Interview de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'emploi, à "Radio Classique" le 14 octobre 2010, sur le dossier de réforme de la retraite, l'inquiétude des jeunes sur leur avenir.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

G. Durand.- Avec L. Wauquiez, bonjour et bienvenue sur notre antenne. Les sujets ne manquent pas. Que va-t-il se passer dans les jours qui viennent sur le plan de la réforme des retraites ? La réforme fiscale, l’emploi, la situation économique. Mais on va commencer par la politique, de la bonne vieille politique. Est-ce que vous considérez que S. Royal s’est discréditée en intervenant hier à TF1 ?

Je vais vous dire surtout ce qui me frappe, c’est que depuis la rentrée, il y a une lente dérive du Parti socialiste. B. Hamon qui courtise Besancenot, le déni de réalité sur la réforme des retraites de M. Aubry, et puis l’appel hallucinant de S. Royal pour les 15 ans à manifester.

Mais sur M. Aubry, pardonnez-moi de vous interrompre, qu’est-ce qu’elle a fait qui vous paraît bizarre ? Pour S. Royal, on comprend bien que la droite lui est tombée dessus parce qu’elle aurait appelé - elle dit le contraire - les jeunes à manifester, mais où est le déni de M. Aubry ?

Je vais juste y venir mais si vous me permettez, ce qui me frappe c’est qu’en fait le PS a renoncé à être un parti de gouvernement depuis la rentrée. Ils sont dans la pure contestation. C’est la première chose qui me frappe. Sur M. Aubry précisément, qu’est-ce qu’elle dit ? Elle dit : moi, je défends des retraites à option, des retraites à carte à partir de 60 ans. Mais quand elle fait ça, qu’est-ce qu’elle dit ? En fait, elle défend la liberté pour les gens de prendre une retraite de misère et la vraie différence entre son approche, c’est que pour garder facilement 60 ans, elle est prête à offrir aux gens une retraite de misère ; nous, notre préoccupation absolue, c’est d’abord défendre le niveau des retraites.

Elle va vous dire le contraire ce soir. Elle va vous dire qu’effectivement, c’est une retraite qui reste à 60 ans, qu’on peut travailler plus tard, mais elle va contester fondamentalement que les pensions accordées soient des pensions diminuées par rapport à ce qui se fait aujourd’hui.

Oui, mais la vraie question qu’il faudra lui poser...

Je ne suis pas A. Chabot !

On est bien d’accord, mais moi je ne suis pas M. Aubry et je n’ai pas l’intention d’y aller. Mais aujourd’hui, la première exigence sociale dans notre pays, c’est de sauver le régime des retraites par répartition. Et quand on prétend être socialiste, ça doit être la première préoccupation. Je rappelle qu’aujourd’hui, on a un système de retraite qui vit à crédit. On a une retraite sur dix qui n’est pas financée. Toutes les nouvelles retraites à partir de maintenant sont des retraites sur lesquelles on n’a pas de financement en face. Et la question que je pose, c’est si M. Aubry dit : je garde à 60 ans, mais évidemment en baissant le niveau de retraite, eh bien ça signifie qu’on s’achemine vers des retraites version américaine, c’est-à-dire des petites retraites qui ne permettent pas de vivre. Nous, notre choix c’est une réforme qui défend et garantit le niveau des retraites.

Et quand je disais tout à l’heure - ce n’est pas ironique - qu’on allait faire de la bonne vieille politique, alors que vous êtes un jeune responsable politique, c’est que c’est vrai que dans la journée d’hier, qui était quand même une journée de tension, on ne savait pas très bien comment ça allait tourner, l’intervention de S. Royal vous a rendu un grand coup de main. Elle est allée tellement loin dans les sous-entendus, pour de simples raisons de concurrence avec les autres candidats socialistes à la présidentielle, qu’effectivement c’est du gâteau pour la droite aujourd’hui de leur tomber dessus, alors que ce n’est qu’elle qui s’est exprimée.

Ce que vous dites est très juste sur un point, je trouve : c’est qu’en fait, plus le mouvement va, plus on assiste à une instrumentalisation politique par la gauche.

Enfin pas Hollande, pas DSK, il y a les autres. Pas Fabius.

Non, non, je suis tout à fait d’accord. Tous au Parti socialiste ne jouent pas les apprentis sorciers.

Pas Valls non plus.

Mais au début, on entendait qui ? On entendait les responsables syndicaux et on entendait ceux qui étaient les relais des inquiétudes des Français, ce qu’on peut comprendre. Et de plus en plus, ce qu’on entend c’est les apprentis sorciers politiciens et je trouve que, par exemple, S. Royal ou M. Aubry, qu’est-ce qu’elles font ? En fait, elles chauffent à blanc les inquiétudes des Français pour en faire du carburant pour le PS. Ça, c’est de la dérive vers une instrumentalisation politique.

Question précise : est-ce que vous considérez que M. Aubry, puisqu’on parlait de S. Royal, se discrédite elle aussi pour la présidentielle si elle réclame comme elle l’a évoqué jusqu’à présent le retrait du texte ? Ce que ne demandent pas les syndicats d’ailleurs.

Je vais vous dire objectivement : ce n’est pas mon sujet, et mon sujet ce n’est pas de savoir si M. Aubry se discrédite pour la présidentielle. Là où elle se discrédite, c’est qu’on a un grand rendez-vous de protection sociale et là elle se discrédite. Parce que comme vous l’avez très bien rappelé, et c’est là où je parle de déni de réalité, M. Aubry va même plus loin que la CGT ou la CFDT. C’est-à-dire que quand elle dit « absolument aucune réforme des retraites » et quand elle dit : moi je veux uniquement la retraite à 60 ans, elle est en fait encore plus dans l’idéologie que la CGT y compris. Donc on est vraiment dans une situation que je trouve assez ubuesque, d’un Parti socialiste qui a renoncé à être un parti de gouvernement.

Mais comment vous allez gérer justement la fin de l’affaire ? Et est-ce qu’il était opportun que le président de la République dise finalement - c’est en substance, je résume -« circulez, il n’y a plus rien à voir. Il n’y a plus rien à négocier » ? Est-ce que c’était vraiment dans cette séquence-là qu’il fallait intervenir de ce point de vue-là ?

On a été constamment à l’écoute, dans ce mouvement, des choses qui sont ressorties, d’inquiétudes et de préoccupations sur le texte. Si on les reprend : pénibilité. On a pris en compte les pénibilités comme ça n’a jamais été pris en compte en Europe ; les carrières longues, vrai sujet. Je rappelle que dans la réforme, quelqu’un qui commence à travailler à 17 ans partira avant 60 ans, contrairement d’ailleurs aux délires qui ont été affirmés par S. Royal. La situation des femmes sur laquelle il y a un travail qui a été fait pour améliorer la chose, notamment pour les générations qui vont arriver à la retraite bientôt. La situation des familles qui ont des enfants en situation d’handicap. Mais on n’a pas été sur une logique de marchandage parce que le but, ce n’est pas de négocier au point de renoncer à la réforme des retraites, et la difficulté c’est que les syndicats sont sur cette posture. Donc on ne peut pas être dans une logique de négociation parce que pour les syndicats, négociation c’est renonciation à la réforme.

Mais comme vous êtes un responsable gouvernemental, vous savez bien que si vous n’offrez pas à un moment une porte de sortie à tout le monde, il y a un risque de pourrissement du conflit. Parce que personne ne va vouloir sortir de cette affaire déçu, battu.

Non, et c’est d’ailleurs pour ça que...

Donc est-ce qu’il faut les revoir, par exemple ? Est-ce qu’il faut réorganiser au plus haut niveau une rencontre avec eux pour essayer peut-être de céder encore sur quelques points de manière à ce que tout le monde sorte de cette affaire - je ne dis pas content, parce que ça n’existe pas - mais sans amertume ?

Mais c’est d’ailleurs pour ça qu’on n’est pas du tout dans une logique d’affrontement des gagnants, des perdants, par rapport aux syndicats ou aux partenaires sociaux. Quand ils ont exprimé des choses qu’on considérait comme étant légitimes sur les retraites et des préoccupations fondées, on les a prises en compte. Et le texte, finalement, a été constamment amélioré. La porte, depuis qu’on a ouvert le texte à l’Assemblée nationale jusque maintenant au Sénat, n’a jamais été fermée. Donc on a toujours essayé de dire oui, tel sujet c’est vrai ; le dispositif peut être amélioré. Mais pas au point de compromettre l’équilibre financier des retraites.

D’accord, mais L. Wauquiez, vous connaissez - enfin, vous avez fait des études longues...

Je pratique surtout le dialogue social maintenant.

Oui, non mais d’accord, mais je reviens à ça parce que les lycéens dans la rue, on peut considérer qu’une partie des gens de l’UNEF sont proches du Parti socialiste, OK. Mais il y a quand même beaucoup de gens, par exemple prenez des gens qui sont Normaliens - ils ne sont pas très nombreux - mais qui veulent passer l’agrég’ ; tous ces gens-là ils se disent à 20, 22, 23, 24 ans, je travaille jusqu’à 67 ans pour avoir ma retraite à taux plein. C’est vrai que c’est assez angoissant pour un type qui a à peine 20 ans.

Je comprends cette préoccupation.

Et là, ce n’est quasiment pas de la politique.

Bien sûr. Et je comprends vraiment cette préoccupation. Moi je suis plus proche de mes études que de ma retraite.

Et c’est pour ça que je les évoquais.

Je ne l’avais pas compris au début. Mais oui, bien sûr. En même temps, quel est l’objectif aujourd’hui pour cette génération ? Moi, je préfère m’occuper du présent plutôt que de leur mentir sur leur avenir. Je préfère agir pour leur emploi plutôt que de raconter des histoires sur les retraites. Aujourd’hui la préoccupation majeure pour cette génération, c’est quoi ? C’est la bataille pour le premier emploi, c’est essayer de faire en sorte qu’ils aient une insertion professionnelle qui soit améliorée. C’est essayer de veiller à ce que dans notre pays, on n’ait pas ce temps si long entre la fin des études et le premier CDI. Et beaucoup de choses ont commencé à être faites. L’amélioration des bourses pour l’ascenseur social, l’amélioration du fonctionnement de nos universités et de l’enseignement supérieur, la bataille pour l’emploi des jeunes, la prise en compte du RSA, le plan pour agir pour les jeunes. Donc on a toute une série de mesures qui ont été faites, on a sans doute une réflexion à mener et d’ailleurs que je conduirai en partie sur les questions d’alternance pour aller plus loin, sur comment raccourcir ce délai entre fin d’études et premier emploi. Et la première préoccupation, je crois, c’est l’emploi et l’emploi de cette génération.

Dites-moi si je me trompe. Dans les quartiers, chômage des jeunes : 40 % ; sur l’ensemble du territoire, aux alentours de 20 - 25 %.

Oui, et un dernier point : c’est un chômage des jeunes qui a commencé à baisser depuis maintenant plus d’un an.

Enfin, les chiffres restent colossaux.

Bien sûr qu’ils restent colossaux, et là-dessus il ne faut pas se mentir : c’est une situation qui est malheureusement sur notre pays depuis trop longtemps, structurelle. Pourquoi ? Quel a été le raisonnement qui a été tenu depuis trop longtemps ?

Après je vous diffuse les grands entretiens de la matinée que vous pouvez commenter donc brièvement.

Je vais juste le dire simplement : c’est que le raisonnement, ça a consisté à dire aux jeunes : vous faites les études les plus longues, vous restez le plus longtemps sur les bancs de la fac parce que comme ça, vous n’encombrez pas nos statistiques du chômage. Et notre raisonnement, c’est exactement l’inverse : le but, c’est d’aider les jeunes à se positionner sur des études appropriées, professionnalisantes, et où la principale préoccupation c’est (faire en sorte) qu’à l’arrivée, il y ait un emploi. Et cette bataille-là, je pense qu’on peut la gagner.

Canal +, G. Longuet, 7 heures 43. Évidemment vous savez que G. Longuet est le patron des députés UMP au Sénat ; là on revient sur le deuxième aspect du contexte politique qu’on évoquait tout à l’heure, c’est-à-dire l’idée d’une réforme fiscale qui pointe le bout de son nez. Le bouclier, symbole d’injustice comme l’a dit F. Baroin. Sa réponse.

[Extrait de l’interview de Gérard Longuet à « La Matinale » de Canal+]

RTL, on l’entend relativement rarement sur les antennes de radio et de télévision, c’est le gouverneur de la Banque de France, C. Noyer. Alors là, il ne s’est pas raté puisqu’il considère que les jeunes doivent manifester, mais pour la réforme des retraites.

[Extrait de l’interview de Christian Noyer sur RTL.]

Et on termine avec B. Hamon donc, porte-parole du Parti socialiste, France Info, 8 heures 22. Il revient sur la polémique Royal.

[Extrait de l’interview de B. Hamon sur France Info.]

Voilà donc pour les principales déclarations de la matinée. Je voudrais qu’on aborde le dernier point qui est cette réforme fiscale qui pointe son nez. C’est vrai que, pardonnez-moi, mais il y a quelque chose d’assez ironique. Il y a six mois, tous les responsables gouvernementaux considéraient que le bouclier fiscal, c’était vraiment la réforme la plus emblématique du quinquennat de N. Sarkozy. Et maintenant, les uns après les autres, tout le monde dit c’est terminé, c’est fini. Vous êtes honnête - je n’allais pas dire vous, parce que tout le monde est honnête - mais reconnaissez qu’il y a quand même une sorte de retournement assez ironique de la situation.

Je vais vous dire là-dessus mon sentiment. D’abord avant l’heure, ce n’est pas l’heure. Donc il y a le principe d’un rendez-vous fiscal qui a été fixé, qui va permettre de tout mettre à plat et notamment la question de l’équité de notre système fiscal. Et moi, j’ai surtout une conviction : 2009/2010, la préoccupation absolue, c’était protéger les Français dans la crise ; 2011, notre préoccupation absolue, ça doit être la justice. Et comment faire en sorte que sur la sortie de crise, cette sortie de crise profite équitablement à tous les Français ?

Mais ça va vous obliger à chanter une autre chanson, quand même.

Et quand je dis tous les Français, et là je ne chante pas d’autre chanson, c’est surtout pour moi les classes moyennes. Et moi c’est mon obsession, je l’avais dit d’ailleurs la dernière fois que j’étais venu à votre micro, mon obsession pour 2011, c’est un système sur lequel on fait des réformes qui permettent plus de justice pour les classes moyennes.

Mais vous considérez comme beaucoup de gens maintenant qu’il va disparaître pour des raisons politiques, ce bouclier fiscal. Parce que si on fait les retraites d’un côté pour calmer les gens et ne pas donner l’impression que tout ça est fait pour une minorité de gens qui gagnent beaucoup d’argent, il faut que ce symbole tombe. On va l’habiller dans une réforme fiscale générale, mais c’est ça qui va se passer.

Si le sujet c’est juste bouclier fiscal, oui ou non, ça n’a pas d’intérêt.

C’était la question, quand même.

Oui, c’est pour ça que je réponds. C’est-à-dire l’intérêt, c’est d’avoir une vraie remise à plat de notre système fiscal et avec comme préoccupation, comme point d’orgue, pour les classes moyennes on fait mieux ou moins bien.

Merci L. Wauquiez d’être venu nous voir ce matin sur l’antenne de Radio Classique.

Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 18 octobre 2010