Entretien de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, avec le quotitien "Le Parisien", le 1er avril 2001, sur la dénonciation du protocole de Kyoto relatif à la réduction des gaz à effets de serre par le Président américain Goerge W. Bush, les nouveaux responsables de la politique étrangère américaine, l'embargo sur l'Irak et la situation du Proche-Orient.

Prononcé le 1er avril 2001

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Média : Le Parisien

Texte intégral

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Q - Vous rentrez des Etats-Unis alors que le président George W. Bush vient de dénoncer le protocole de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre
R - Avec les Etats-Unis, voilà un premier problème : ce dossier du climat. Sauf si tous les scientifiques du monde se trompent, ce qui ne peut être le cas, c'est assurément l'affaire la plus grave de toutes. Quand on sait que les Etats-Unis sont responsables d'au moins 25 % des rejets de gaz à effet de serre, il n'est pas pensable qu'ils s'en lavent les mains. A Washington, j'ai posé la question. Il y a un problème, ont admis les Américains. Comment pourraient-ils dès lors se dispenser de contribuer à la solution ? La balle est donc dans leur camp. On ne peut pas imaginer qu'il s'agisse là du dernier mot d'un pays aussi important. Cette question peut devenir un sujet majeur de désaccord entre eux et le monde entier.
Q - Comment avez-vous trouvé le général Colin Powell, le nouveau secrétaire d'Etat ?
R - J'ai trouvé en Colin Powell un homme positif et ouvert. Manifestement, il sait écouter, et dialoguer. Avec lui, on peut parler clairement. J'ai aussi rencontré le vice-président Dick Cheney, la conseillère du Bush pour la sécurité nationale, Mme Condoleezza Rice, ainsi que les présidents des commissions des Affaires étrangères du Sénat et de la Chambre des représentants. C'est une administration qui est en train de s'installer, et tous les arbitrages ne sont pas rendus. Elle est au départ sur une ligne-dure. Il faut réfléchir à cette situation nouvelle.
Q - Dix ans après la fin de la guerre du Golfe, il y a toujours un embargo contre l'Iraq. La position américaine va-t-elle évoluer ?
R - Colin Powell a lui-même reconnu que l'embargo "ça ne marchait pas", et qu'il fallait rechercher désormais un système plus intelligent, ce que nous disons, nous, depuis deux ou trois ans. Mais leur position n'est pas arbitrée : c'est une phase de gestation. Cette équipe gouvernementale est très consciente de la puissance et des intérêts de l'Amérique, et, du coup, très carrée. Ils savent ce qu'ils sont.
Q - Leader de l'opposition tunisienne, Mohammed Charfi affirme que "Ben Ali se prépare à une présidence à vie", comme Habib Bourguiba. Comment jugez-vous l'évolution politique de la Tunisie ?
R - On ne peut que constater qu'une frustration démocratique grandit en Tunisie. Et qu'une malaise est exprimé aujourd'hui par des personnalités modérées. La réussite économique des gouvernements successifs sous la présidence de Ben Ali est suffisamment grande pour que le régime puisse évoluer davantage sur le plan politique, se moderniser, franchir quelques étapes en matière de démocratisation. Il y a une marge de manuvre. Nous souhaiterions que les responsables sachent l'utiliser à bon escient. D'où notre perplexité.
Q - Au Proche-Orient, les raids de représailles de l'armée israélienne succèdent aux attentats suicides des ultras palestiniens
R - La situation n'a jamais été aussi grave depuis quinze ou vingt ans. Il n'y a plus que défiance entre les deux communautés. On constate une tension extrême et un désastre humain car tous les fils ont été rompus. Situation lourde de menaces. Il est clair que l'urgence absolue, c'est d'éviter que la situation empire. Il faut arrêter l'escalade. Mais cela suppose, de part et d'autre, un vrai courage politique. Il faudrait que l'armée israélienne lève le bouclage des Territoires palestiniens, et fasse preuve de retenue. Il faudrait que l'Autorité palestinienne fasse tout ce qui est en son pouvoir pour limiter la violence, les provocations et, évidemment, le terrorisme. Il faudrait enfin que les Israéliens gèlent la colonisation qui se poursuit sans désemparer depuis trente-trois ans. Stopper l'engrenage de la violence, c'est la priorité des priorités.
Q - L'Intifada, qui dure depuis six mois, "continuera jusqu'à ce que le drapeau flotte sur Jérusalem", déclare Yasser Arafat
R - C'est la preuve que le désespoir, la haine et la colère des Palestiniens sont tellement grands qu'ils se disent qu'ils n'ont plus rien à perdre. D'autant qu'ils sont asphyxiés sur le plan économique par le blocus des Territoires. C'est tragique. Nous sommes donc face à un grand danger d'explosion, qu'il faut conjurer
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 avril 2001)