Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur le poids, les ambitions et les objectifs de la Francophonie, Montreux le 20 octobre 2010.

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Circonstance : Conférence ministérielle de la francophonie à Montreux (Suisse) le 20 octobre 2010

Texte intégral

Madame la Cheffe du Département fédéral des Affaires étrangères, Chère Micheline Calmy-Rey,
Merci pour cette belle conférence et merci pour votre belle autorité.
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Secrétaire général, Cher Abdou Diouf,
L'Organisation Internationale de la Francophonie a quarante ans. C'est, je le disais à New York il y a quelques semaines, l'âge des choix, l'âge après lequel, dirait Camus, «tout homme est responsable de son visage». L'OIF, sous l'impulsion de notre ami très respecté Abdou Diouf, a fait le choix de l'ambition : celui d'élargir son projet initial pour porter des combats politiques et peser sur les reconfigurations du monde. Nous avons l'opportunité ici, à Montreux, de confirmer cette ambition politique.
Je suis venu avec trois messages.
Mon premier message : nous devons avoir confiance dans nos propres forces, confiance dans l'avenir de notre espace commun.
Le dernier rapport de l'OIF sur «La langue française dans le monde» en témoigne, la francophonie ne décline pas. Au contraire, elle progresse :
- le monde compte désormais 220 millions de Francophones - ils devraient être un demi milliard en 2050 ;
- le français est la langue officielle ou de travail dans 32 Etats ;
- c'est la 3ème langue sur internet ;
- la seconde, après l'anglais, à être enseignée dans le monde,
- le cinéma et la littérature en langue française sont les plus diffusés après les productions anglo-saxonnes.
Et cette dynamique a toutes les chances de se poursuivre. La bonne nouvelle, c'est que l'Afrique - où vivent la moitié des Francophones - a pris le train de la mondialisation. Malgré les difficultés, les crises, elle affiche un taux de croissance économique de plus de 5 %. Nous entrons dans le «temps de l'Afrique». J'en suis persuadé. Et c'est une chance pour la francophonie.
L'avenir donc nous appartient si nous savons être audacieux, ambitieux. Si nous savons renouveler nos approches. La Francophonie ne continuera à progresser que si elle est ouverte : ouverte à la créativité linguistique ; ouverte aux vecteurs de communication globale, en particulier Internet ; ouverte aux autres langues et aux autres cultures ; ouverte aussi à l'anglais, car la concurrence est un combat d'arrière garde. Ouverte enfin aux grands débats qui agitent la planète.
Cette francophonie ouverte, c'est celle à laquelle nous invitent nos créateurs, nos écrivains. Je pense à Edouard Glissant, Jean-Marie Le Clézio, Nancy Houston, Tahar Ben Jelloun, pour n'en citer que quelques uns. Mais nous pourrions évoquer aussi le Prix Nobel Mario Vargas Llosa. Il y a quelques temps, ils appelaient à mettre la diversité du monde, le «frisson de l'altérité et de l'inconnu», au coeur de la littérature en langue française... Ils réclamaient une «littérature-monde» en français, «libérée du pacte exclusif avec la nation», dé-provincialisée, une littérature qui ne connaîtrait «d'autres frontières que celles de l'esprit». Ils avaient raison.
Mon deuxième message concerne les résultats que nous attendons de ce Sommet. Nous devons dépasser les avancées réalisées à Québec, en particulier sur les trois enjeux inscrits à l'ordre du jour de cette réunion : le développement durable, la gouvernance mondiale, la langue française.
1/ Sur la promotion de la langue française : continuons à nous mobiliser pour affirmer nos exigences dans les enceintes internationales, en particulier à l'ONU, dont un tiers des membres sont francophones. Ces exigences sont bien connues : le strict respect de la langue française comme langue officielle et langue de travail ; le renforcement de la participation des effectifs francophones aux opérations de maintien de la paix, en progrès depuis le Sommet de Québec, mais encore insuffisante.
2/ Sur la réforme de la gouvernance mondiale :
- rappelons-nous que sous la pression de la crise financière, le Sommet de Québec avait lancé l'idée de sommets financiers - dont est issu le G20 - et marqué une avancée sans précédent dans la solidarité des Francophones. Inscrivons le Sommet de Montreux dans cette dynamique pour aboutir à des consensus déterminés et des engagements opérationnels, notamment sur les questions qui intéressent au premier chef les pays francophones : l'agriculture, l'alimentation, la régulation financière. Dans quelques jours (12 novembre), la France prendra la Présidence du G20, avant de prendre celle du G8, en janvier prochain. Nous veillerons à ce que soient prises en compte vos préoccupations.
- Alors que se multiplient les forums internationaux, nous devons rester vigilants à l'articulation entre les différentes enceintes et au rôle prééminent qui doit revenir aux Nations unies. Mais il faut aussi que l'ONU gagne en efficacité et, bien sûr, en représentativité. Il faut que l'ONU se réforme. Mettons-nous d'accord pour relancer cette réforme, en particulier celle du Conseil de sécurité. Car aujourd'hui, le statu quo n'est plus tenable.
3/ Sur le développement durable, la Francophonie a des choses à dire, une vision à faire valoir. Ce Sommet est l'occasion de prendre des positions exigeantes pour assurer l'avenir de nos enfants :
- à la veille du Sommet de Cancún sur la lutte contre le changement climatique, adoptons une position commune en faveur d'un texte juridiquement contraignant pour remplacer la Convention des Nations unies sur le changement climatique.
- un mois après le Sommet sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement, nous devons confirmer notre volonté de trouver des financements innovants pour le développement.
Enfin, au-delà des trois grands points inscrits à l'ordre du jour, nous devons saisir l'opportunité de la résolution sur les droits de l'Homme «Bamako + 10» pour porter plus loin nos exigences en matière d'Etat de droit, de démocratie et de droits de l'Homme, en particulier sur la question de l'égalité hommes/femmes, sur la justice pénale internationale, sur la liberté d'expression sur Internet. La nécessaire régulation de cet espace de communication mondial ne doit pas mettre en danger le droit qu'a toute personne de chercher, recevoir et diffuser, sans considération de frontières, les informations et les idées.
Sur tous ces sujets, il est important que nous adoptions des positions communes. De notre capacité à dégager des consensus, à dépasser nos divergences - inévitables sur certaines questions - dépendra la capacité de la francophonie à peser sur l'évolution du monde, à faire valoir ses principes de pluralisme, de liberté, de justice, de solidarité.
Mon troisième message : c'est que la francophonie est et restera une priorité de la politique étrangère de la France.
La nomination comme représentant personnel du président de la République pour la Francophonie, de l'ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, en témoigne.
En témoigne également la création à Paris, avenue Bosquet, de la Maison de la Francophonie ; je suis heureux d'annoncer que cette maison est désormais prête à accueillir, dans quelques semaines, le président Diouf et tous ses collaborateurs.
Les efforts de la diplomatie culturelle française pour promouvoir le français dans le monde sont également une illustration de notre priorité francophone. Sachez que le souci de promouvoir la langue française est au coeur de la grande réforme que nous avons engagée et qui va conduire à la création, en janvier prochain, de l'Institut Français. Cette grande agence culturelle, que présidera Xavier Darcos, aura notamment pour mission de développer la langue française dans le monde. Avec les Alliances françaises, nous compterons plus de 1 000 points de valorisation de la langue française et des cultures francophones avec votre aide à tous.
Chers Amis, nos valeurs n'ont jamais été plus actuelles. La diversité culturelle, bien sûr, de plus en plus indispensable dans nos sociétés ouvertes !
Mais aussi la paix, les droits de l'Homme, la justice économique, le développement durable. Ces valeurs, nous devons inlassablement les porter, les défendre et les promouvoir de par le monde, et en particulier dans les enceintes internationales, comme le fait si bien Abdou Diouf, avec obstination, talent, efficacité. C'est pourquoi la France, avec respect et une grande amitié, espère vivement sa réélection.
Ici, à Montreux, dans la patrie de Rousseau, donnons corps à cet esprit de diversité culturelle, de libertés et de solidarité, qui fait la singularité de notre communauté.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 octobre 2010