Texte intégral
Monsieur le Maire (Gérard Collomb),
Monsieur le Député (Dominique Perben),
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Recteur,
Messieurs les Officiers généraux,
Mesdames, Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Lyon compte parmi les villes françaises où l'on sent passer le souffle des siècles et où l'on ressent, au fond de soi-même, l'épaisseur de l'histoire.
Depuis l'Antiquité, les générations se sont succédées, ici, le long du Rhône. Et, patiemment, redoublant d'ardeur et d'effort à la tâche, elles nous ont appris qu'il existait dans le monde des choses qui ne passaient pas et survivaient à l'éphémère du temps.
C'est à Lyon, au deuxième siècle de notre ère, que l'occident chrétien s'est donné ses textes sacrés.
C'est ici, avec la Renaissance lyonnaise, que l'on vit une ville tout entière adresser un signe à l'Europe et se relever du déclin par son travail et son goût de la libre entreprise.
C'est ici encore, avec les Canuts, que le monde prit conscience que les luttes sociales étaient, avant tout, des luttes pour la dignité humaine.
C'est l'histoire de Lyon. Et c'est l'histoire de France.
On peut en percevoir les ruptures et les lignes brisées, comme autant d'accidents qui surviennent et condamnent parfois le pays à se défaire et se désunir.
On peut y déceler aussi le fil fragile et continu qui surpasse les partis et les croyances, relie les unes aux autres les périodes de notre histoire et fonde ce que nous sommes, ce qui nous constitue.
C'est cette idée, cette idée d'une France qui se survit à elle-même, qui guida des hommes tels que Jean Moulin : l'idée que, face à l'adversité et à la plus terrible défaite, l'histoire de France ne pouvait pas s'achever ainsi.
C'est que les résistants n'avaient pas simplement fait le pari de l'avenir. Ils avaient retenu les leçons de notre histoire nationale. Ils avaient conscience que la France avait un destin et qu'au plus profond du malheur il existait des raisons d'espérer encore. Et d'espérer même envers et contre tout.
Cette idée, cet espoir, cette fragile promesse eurent justement raison de tout. Y compris de ce qu'on considérait alors comme inéluctable. Et le dernier cri des fusillés de Montluc, ce cri de « Vive la France » qui résonna tant et tant de fois ici, prend son sens véritable : rien ne peut jamais faire mourir l'espoir.
Ici, à Lyon, lorsque les années terribles s'abattirent sur le pays, la Résistance donna à la France son plus beau visage. La formule est d'André Malraux. Il la prononça, en 1964, dans le froid hiver parisien, lorsque la Nation accompagnait les cendres de Jean Moulin vers le Panthéon.
Ce jour-là, ce n'étaient pas simplement les restes de Jean Moulin qui remontaient la rue Soufflot. C'est son exemple et son histoire qui prenaient place dans le coeur et l'esprit de chaque Français.
Depuis, nul n'ignore ce que furent son engagement et son héroïsme, son arrestation le 21 juin 1943 et sa fin.
Nul n'ignore, non plus, le nom de la prison de Montluc.
Comme le Mont-Valérien, le plateau des Glières et tant d'autres lieux d'infortune, elle fut le lieu de la mort des braves, le lieu du malheur.
Elle devient officiellement aujourd'hui, aux côtés des autres grands lieux de notre histoire nationale, un « haut lieu de mémoire » pour la France.
Si nous nous retrouvons aujourd'hui à Montluc, près de soixante-dix ans plus tard, c'est que ce lieu de mémoire dépasse, dans la mémoire collective des Français, sa propre signification.
Montluc est un symbole.
C'est le symbole de l'arbitraire ravissant des otages, du bourreau allant chercher au hasard des victimes innocentes pour les condamner à une mort certaine.
C'est le symbole de l'arrestation et de la déportation des juifs lyonnais.
Montluc, c'est le symbole de tous les lieux de détention, de toutes ces caves restées aujourd'hui anonymes, où, dans chaque ville de France, la Gestapo enfermait les résistants, les torturait et les mettait à mort.
De la même façon que Jean Moulin était le visage de la France, lorsque, torturé, il ne parla pas, la prison de Montluc porte en elle toutes les souffrances et toutes les tragédies de cette sombre période.
Les villes changent. Elles évoluent. Leur urbanisme et leur architecture se modifient au cours du temps. Elles vivent leur vie et se consacrent, le plus souvent, à satisfaire les besoins des hommes.
Mais il est des lieux, dans chacune de nos villes, que l'on doit préserver et soustraire à l'emprise du temps comme aux nécessités immédiates.
Il est des lieux dont nous avons besoin qu'ils se maintiennent et qu'ils existent pour savoir simplement qui nous sommes.
Je voudrais remercier le préfet Jacques GERAULT et le procureur général Jean-Olivier VIOUT de s'être tous deux mobilisés pour que la prison de Montluc demeure, à Lyon, un lieu de mémoire.
Mesdames et Messieurs, je suis fier, aujourd'hui, d'avoir pris la décision d'accueillir le mémorial de la prison de Montluc parmi les grands lieux de mémoire nationaux dont mon ministère a la charge. Au-delà de la restauration des murs et des aménagements pour accueillir les visiteurs, le ministère s'engage à assumer la gestion et le développement de ce mémorial, avec une ambition à la mesure de ce que l'Histoire a inscrit dans les pierres de cette prison : faire en quelques années de la prison de Montluc l'équivalent pour la « zone sud » de ce que représente le Mont-Valérien aujourd'hui.
Car le mémorial que nous ouvrons aujourd'hui veillera, d'abord, sur le souvenir de tous ceux qui ont été internés à la prison de Montluc de 1942 à 1944.
Le souvenir de Jean Moulin.
Celui d'André Frossart et de Raymond Aubrac.
Celui encore de l'historien Marc Bloch, interné au début du mois de mars 1944, torturé malgré son âge et fusillé quelques mois plus tard.
Devant le peloton d'exécution, le vieux professeur prit dans ses bras l'enfant de seize ans qui tremblait à ses côtés face à la mort, en lui disant : « Non, petit, tu verras, ça ne fera pas mal. »
C'est le souvenir des 7 000 femmes et hommes internés ici pendant la guerre.
C'est le souvenir des 622 fusillés, comme des 2565 déportés qui prirent le chemin des camps depuis cette prison.
Tous ont vécu ici dans des conditions épouvantables, subissant la faim, la maladie, les interrogatoires et la torture. Tous craignant le jour où leurs gardiens viendraient les chercher pour les envoyer en déportation ou les promettre à une exécution sommaire.
Le mémorial de Montluc n'est pas le lieu d'une histoire désincarnée. Ici, c'est une histoire profondément humaine qui se fait jour, l'histoire de destins brisés et de vies arrêtées.
Ici, plus que partout ailleurs, nous prenons conscience que, dans nos villes, le patrimoine n'est jamais fait de pierres. Ou s'il l'est, il ne l'est qu'en apparence ou par nécessité.
Le patrimoine, c'est avant tout un patrimoine humain.
Ici, nous prenons également conscience que la mémoire n'est pas un simple regard jeté vers le passé. Elle n'est pas, non plus, qu'un geste légitime de piété ni une tentative sublime de sauver de l'oubli le nom des morts.
La mémoire, c'est ce qui nous réunit, nous qui sommes bien vivants et qui devons notre liberté à ceux qui sont tombés ici et à ceux qui y ont souffert.
La mémoire, c'est ce qui fonde notre identité collective en même temps que notre destin.
Alors souvenons-nous du cri qui montait du coeur des fusillés de Montluc.
Ce n'était pas le cri des agonisants.
C'était un cri d'espoir, c'était son plus beau nom : « Vive la France ! »
source http://www.defense.gouv.fr, le 24 septembre 2010
Monsieur le Député (Dominique Perben),
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Recteur,
Messieurs les Officiers généraux,
Mesdames, Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Lyon compte parmi les villes françaises où l'on sent passer le souffle des siècles et où l'on ressent, au fond de soi-même, l'épaisseur de l'histoire.
Depuis l'Antiquité, les générations se sont succédées, ici, le long du Rhône. Et, patiemment, redoublant d'ardeur et d'effort à la tâche, elles nous ont appris qu'il existait dans le monde des choses qui ne passaient pas et survivaient à l'éphémère du temps.
C'est à Lyon, au deuxième siècle de notre ère, que l'occident chrétien s'est donné ses textes sacrés.
C'est ici, avec la Renaissance lyonnaise, que l'on vit une ville tout entière adresser un signe à l'Europe et se relever du déclin par son travail et son goût de la libre entreprise.
C'est ici encore, avec les Canuts, que le monde prit conscience que les luttes sociales étaient, avant tout, des luttes pour la dignité humaine.
C'est l'histoire de Lyon. Et c'est l'histoire de France.
On peut en percevoir les ruptures et les lignes brisées, comme autant d'accidents qui surviennent et condamnent parfois le pays à se défaire et se désunir.
On peut y déceler aussi le fil fragile et continu qui surpasse les partis et les croyances, relie les unes aux autres les périodes de notre histoire et fonde ce que nous sommes, ce qui nous constitue.
C'est cette idée, cette idée d'une France qui se survit à elle-même, qui guida des hommes tels que Jean Moulin : l'idée que, face à l'adversité et à la plus terrible défaite, l'histoire de France ne pouvait pas s'achever ainsi.
C'est que les résistants n'avaient pas simplement fait le pari de l'avenir. Ils avaient retenu les leçons de notre histoire nationale. Ils avaient conscience que la France avait un destin et qu'au plus profond du malheur il existait des raisons d'espérer encore. Et d'espérer même envers et contre tout.
Cette idée, cet espoir, cette fragile promesse eurent justement raison de tout. Y compris de ce qu'on considérait alors comme inéluctable. Et le dernier cri des fusillés de Montluc, ce cri de « Vive la France » qui résonna tant et tant de fois ici, prend son sens véritable : rien ne peut jamais faire mourir l'espoir.
Ici, à Lyon, lorsque les années terribles s'abattirent sur le pays, la Résistance donna à la France son plus beau visage. La formule est d'André Malraux. Il la prononça, en 1964, dans le froid hiver parisien, lorsque la Nation accompagnait les cendres de Jean Moulin vers le Panthéon.
Ce jour-là, ce n'étaient pas simplement les restes de Jean Moulin qui remontaient la rue Soufflot. C'est son exemple et son histoire qui prenaient place dans le coeur et l'esprit de chaque Français.
Depuis, nul n'ignore ce que furent son engagement et son héroïsme, son arrestation le 21 juin 1943 et sa fin.
Nul n'ignore, non plus, le nom de la prison de Montluc.
Comme le Mont-Valérien, le plateau des Glières et tant d'autres lieux d'infortune, elle fut le lieu de la mort des braves, le lieu du malheur.
Elle devient officiellement aujourd'hui, aux côtés des autres grands lieux de notre histoire nationale, un « haut lieu de mémoire » pour la France.
Si nous nous retrouvons aujourd'hui à Montluc, près de soixante-dix ans plus tard, c'est que ce lieu de mémoire dépasse, dans la mémoire collective des Français, sa propre signification.
Montluc est un symbole.
C'est le symbole de l'arbitraire ravissant des otages, du bourreau allant chercher au hasard des victimes innocentes pour les condamner à une mort certaine.
C'est le symbole de l'arrestation et de la déportation des juifs lyonnais.
Montluc, c'est le symbole de tous les lieux de détention, de toutes ces caves restées aujourd'hui anonymes, où, dans chaque ville de France, la Gestapo enfermait les résistants, les torturait et les mettait à mort.
De la même façon que Jean Moulin était le visage de la France, lorsque, torturé, il ne parla pas, la prison de Montluc porte en elle toutes les souffrances et toutes les tragédies de cette sombre période.
Les villes changent. Elles évoluent. Leur urbanisme et leur architecture se modifient au cours du temps. Elles vivent leur vie et se consacrent, le plus souvent, à satisfaire les besoins des hommes.
Mais il est des lieux, dans chacune de nos villes, que l'on doit préserver et soustraire à l'emprise du temps comme aux nécessités immédiates.
Il est des lieux dont nous avons besoin qu'ils se maintiennent et qu'ils existent pour savoir simplement qui nous sommes.
Je voudrais remercier le préfet Jacques GERAULT et le procureur général Jean-Olivier VIOUT de s'être tous deux mobilisés pour que la prison de Montluc demeure, à Lyon, un lieu de mémoire.
Mesdames et Messieurs, je suis fier, aujourd'hui, d'avoir pris la décision d'accueillir le mémorial de la prison de Montluc parmi les grands lieux de mémoire nationaux dont mon ministère a la charge. Au-delà de la restauration des murs et des aménagements pour accueillir les visiteurs, le ministère s'engage à assumer la gestion et le développement de ce mémorial, avec une ambition à la mesure de ce que l'Histoire a inscrit dans les pierres de cette prison : faire en quelques années de la prison de Montluc l'équivalent pour la « zone sud » de ce que représente le Mont-Valérien aujourd'hui.
Car le mémorial que nous ouvrons aujourd'hui veillera, d'abord, sur le souvenir de tous ceux qui ont été internés à la prison de Montluc de 1942 à 1944.
Le souvenir de Jean Moulin.
Celui d'André Frossart et de Raymond Aubrac.
Celui encore de l'historien Marc Bloch, interné au début du mois de mars 1944, torturé malgré son âge et fusillé quelques mois plus tard.
Devant le peloton d'exécution, le vieux professeur prit dans ses bras l'enfant de seize ans qui tremblait à ses côtés face à la mort, en lui disant : « Non, petit, tu verras, ça ne fera pas mal. »
C'est le souvenir des 7 000 femmes et hommes internés ici pendant la guerre.
C'est le souvenir des 622 fusillés, comme des 2565 déportés qui prirent le chemin des camps depuis cette prison.
Tous ont vécu ici dans des conditions épouvantables, subissant la faim, la maladie, les interrogatoires et la torture. Tous craignant le jour où leurs gardiens viendraient les chercher pour les envoyer en déportation ou les promettre à une exécution sommaire.
Le mémorial de Montluc n'est pas le lieu d'une histoire désincarnée. Ici, c'est une histoire profondément humaine qui se fait jour, l'histoire de destins brisés et de vies arrêtées.
Ici, plus que partout ailleurs, nous prenons conscience que, dans nos villes, le patrimoine n'est jamais fait de pierres. Ou s'il l'est, il ne l'est qu'en apparence ou par nécessité.
Le patrimoine, c'est avant tout un patrimoine humain.
Ici, nous prenons également conscience que la mémoire n'est pas un simple regard jeté vers le passé. Elle n'est pas, non plus, qu'un geste légitime de piété ni une tentative sublime de sauver de l'oubli le nom des morts.
La mémoire, c'est ce qui nous réunit, nous qui sommes bien vivants et qui devons notre liberté à ceux qui sont tombés ici et à ceux qui y ont souffert.
La mémoire, c'est ce qui fonde notre identité collective en même temps que notre destin.
Alors souvenons-nous du cri qui montait du coeur des fusillés de Montluc.
Ce n'était pas le cri des agonisants.
C'était un cri d'espoir, c'était son plus beau nom : « Vive la France ! »
source http://www.defense.gouv.fr, le 24 septembre 2010