Interview de M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, à France 2 le 4 novembre 2010, sur l'existence de menaces terroristes en France et le plan Vigipirate.

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Média : France 2

Texte intégral

R. Sicard.- Deux personnes ont été mises en garde à vue hier en Seine-Saint- Denis. Est-ce qu’il s’agit d’une affaire liée à une affaire terroriste ?
 
Oui, deux personnes ont été interpellées, deux frères.
 
Ce sont des Français ?
 
Oui. Ils ont été non seulement interpellés mais effectivement placés en garde à vue et ils ont été interpellés pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste. Ce sont donc des présomptions qui sont des présomptions graves. Ils sont en ce moment même entendus, mais cela rappelle que les services, et notamment les services de renseignement, sont extrêmement attentifs, extrêmement vigilants. Vous citez ces deux cas mais il y en a d’autres. Depuis par exemple le 1er janvier, il y a eu 87... 85 interpellations depuis le 1er janvier, et 27 d’entre eux sont aujourd’hui écroués.
 
Mais les deux personnes dont on parle, on sait qu’elles préparaient un attentat en France ?
 
Ça, c’est précisément ce qu’ils vont dire à l’occasion de l’audition pendant leur garde à vue qui pourra le démontrer ou pas. Mais il y a, encore une fois, une action très précise, très pointue et très complexe de la part des services de renseignement afin de lutter contre toutes les formes de préparation d’actes terroristes.
 
Est-ce que vous considérez qu’aujourd’hui il y a une montée de la menace terroriste en France ?
 
Incontestablement, il y a un faisceau d’informations qui nous conduisent à être particulièrement vigilants. Cela a débuté à la mi-octobre, avec des renseignements de services étrangers partenaires. Cela a été confirmé par les Américains, cela a été souligné par les services d’Arabie Saoudite, concernant des informations recueillies auprès d’Al-Qaïda Péninsule Arabique, à côté de celles provenant d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique. Et puis il y a tous ces actes que vous connaissez, c’est-à-dire toutes ces déclarations, c’est-à-dire mercredi dernier des déclarations d’O. Ben Laden qui ont été authentifiées.
 
Visant la France explicitement ?
 
Bien sûr, authentifiées à 99,99 %, donc on est maintenant sûrs que ce sont des déclarations effectivement d’O. Ben Laden qui visaient, et vous avez raison, pour la première fois exclusivement notre pays. Et puis, il y a eu ensuite les colis piégés provenant du Yémen à destination des États-Unis. Je vous indique par exemple qu’un des colis a été désamorcé, un de ces colis piégés a été désamorcé seulement 17 minutes avant le moment de l’explosion prévue. Et puis, il y a eu dans un autre domaine les colis piégés, le colis piégé destiné au président de la République, adressé par un mouvement d’ultra gauche...
 
Mais il n’était pas lié au terrorisme d’Al-Qaïda...
 
Non, mais il y a trois formes de terrorisme en réalité aujourd’hui qui concernent notre pays. Il y a d’abord le terrorisme provenant de l’ETA, le mouvement révolutionnaire séparatiste basque espagnol, et nous lui portons des coups très durs grâce à un partenariat avec les Espagnols extrêmement positif. Il y a, deuxième forme de terrorisme, c’est ceux qui viennent de l’ultra gauche et notamment regardez ce qui s’est passé à Athènes : un colis destiné au président de la République, et au total, il y avait douze colis qui étaient ainsi répartis à destination d’un certain nombre de pays ou d’interlocuteurs. Et puis, il y a bien évidemment l’islamisme radical qui est une menace forte, réelle. D’ailleurs vous avez observé que j’avais décidé en plein accord avec le président de la République, à l’époque, dès la mi-octobre, de l’évoquer publiquement.
 
On vous l’a reproché, notamment à gauche...
 
Précisément, j’avais fait le choix d’informer sans alarmer car il ne s’agissait pas de surestimer ni de...
 
On a dit que vous aviez affolé...
 
Précisément, j’ai informé sans alarmer. Il ne s’agissait pas de sous-estimer ni de surestimer mais regardez ce qui s’est passé. Je n’aurais rien dit, alors les Américains se sont exprimés trois, quatre jours après, c’est-à-dire qu’il y avait deux solutions : soit les services français étaient incompétents - ce qui n’est naturellement pas le cas -, soit il y avait de notre part une volonté de masquer. Ceux qui me l’ont reproché, aujourd’hui on ne les entend plus parce que naturellement, dans un souci de transparence, d’honnêteté, il faut dire la vérité à nos compatriotes, encore une fois sans alarmer, mais avec le seul souci d’informer et nous avons bien fait. Aujourd’hui, démonstration en est faite.
 
Le danger vient d’où aujourd’hui ? Principalement du Yémen ?
 
Alors, bien évidemment, le Yémen est un pays extrêmement sensible puisqu’on sait que dans cette partie du monde, il y a une poussée et une zone d’implantation d’Al-Qaïda, donc une implantation islamique forte. Nous avons d’ailleurs agi, nous avons agi immédiatement. Nous sommes terriblement actifs grâce, encore une fois, aux services de renseignement, c’est-à-dire aussi bien à la DGSE que la Direction centrale du renseignement intérieur qui dépend du ministère de l’Intérieur. Donc la menace provient en partie du Yémen, pas seulement, et nous sommes extrêmement vigilants sur ce point.
 
Est-ce que la France est une cible privilégiée des terroristes ?
 
En tout cas, Al-Qaïda au Maghreb Islamique l’a dit à plusieurs reprises, son chef l’a dit à plusieurs reprises et ce qu’a dit O. Ben Laden le démontre. Mais encore une fois, il faut effectivement ne pas alarmer inutilement, nous sommes actifs, regardez comme nous avons été capables de prendre des décisions immédiates. Lorsqu’il y a eu ces colis piégés en provenance du Yémen, immédiatement la Direction générale d’aviation civile, dès samedi, a pris la décision d’interrompre le fret en provenance de ce pays. Nous avons décidé à l’occasion d’une réunion, autour du président de la République qui s’est saisi personnellement de ce sujet si essentiel, nous avons décidé hier d’un certain nombre de mesures complémentaires, notamment de faire plus attention au fret, de faire plus attention aux passagers.
 
C’est ce qu’on appelle le criblage des passagers. Ça va se traduire comment ?
 
Qu’est-ce que ça veut dire ? En réalité, il faut que nous puissions analyser plus en amont le profil des passagers et c’est ce qui se fait déjà avec un certain nombre de pays. Nous souhaitons et nous avons décidé hier de le faire en partenariat avec les pays, avec les Etats concernés, afin de mieux cribler les passagers qui viennent sur notre territoire. C’est indispensable. Il ne s’agit pas de le faire pour le monde entier, mais il y a un certain nombre de pays avec lesquels nous discutons qui sont des pays partenaires, des pays avec lesquels nous avons de bonnes relations, avec lesquels nous devons avoir davantage de renseignements sur les flux, aussi bien en termes de fret que de passagers. Vous le voyez, nous sommes extrêmement actifs et nous sommes extrêmement vigilants et nous sommes extrêmement mobilisés.
 
Est-ce que la vigilance doit s’accentuer ? Aujourd’hui, on est en plan Vigipirate rouge, il y a un plan Vigipirate écarlate. Est-ce qu’on va passer à ce plan Vigipirate écarlate ?
 
Nous sommes très concrètement dans un plan, dans le cadre du plan Vigipirate rouge renforcé. Ça signifie bien ce que les mots veulent dire, et c’est-à-dire très concrètement que chaque jour, il y a 3.400 policiers et 980 gendarmes qui sont mobilisés sur ce sujet de la prévention du terrorisme.
 
Sur le plan politique, F. Fillon a annoncé hier qu’il souhaitait rester à Matignon. Est-ce que ça vous paraît une bonne idée ?
 
F. Fillon, de ce que j’ai compris, a dit quelque chose d’essentiel, c’est-à-dire qu’il y avait un mouvement d’actions et de réformes qui avait été engagé. Et finalement d’ailleurs, c’est ce qui se passe et à juste titre, il l’a souligné. On a engagé...
 
Mais il doit rester ou pas ?
 
Attendez. Depuis 2007, on a engagé un mouvement de réforme et chaque jour nous en avons des petites étapes qui s’additionnent les unes aux autres. Hier, par exemple, la commission mixte paritaire parlementaire a validé le projet de réforme territoriale : c’est un changement considérable qui va alléger, simplifier, permettre de maîtriser mieux la dépense locale, d’améliorer l’efficacité de nos institutions. Tous les jours, il y a une action de réforme qui est engagée. Ce quinquennat de N. Sarkozy restera comme - il n’est pas fini, il y a encore beaucoup de chemin, heureusement - mais restera comme un quinquennat de réformes, de changements, d’adaptation de notre société. Et F. Fillon a parfaitement eu raison de souligner cette réalité.
 
Et est-ce qu’il doit rester ou pas ?
 
Ça, vous savez, le choix du Premier ministre, ce n’est pas les sondages, ce ne sont pas les ministres, ce ne sont pas non plus d’ailleurs les parlementaires, ce ne sont pas les journalistes : c’est un choix du président de la République. Et à mon avis, patientez encore un peu.
 
J.-F. Copé est candidat à la tête de l’UMP. Vous le soutenez ?
 
D’abord, il faudrait que le poste soit vacant. C’est-à-dire qu’il est vacant si X. Bertrand le souhaite, et il est possible d’ailleurs que X. Bertrand le souhaite parce qu’il a eu à assumer les fonctions de secrétaire général dans un contexte extrêmement difficile. Maintenant, si vous m’interrogez sur les qualités de J.-F. Copé, il a à la fois les qualités de compétence, d’énergie, de talent, de détermination et d’envie.
 
Un mot sur la pénurie d’essence : elle est terminée ?
 
Elle est quasi terminée. Et d’ailleurs, j’ai décidé hier soir de mettre fin à la cellule interministérielle de crise qui se réunissait tous les jours, parfois d’ailleurs plusieurs fois par jour, et elle a parfaitement fonctionné, en liaison d’ailleurs avec les services de J.-L. Borloo, le ministre de l’État et de l’Écologie.
 
On a reproché à N. Sarkozy de surveiller certains journalistes. Vrai ? Faux ?
 
 Écoutez, c’est une plaisanterie. Vous savez, la Direction centrale du renseignement intérieur, ce n’est pas la Stasi ou la KGB. L’objectif de la DCRI, ce n’est pas de suivre des journalistes mais d’interpeller les terroristes. Et surtout, il y a un élément qui n’a pas été noté, je ne comprends pas pourquoi d’ailleurs, c’est que depuis octobre 2007, il y a une loi qui a été voulue par N. Sarkozy ; c’est la première fois qu’un président de la République souhaite autant de transparence dans le fonctionnement de nos services de renseignement. Et cette loi de 2007 prévoit précisément qu’il y ait une délégation parlementaire sur le renseignement, composée à la fois de députés et sénateurs et qui rend chaque année un rapport public. Donc vous voyez, il y a un souci de transparence et il n’y a pas de police politique dans notre pays, bien évidemment.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 5 novembre 2010