Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur le rayonnement culturel et les coopérations culturelles transfrontalières entre la France et l'Italie, Turin le 4 octobre 2010.

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Circonstance : Inauguration de l'Alliance Française à Turin le 4 octobre 2010

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Je reviens avec grand plaisir à Turin, dans cette capitale du Piémont qui a vu naître tant de grands artistes et tant de grands projets culturels : Cesare Pavese, Primo Levi, mais aussi l'Arte Povera, Giuseppe Penone - que j'ai eu le plaisir de décorer il y a quelques semaines, Michelangelo Pistoletto, et vous-même Monsieur le Président, cher Alain Elkann, qui avez publié dans notre langue les portraits délicats de Piazza Carignano mais aussi Le Père français, hommage sensible à votre père, lui qui fut à l'origine de tant d'initiatives culturelles entre l'Italie et la France. Votre belle région, le Piémont, et votre ville sont un laboratoire culturel, un foyer de création et d'expérimentation majeur en Europe.
Turin est aussi la porte d'entrée naturelle de la France. Une fois les Alpes franchis, nombre de voyageurs se sont retrouvés dans cette Outre-mont avec le sentiment de rencontrer un paysage qui ne leur est pas totalement étranger, à l'image de Stendhal dans son Voyage en Italie. Les liens historiques, culturels et linguistiques de la France et du Piémont ont en effet façonné une relation singulière, faite d'attraction et de réciprocité. Des souveraines de la Cour de Savoie, à l'image de Christine de France, fille d'Henri IV - votre Madama Cristina - aux émigrants piémontais partis vers la France au début du XXe siècle, à l'image d'Aldo Platini venu s'installer en Lorraine après la Grande Guerre, les relations personnelles et les liens d'affection qui unissent la France et le Piémont ne se sont jamais démentis.
Aujourd'hui l'intensité des relations économiques et les grands projets permettant de relier la France et l'Italie mobilisent encore cette vision partagée, ouverte sur l'Europe et sur les larges horizons. Pour entretenir cette perspective commune, la langue et la culture sont assurément des instruments de premier ordre : c'est toute l'ambition de notre diplomatie culturelle et de notre action de rayonnement dans le monde, c'est depuis plus d'un siècle la mission de l'Alliance française forte d'un réseau mondial et d'une expérience confirmée au service de la diffusion de la langue et de la culture française.
Je ne doute pas que l'Alliance française de Turin, créée au début de l'année 2010, tête de réseau d'un ensemble riche de 50 établissements répartis dans toute la péninsule, saura cueillir cet héritage et le transmettre, en lien avec le Service culturel de l'Ambassade de France et le futur Institut français, auquel mon Ministère entend apporter son appui et son expertise. Je me félicite à cet égard de la convention triennale 2011-2013 signée vendredi dernier entre le ministère des Affaires étrangères et la Fondation Alliance française, qui renforce le partenariat scellé entre les alliances françaises et les Instituts français - amenés à être l'appellation unique des anciens centres et instituts culturels dans le monde.
Fenêtres sur la France, sur sa langue, sur sa littérature, sur sa création, les Alliances françaises jouent un rôle de premier ordre dans le rayonnement de notre langue et de notre culture dans le monde. Elles jouent un rôle de passeur car il n'y a rien de tel que d'entendre le « bruissement de la langue » - pour reprendre Roland Barthes - afin de se familiariser avec un paysage culturel. Elles sont aussi des lieux d'échanges et de coopération avec les institutions et les acteurs culturels locaux, dont beaucoup sont présents aujourd'hui.
Grand ville universitaire, avec plus de 100 000 étudiants, Turin abrite le siège de l'Université franco-italienne, traduction de l'importance de la relation bilatérale dans le domaine de la formation de haut niveau et dans le domaine de la recherche. Turin est aussi un lieu d'excellence dans le domaine du Livre, avec la Fiera del Libro dirigée par Ernesto Ferrero - brillant traducteur du Voyage au Bout de la nuit de Céline - dans le domaine de l'art contemporain - avec la présence de collections de très haut niveau au Castello di Rivoli et dans les fondations Merz et Sandretto Rebaudengo, sans oublier l'activité des galeristes et des acteurs émergents. Qui peut oublier les rétrospectives consacrées au cours des dernières années à Philippe Pareno, à Adel Abdessemed ou bien les Luci d'artista avec la belle installation de Daniel Buren devant le Palazzo di Città ? Au cours des dernières années, Turin a accueilli avec engouement et passion la nouvelle scène française des arts visuels.
Avec l'auditorium de la RAI et celui du Lingotto, l'offre en matière de répertoire symphonique est tout à fait exceptionnelle. Par ailleurs, les théâtres et opérateurs du spectacle vivant ont toujours développé une attention particulière à l'égard de la création française, à l'image du festival Torino Danza dans le domaine de la danse, du Festival delle Colline dans le domaine de la dramaturgie contemporaine, du festival Teatro a Corte dans le domaine des arts de la rue. Je ne voudrais pas oublier le 7e art, avec le Museo nazionale del Cinema et son directeur, Alberto Barbera, membre du jury du dernier Festival de Cannes.
Je sais que des partenariats ont été noués au cours des années précédentes avec le Service culturel de l'Ambassade de France : je ne doute pas que l'Alliance française saura elle-aussi être un pont et un trait d'union pour répondre à la « demande de France ». En Piémont plus qu'ailleurs en Italie, la langue française est la langue du voisin, la langue qui offre d'autres possibles pour les jeunes en terme d'emplois et de loisirs.
Les coopérations transfrontalières qui se sont développées au cours des dernières années, avec l'appui de l'Union européenne, témoignent de ce lien singulier et puissant entre la France et le Piémont. De nombreux projets ont vu le jour dans le domaine de la coopération linguistique - à l'image de « l'Ecole du voisin » entre le Piémont et le rectorat de Grenoble - mais aussi dans le domaine de la coopération culturelle. Je pense notamment au très beau projet transfrontalier Carta bianca entre la Scène nationale Malraux de Chambéry et le Festival delle Colline torinesi : faire circuler les artistes, créer des réseaux, coproduire, ce sont les outils d'une relation plus forte et plus aboutie en Europe, au service de la connaissance mutuelle. Vous pouvez compter sur l'engagement de l'expertise de services de mon Ministère, et notamment de l'ONDA [Office national de diffusion artistique], pour développer ces réseaux européens ; qui sont au coeur de notre ambition pour une Europe de la culture. Je suis certain que le nouveau cadre de l'Euro-région Alpes Méditerranée contribuera fortement à ce renforcement des liens et des coopérations dans tous les domaines, notamment culturels.
Je veux enfin évoquer les coopérations prochaines et notamment la perspective du 150e anniversaire de la proclamation de l'Unité italienne à Turin en 2011. Je sais que vous y attachez une très grande importance, cher Alain Elkann, et je ne doute pas que vous saurez trouver les manifestations et les événements adéquats pour célébrer l'amitié et les liens puissants entre nos deux peuples. Depuis le soutien militaire et diplomatique apporté par Napoléon III au projet cavourien jusqu'aux liens tissés par l'immigration italienne en France, une relation singulière, faite de proximité et de complicité, s'est instaurée entre la France et l'Italie. Que l'on songe à Yves Montand, à François Cavanna, à Sylvie Testud ou encore à Michel Platini, la « part d'Italie » qui sommeille chez nombre de nos compatriotes est fortement présente : elle est inséparable d'une relation singulière à la langue, à l'univers esthétique, à la mémoire des lieux.
Je ne doute pas que nous saurons trouver les moyens de célébrer la vitalité et l'actualité de cette relation à l'occasion des grandes manifestations qui ponctueront cette année de commémorations à Turin, mais aussi ailleurs. Je suis en effet persuadé que cette relation doit se nourrir de la réciprocité : les jeunes auteurs de langue italienne sont connus et traduits en français, les dramaturges - je pense à Ascanio Celestini, à Emma Dante, à Pippo del Bono - sont représentés, d'importants projets engagent nos deux Ministères, à l'image de la Bibliothèque numérique européenne Europeana. Ils sont un des éléments majeurs de la relation de confiance et de proximité entre nos cultures et nos artistes.
Cela passe bien entendu par la compréhension et la connaissance de la langue de l'autre. Je souhaite donc que l'Alliance française de Turin soit l'un des maillons de cette longue chaîne. Forte d'un Conseil d'administration de très haute qualité, soutenu par un réseau mondial à l'expertise reconnue, inscrite dans un quartier en pleine transformation et en devenir [San Salvario], elle est aujourd'hui un « coin de France » dans Turin, elle sera demain un acteur culturel majeur dans la relation entre le Piémont et la France.
Dans L'art de vivre, le grand écrivain piémontais Cesare Pavese, merveilleux conteur de ces paysages du Piémont pré-alpin où coulent les torrents et où les arbres s'effeuillent une fois le rigoureux hiver advenu, affirme : « On ne se souvient pas des jours, on se souvient des instants ». Je suis certain que les Turinois qui aiment la France et la langue française se souviendront dans les années à venir de cet instant qui nous rassemble.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 5 octobre 2010