Texte intégral
« La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti, ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n'est aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d'être ». Henri Poincaré, tout mathématicien qu'il était, avait donc tout compris du journalisme. Et c'est en somme, sans le savoir, un bel hommage que vous lui rendez en vous réunissant dans cet amphithéâtre pour la première Conférence Nationale des Métiers du Journalisme. J'y vois le signe d'une rencontre prometteuse. Une rencontre entre les écoles de journalisme et la profession, comme les Etats généraux de la presse écrite l'avaient souhaité. Mais aussi une rencontre entre les professionnels de l'enseignement du journalisme et ceux de l'enseignement supérieur dans sa globalité.
C'est bien le sens donné à cette première conférence, et c'est celui du message que vous a adressé en début d'après-midi Valérie PECRESSE. Il s'agit d'engager sans attendre un travail vers plus de cohérence entre les critères de reconnaissance de la profession pour la formation initiale des journalistes et ceux sur lesquels veille le Ministère de l'Enseignement supérieur dans la filière universitaire.
Cette rencontre de deux mondes, jusqu'à présent largement cloisonnés, est le début d'un processus qui doit réduire l'écart entre les 13 écoles reconnues et les très nombreuses autres formations au journalisme recensées en France. En relevant le niveau d'ensemble autour d'un référentiel qui sera revisité à l'horizon 2012, il s'agira surtout de les faire converger vers des objectifs partagés d'excellence et d'efficacité au service l'insertion professionnelle. C'est un devoir vis-à-vis des jeunes qui veulent se lancer dans cette carrière et qui doivent pouvoir accorder pleine confiance à ceux qui sont les responsables de leur formation.
Ce nouveau processus préfigure une clarification salutaire des critères d'excellence dans un dispositif aujourd'hui trop morcelé. C'est un gage pour les jeunes qui se destinent à la profession ; ils pourront ainsi mieux s'orienter dans ce maquis qui compte aujourd'hui un nombre impressionnant de formations et d'établissements très hétérogènes.
C'est aussi un gage pour la profession qui pourra compter désormais, encore plus qu'auparavant, sur un interlocuteur public à l'écoute de ses besoins. Je me réjouis que ce travail puisse être conduit avec les professionnels, dans le cadre de leurs instances paritaires, sous l'égide conjointe du ministère de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, du Ministère de la Culture et de la Communication, et du Secrétariat d'Etat chargé de l'Emploi.
Cette Conférence est la dernière en date des initiatives prises dans le cadre de la deuxième étape des Etats généraux, que j'ai appelé de mes voeux il y a tout juste un an, à Strasbourg, à l'occasion des Assises Internationales du Journalisme.
Pour préserver et développer des contenus d'information de qualité, et dans les conditions économiques les plus favorables pour l'ensemble des acteurs - éditeurs comme journalistes -, il est capital d'engager des moyens significatifs en faveur de l'innovation, du développement d'une nouvelle offre numérique, et de la formation professionnelle - autrement dit adapter les métiers du journalisme au nouvel « écosystème » médiatique qui est en train de voir le jour. Il faut, tout à la fois, stimuler la demande et renouveler l'offre, c'est-à-dire réinventer les pratiques éditoriales et les métiers du journalisme à l'ère du numérique.
C'est dans cet esprit que, dès l'issue des Etats Généraux, le gouvernement s'est engagé, avec les partenaires sociaux, à revaloriser le métier de journaliste. Le premier acte en a été la Loi « Création et Internet » du 12 juin 2009, qui a adapté le régime de droit d'auteur des journalistes à l'ère du pluri-media : outre leur droit moral imprescriptible, ceux-ci bénéficient désormais de la rémunération de droits patrimoniaux, dans les conditions désormais fixées par la Loi.
Parmi d'autres mesures destinées à accompagner la mutation des métiers du journalisme, l'Etat a conclu, le 30 juin 2009, avec les partenaires sociaux de la presse écrite, un engagement de développement de l'emploi et des compétences (EDEC), pour accompagner et anticiper l'évolution des emplois et des qualifications professionnelles induite par la révolution numérique.
Plus de dix huit mois après la clôture des Etats généraux, je reste très attentif aux engagements que nous avons pris avec le Président de la République en faveur de la défense des valeurs et des métiers du journalisme. Je me réjouis d'être soutenu dans ce mouvement par Valérie PECRESSE et Laurent WAUQUIEZ qui, comme moi, partagent une véritable ambition pour le journalisme français.
Les débats de ces deux derniers jours ont démontré que les questions qui se posent au niveau national se posent aussi dans la plupart des pays européens. Le défi posé à la formation initiale comme à la formation continue, touche à la qualité du débat démocratique, et par voie de conséquence, comme le fait remarquer Patrick Pépin, est une question de liberté publique. Même si la profession de journaliste, plus que tout autre, doit rester une profession ouverte, il est difficile de concevoir un journalisme exigeant et de qualité sans un système de formation à la hauteur de cette exigence.
C'est un défi dans lequel les pouvoirs publics, en particulier le Ministère de la Culture et de la Communication, portent une part de responsabilité légitime, tant ils sont en France impliqués dans la défense d'une presse d'information, libre, indépendante et pluraliste. Dans la crise qu'elle traverse, il est légitime que le gouvernement soutienne tout particulièrement la profession des journalistes, et défende en conséquence les valeurs de pluralisme de l'information dont elle est porteuse et qui sont désormais, je vous le rappelle, inscrites dans la Constitution depuis 2008.
Ne pas s'interroger sur l'évolution du système de formation des journalistes, c'est à coup sûr fragiliser les valeurs du métier. C'est mettre en péril l'avenir d'une presse d'information à laquelle le gouvernement a consacré beaucoup d'efforts au cours des deux dernières années, comme aucun gouvernement ne l'avait sans doute fait encore. La présentation, hier, de mon budget pour l'année 2011 le confirme encore. Si l'Etat tient ses engagements vis-à-vis de la presse, il serait néanmoins illusoire de concentrer son effort sur les seuls enjeux industriels et économiques du secteur. Une contribution budgétaire massive à sa modernisation ne suffit pas : l'effort doit porter tout autant sur la revitalisation des forces créatrices dans les rédactions.
Il en va de la responsabilité de l'Etat, mais aussi de celle des professionnels, dans la logique paritaire qui prévaut dans le secteur des médias. Les entreprises doivent de prendre la mesure de l'enjeu et placer la formation au coeur de leur stratégie de reconquête des publics.
L'initiative de cette conférence est née des Etats Généraux de la presse écrite et des orientations prises alors par le Président de la République. Les directeurs d'écoles de journalisme disposant de cursus reconnus par la profession avaient alors fait part de leur souci d'adapter en continu leurs référentiels de formation à la réalité des métiers du journalisme - et donc aux attentes des employeurs -, mais également aux évolutions prévisibles de ces métiers.
La mission de préfiguration de la conférence confiée à Denis JEAMBAR et René SILVESTRE dont le rapport nous a été remis en mai 2010 fait état d'un paritarisme en "trompe-l'oeil", et qui selon eux nécessiterait sans doute une implication plus grande des partenaires. Je ne suis évidemment pas insensible à ce diagnostic et souhaite donc étudier avec la plus grande attention la proposition de Patrick PEPIN, faite au nom de la Conférence nationale, concernant la mise en place de mesures qui pourraient revaloriser le rôle de la formation professionnelle au sein des entreprises de presse, particulièrement auprès des journalistes qui n'auraient pas suivi de formation initiale au journalisme. Loïc HERVOUET parlait ce matin même de l'idée ancienne d'un « permis de conduire » minimal pour tout nouvel entrant dans la profession. Ce serait à mon sens, une excellente occasion de développer des programmes de formation sur l'éthique et la déontologie professionnelle, sujet sur lequel je me suis déjà exprimé à de nombreuses reprises.
Le rapport Jeambar Silvestre témoigne surtout du caractère "extrêmement morcelé et contrasté" du dispositif de formation, qui nécessiterait une clarification urgente des diplômes et des titres délivrés au travers d'une sorte de labellisation.
Le constat qui peut être fait aujourd'hui en matière de formation des journalistes est le suivant :
- D'une part, 13 formations reconnues par l'Etat et la profession sur une centaine de formations existantes proposant des cursus parfois très éloignés du référentiel de formation établi par les partenaires sociaux,
- D'autre part, un manque de cohérence entre les critères d'habilitation des formations utilisés par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et les critères du référentiel de la CPNEJ.
Établir un cursus de formation reconnu par l'ensemble de la profession est un objectif audacieux. Je salue sur ce point l'ambition des signataires de la convention collective nationale des journalistes. Mais cela ne suffit plus face aux évolutions récentes du secteur.
L'enjeu est de redonner de la crédibilité non seulement à ces formations, mais aussi à un métier aujourd'hui très contesté. Comme le rapport le souligne, la crise qui frappe les médias n'est pas seulement une crise économique, c'est aussi une « crise de crédibilité ». Ils rejoignent en cela le combat pour l'adoption d'un code de déontologie, outil indispensable à la profession pour qu'elle regagne la confiance du public. Les journalistes doivent, plus que toute autre profession, considérer qu'il existe une véritable attente du public, comme l'écrit Pierre ROSANVALLON, "pour une démocratie qui fasse la distinction entre le pouvoir de l'opinion et le pouvoir de la volonté, entre l'immédiateté et le long terme". Vous êtes particulièrement exposés à une évidente accélération du temps. Une réflexion collective s'impose donc pour repenser les fondamentaux du métier et mettre en perspective la question centrale de la formation.
Les grandes orientations esquissées en début de conférence par le Ministre de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur sur les référentiels de formation, ainsi que les actes de la conférence que ne manqueront pas de nous transmettre ses organisateurs, nous permettront d'esquisser un plan d'actions pour les mois à venir.
Autour de la description claire d'un référentiel des métiers déjà largement réalisé par la profession, il s'agit de définir les priorités : Comme Valérie PECRESSE l'a déjà expliqué, une reconnaissance unique sur le modèle de la Commission des Titres d'Ingénieurs (CTI) préconisé par la mission de Denis JEAMBAR et René SILVESTRE est séduisante mais elle est aujourd'hui prématurée. Un de nos premiers objectifs, déjà ambitieux, sera donc d'harmoniser et de faire converger les critères d'évaluation de la profession avec ceux de l'Etat. Cette harmonisation devra être fondée sur un référentiel actualisé des compétences souhaitées par la profession.
Si l'édition 2010 de la Conférence s'est consacrée en priorité à la formation initiale des journalistes, elle n'a pas pour autant négligé la formation continue, enjeu encore plus déterminant pour l'adaptation des équipes rédactionnelles au nouvel environnement numérique, pour le moins déroutant. Améliorer les conditions de la formation initiale, c'est sans aucun doute donner un gage pour une formation continue de qualité. Il nous semblait donc important de dégager l'horizon sur la formation initiale, avant de poursuivre sur le chantier ambitieux de la formation continue. Ce dernier fera sans nul doute l'objet de nouvelles rencontres d'ici la seconde Conférence nationale des métiers du journalisme qui se tiendra je l'espère en 2011.
Je tiens à nouveau à exprimer ce soir l'entière solidarité du ministère de la Culture et de la Communication avec toute la profession, réunie aujourd'hui dans un esprit constructif. Le foisonnement des réflexions dont cette Conférence nationale a témoigné est un signe très fort d'espoir pour le journalisme de demain. Cet esprit constructif, collaboratif, est la seule voie possible pour sortir la presse de la crise qu'elle traverse.
Même si le cap est maintenant plus clair après ces deux jours de débat, le chemin ne sera donc pas facile. Je suis néanmoins fier de celui que nous avons déjà parcouru ensemble depuis les premières recommandations du pôle présidé par Bruno FRAPPAT durant les Etats généraux. Les premières orientations concrètes présentées dans le rapport de Denis JEAMBAR et René SILVESTRE ont été mises en musique par des professionnels convaincus, emmenés par Patrick PÉPIN et Jacqueline PAPET, qui ont piloté cette première rencontre avec le soutien de la CPNEJ et de plusieurs partenaires. Je tiens ce soir à les remercier pour leur persévérance, leur enthousiasme et la qualité de leur travail. Je leur assure en retour ma propre détermination et mon soutien personnel, ainsi que celui de mes services, afin que cette conférence puisse vivre au-delà des 29 et 30 septembre. Car c'est bien un nouveau cycle que nous ouvrons ensemble. Le parrainage interministériel de cette Conférence témoigne d'ailleurs de l'ambition que l'Etat place dans la formation et le développement des compétences professionnelle au coeur de la défense des valeurs et des métiers du journalisme.
Pour Henri Poincaré, « la pensée ne doit jamais se soumettre, parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d'être ». Cet engagement des esprits libres contre toutes les formes de censure, c'est aussi le nôtre aujourd'hui, celui que le gouvernement mène pour la libération d'Hervé GHESQUIERE et Stéphane TAPONIER retenus depuis neuf mois en otage en Afghanistan. Ce soir, j'ai une pensée pour eux, leurs proches et leurs familles.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 5 octobre 2010