chaque service ; d'autre part, créer les conditions d'une réelle mobilité entre les services et vers l'extérieur du monde du renseignement.
Depuis le début de cette année, sous l'égide du coordonnateur national, ces propositions font l'objet de mises en oeuvre concrètes.
Je ne vais pas en dresser la liste complète, mais évoquer les points les plus marquants.
La prise en compte de la particularité de la DCRI au sein de Police nationale a permis de définir des règles de gestion particulières, par exemple pour les mutations.
L'Etat-major des armées a accepté de faire des efforts spécifiques pour les affectations au sein de la DRM ou de la DPSD.
La DGSE, quant à elle, a entrepris une mutation majeure en matière de ressources humaines. Elle est en train de parvenir à concilier des contraintes très particulières qui continueront à s'appliquer à elle, tout en s'inscrivant, autant qu'il est possible, dans le cadre général des règles de la fonction publique.
Par exemple, le statut de l'encadrement supérieur de la DGSE vient de faire l'objet, après près de deux ans de travail, d'une réforme importante dont le détail vient d'être arrêté. L'élément le plus visible est le recrutement d'une partie des nouveaux administrateurs de la DGSE directement à la sortie de l'ENA. Au-delà de la seule DGSE, cette mesure est un signal de la revalorisation du renseignement dans notre société.
Enfin, Mesdames et Messieurs, nous avons créé l'Académie du renseignement dont nous inaugurons aujourd'hui la première session.
Dans l'amélioration de la formation des membres des services et le renforcement de notre communauté du renseignement, son rôle sera fondamental.
Cette Académie marque une nouvelle étape dans la réforme ; elle en est aussi, d'une certaine manière, l'un des emblèmes. Car la communauté des institutions est indispensable, mais elle doit être fondée sur une communauté d'esprit.
La coordination des services ne peut être une simple entreprise administrative. Elle doit être forte du partage des valeurs, des expériences, des savoirs qui sont propres aux militaires de la DRM ou de la DPSD, aux agents de la DGSE, aux douaniers de la DNRED, aux policiers de la DCRI, et aux experts de TRACFIN.
Dans le respect de l'identité, des règles et des compétences spécifiques à chacun de vos services, l'Académie du renseignement sera le creuset de ces échanges.
Je veux saluer tous ceux qui ont participé à la création de cette institution : les auteurs du Livre blanc ; les directeurs des services ; Florian Blazy, maître des requêtes au Conseil d'Etat, auteur d'un rapport qui a permis de préciser ce que pourrait être cette Académie ; le coordonnateur national du renseignement, Bernard Bajolet ; et bien entendu Lucile Dromer-North et ses trois collaborateurs, dont je ne peux citer les noms, puisqu'ils appartiennent aux services qui ont eu la charge de mettre sur pied, en quelques mois, cette nouvelle institution.
Vous êtes, Mesdames et Messieurs, la première promotion à entrer dans cette Académie.
Vous incarnez l'avenir de nos services de renseignement.
Certains d'entre vous y feront l'essentiel de leur carrière.
Pour d'autres, c'est une étape de quelques années dans cet univers particulier.
Tous, vous allez mettre au service de notre pays votre énergie, votre intelligence, votre courage.
Les défis à relever seront nombreux ; ils seront inattendus ; ils seront graves.
Peut-être déjouerez-vous des attentats.
Peut-être libérerez-vous des otages.
Peut-être connaîtrez-vous le danger, la souffrance, les épreuves les plus rudes.
Depuis plus d'un an, l'un de vos collègues est retenu en Somalie.
Tous les moyens sont mis en oeuvre pour le libérer. Nous espérons pouvoir le ramener en France le plus tôt possible. Nous ne l'oublions pas. Je partage l'émotion de ses camarades d'armes. Je pense à lui, à sa famille, à ses proches.
La vocation qui est la vôtre suscite le plus grand respect.
Le secret dans lequel agissent les hommes et les femmes du renseignement n'est pas propice aux gloires artificielles. C'est aussi dans le silence, loin des lumières, que vous éprouvez la satisfaction du travail accompli.
Servir la France est la plus noble des missions et la servir secrètement l'est encore plus.
Il m'importait d'autant plus de vous exprimer aujourd'hui, au nom du gouvernement, et en mon nom personnel, la reconnaissance et l'hommage de la Nation.Source http://www.gouvernement.fr, le 22 septembre 2010
Le monde bipolaire que s'étaient partagé les grands vainqueurs de la Seconde guerre mondiale n'était pas sans périls ; mais il était stable dans sa confrontation essentielle ; il était ordonné ; il était prévisible.
Depuis la fin de la guerre froide, les menaces se sont multipliées, diversifiées, déplacées. Elles sont devenues plus diffuses, plus difficiles à percevoir. Ces menaces, vous les connaissez bien.
Le terrorisme, dont notre pays est une cible potentielle ; la prolifération, qu'elle soit nucléaire, biologique ou chimique ; la vulnérabilité cybernétique, au moment où tous les secteurs de la vie d'une nation sont devenus dépendants des réseaux de communication et des systèmes d'information ; les missiles balistiques de longue portée dont se dotent de nouvelles puissances ; les tensions sur les ressources énergétiques et les ressources naturelles ; les crises migratoires, sinon militaires, qui naîtront peut-être de prochains dérèglements climatiques ; enfin, subsiste la possibilité de guerres interétatiques.
Ce monde incertain, mouvant, imprévisible, a profondément modifié nos perspectives stratégiques, que nous avons redéfinies en 2008 dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
Connaissance et anticipation sont devenues essentielles pour notre capacité d'action et notre crédibilité internationale.
Parce que l'identification même des menaces est devenue cruciale, jamais le renseignement n'a été pour notre pays une priorité stratégique aussi haute.
Et parce que ces menaces sont devenues protéiformes, jamais la mise en commun des compétences et la complémentarité des missions n'ont été aussi nécessaires.
Les frontières ne cristallisent plus comme autrefois la menace et la défense. Les risques les plus aigus, aujourd'hui, ce sont les attentats qui peuvent survenir sur notre territoire ; ce sont les prises d'otages de nos ressortissants à l'étranger - je veux dire ici que je pense avec émotion à nos compatriotes enlevés au Niger, que je partage l'angoisse de leurs familles, et que tous les moyens sont mis en oeuvre pour qu'ils soient libérés au plus vite.
Face à ces menaces, la différence entre l'intérieur et l'extérieur n'est plus aussi tranchée qu'auparavant. Entre le policier et le militaire, les missions sont de plus en plus complémentaires. Entre sécurité et défense, la continuité est désormais au coeur de notre pensée stratégique.
Tel est le cadre dans lequel s'écrit, depuis 2007, une nouvelle page de l'histoire de notre renseignement.
Vous connaissez les réformes engagées depuis trois ans.
Vous savez ce que nous avons voulu à travers elle : un renseignement toujours plus efficace, au service de la France, de sa diplomatie, de sa défense, de ses intérêts dans le monde, et de la sécurité de ses citoyens ; mais aussi un renseignement conforme à nos valeurs, digne d'un Etat de droit, inscrit dans nos institutions démocratiques, contrôlé par le Parlement et les organes spécialisés ; et nous voulions, enfin, un renseignement revalorisé, qui réponde aux attentes des membres des services, en matière de protection juridique, d'équipement, de gestion des ressources humaines, de qualité de la formation.
La coordination et le pilotage ont été les maîtres mots de la réforme.
Le Conseil national du renseignement est né de cette volonté.
Autour du président de la République, il réunit le Premier ministre, les ministres concernés, avec la participation des directeurs des services spécialisés.
C'est là, dans ce Conseil, qu'est définie au sommet de l'Etat notre stratégie de renseignement.
Un plan national d'orientation du renseignement a été adopté, qui constitue une référence pour chacun de nos six services de renseignement - DCRI, DGSE, DRM, DPSD, TRACFIN, DNRED.
Et nous avons créé un coordonnateur national du renseignement, qui veille à la mise en oeuvre des décisions prises par le Conseil et à la pleine coopération de ces différents services.
Sa fonction, c'est au fond de faire travailler ensemble ces services, dans l'idée qu'ils forment une équipe, une équipe où les compétences propres à chacun sont à la fois valorisées en elles-mêmes et mises au service de tous.
Les services ne sont pas infaillibles - personne de l'est - mais ce qu'on ne pourrait leur pardonner, c'est de n'avoir pas su prévenir un attentat à cause d'un défaut de coordination entre eux.
Face aux menaces et aux défis que j'évoquais à l'instant, le temps des rivalités est révolu.
Je sais, à cet égard, qu'une véritable évolution des esprits a accompagné les évolutions institutionnelles. Elle tient pour beaucoup aux dirigeants des services et à leur sens de l'Etat. Grâce à cela, les services ont réussi à travailler ensemble dans bien des domaines et à mener des coopérations opérationnelles qui sont aujourd'hui de plus en plus denses.
De ces évolutions, un exemple majeur a été, en juillet 2008, la création de la DCRI, fusionnant les RG et la DST.
C'était une réforme capitale, initiée, portée par le président de la République, qui était résolu à la mener à bien.
Comme bien d'autres réformes que nous avons réalisées, celle-ci n'avait jamais été faite parce qu'on la croyait impossible ; ou bien parce que, l'habitude aidant, beaucoup s'étaient résolus au statu quo.
Eh bien, cette réforme, nous l'avons faite.
En moins de deux ans, deux cultures policières différentes ont pu se fondre pour créer un service nouveau, dans un domaine très sensible.
Je ne dis pas que cela a été facile. Mais l'essentiel a été accompli. C'est le fruit d'un travail considérable, celui de Bernard Squarcini, de ses collaborateurs, et des deux ministres de l'Intérieur qui ont conduit cette réforme.
Mesdames, Messieurs,
L'action du renseignement est plus que jamais nécessaire.
Mais plus que jamais aussi, l'idéal démocratique nous invite à la rigueur déontologique.
Entre démocratie et renseignement, l'histoire nous apprend que les relations n'ont pas toujours été sereines.
L'esprit de notre temps se défie du secret.
Il le soupçonne de dissimuler des agissements contraires à la morale, sinon à la loi.
Ces craintes sont excessives lorsqu'elles sont systématiques. Le secret a sa légitimité. La transparence absolue est impossible. Elle serait, à la vérité, souvent dangereuse pour les idéaux mêmes au nom desquels on la réclame.
Mais nous devons aussi entendre l'exigence éthique exprimée par nos concitoyens, car elle se fonde sur leur désir d'être fiers de leur pays et de leur démocratie.
Nous avons voulu que le Parlement exerce son contrôle sur les services de renseignement.
Il en va ainsi dans toutes les grandes démocraties. C'est une contrepartie légitime aux pouvoirs particuliers dévolus aux services. Il était temps que la France l'inscrive à son tour dans sa législation.
Nous l'avons fait.
Nous l'avons fait dès octobre 2007, avec le vote de la loi portant création d'une délégation parlementaire au renseignement.
Jusqu'alors, des parlementaires participaient à des commissions spécialisées, par exemple la commission nationale des interceptions de sécurité, ou la commission consultative du secret de la défense nationale ; ils continuent d'ailleurs d'y participer ; mais il n'existait aucun organe purement parlementaire qui permette à la représentation nationale de veiller à la bonne marche du renseignement.
Eh bien, cette lacune a été comblée. Et la délégation parlementaire a remis en janvier dernier son premier rapport au président de la République.
Quant à l'installation du Conseil national du renseignement, elle a clarifié les liens du renseignement avec le pouvoir exécutif.
Ce conseil, je l'ai dit, est présidé par le chef de l'Etat.
Est-ce là une nouveauté «redoutable», comme certains ont fait semblant de le croire ?
C'est surtout la fin d'une hypocrisie !
L'exécutif ne peut plus maintenir artificiellement ses distances, comme il l'a fait trop longtemps.
Il assume désormais pleinement cette activité, comme il assume celle de l'administration civile ou des forces armées.
Auparavant, le pouvoir politique n'énonçait pas clairement aux services ses besoins de renseignement ; et les services cherchaient et définissaient eux-mêmes leurs propres priorités stratégiques.
On comprend quelles pertes d'efficacité pouvaient naître de cette situation, des deux côtés.
Aujourd'hui, la demande politique de renseignement est clarifiée et guide l'action des services.
Votre travail est mieux valorisé, mieux orienté. Et ceux qui gouvernent disposent, grâce à vous, de sources d'information plus riches, plus précises, plus fiables.
Il était logique que ces services apparaissent pleinement comme l'un des outils dont le chef de l'Etat et le Gouvernement disposent pour mettre en oeuvre leur politique.
Si spéciaux soient-ils, ces services sont des services publics, investis d'une mission d'intérêt général et national.
De plus en plus, les services de renseignement sont confrontés à la question de leur ouverture à la société, car il ne leur est pas possible d'ignorer le monde dominé par l'échange et l'information qui les entoure.
Il ne s'agit pas de porter atteinte au secret dont vous avez besoin pour travailler et que vous avez le devoir de préserver ; mais de faire en sorte que les Français connaissent mieux les services de renseignement, sachent mieux quelle est leur contribution à leur sécurité quotidienne, et soient plus nombreux à vouloir servir dans leurs rangs.
Bref, il faut qu'ils soient conscients de ce que vous faites, il faut qu'ils soient rassurés, parce que vous travaillez dans un cadre juridique clair et sûr, il faut en un mot qu'ils soient fiers de leurs services de renseignement et de ceux qui y servent.
Vous le savez, nos services de renseignement ne jouissent pas encore d'une image aussi flatteuse que certains de leurs homologues étrangers. Je pense notamment aux Britanniques. Mais c'est en train de changer. Et pour accélérer ce changement, il faut communiquer davantage, dans des conditions qui doivent être évidemment parfaitement maîtrisées.
Les journalistes, les chercheurs, les historiens doivent pouvoir, plus que cela n'a été le cas, travailler sur le monde du renseignement. C'est utile pour la société française, c'est utile pour les services eux-mêmes.
Je le répète, cette ouverture doit être raisonnable, décidée par vos hiérarchies respectives, et compatible avec le respect des règles qui encadrent votre activité.
Mesdames et Messieurs,
La réforme du renseignement impliquait aussi de répondre à vos attentes.
Je pense tout d'abord à la protection juridique des membres des services.
Elle était jusqu'alors complètement absente de notre droit.
Avec la LOPPSI, deux avancées considérables sont en train d'être réalisées.
D'une part, l'usage d'une identité d'emprunt ou d'une fausse qualité va désormais être encadrée légalement, pour certaines missions de renseignement.
D'autre part, la révélation de l'identité des agents ou de leur appartenance à un service devient un délit lourdement réprimé.
La France était, là encore, l'un des rares pays démocratiques à n'avoir aucune disposition de ce type. Il sera bientôt mis fin à ce manque.
La rapidité des évolutions technologiques nous impose également de garantir aux services les moyens techniques et financiers d'assurer leur mission.
Un effort budgétaire très soutenu a été consenti, avec pour contrepartie la mutualisation des investissements entre les services.
Cette mutualisation est aujourd'hui une réalité, en particulier entre la DRM et la DGSE, que je félicite et encourage à aller plus loin, car je sais qu'il existe encore des marges ; c'est aussi une réalité entre la DGSE et la DCRI, dont les coopérations se sont développées d'une manière remarquable.
Enfin, les réformes concernent un volet essentiel, qui conditionne la qualité de nos services de renseignement pour les années et les décennies à venir.
Je veux parler des ressources humaines.
Les talents et les compétences que requièrent vos missions sont très élevés. La culture ; le sens des évolutions historiques ; la faculté d'anticiper ; la rigueur intellectuelle ; l'expertise technologique ; l'adaptation permanente : il suffit d'énumérer quelques-unes des qualités nécessaires à votre action pour marquer le caractère exceptionnel des profils recrutés.
L'adaptation de la gestion des ressources humaines s'imposait avec de plus en plus d'évidence.
De ce renouvellement, le rapport commandé au conseiller d'Etat Bernard Pecheur a tracé les deux grandes lignes de force : d'une part, faciliter la gestion des ressources humaines de chaque service ; d'autre part, créer les conditions d'une réelle mobilité entre les services et vers l'extérieur du monde du renseignement.
Depuis le début de cette année, sous l'égide du coordonnateur national, ces propositions font l'objet de mises en oeuvre concrètes.
Je ne vais pas en dresser la liste complète, mais évoquer les points les plus marquants.
La prise en compte de la particularité de la DCRI au sein de Police nationale a permis de définir des règles de gestion particulières, par exemple pour les mutations.
L'Etat-major des armées a accepté de faire des efforts spécifiques pour les affectations au sein de la DRM ou de la DPSD.
La DGSE, quant à elle, a entrepris une mutation majeure en matière de ressources humaines. Elle est en train de parvenir à concilier des contraintes très particulières qui continueront à s'appliquer à elle, tout en s'inscrivant, autant qu'il est possible, dans le cadre général des règles de la fonction publique.
Par exemple, le statut de l'encadrement supérieur de la DGSE vient de faire l'objet, après près de deux ans de travail, d'une réforme importante dont le détail vient d'être arrêté. L'élément le plus visible est le recrutement d'une partie des nouveaux administrateurs de la DGSE directement à la sortie de l'ENA. Au-delà de la seule DGSE, cette mesure est un signal de la revalorisation du renseignement dans notre société.
Enfin, Mesdames et Messieurs, nous avons créé l'Académie du renseignement dont nous inaugurons aujourd'hui la première session.
Dans l'amélioration de la formation des membres des services et le renforcement de notre communauté du renseignement, son rôle sera fondamental.
Cette Académie marque une nouvelle étape dans la réforme ; elle en est aussi, d'une certaine manière, l'un des emblèmes. Car la communauté des institutions est indispensable, mais elle doit être fondée sur une communauté d'esprit.
La coordination des services ne peut être une simple entreprise administrative. Elle doit être forte du partage des valeurs, des expériences, des savoirs qui sont propres aux militaires de la DRM ou de la DPSD, aux agents de la DGSE, aux douaniers de la DNRED, aux policiers de la DCRI, et aux experts de TRACFIN.
Dans le respect de l'identité, des règles et des compétences spécifiques à chacun de vos services, l'Académie du renseignement sera le creuset de ces échanges.
Je veux saluer tous ceux qui ont participé à la création de cette institution : les auteurs du Livre blanc ; les directeurs des services ; Florian Blazy, maître des requêtes au Conseil d'Etat, auteur d'un rapport qui a permis de préciser ce que pourrait être cette Académie ; le coordonnateur national du renseignement, Bernard Bajolet ; et bien entendu Lucile Dromer-North et ses trois collaborateurs, dont je ne peux citer les noms, puisqu'ils appartiennent aux services qui ont eu la charge de mettre sur pied, en quelques mois, cette nouvelle institution.
Vous êtes, Mesdames et Messieurs, la première promotion à entrer dans cette Académie.
Vous incarnez l'avenir de nos services de renseignement.
Certains d'entre vous y feront l'essentiel de leur carrière.
Pour d'autres, c'est une étape de quelques années dans cet univers particulier.
Tous, vous allez mettre au service de notre pays votre énergie, votre intelligence, votre courage.
Les défis à relever seront nombreux ; ils seront inattendus ; ils seront graves.
Peut-être déjouerez-vous des attentats.
Peut-être libérerez-vous des otages.
Peut-être connaîtrez-vous le danger, la souffrance, les épreuves les plus rudes.
Depuis plus d'un an, l'un de vos collègues est retenu en Somalie.
Tous les moyens sont mis en oeuvre pour le libérer. Nous espérons pouvoir le ramener en France le plus tôt possible. Nous ne l'oublions pas. Je partage l'émotion de ses camarades d'armes. Je pense à lui, à sa famille, à ses proches.
La vocation qui est la vôtre suscite le plus grand respect.
Le secret dans lequel agissent les hommes et les femmes du renseignement n'est pas propice aux gloires artificielles. C'est aussi dans le silence, loin des lumières, que vous éprouvez la satisfaction du travail accompli.
Servir la France est la plus noble des missions et la servir secrètement l'est encore plus.
Il m'importait d'autant plus de vous exprimer aujourd'hui, au nom du gouvernement, et en mon nom personnel, la reconnaissance et l'hommage de la Nation.Source http://www.gouvernement.fr, le 22 septembre 2010