Entretien de MM. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, et de son homologue espagnol, Miguel Angel Moratinos, avec la chaîne de télévision israélienne "Channel 2" le 10 octobre 2010 à Jérusalem, sur les voies d'un plan de paix entre Israéliens et Palestiniens, à Jérusalem le 10 octobre 2010.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage au Moyen-Orient les 10 et 11 octobre 2010

Texte intégral

Q - Je me demandais combien de fois vous étiez venu en Israël pour en repartir les mains vides ?
R - C'est impossible de compter, mais au total, entre Miguel et moi, cela fait plus de quarante ans, de trente-cinq à quarante ans. Nous sommes vraiment impliqués très fortement. Nous sommes les amis d'Israël et, en même temps, nous sommes les amis des Palestiniens. Nous sommes très préoccupés. C'est une dynamique particulière, et nous ne voulons pas rompre, disons, cet équilibre très délicat et fragile. Nous sommes donc venus écouter nos amis en Israël. Demain, nous écouterons nos amis palestiniens. Si nous pouvons jouer un rôle -, mais si nous pouvons être utiles -, ce sera notre objectif.
Q - Avez-vous la conviction que le Premier ministre Netanyahou est effectivement tenu de parvenir à un règlement définitif ? Parce que le ministre des Affaires étrangères a dit exactement le contraire au Conseil de sécurité des Nations unies.
R - Pour répondre à votre question, j'en ai la conviction. Mais cela est difficile. Cela vient de si loin.
Ce n'est pas facile, je ne blâme personne. Regardez comme cela est extrêmement difficile pour ces deux peuples. J'espère qu'il y aura deux Etats, mais jusqu'à maintenant, cela n'a pas été réalisé. Nous travaillons pour y parvenir. Nous sommes si proches d'Israël, nous sommes si proches de l'Etat palestinien à venir. Et vous connaissez la région. C'est une région à haut risque, vous le savez parfaitement, partout. Aujourd'hui, c'est comme si tous les citoyens du monde attendaient une solution, comme si c'était un problème personnel partout dans le monde.
Q - J'essaie de comprendre. Peut-être avez-vous entendu des choses que l'opinion publique ne sait pas. Avez-vous entendu parler d'une solution à ce problème ?
R - Non, l'opinion publique connaît la solution. Elle connaît les éléments, elle connaît la solution.
Q - Pensez-vous que M. Netanyahou doive poursuivre le moratoire ? Est-ce cela que vous lui avez dit, de ne pas s'entêter sur la question d'un moratoire de deux mois ?
R - C'est le problème urgent. Mais beaucoup d'autres questions, des questions fondamentales, n'ont pas été réglées. Nous devons en parler. Je voudrais juste vous donner un exemple. Nous sommes vingt-sept pays dans l'Union européenne ; nous avions l'habitude de nous combattre les uns les autres, en Europe, pendant des siècles et des siècles. Les Français ont combattu les Anglais pendant 650 ans, et il y a eu des combats entre l'Allemagne et la France. Il est possible de faire la paix. Il est possible et nécessaire de faire la paix au Proche-Orient. Il est nécessaire d'avoir un Etat palestinien, pour la sécurité d'Israël.
Q - Je crois que M. Sarkozy n'a pas mâché ses mots quand il a déclaré que M. Netanyahou devrait se débarrasser de M. Liberman.
R - Ce n'est pas le problème. Nous avons un rendez-vous avec M. Liberman parce qu'il est le Ministre des Affaires étrangères. Il a été élu ici en Israël et il est ministre.
Q - En Israël, certains analysent la situation de la manière suivante : M. Obama a fait monter Abou Mazen sur un arbre, en insistant sur le moratoire qui est une question annexe. Si Abou Mazen a lu votre article, votre article commun, il comprend que tout ce qu'il a à faire, c'est attendre, parce que ...
R - C'était l'année dernière..
Q - Mais l'issue, comme vous l'avez dit, est proche, historique, dans un an. Vous dites que si la situation n'évolue pas, vous pensez sincèrement qu'il faudra envisager de reconnaitre l'Etat palestinien unilatéralement.
R - C'est toujours la même histoire. Une histoire longue, difficile, douloureuse, parfois intolérable. Mais y a-t-il une autre possibilité ? Nous sommes venus vous aider, nos amis israéliens, et pour être utiles, c'est tout. N'oublions pas que les vingt-sept Etats européens, ont publié en décembre 2009un document commun important sur le Proche-Orient. Cela a été très difficile. Cela a été difficile de créer l'Europe à partir de son histoire mais, pas après pas, nous progressons, vous progressez avec nous. Nous ne décidons pas à votre place, jamais. Si nous pouvons jouer un petit rôle, avec nos amis américains, avec vous, avec les Palestiniens. Y a-t-il un autre moyen ?
Q - Je voudrais vous interroger sur Ahmadinejad et sur Nasrallah, qui sont censés se rencontrer cette semaine. Nous avons vu qu'Assad a rencontré Ahmadinejad. Et je voudrais savoir si vous comprenez ce que ressent le public israélien en regardant ces images.
R - N'oubliez pas qu'il existe un groupe d'Iraniens, certainement la majorité, avec notamment le Mouvement Vert, qui est opposé à la manière dont le gouvernement iranien adopte ces positions très difficiles de répression de la foule, des manifestations, etc., des droits de l'Homme. Nous sommes donc de ce côté, toujours.
Q - Je comprends très bien. Mais je crois que peut-être, l'opinion publique israélienne, lorsqu'elle voit Ahmadinejad et l'Iran, et Nasrallah au nord et le Hamas au sud, en arrive à la conclusion qu'il ne s'agit pas des Palestiniens ou de territoires, mais de la guerre sainte, de la religion. Cela va beaucoup plus loin que la solution des deux Etats. Il y a une menace et je crois qu'elle vous concerne également.
R - La solution des deux Etats fait partie de la solution générale dont vous parliez. C'est un rêve ? C'est un bon rêve.
Q - Pensez-vous que le conflit israélien ait quoi que ce soit à faire avec le terrorisme en Europe aujourd'hui? Car cela signifierait que ce qui est pour nous une réalité depuis de nombreuses années arrive maintenant dans les rues européennes. Nous avons vu cette semaine de policiers armés sous la Tour Eiffel.
R - C'est un motif complémentaire. Miguel avait tout à fait raison. Et en Europe, vous le savez, oui, nous avons été attaqués. Mais nous défendons des valeurs communes. Oui, nous le faisons. Et nous connaissons la réalité en Afghanistan, et en Somalie et au Sahel.
Q - Les terroristes d'Al Qaïda qui menacent aujourd'hui l'Europe, la solution...
R - Cela a déjà été fait, nous le savions et nous le savons. Ils ont souffert à Madrid et nous avons souffert à Londres et à Paris.
Q - Je préfère ne pas penser à ce qui sera passera lorsqu'il y aura la paix, que ferez-vous ?
R - Eh bien, vous rendre visite.
Q - Une dernière question si vous le voulez bien. Vous venez de la tente de la famille de Gilad Shalit. Je crois que c'est l'un des problèmes que les Israéliens ont en ce qui concerne la position européenne. Ici en Israël, il y a un sentiment de «deux poids, deux mesures« Parce que d'une part, vous êtes très fermement attachés à la paix. D'autre part, nous entendons ce que vous avez dit par le passé, envisager de parler avec le Hamas. C'est le Hamas qui détient un citoyen français, Gilad Shalit, sans même laisser la Croix-Rouge le voir depuis cinq ans.
R - C'est un citoyen français, oui. Et c'est là un motif supplémentaire, un très bon motif, de le défendre et de le libérer. Oui, nous sommes engagés, nous sommes toujours engagés. Mais actuellement, c'est un médiateur allemand qui est en charge. Nous ne voulons pas compromettre son travail et sa position. Nous essayons, nous avons essayé et nous continuerons d'essayer ; une fois, nous avons réussi à faire passer à Gilad Shalit une lettre, celle de ses parents. Ce n'est pas suffisant, mais ce n'est pas à nous de négocier. Et nous ne parlons pas au Hamas. Si nous y étions contraints pour sortir Gilad de sa prison, nous verrions. Mais à l'heure actuelle, ce n'est pas de notre ressort. Nous avons eu une période pour agir, nous l'avons fait, et maintenant c'est au tour du médiateur et c'est exactement ce que souhaite Noam Shalit, nous avons rencontré sa femme. Nous étions et restons attachés à sa liberté.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 octobre 2010