Entretien de M. Hervé Morin, ministre de la défense, dans la revue indienne "Indian Defence Review" d'octobre-décembre 2010, notamment sur la coopération militaire franco-indienne.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Indian Defence Review

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, pouvez-vous nous faire, en quelques mots, un bilan des relations franco-indiennes en matière de défense ?
R - Notre coopération militaire est ancienne. Lorsqu'au début des années 1980, l'Inde a souhaité diversifier ses relations militaires, notre pays a répondu présent et une relation de confiance s'est nouée, notamment autour des Mirage 2000.
En 1998, nos deux pays ont décidé d'élever leur relation bilatérale à un niveau stratégique. Le lancement du partenariat stratégique franco-indien nous a permis de renforcer encore nos liens et d'unir nos voix dans les enceintes internationales. Qu'il s'agisse de sa candidature à un siège permanent au conseil de sécurité ou d'une évolution des règles en matière d'exportations nucléaires civiles, l'Inde sait qu'elle peut compter sur le soutien de la France.
Depuis le lancement du partenariat stratégique, un haut comité de défense se tient chaque année et d'autres accords sont venus renforcer notre relation bilatérale. Je pense notamment à la création en 2002 d'un forum annuel en matière de recherche et technologie ou à la signature en 2006 de l'accord de défense franco-indien. Par ailleurs, des exercices communs ont lieu chaque année entre nos deux armées de l'air et nos forces navales. Dans tous ces domaines, notre relation a atteint un niveau de confiance élevé.
Q - Qu'attendez-vous de la visite présidentielle de décembre ?
R - L'an dernier, l'Inde était l'hôte d'honneur de notre Fête nationale, à Paris, sur les Champs-Elysées. A l'occasion de la visite en France du Premier ministre Manmohan Singh, nos deux pays ont rappelé leur volonté commune de donner un nouvel élan à notre partenariat stratégique.
Les relations dans le domaine de la défense en constituent l'un des principaux piliers.
La prochaine visite du président Sarkozy de décembre fera encore progresser notre partenariat dans toutes ses composantes, qu'il s'agisse de faire face aux menaces communes, d'approfondir nos coopérations opérationnelles ou de faire aboutir les projets lancés ensemble dans le domaine de l'équipement des forces.
Q - Quels sont avec l'Inde les projets en cours les plus importants ?
R - Notre coopération touche d'abord le coeur même de notre sécurité : la lutte contre le terrorisme. C'est d'autant plus indispensable que nous sommes confrontés au même type de menaces, en Afghanistan, en Europe et en Inde, comme l'ont montré les attaques de Bombay, en novembre 2008. Sur le plan opérationnel, notre coopération est également très prometteuse, qu'il s'agisse de lutte contre la piraterie, d'exercices communs ou d'échanges d'officiers.
En matière d'équipements de défense, la relation franco-indienne se traduit par la fourniture d'équipements stratégiques (avions de combat, sous-marins), mais aussi de technologies de pointe, et ce dans tout le spectre des besoins des forces armées indiennes. Parce que notre propre histoire nous rend très sensibles à la volonté indienne de privilégier la production locale et de développer l'industrie de défense, cette relation a toujours été placée sous le signe de la confiance réciproque et de la coopération technologique. Aujourd'hui comme hier, nous nous plaçons dans une vraie logique de partenariat.
Le principal projet en cours concerne la fabrication sous licence en Inde de six sous-marins Scorpène par les chantiers navals de Mumbai, projet dans lequel nous nous sentons totalement engagés aux côtés de nos partenaires indiens. Parmi les autres projets arrivant à maturité, on peut citer la modernisation des Mirage 2000 de l'armée de l'Air, deux projets de co-développement - le projet Maitri de missile de défense sol-air et le moteur d'avion de combat Kaveri -, la fourniture d'hélicoptères de reconnaissance et d'observation ou encore, à échéance un peu plus lointaine, une seconde tranche de six sous-marins.
Q - Depuis plus 50 ans, la France est un fournisseur de confiance d'équipement militaire à l'Inde. L'Inde a récemment lancé un appel d'offre pour l'achat de 126 avions de combats. Quels sont les espoirs de la France pour ce que l'on appelle en Inde le «contrat du siècle» ?
R - Le Rafale est un avion exceptionnel qui répond particulièrement bien aux besoins de l'armée de l'air indienne.
Je suis convaincu que la campagne d'essais qui s'est achevée au printemps 2010 aura permis à l'armée de l'air et au ministère de la Défense indiens de prendre toute la mesure des qualités de cet appareil, qui équipe l'armée de l'air française. Je note que cette campagne d'essais a d'ailleurs été menée avec beaucoup de professionnalisme, dans des délais contraints.
Dans le cadre de notre partenariat, nous sommes bien sûr très attentifs aux remarques ou aux demandes spécifiques que pourraient nous adresser l'armée de l'Air ou le ministère de la Défense indiens.
Q - Le contrat pour le «refitting» des Mirages a-t-il été signé ?
R - Au début des années 1980, l'acquisition de Mirage 2000 a été une étape importante de notre rapprochement. Je souhaite que dans le même esprit, la modernisation des Mirage 2000 indiens puisse être réalisée par Dassault, Thales et MBDA. Je suis confiant dans la conclusion rapide des négociations sur ce contrat.
Q - Où en est le projet Maitri pour le développent conjoint de missiles sol-air ?
R - Le projet de co-développement du missile Maitri est évoqué dans la déclaration politique commune de septembre 2008. Il engage la société française MBDA et le DRDO indien dans un projet sans équivalent à ce jour, qui fera l'objet d'un transfert de technologies très ambitieux. Le système de défense anti-aérienne développé en Inde qui utilisera ce missile répondra aux besoins de l'armée de l'Air et de la Marine, mais aussi de l'armée de Terre, si celle-ci choisit de rejoindre le programme. Je suis confiant dans l'aboutissement de ce projet, qui illustre parfaitement l'esprit de notre partenariat stratégique, puisqu'il s'agit du développement en commun d'un nouveau système d'armes.
Q - Des exercices conjoints comme Garuda ou Varuna contribuent-ils à améliorer l'interopérabilité entre les forces armées françaises et indiennes ?
R - Les exercices Varuna et Garuda, qui associent nos deux marines et nos deux armées de l'air, sont des manoeuvres majeures, qui permettent de développer et de mettre en oeuvre de nouvelles tactiques, directement utilisables, par exemple dans le cadre de la lutte contre la piraterie.
Ces manoeuvres conjointes sont d'ailleurs reconnues internationalement pour leur haut niveau d'exigence et suscitent un intérêt certain, comme en témoigne la participation de l'armée de l'air singapourienne à l'exercice Garuda qui s'est tenu en France en juin 2010.
Q - Comment améliorer le partenariat stratégique entre la France et l'Inde en matière de défense ?
R - Le président de la République l'a souligné à plusieurs reprises : le partenariat stratégique noué entre la France et l'Inde contribue à la stabilité et à la paix, non seulement au plan régional, mais également dans le monde.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire au ministre de la Défense, M. Antony, lors de ma visite en décembre 2009, nous pouvons aller plus loin encore en renforçant nos consultations sur la situation régionale - je pense notamment à l'Afghanistan, où la France est impliquée - mais également sur les grandes questions internationales. Nous pouvons également intensifier notre coopération sur les théâtres d'opérations où nos deux armées sont présentes - c'est le cas dans l'océan Indien et dans le golfe d'Aden, où elles participent à la lutte contre la piraterie. Nous pouvons enfin développer davantage de programmes d'armement performants et adaptés aux besoins de nos deux armées.
Q - Peut-on envisager un jour une collaboration entre la France et l'Inde sur un grand projet conjoint de recherche, développement et production. L'Inde a déjà par exemple un tel projet avec les Russes pour un avion de combat de 5ème génération.
R - La relation franco-indienne est une relation de confiance. La France est donc tout à fait prête à s'engager avec l'Inde sur de grands projets de coopération en matière d'armement.
Deux projets de co-développement existent déjà : le projet de missile Maitri, qui associe le DRDO et MBDA, et le projet de moteur Kaveri, qui devrait être développé conjointement par le DRDO et SNECMA.
Nous devons chercher ensemble d'autres champs d'application possibles d'une coopération renouvelée, s'accompagnant de réels transferts de technologie.
Q - Quel est la politique de votre gouvernement vis-à-vis la vente d'armes au Pakistan ?
R - Le Pakistan est un partenaire incontournable dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Notre dialogue avec ce pays, y compris dans le domaine militaire, n'a qu'un seul objectif : renforcer la capacité des forces armées pakistanaises à lutter contre les extrémistes radicaux.
Q - Comment voyez-vous aujourd'hui l'évolution de la situation en Afghanistan ?
R - Le sens de notre engagement en Afghanistan, c'est la lutte contre le terrorisme et la stabilité de ce pays, essentielle pour la sécurité de toute la zone. A la demande du gouvernement afghan et dans le cadre des résolutions des Nations unies, nous sommes présents militairement depuis 2001, avec pour priorité de former la nouvelle armée et la police de ce pays. Avec près de 4.000 hommes engagés sur le terrain, nous assumons pleinement notre part de responsabilités. Comme l'a dit à plusieurs reprises le président de la République, nous resterons au côté du peuple afghan le temps nécessaire.
L'élection présidentielle et, récemment, les élections législatives, marquent une étape importante du processus démocratique dans ce pays, et nous saluons la mobilisation et le courage manifestés par le peuple afghan dans un contexte particulièrement violent et difficile. Avec le soutien de la communauté internationale, les nouvelles autorités afghanes doivent désormais définir et mettre en oeuvre un programme permettant de relever l'ensemble des défis auxquels ce pays est confronté, sécurité, gouvernance, développement. Tous les efforts de la communauté internationale doivent contribuer à aider les Afghans à prendre en main leur propre destin, en particulier dans le domaine de la sécurité.
Q - Quel rôle voyez-vous pour l'Inde en Afghanistan ?
R - La France estime que la dimension régionale constitue un facteur important du règlement de la crise afghane. Pour des raisons historiques, géographiques et stratégiques, l'Inde est un acteur majeur de la région. Elle a donc indiscutablement un rôle important à jouer. Sa contribution à la reconstruction de l'Afghanistan est d'ailleurs saluée par l'ensemble de la communauté internationale, car elle bénéficie directement au développement économique du pays, au bien-être des populations locales et à la consolidation de l'Etat de droit.
Par ailleurs, comme tous les pays participant à la FIAS, l'Inde est confrontée en permanence à la menace terroriste.
Pour toutes ses raisons, nous attachons une importance particulière à notre dialogue avec les autorités indiennes sur la situation en Afghanistan.
Q - Comment voyez-vous l'avenir de la défense française ?
R - Il y a plus de dix ans, nous avons engagé des réformes sans précédent de nos armées, avec la fin de la conscription et la professionnalisation. Ces réformes étaient indispensables compte tenu de l'évolution des missions de nos forces, désormais essentiellement engagées sur des théâtres extérieurs et dans des opérations de maintien de la paix.
Aujourd'hui, les menaces demeurent, comme on le voit en Afghanistan, au large de la Somalie et dans la région sahélienne. C'est pourquoi la France continue à faire de son outil de défense une priorité en termes d'investissements.
Mais dans un contexte budgétaire tendu, elle cherche à mieux utiliser les ressources qu'elle y consacre. C'est pourquoi nous poursuivons notre politique de modernisation, dans une optique de meilleure gestion et de plus grande adéquation de notre dispositif militaire à la réalité de nos engagements extérieurs, notamment grâce à un effort accru en matière d'équipements.
En matière de dissuasion, nous gardons un arsenal strictement suffisant, au plus bas niveau possible pour en conserver la crédibilité, et qui nous assure la paix depuis presque un demi-siècle.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 octobre 2010