Déclaration de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, sur le rôle des institutions financières internationales dans la stabilité financière et économique mondiale, Washington le 8 octobre 2010.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assemblées annuelles du Fonds monétaire internationale (FMI) et du groupe de la Banque mondiale et réunion des ministres des Finances et des Gouverneurs des banques centrales des pays de G7, à Washington, le 8 octobre 2010

Texte intégral

M. le Directeur General, M. le Président,
Mesdames et Messieurs les Gouverneurs,
Mesdames et Messieurs les délégués,
Les institutions de Bretton Woods se trouvent en 2010 dans une année-charnière. Elles ont joué un rôle crucial dans la réponse aux crises successives. Elles continuent d'accompagner une reprise qui s'avère pleine d'aléas. Confirmés dans leur mission, dotés de ressources supplémentaires, tant le Fonds monétaire international que la Banque mondiale doivent désormais achever la réforme de leur gouvernance, compléter la modernisation de leurs instruments et participer à la définition d'un ordre économique plus stable, fondés sur des modèles de croissance soutenables, équilibrés, et ancrés dans des disciplines collectives.
Embrassant les marchés physiques, énergétiques, immobiliers et financiers, la crise mondiale que nous venons de traverser fut certainement la plus importante depuis celle des années trente.
Mais, elle ne lui fut en rien semblable, car nous avons su privilégier l'action collective et concertée sur la montée des protectionnismes et des comportements de passager clandestin. Pour le dire de manière imagée, nous avons su éviter la résurgence de ces longues lignes de chômeurs en haillons, démunis de toute protection et attendant la distribution de bons alimentaires, que le mémorial dédié à Franklin D. Roosevelt nous dépeint si crument, à quelques centaines de mètres seulement d'ici.
A côté du G20, les institutions de la 19ème rue ont joué un rôle central dans une telle sortie de crise, consacrant, près de 66 ans après la conférence de Bretton Woods, la détermination de Keynes.
Avec des engagements supérieurs en deux ans à 150 Mdseuros pour le FMI et 100 Mdseuros pour la Banque mondiale, ces deux institutions ont en effet apporté à leurs membres un filet de protection essentiel. Essentiel non seulement à l'équilibré économique et à la stabilité sociale de leurs bénéficiaires, mais aussi de la communauté internationale dans son ensemble.
Et ce soutien repose sur le renforcement considérable des ressources des deux institutions que nous avons su mener à bien en dépit des efforts massifs de consolidation budgétaire entrepris dans nombre de pays industrialisés :
* à mes yeux, l'augmentation générale de capital de la BIRD doit lui permettre, sans hypothéquer son activité future, de conduire une action contracyclique déterminée au bénéfice de l'ensemble de ses membres, dont les pays les plus vulnérables au premier rang : c'est tout l'enjeu des transferts intra-groupe au bénéfice de l'AID ;
* la signature des nouveaux accords d'emprunt réformés et augmentés doit conduire à un triplement des ressources du FMI. La France a montré la voie en votant dès le printemps une contribution de plus de 18 Mds DTS, puis en apportant en plus 2 Mds USD de financements concessionnels pour l'activité du FMI dans les pays les plus pauvres. J'appelle maintenant l'ensemble des membres de ces nouveaux accords d'emprunt à mettre en oeuvre leurs engagements.
En réponse à l'apport de ressources additionnelles, les institutions de Bretton Woods doivent poursuivre les efforts déployés pour mieux gérer et mieux dépenser celles-ci, en s'adaptant aux besoins de leurs membres, dans le respect de leur mandat.
Il s'agit d'abord d'être plus efficace :
* le FMI s'est considérablement transformé de ce point de vue et le travail que nous avons engagé l'an dernier sur la revue du mandat a porté ses fruits.
D'abord, le Fonds a continué à adapter ses instruments de prêts et a renforcer ses capacités de prévention des crises. L'attractivité de la Ligne de Crédit flexible (FCL) est renforcée par le succès des pays qui l'ont sollicitée. La création récente de la Ligne de crédit de précaution (LCP) prolongera cet effort en adaptant plus finement l'offre du Fonds à la diversité de ses membres.
Ensuite, le FMI a également renforcé ses outils de surveillance, en particulier des secteurs financiers. Je soutiens sans réserve la revue quinquennale qui s'imposera aux 25 pays les plus systémiques Et je me félicite du lancement des « spillover reports » qui permettront de combler un vide dans l'exercice du mandat du Fonds.
* Pour la Banque mondiale, la création d'une fenêtre de réponse aux crises au sein de l'AID, ardemment soutenue par la France, est également un réel progrès. Elle renforce la réactivité de l'institution face aux chocs auxquels les pays pauvres sont les plus exposés. Elle corrige un système d'allocation trop focalisée sur une certaine mesure de la gouvernance.
Pour l'ensemble du Groupe, il importe maintenant de veiller à mieux cibler l'emploi des ressources en poursuivant trois priorités : premièrement, cibler les pays les plus vulnérables ; deuxièmement accompagner les pays émergents les plus avancés sur le chemin de l'émancipation des financements concessionnels ; troisièmement soutenir les piliers d'une croissance durable que sont la promotion des infrastructures, le secteur privé et l'intégration régionale.
Il s'agit d'être plus efficace, je l'ai dit ; il s'agit également d'être plus efficient.
* Face à l'effort financier exceptionnel fourni par ses actionnaires, la Banque a un triple devoir d'efficience. D'abord, le devoir de pleinement mobiliser le capital alloué, en veillant à la libération du capital souscrit en monnaie locale. Ensuite, le devoir de préserver les fonds propres apportés par ses actionnaires en menant à bien la réforme de la tarification des prêts, qui conditionnait l'augmentation générale de capital. Devoir, enfin, d'exemplarité dans l'emploi de ses ressources, par une plus grande maîtrise de ses dépenses, notamment salariales, par une gestion mesurée de sa déconcentration et par le développement de l'activité de garanties.
Ces efforts en faveur de plus d'efficacité et d'efficience ne réussiront que s'ils s'appuient sur un cadre de gouvernance réformé :
* Un premier pas a été effectué à la Banque mondiale en avril dernier. L'équilibre ad hoc trouvé accorde une représentation encore accrue aux pays émergents et en développement. A cet égard, j'encourage les pays qui n'ont toujours pas ratifié la première phase de la réforme à y procéder rapidement, de manière à ne pas priver les pays les plus pauvres et les moins représentés des effets de la réforme. J'attends des pays qui bénéficient de la deuxième phase de la réforme qu'ils prennent toute la mesure des responsabilités associées, et veillent à ce que la Banque mondiale demeure engagée aux côtés des populations les plus vulnérables.
* Pour ce qui est du FMI, je suis convaincu qu'un accord est possible si chacun de nous accepte ses responsabilités et se montre ouvert au compromis. Pour aboutir avant la fin de l'année, conformément aux engagements pris, nous devons maintenant faire preuve de réalisme.
Soyons clairs, la réforme des quotes-parts doit être juste pour être acceptable par tous. Je l'ai dit : la France est prête à assumer sa part de l'effort pour parvenir à une meilleure représentation des pays émergents dynamiques au sein de l'actionnariat. Mais, ni la France, ni l'Europe n'accepteront d'être les variables d'ajustement d'une solution qui ne soit pas ancrés dans les réalités économiques et fondée sur des principes appliqués à tous et par tous. En particulier, la réforme ne peut avoir pour effet de créer de nouveaux déséquilibres en conduisant les pays aujourd'hui surreprésentés à devenir sous-représentés.
La réforme des quotes-parts n'épuise pas la réforme de la gouvernance : en particulier, pour renforcer durablement la légitimité, la crédibilité et l'efficacité du Fonds, nous devons améliorer l'implication des Gouverneurs dans la gouvernance et le fonctionnement de l'institution, ce qui nécessite selon moi de conférer au CMFI des pouvoirs décisionnels.
* Il importe enfin que tant le FMI que la Banque mondiale ressemblent davantage à leurs membres et se montrent plus ambitieux sur la diversité du personnel et de l'encadrement.
C'est évidemment l'enjeu d'un nouveau mode de sélection du président de la Banque mondiale et du directeur général du FMI, qui soit indépendant de toute considération de nationalité.
C'est aussi l'enjeu d'une plus grande diversité des parcours académiques : n'oublions pas que le consensus de Washington, si décrié, ne fut pas le fruit d'une nation, mais celui d'une école de pensée et ce n'est qu'au prix d'un effort déterminé que nous éviterons les nouvelles modes qui réduisent le monde à un modèle économique [doing business].
En dernier lieu, je suis convaincu du rôle majeur que doivent jouer les institutions de Bretton Woods pour assurer les conditions d'une croissance stable et durable.
* Bien qu'indéniable, la mue du FMI est encore insuffisante pour qu'il puisse pleinement exercer le rôle qui lui est dévolu. Cette mue doit suivre trois axes à mes yeux : premièrement, l'étude d'un mécanisme de lutte contre les crises systémiques, qui renforcerait la protection des Etats face aux conséquences de la volatilité des flux de capitaux ; deuxièmement, le renforcement de la surveillance monétaire et financière du Fonds, alors que les déséquilibres globaux s'amplifient de nouveau ; troisièmement, l'accompagnement de l'ouverture progressive du compte de capital, de manière à répondre aux risques liés à la forte volatilité des flux de capitaux.
Pour conclure, je voudrais souligner la valeur du FMI et de la Banque mondiale pour éclairer nos choix de politique économique et leur capacité à donner une traduction immédiate et efficace aux impulsions décidées au niveau multilatéral. Ce rôle essentiel et cette réactivité seront encore particulièrement attendus en 2011, pour donner corps aux réformes autour desquelles la France espère construire un consensus.
Je pense notamment, mais cette liste n'est pas exhaustive :
* au renforcement du système monétaire international, qui, en l'état, ne répond pas pleinement aux besoins de diversification d'un monde multipolaire et de coordination des politiques macroéconomiques ;
* à la stabilité des marchés de matières premières, en particulier agricoles, dont la volatilité est un défi pour nos économies et nos citoyens ;
* à la promotion des normes fiscales, sociales et environnementales, sans lesquelles la croissance mondiale sera ni soutenable, ni respectueuse des droits de chacun ;
* à la lutte contre les juridictions non coopératives, dont le comportement de passager clandestin défie la coordination internationale.
En 2011, la France aura une responsabilité particulière dans l'agenda international en tant que présidente du G20. Elle sait qu'elle pourra s'appuyer sur l'expertise, l'engagement et la légitimité du FMI et de la Banque mondiale pour poursuivre de nouveaux chantiers, ceux qui sont dans l''impasse depuis trop longtemps et dont dépend pourtant la stabilité et la prospérité du monde.Source http://www.economie.gouv.fr, le 12 octobre 2010