Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Chacun aura pu le constater en vous écoutant, Monsieur le Président : depuis son installation, le 11 juin 2009 à Avignon, la commission que vous aviez la lourde charge d'animer n'a pas ménagé sa peine, avec, à la clef, 128 propositions pour affirmer et rendre plus visible encore le lien consubstantiel qui unit culture et université.
D'emblée, je voudrais donc vous adresser, à vous-même, Monsieur le Président, ainsi qu'à chacun des membres de votre commission, tous mes remerciements pour l'ampleur et la qualité du travail que vous avez accompli. Au-delà du clin d'oeil à une certaine collection bien connue des étudiants, le nombre impressionnant des propositions que vous formulez démontre que l'université est, d'ores et déjà, un lieu où les idées et les initiatives culturelles foisonnent.
Car vous venez de le rappeler, dès le lendemain de l'installation de votre commission commençait un flot ininterrompu de messages et de coups de fil venu du monde universitaire, avec tous un même objectif : celui de partager avec votre commission des expériences, de nouvelles idées ou des coups de coeur.
On ne saurait mieux dire que le monde universitaire s'est fait depuis longtemps le chantre des pratiques culturelles. Mais derrière l'abondance des sollicitations se faisait aussi jour une attente : celle de voir mieux reconnues les initiatives prises, dans chaque établissement, par des services et des personnalités fortes qui, malgré leur engagement, se sentent parfois isolées.
Et tel était l'enjeu de la mission qui vous était confiée, Mesdames et Messieurs, et que vous avez parfaitement conduite à son terme : non pas définir, de manière abstraite et pour ainsi dire déconnectée du réel, ce que devrait être une politique culturelle pour nos universités ; mais bien plutôt partir des actions d'ores et déjà conduites sur le terrain, pour leur donner une plus large audience et permettre à tous ceux qui, dans nos établissements, sont prêts à prendre des initiatives, de disposer d'un répertoire des meilleures pratiques.
C'est la raison pour laquelle, Monsieur le Président, vous avez tenu à ce que nombre de ces personnalités qui vous ont accompagné tout au long de votre réflexion soient également présentes ce matin : je voudrais à mon tour leur adresser mes remerciements, pour la contribution décisive qu'ils ont apportée à ce rapport, qui sera diffusé à l'ensemble des universités. Elles y puiseront, j'en suis certaine, de nombreuses idées pour alimenter leur propre politique culturelle.
* La politique culturelle au coeur du projet des établissements et des PRES
Je dis bien « leur propre politique culturelle ». Car au moment où l'immense majorité des universités est déjà ou s'apprête à devenir autonome, il nous faut nous déprendre de la tentation de définir, à l'échelle nationale, ce que doit être la politique culturelle d'une université.
Bien sûr, certaines actions ont par nature un rayonnement et un ancrage national. Je pense en particulier au projet que vous avez évoqué, Monsieur le Président, celui de créer une vidéothèque numérique pour l'ensemble des étudiants, qui mettrait à leur disposition via leur espace numérique de travail les chefs d'oeuvre du 7e art auxquels ils sont de moins en moins nombreux à accéder.
Réussir un tel projet suppose la mobilisation de tous. Nous y travaillons avec Marin Karmitz et le Conseil de la création artistique. Mais ce projet ne pourra aboutir qu'à la condition que tous les partenaires concernés s'engagent au service d'une très belle cause, la transmission d'un patrimoine cinématographique menacé de disparition si nous ne formons pas les cinéphiles de demain.
Mais ces actions nationales, aussi ambitieuses soient-elles, ne produiront leurs effets que si elles sont relayées par une véritable politique culturelle d'établissement. C'est tout l'esprit de la refondation de notre enseignement supérieur sur le socle de l'autonomie. Car notre conviction, c'est que le rayonnement de nos universités sera d'autant plus grand que chacune d'elle aura les moyens d'affirmer sa singularité en construisant son propre projet.
Et ce qui est vrai d'une politique de formation et de recherche l'est plus encore d'une politique culturelle, qui s'ancre par définition dans la vie culturelle d'un territoire : ce sont les liens qu'entretient un établissement avec les artistes, les festivals, les théâtres et les associations qui l'environnent qui donne son sens à sa politique culturelle. Et vous le savez mieux que quiconque, Monsieur le Président, puisque vous avez su faire de votre établissement un acteur à part entière du festival d'Avignon !
Ce sont tous ces liens qui offrent aux étudiants et aux personnels la possibilité de participer à nombre d'événements ou d'activités culturelles. Et c'est à ces acteurs locaux qu'il faut ouvrir les portes de l'université, que ce soit pour y accueillir des artistes ou des spectacles, mais aussi pour offrir à toute personne intéressée la possibilité de suivre un cycle de conférences proposé par nos enseignants-chercheurs.
Mais je veux aussi le souligner, dire que la politique culturelle se construit à l'échelle d'une université, c'est aussi reconnaître qu'elle doit naturellement bénéficier des liens que l'université a tissé avec d'autres établissements ou aux actions conduites en commun avec les CROUS.
Car le deuxième écueil que nous devons éviter, c'est celui d'une action culturelle éclatée et morcelée, qui, parce qu'elle s'élaborerait à l'échelle du seul établissement, perdrait de sa force et de son rayonnement.
Et ce risque, nous devons d'autant plus le conjurer que la vie culturelle universitaire se prolonge naturellement dans d'autres lieux que les amphithéâtres ou les salles de cours : je pense en particulier aux résidences et aux restaurants universitaires, qui, parce qu'ils sont des lieux de vie étudiante doivent aussi être des lieux de culture.
Et ils le sont déjà bien souvent : vous évoquez, Mesdames et Messieurs, les initiatives originales du CROUS de Poitiers pour faire rimer restauration universitaire avec découverte de la gastronomie. Mais je pense aussi au concours « musique de RU » lancé par le CROUS de Bordeaux. Les actions que je viens d'évoquer, et elles sont nombreuses, doivent trouver un écho direct dans nos universités, qui pourront en retour les nourrir et les accompagner.
Par définition, la culture se nourrit de l'ouverture: elle suppose le dialogue des disciplines et la mise en commun des talents. Elle a donc toute sa place dans les regroupements universitaires - je pense en particulier aux pôles de recherche et d'enseignement supérieur, ces PRES qui permettent à nos universités et à nos grandes écoles d'affirmer leur projet propre tout en mettant en commun leurs forces pour rayonner plus encore.
A Grenoble ou à Lille, c'est ce que font d'ores et déjà les PRES, avec un vrai succès. C'est pourquoi je souhaite que chaque PRES se dote désormais d'un projet culturel, bâti en partenariat avec les CROUS, pour permettre à un plus grand nombre encore d'étudiants et de personnels de bénéficier des initiatives et des actions culturelles engagées. J'ai dit aux présidents de PRES que j'attendais d'eux qu'il bâtisse, pour la fin de l'année, leurs projets en matière de vie étudiante. Eh bien, la culture devra y trouver toute sa place.
* Décloisonnement entre enseignement supérieur et enseignement artistique et culturel
Et dans ce même esprit de décloisonnement, je souhaite que les liens qui se nouent de plus en plus souvent entre les universités et les écoles d'art relevant du ministère de la culture permettent de construire de nouvelles actions culturelles communes.
D'ores et déjà, les partenariats universitaires et scientifiques se développent. Cette année, nous avons travaillé avec le Ministère de la culture et la communication pour permettre à 8 nouvelles écoles de délivrer à leurs étudiants le grade de Master, 8 nouvelles écoles dont les conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse de Paris et de Lyon, mais aussi l'Ecole nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD) ou bien encore l'Ecole nationale supérieure d'art de Dijon et l'Ecole supérieure d'art et de design de Saint-Etienne.
Et ce n'est qu'un début, car dans les mois qui viennent, ce sera la totalité des 52 écoles qui délivrent le diplôme national supérieur d'expression plastique (DNESP) ou un diplôme équivalent qui aura été évaluée par l'AERES, avec à terme, si l'évaluation est positive, le grade européen de Master pour leurs étudiants.
Ce processus est aussi l'occasion de décloisonner le monde de l'enseignement supérieur et celui de l'enseignement artistique et culturel. Pendant trop longtemps, on a considéré que le monde de la formation et de la recherche était étranger à celui de la création. C'est absurde !
Sans confrontation à la pratique culturelle, la réflexion esthétique est vide : les universitaires le savent bien. Et sans inscription dans une démarche esthétique, la création artistique est aveugle : il n'est aucun artiste pour l'ignorer. C'est pourquoi les passerelles et les partenariats doivent se multiplier : avec Frédéric Mitterrand, nous travaillons en ce sens.
Et mon souhait, aujourd'hui, c'est que les pôles d'enseignement supérieur et de recherche ouvrent largement leurs portes aux écoles d'art et aux établissements relevant du Ministère de la culture. Ils y ont toute leur place, y compris dans les pôles et les campus scientifiques, comme à Saclay : cela permettrait d'ouvrir de nouveaux horizons et de nouvelles perspectives à tous nos étudiants, sur le plan de la vie culturelle, bien sûr, mais aussi du point de vue de la formation.
* Culture et ouverture des champs disciplinaires
Car se pencher sur la culture à l'université, vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, c'est bien sûr évoquer les pratiques artistiques, mais c'est aussi mettre en lumière les effets du savoir sur une réflexion et une personnalité. Car la culture dépasse le champ des connaissances acquises et enseignées pour renvoyer à la manière dont elles ensuite viennent éclairer et guider en permanence les choix intellectuels et personnels d'un individu.
Et en ce sens, l'université est le lieu de la culture par excellence. Car elle est le seul lieu où tous les savoirs, toutes les connaissances, aussi spécialisées soient-elles, peuvent se rencontrer et entrer en résonance. Pour nos universités, c'est une incroyable force que cette universalité : c'est un atout pour notre recherche, qui bien souvent se construit aujourd'hui autour de projets aux frontières des différentes disciplines ; mais c'est un atout aussi pour nos formations et pour nos étudiants.
C'est tout l'esprit du plan Licence : construire un premier cycle plus progressif, cela ne veut pas seulement dire laisser le temps aux étudiants de mûrir leurs choix, cela signifie aussi leur permettre de se faire une culture, une culture qui les enrichira sur le plan personnel et intellectuel.
Et pour nombre de cursus, la question de la culture générale des étudiants devient, me semble-t-il, une question à part entière. Je pense, par exemple, aux historiens, qui ont besoin d'étudiants qui soient aussi des latinistes et des hellénistes, mais aussi aux philosophes, qui attendent de leurs étudiants qu'ils se soient aussi frottés aux sciences que l'on dit dures. Et en retour, ces mêmes disciplines manquent sans doute de jeunes esprits qui aient des notions de sociologie, d'histoire ou bien encore de philosophie.
C'est pourquoi, dans le cadre de la réflexion que j'ai engagée sur la construction de référentiels pour les Licences, je souhaite que les différentes communautés de l'enseignement supérieur et de la recherche se penchent sur cette question de la culture qu'elles attendent de leurs étudiants.
Une culture qui n'est pas seulement la culture littéraire en général ou la culture scientifique en général, mais qui au-delà des grandes articulations des champs du savoir, donne à tout étudiant une véritable assise intellectuelle.
Là encore, lorsque cela est possible, dans le cadre des PRES ou bien encore des universités pluridisciplinaires, je crois que nous devons réfléchir à la possibilité d'offrir à tout étudiant des enseignements d'ouverture dans les champs qui ne sont pas les siens : même si ce n'est pas sa spécialité, chaque étudiant doit pouvoir se frotter aux humanités et aux sciences sociales, découvrir les sciences exactes ou bien encore étudier les grandes notions juridiques et économiques.
* Culture et vie associative
Et c'est aussi cette universalité des savoirs enseignés qui permettra à nos étudiants de se forger non seulement une culture, mais également une identité commune.
Aujourd'hui, et c'est un paradoxe, nos étudiants, lorsqu'ils ne suivent pas les mêmes cursus, ne se rencontrent réellement qu'en dehors de nos universités, dans des lieux de sociabilité qui, faute d'avoir construit jusqu'il y a peu encore, de vrais campus à la française, ne sont en rien liés à nos universités.
Comment, dans ces conditions, s'étonner de la faiblesse de notre imaginaire collectif en matière d'universités ? Chacun de nous garde le souvenir de sa vie d'étudiant, sans pour autant la relier directement à l'établissement où il faisait des études. En somme, entre vie étudiante et vie d'étudiant, il y a dans notre pays un fossé, un fossé qui explique l'absence de cette identité collective qui fait, par exemple, la force des universités nord-américaines.
Des cérémonies de remise des diplômes commencent à voir le jour. C'est pour moi un signe de l'apparition d'une véritable fierté universitaire, une fierté que nous devons cultiver et prolonger, en multipliant les occasions pour les étudiants de se rencontrer au sein de leurs établissements.
C'est pourquoi je souhaite que les engagements collectifs des étudiants, et notamment les engagements associatifs, soient mieux reconnus et valorisés, en allant pourquoi pas jusqu'à l'attribution de crédits ECTS. Car vous l'avez parfaitement souligné, les clubs et les associations de toute sorte sont la meilleure des manières d'affirmer une culture commune au sein d'un établissement et de développer le sentiment d'appartenance.
Nous ne sommes pas dans le registre du détail ou du simple « à coté ». La vie étudiante est un élément essentiel d'épanouissement et de réussite : elle rompt l'isolement que certains étudiants ressentent en rentrant à l'université, elle leur permet de nouer des liens et des contacts qui sont essentiels pour le succès de leurs études. L'université forme des têtes bien faites, mais ces têtes bien faites ne sont pas de purs esprits : elles appartiennent à des étudiants épanouis et engagés.
Et j'en suis convaincue, les bureaux des étudiants ont un rôle essentiel à jouer dans la communauté universitaire. Je souhaite qu'ils deviennent des relais de l'action culturelle dans nos établissements et je suis prête à ouvrir ce chantier avec les présidents d'université et les vice-présidents étudiants de nos établissements. Au bout du processus, il pourrait y avoir une charte des BDE, qui définirait nos ambitions partagées pour la vie culturelle étudiante.
Car les étudiants doivent être les acteurs, les porteurs et je dirais même les inventeurs de la culture au sein des universités. Qui pourrait mieux jouer qu'eux, qui associent jeunesse et créativité, le rôle d'ambassadeur et pourquoi pas de moteur de la création à l'université ?
* Créativité et image de l'université
Et vous l'avez constaté, Mesdames et Messieurs, ils sont déjà nombreux, en marge de leurs études, à s'engager dans des activités culturelles. Je suis donc très heureuse, Monsieur le Président, que vous les ayez largement associés aux travaux de votre commission. Car cette créativité qui est la leur, je souhaite qu'elle puisse s'exprimer et se trouver valorisée dans le cadre universitaire.
D'ores et déjà, les CROUS soutiennent près de 1 000 projets étudiants chaque année et organisent des concours de nouvelles, de bande-dessinée, de musique, de danse, de court métrage ou de photographie qui ont désormais un rayonnement et une reconnaissance nationales à l'occasion d'une cérémonie officielle de remise des prix.
Je suis très attachée à ces opérations, qui sont une occasion unique de mettre en lumière la créativité de nos étudiants. Car c'est cette qualité, la créativité, qu'elle soit artistique, intellectuelle ou scientifique que nous essayons par-dessus tout de cultiver dans nos universités. Et la raison en très simple : c'est leur marque de fabrique et cela doit à nouveau se savoir.
C'est pourquoi je vais donner le coup d'envoi, dans quelques jours, du concours « Beau à savoir ». Son principe est simple : donner carte blanche aux étudiants pour mettre en lumière et en valeur leur vie à l'université. Vidéo, photo, textes, tous les moyens seront bons pour affirmer cette fierté étudiante qui monte dans nos campus.
Et pour lui donner le plus large écho, tous les projets seront en ligne sur un blog qui leur sera consacré et les internautes pourront faire circuler les créations. Pendant deux mois, nos étudiants pourront ainsi rivaliser d'imagination sur Internet.
Alors, vous le voyez, Mesdames et Messieurs, renforcer le lien entre la culture et l'université, c'est non seulement contribuer directement à la démocratisation des arts et du savoir. C'est aussi réaffirmer une évidence, trop longtemps oubliée : nos universités sont non seulement des lieux de transmission, mais aussi des lieux de culture, d'une culture vivante, imaginative et féconde.
C'est sa marque de fabrique : avec la refondation de nos universités, elle devient à nouveau visible. Et nous avons toutes les raisons de nous en réjouir.
Source http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr, le 7 octobre 2010